Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 septembre 1894

Lettre encyclique Jucunda Semper Expectatione

Sur le Rosaire de Marie

Table des matières

A Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques et autres Ordinaires des lieux ayant paix et com­mu­nion avec le Siège apostolique.

LÉON XIII, PAPE

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Introduction

Valeur constante du Rosaire

C’est tou­jours avec une attente joyeuse et pleine d’espérance que Nous voyons reve­nir le mois d’octobre, qui, par Nos con­seils et Nos pres­crip­tions, consa­cré à la Bienheureuse Vierge, est sanc­ti­fié, depuis un cer­tain nombre d’années déjà, dans tout le monde catho­lique, par la dévo­tion fer­vente du Rosaire. Nous avons dit plu­sieurs fois le motif de Nos exhor­ta­tions. Comme les temps cala­mi­teux tra­ver­sés par l’Eglise et par la socié­té civile récla­maient avec urgence le secours immé­diat de Dieu, Nous avons pen­sé qu’il fal­lait implo­rer ce secours par l’intercession de sa Mère et que le mode de sup­pli­ca­tion qui devait être employé était celui dont le peuple chré­tien n’avait jamais été sans éprou­ver la bien­fai­sante efficacité.

Il l’a éprou­vée, en effet, dès l’origine même du Rosaire, soit pour la défense de la foi contre les cri­mi­nels assauts des héré­tiques, soit pour le relè­ve­ment et le main­tien des ver­tus dans un siècle cor­rom­pu ; il l’a éprou­vée par une série inin­ter­rom­pue de bien­faits pri­vés et publics, dont le sou­ve­nir est même conser­vé par des ins­ti­tu­tions et des monu­ments illustres. De même, à notre époque, qui souffre de tant de périls, Nous avons la joie de rap­pe­ler que des fruits salu­taires sont sor­tis de là.

Raison de persévérer

Toutefois, en pro­me­nant vos regards, vous consta­tez vous-​mêmes, Vénérables Frères, que les rai­sons sub­sistent encore et en par­tie se sont accrues d’ex­ci­ter, en cette pré­sente année, à la suite de Nos exhor­ta­tions, l’ardeur de la prière envers la Reine du ciel, par­mi les trou­peaux confiés à vos soins.

But particulier de l’encyclique

Ajoutons qu’en réflé­chis­sant sur la nature intime du Rosaire, plus sa gran­deur et son uti­li­té Nous appa­raissent vive­ment, plus s’ac­croissent le désir et l’espoir que Nos recom­man­da­tions soient assez puis­santes pour que le culte de cette très sainte prière, mieux connue et pra­ti­quée davan­tage, prenne les plus heu­reux déve­lop­pe­ments. Dans ce but, Nous ne vou­lons pas répé­ter les consi­dé­ra­tions de diverse nature que Nous avons expo­sées sur ce sujet, les années pré­cé­dentes ; mais il convient d’ex­pli­quer et d’en­sei­gner par quelle pro­vi­den­tielle dis­po­si­tion il arrive que, grâce au Rosaire, la confiance d’être exau­cé pénètre sua­ve­ment dans l’âme de ceux qui prient, et la mater­nelle misé­ricorde de la Sainte Vierge envers les hommes répond en les assis­tant avec une sou­ve­raine bonté.

I. Le rosaire manifeste la puissante médiation de Marie et suscite en elle une immense confiance

A. Vérités sur la médiation de Marie

a) Dans les mystères

Le secours que nous implo­rons de Marie par nos prières a son fon­de­ment dans l’of­fice de média­trice de la grâce divine, qu’elle rem­plit constam­ment auprès de Dieu, en suprême faveur par sa digni­té et par ses mérites, dépas­sant de beau­coup tous les saints par sa puis­sance. Or, cet office ne ren­contre peut-​être son expres­sion dans aucune prière aus­si bien que dans le Rosaire, où la part que la Vierge a prise au salut des hommes est ren­due comme pré­sente, et où la pié­té trouve une si grande satisfac­tion, soit par la contem­pla­tion suc­ces­sive des mys­tères sacrés, soit par la réci­ta­tion répé­tée des prières.

1. Joyeux

D’abord, viennent les mys­tères joyeux. Le Fils éter­nel de Dieu s’incline vers l’hu­ma­ni­té, et se fait homme : mais avec le consen­te­ment de Marie, qui conçoit du Saint-​Esprit. Alors Jean, par une grâce insigne, est sanc­ti­fié dans le sein de sa mère et favo­ri­sé de dons choi­sis pour pré­pa­rer les voies du Seigneur ; mais tout cela arrive par la salu­ta­tion de Marie, ren­dant visite, par ins­pi­ra­tion divine, à sa cou­sine. Enfin, le Christ, l’attente des nations, vient au jour et il naît de Marie ; les ber­gers et les mages, pré­mices de la foi, se hâtant pieu­se­ment vers son ber­ceau, trouvent l’Enfant avec Marie, sa mère. Celui-​ci ensuite, afin de s’offrir par un rite public en vic­time à Dieu son Père, veut être appor­té dans le Temple ; mais c’est par le minis­tère de sa Mère qu’il est pré­sen­té là au Seigneur. La même Vierge, dans la mys­té­rieuse perte de l’Enfant, le cherche avec une inquiète sol­li­ci­tude et le retrouve avec une grande joie.

2. Douloureux

Les mys­tères dou­lou­reux ne parlent pas autre­ment. Dans le jar­din de Gethsémani, où Jésus est effrayé et triste jus­qu’à la mort, et dans le pré­toire, où il est fla­gel­lé, cou­ron­né d’é­pines, condam­né au sup­plice, Marie sans doute est absente, mais depuis long­temps elle a de tout cela la connais­sance et la pen­sée. Car, lors­qu’elle s’of­frit à Dieu comme sa ser­vante pour être sa mère, et lors­qu’elle se consa­cra tout entière à lui dans le temple avec son Fils, par l’un et l’autre de ses actes elle devint l’associée de ce Fils dans la labo­rieuse expia­tion pour le genre humain ; et c’est pour­quoi il n’est pas dou­teux qu’elle n’ait pris, en son âme, une très grande part aux amer­tumes, aux angoisses et aux tour­ments de son Fils. Du reste, c’est en sa pré­sence et sous ses yeux que devait s’ac­com­plir le divin sacri­fice pour lequel elle avait géné­reu­se­ment nour­ri d’elle la vic­time. Ce qu’il y a à remar­quer dans le der­nier de ces mys­tères et ce qui est le plus tou­chant : auprès de la croix de Jésus se tenait debout Marie, sa mère, laquelle, émue pour nous d’une immense cha­ri­té, afin de nous rece­voir pour fils, offrit elle-​même volon­tai­re­ment son Fils à la jus­tice divine, mou­rant en son cœur avec lui, trans­per­cée d’un glaive de douleur.

3. Glorieux

Enfin, dans les mys­tères glo­rieux qui viennent ensuite, le même misé­ri­cor­dieux office de la Sainte Vierge s’affirme, et même plus abon­dam­ment. Elle jouit dans le silence de la gloire de son Fils triom­phant de la mort ; elle le suit de sa mater­nelle ten­dresse, remon­tant dans les demeures d’en haut : mais, digne du ciel, elle est rete­nue sur la terre, conso­la­trice la meilleure et direc­trice de l’Eglise nais­sante, elle qui a péné­tré, au delà de tout ce que l’on pour­rait croire, l’a­bîme inson­dable de la divine sagesse1.

Et comme l’œuvre sacrée de la rédemp­tion humaine ne sera pas ache­vée avant la venue de l’Esprit-Saint pro­mis par le Christ, nous contem­plons la Vierge dans le Cénacle où, priant avec les apôtres et pour eux avec un inef­fable gémis­se­ment, elle pré­pare à l’Eglise l’amplitude de ce même Esprit, don suprême du Christ, tré­sor qui ne fera défaut en aucun temps. Mais elle doit rem­plir plus com­plè­te­ment et à jamais l’of­fice de notre avo­cate, ayant pas­sé dans l’éternelle vie. Nous la voyons trans­por­tée de cette val­lée de larmes dans la cité sainte de Jérusalem, entou­rée des chœurs des anges : nous l’honorons exal­tée dans la gloire des saints, cou­ron­née par Dieu son Fils d’un dia­dème étoi­lé, et assise auprès de lui, reine et maî­tresse de l’univers.

Toutes ces choses, Vénérables Frères, dans les­quelles le des­sein de Dieu se mani­feste, des­sein de sagesse, des­sein de pié­té2 et où éclatent en même temps les très grands bien­faits de la Vierge Mère à notre égard, ne peuvent pas ne pas pro­duire sur tous une douce impres­sion, en ins­pi­rant la ferme confiance que, par l’intermédiaire de Marie, on obtien­dra de Dieu clé­mence et miséricorde.

b) Dans les prières vocales

La prière vocale, qui est en par­fait accord avec les mys­tères, agit dans le même sens. On com­mence d’abord, comme il con­vient, par l’o­rai­son domi­ni­cale adres­sée au Père céleste ; après l’avoir invo­qué par les plus nobles demandes, du trône de sa majes­té la voix sup­pliante se tourne vers Marie, confor­mé­ment à cette loi de la misé­ri­corde et de la prière dont Nous avons par­lé et que saint Bernardin de Sienne a for­mu­lée en ces termes : Toute grâce qui est com­mu­ni­quée en ce monde arrive par trois degrés. Car, de Dieu dans le Christ, du Christ dans la Vierge et de la Vierge en nous, elle est très régu­liè­re­ment dis­pen­sée ((Serm. VI in fes­tis B. M. V. de Annunc. a. I, c. 2.)). Parmi ces degrés, qui sont de diverse nature, nous nous arrê­tons plus volon­tiers en quelque sorte et plus lon­gue­ment au der­nier, en ver­tu de la com­po­si­tion du Rosaire, la salu­ta­tion angé­lique se réci­tant par dizaines, comme dans le but de mon­ter avec plus de confiance aux autres degrés, c’est-​à-​dire par le Christ à Dieu le Père.

B. Sentiments de confiance

a) Répétition des formules

Nous répé­tons tant de fois la même salu­ta­tion à Marie, afin que notre prière, faible et impar­faite, soit sou­te­nue par la confiance néces­saire, sup­pliant la Vierge d’implorer pour nous, comme en notre nom, le Seigneur. Nos accents auront auprès de lui beau­coup de faveur et de puis­sance, s’ils sont appuyés par les prières de la Vierge, à laquelle il adresse lui-​même cette tendre invi­ta­tion : que ta voix résonne à mon oreille, car ta voix est douce3. C’est pour­quoi, nous rap­pe­lons tant de fois les titres glo­rieux qu’elle a à être exaucée. 

b) Rappel des titres de la Vierge

En elle, nous saluons celle qui a trou­vé grâce auprès de Dieu, et par­ti­cu­liè­re­ment qui a été par lui com­blée de grâce, de façon que la sur­abon­dance en décou­lât sur tous ; celle à qui le Seigneur est atta­ché par l’union la plus com­plète qui fût pos­sible ; celle bénie entre toutes les femmes, qui seule enle­va l’a­na­thème et por­ta la béné­dic­tion4, le fruit bien­heu­reux de ses entrailles, dans lequel toutes les nations seront bénies ; nous l’invoquons, enfin, comme Mère de Dieu ; de cette sublime digni­té, que n’obtiendra-t-elle pas pour nous, pécheurs, que ne pouvons-​nous pas espé­rer pen­dant toute notre vie et à l’heure suprême de l’agonie ?

c) Résultats certains

Il est impos­sible que celui qui se sera appli­qué avec foi à la réci­ta­tion de ces prières et à la médi­ta­tion de ces mys­tères ne soit pas frap­pé d’admiration tou­chant les des­seins de Dieu réa­li­sés en la Sainte Vierge pour le salut com­mun des nations ; et il s’empressera de se jeter avec confiance sous sa pro­tec­tion et dans ses bras, en redi­sant cette invo­ca­tion de saint Bernard : « Souvenez-​vous, ô très pieuse Vierge Marie, que l’on a jamais ouï dire que celui qui a eu recours à votre pro­tec­tion, implo­ré votre assis­tance, sol­li­ci­té votre faveur, ait été abandonné. »

II. Le rosaire émeut la miséricorde de Marie

La ver­tu que pos­sède le Rosaire pour ins­pi­rer à ceux qui prient la confiance d’être exau­cés, il l’a éga­le­ment pour émou­voir la misé­ri­corde de la Sainte Vierge à notre égard. 

A. Signification des prières et des louanges

Il est facile de com­prendre com­bien il lui plait de nous voir et de nous entendre pen­dant que, selon le rite, nous tres­sons en cou­ronne les plus nobles prières et les plus belles louanges. En priant ain­si, nous sou­hai­tons et nous ren­dons à Dieu la gloire qui lui est due ; nous cher­chons uni­que­ment l’accomplissement de sa volon­té ; nous célé­brons sa bon­té et sa muni­fi­cence, lui don­nant le nom de Père et, dans notre indi­gni­té, sol­li­ci­tant les dons les plus pré­cieux : tout cela est mer­veilleu­se­ment agréable à Marie, et vrai­ment dans notre pié­té elle glo­ri­fie le Seigneur ; car nous adres­sons à Dieu une prière digne de lui.

B. Notre union à Jésus

Aux demandes si belles en elles-​mêmes et, par leur expres­sion, si conformes à la foi chré­tienne, à l’es­pé­rance, à la cha­ri­té, que nous fai­sons dans cette prière se joint, pour les appuyer, un titre qui plaît, entre tous, à la Vierge. En effet, à nôtre voix, parait s’u­nir la voix même de Jésus son Fils, qui est le propre auteur de cette for­mule de prière, dont il nous a don­né les termes, et qu’il nous a pres­crit d’employer : Vous prie­rez donc ain­si (Matth, vi, 9.). Lors donc que nous obser­vons ce com­man­de­ment en réci­tant le Rosaire, la Vierge est plus dis­po­sée, n’en dou­tons pas, à exer­cer à notre égard son office plein de sol­li­ci­tude et de ten­dresse ; accueillant d’un visage favo­rable cette guir­lande mys­tique de prières, elle nous récom­pen­se­ra par une large abon­dance de dons.

C. L’efficacité de cette méthode d’oraison

Une rai­son sérieuse de comp­ter plus fer­me­ment encore sur sa très géné­reuse bon­té se trouve dans la nature même du Rosaire, qui est très apte à faire bien prier. Des dis­trac­tions nom­breuses et variées, qui pro­viennent de la fra­gi­li­té humaine, ont cou­tume de détour­ner de Dieu celui qui prie et de trom­per ses bons pro­pos ; mais qui­conque y réflé­chi­ra com­pren­dra aus­si­tôt com­bien le Rosaire a d’efficacité, soit pour fixer la pen­sée et secouer l’indo­lence de l’âme, soit pour exci­ter le salu­taire regret des fautes et éle­ver l’esprit vers les choses du ciel.

a) Pour fixer nos pensées

En effet, le Rosaire se com­pose, comme l’on sait, de deux par­ties à la fois dis­tinctes et unies, la médi­ta­tion des mys­tères et la prière vocale. Or, ce mode de prière exige une cer­taine atten­tion spé­ciale de l’homme, car il requiert, non pas seule­ment qu’il dirige d’une façon quel­conque son esprit vers Dieu, mais qu’il soit plon­gé de telle sorte dans la médi­ta­tion de ce qu’il con­temple qu’il y puise les élé­ments d’une vie meilleure et les ali­ments de toute piété. 

1. Sur les vérités les plus fondamentales

Ce qu’il contemple est, en effet, ce qui existe de plus grand et de plus admi­rable, car ce sont les mys­tères fon­da­men­taux du chris­tia­nisme, par la lumière et la ver­tu des­quels la véri­té, la jus­tice et la paix ont éta­bli sur la terre un nou­vel ordre de choses et don­né les fruits les plus heureux.

2. Par un moyen très adapté

Au même effet concourt aus­si la manière dont ces mys­tères si pro­fonds sont pré­sen­tés à ceux qui récitent le Rosaire, car ils le sont de façon à être par­fai­te­ment à la por­tée même des esprits sans ins­truc­tion. Ce ne sont pas des dogmes de foi, des prin­cipes doc­tri­naux, que le Rosaire pro­pose à médi­ter, mais plu­tôt des faits à contem­pler de ses yeux et à remé­mo­rer, et ces faits pré­sen­tés dans leurs cir­cons­tances de lieux, de temps et de per­sonnes s’impriment d’autant mieux dans l’âme et l’émeu­vent plus uti­le­ment. Lorsque, dès l’enfance, l’âme s’en est péné­trée et impré­gnée, il suf­fit de l’énonciation de ces mys­tères, pour que celui qui a du zèle pour la prière puisse, sans aucun effort d’imagination, par un mou­ve­ment natu­rel de pen­sée et de sen­ti­ment, les par­cou­rir et les rece­voir abon­dam­ment, par la faveur de Marie, la rosée et la grâce céleste.

3. Par une fréquence très utile

Une autre rai­son rend ces guir­landes de prières plus agréables à Marie et plus dignes à ses yeux de récom­pense. Lorsque nous dérou­lons pieu­se­ment la triple série des mys­tères, nous don­nons un écla­tant témoi­gnage de nos sen­ti­ments de recon­nais­sance envers elle, car nous décla­rons ain­si que jamais nous ne nous las­sons de la mémoire des bien­faits par les­quels elle a par­ti­ci­pé à notre salut avec une ten­dresse sans mesure. Ces sou­ve­nirs si grands rame­nés fré­quem­ment en sa pré­sence et célé­brés avec zèle, il est à peine pos­sible d’imaginer de quelle abon­dance de joie tou­jours nou­velle ils rem­plissent son âme bien­heu­reuse, et quels sen­ti­ments ils excitent en elle de sol­li­ci­tude et de bien­faisance maternelle.

b) Pour stimuler notre ferveur

D’autre part, ces mêmes sou­ve­nirs donnent à notre suppli­cation une ardeur et une force plus grandes ; car, chaque mys­tère qui passe apporte un nou­vel argu­ment de prière on ne peut plus puis­sant auprès de la Sainte Vierge. En effet, c’est auprès de vous que nous nous réfu­gions, sainte Mère de Dieu : ne mépri­sez pas les mal­heu­reux fils d’Eve ! Nous vous implo­rons, média­trice de notre salut, aus­si puis­sante que clé­mente ; par la dou­ceur des joies qui vous sont venues de votre Fils Jésus, par votre com­mu­nion à ses inef­fables dou­leurs, par l’é­clat rejaillis­sant sur vous de sa gloire, nous vous sup­plions de toutes nos forces ; oh ! mal­gré notre indi­gni­té, écoutez-​nous avec bien­veillance et exaucez-nous.

Voilà pourquoi le pape recommande tant le rosaire

L’excellence du Rosaire de Marie, consi­dé­ré au double point de vue dont Nous venons de par­ler, vous fera plus clai­re­ment com­prendre, Vénérables Frères, pour­quoi Notre sol­li­ci­tude ne cesse pas d’en recom­man­der, d’en déve­lop­per la pra­tique. Le siècle où nous vivons a de plus en plus besoin, comme Nous l’a­vons dit eu com­men­çant, des secours du ciel, principa­lement parce que l’Eglise ren­contre de toutes parts de nom­breux sujets d’af­flic­tion, atta­quée dans son droit et dans sa liber­té ; parce que les Etats chré­tiens subissent de nom­breuses atteintes qui ébranlent dans leur fon­de­ment la pros­pé­ri­té et la paix. Or, Nous décla­rons de nou­veau hau­te­ment que, pour obte­nir ces secours, Nous met­tons dans le Rosaire la plus grande espé­rance. Plaise à Dieu que, selon Nos vœux, cette sainte pra­tique de pié­té soit par­tout réta­blie dans son antique hon­neur ; qu’elle soit aimée et sui­vie dans les villes et dans les cam­pagnes, dans les familles et dans les ate­liers, chez les grands et chez les humbles, comme un signe mar­quant de la pro­fes­sion de la foi chré­tienne et un moyen excellent et assu­ré d’attirer la clé­mence divine.

Urgence des ces prières

Il est de jour en jour plus urgent que tous les chré­tiens pour­suivent ce résul­tat, à une époque où la per­ver­si­té insen­sée des impies mul­ti­plie les machi­na­tions et les audaces qui pro­voquent la colère de Dieu et attirent sur la patrie le poids de sa juste ani­mad­ver­sion. Parmi les autres sujets de dou­leur, tous les gens de bien déplorent avec Nous qu’au sein même des nations catho­liques, il se trouve un trop grand nombre de gens qui se réjouissent des outrages de toute sorte faits à la reli­gion, et qui, usant d’une licence incroyable de tout publier, semblent mettre leur appli­ca­tion à vouer les choses les plus saintes, et la confiance si jus­ti­fiée en la pro­tec­tion de la Sainte Vierge au mépris et à la déri­sion de la foule.

Quelques faits révoltants

En ces der­niers mois, on n’a même pas épar­gné la très auguste per­sonne de notre Sauveur Jésus-​Christ. On n’a point rou­gi de la traî­ner sur les planches du théâtre, déjà souillées de tant de hontes, et de la repré­sen­ter dépouillée de la majes­té de la nature divine qui lui appar­tient ; cette nature enle­vée, la rédemp­tion même du genre humain dis­pa­raît néces­sai­re­ment. On n’a pas eu honte, non plus, de ten­ter la réha­bi­li­ta­tion, en le tirant de son éter­nelle infa­mie, de l’homme que la mons­truo­si­té de son crime et de sa per­fi­die a ren­du odieux par-​delà tous les âges, du traître qui livra Jésus-Christ.

Protestations

En pré­sence des crimes, com­mis ou sur le point de se com­mettre dans les villes d’Italie, l’in­di­gna­tion uni­ver­selle s’est sou­le­vée et l’on a déplo­ré vive­ment la vio­la­tion du droit sacré de la reli­gion, et sa vio­la­tion, son oppres­sion au sein de ce peuple qui se glo­ri­fie entre tous et avec rai­son du titre de catho­lique. Alors la vigi­lante sol­li­ci­tude des évêques s’est éveillée, comme il conve­nait : ils ont fait par­ve­nir leurs très justes récla­mations à ceux qui ont le devoir de pro­té­ger la digni­té de la reli­gion natio­nale, et, non contents d’a­ver­tir leurs trou­peaux de la gra­vi­té du péril, ils les ont exhor­tés à répa­rer par des céré­mo­nies reli­gieuses spé­ciales le cri­mi­nel outrage fait à l’Auteur, plein d’amour pour nous, de notre salut.

Il Nous a été, certes, très agréable de voir l’ac­ti­vi­té des gens de bien, qui s’est déployée excel­lem­ment de mille manières, et elle a contri­bué à adou­cir la dou­leur pro­fonde que Nous avions éprou­vée. Toutefois, en cette occa­sion que Nous avons de par­ler, Nous ne sau­rions conte­nir la voix de Notre suprême minis­tère, et aux récla­ma­tions des évêques et des fidèles, Nous joi­gnons hau­te­ment les Nôtres. Avec le même sen­ti­ment aposto­lique que Nous déplo­rons et Nous flé­tris­sons le crime sacri­lège, Nous adres­sons les exhor­ta­tions les plus vives aux nations chré­tiennes, et nom­mé­ment aux Italiens, afin qu’ils conservent invio­la­ble­ment la reli­gion de leurs pères, le plus pré­cieux des héri­tages, qu’ils la défendent vaillam­ment, qu’ils ne cessent d’ac­croître par la pié­té de leur conduite sa prospérité.

C’est pour­quoi, et pour ce motif encore, Nous dési­rons que, pen­dant le pro­chain mois d’oc­tobre, les par­ti­cu­liers et les Con­fréries tra­vaillent à l’en­vi à hono­rer l’auguste Mère de Dieu, la puis­sante Protectrice de la socié­té chré­tienne, la très glo­rieuse Reine du ciel. Nous confir­mons de grand cœur les conces­sions d’Indulgences que Nous avons accor­dées à cet effet auparavant.

Invocation et bénédiction

Vénérables Frères, que Dieu qui nous a don­né, dans sa misé­ricordieuse bon­té, une telle Médiatrice5, et qui a vou­lu que nous rece­vions tout par Marie6, daigne, par son interces­sion et sa faveur, exau­cer nos vœux com­muns, com­bler nos espé­rances. Comme pré­sage de ces biens, Nous accor­dons affec­tueusement dans le Seigneur la béné­dic­tion apos­to­lique à vous, à votre cler­gé et à votre peuple.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 sep­tembre 1894, de Notre Pontificat la dix-​septième année.

LÉON XIII. PAPE.

Source : Lettres apos­to­liques de S. S. Léon XIII, tome qua­trième, Paris, 8 rue François Ier – Les titres sont repris de Laval théo­lo­gique et phi­lo­so­phique, volume 9, numé­ro 1, 1953.

  1. S. Bernardus, de XII prœ­ro­ga­tiv. B. M. V. n. 3. []
  2. S. Bernardus, serm. in Nativ. B. M. V. n. 6. []
  3. Cant. II, 14. []
  4. S. Thomas, op. VIII super salut. angel. n. 8. []
  5. S. Bernardus, de XII prœ­ra­ga­tiv. B.M.V. n.2. []
  6. Id. serm. in Nativ. B. M. V n. 7. []