Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

5 avril 1906

Lettre encyclique Tribus circiter

Sur les mariavites ou prêtres mystiques en Pologne

A nos véné­rables frères l’ar­che­vêque de Varsovie et les évêques de Plock et de Lubin en Pologne

Pie X, Pape

Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique

Depuis envi­ron trois ans le Siège apos­to­lique a été régu­liè­re­ment informe que des prêtres de vos dio­cèses, sur­tout par­mi le jeune cler­gé, avaient ins­ti­tué, sans aucune auto­ri­sa­tion de leurs supé­rieurs légi­times, une asso­cia­tion pseudo-​monastique sous le vocable de mariavites ou de prêtres mys­tiques, et que les membres de cette asso­cia­tion, s’écartant peu à peu de la voie droite et de l’obéissance due aux évêques que « l’Esprit-Saint a éta­blis pour gou­ver­ner l’Eglise de Dieu », se consu­maient en vaines imaginations.

Ils avaient avec eux une femme qu’ils pro­cla­maient très sainte. C’était, à les entendre, une per­sonne mer­veilleu­se­ment com­blée des dons célestes, éclai­rée sur bien des choses par les lumières d’en liant, et réser­vée par Dieu à ces der­niers temps pour sau­ver le monde voué à une ruine prochaine.

Pour tout ce qui concerne la conscience et la pié­té, ils n’hésitaient pas à s’en remettre entiè­re­ment à sa direc­tion et demeu­raient sou­mis à ses moindres volontés.

Ainsi, s’autorisant d’un ordre de Dieu, ils exhor­taient le peuple, de leur propre chef et sans aucun dis­cer­ne­ment, à de très fré­quents exer­cices de pié­té – d’ailleurs fort recom­man­dables pour­vu qu’on les accom­plisse sui­vant les règles –, sur­tout à l’adoration du Très Saint Sacre­ment et à la com­mu­nion fréquente.

Ils n’hésitaient pas à char­ger des plus graves accu­sa­tions les prêtres ou les évêques qu’ils sup­po­saient avoir quelques doutes sur la sain­te­té et la voca­tion divine de cette femme ou n’être que peu favo­rables à l’association dite des maria­vites.

On pou­vait craindre que beau­coup de fidèles, vic­times d’une déplo­rable décep­tion, ne vou­lussent s’éloigner des pas­teurs légitimes.

C’est pour­quoi, ayant pris conseil de Nos Vénérables Frères les car­dinaux de la Sainte Eglise Romaine inqui­si­teurs géné­raux, Nous avons fait publier, comme vous le savez, un décret, en date du 4 sep­tembre 1904, sup­pri­mant com­plè­te­ment la sus­dite asso­cia­tion ecclé­siastique et ordon­nant de ces­ser toute rela­tion avec la femme dont il a été parlé.

Ces prêtres signèrent, il est vrai, une attes­ta­tion de sou­mis­sion à l’autorité des évêques ; bien qu’ils aient peut-​être, comme ils l’af­firment, ces­sé en par­tie leurs rela­tions avec cette per­sonne, ils n’ont aucu­ne­ment aban­don­né leur entre­prise ni renon­cé d’un cœur sin­cère à l’associa­tion que Nous avions condamnée.

Non seule­ment ils mépri­sèrent vos exhor­ta­tions et vos ordres, non seule­ment plu­sieurs d’entre eux signèrent une décla­ra­tion effron­tée par laquelle ils reje­taient la com­mu­nion de leurs évêques, non seule­ment ils exci­tèrent en diverses loca­li­tés le peuple qu’ils avaient séduit à chas­ser les pas­teurs légi­times, mais ils sou­tinrent, sui­vant la lac­tique de nos enne­mis, que l’Eglise était sor­tie des voies de la véri­té et de la jus­tice, que par suite le Saint-​Esprit l’avait aban­don­née et que, la mis­sion divine d’en­sei­gner au peuple fidèle la vraie pié­té n’était plus don­née qu’à eux seuls, prêtres mariavites.

Ce n’est pas tout. Il y a quelques semaines on vit venir à Rome deux de ces prêtres ; ils se nom­maient, l’un, Romain Prochniewski, l’autre, Jean Kowalski. Ce der­nier, jouis­sant d’une délé­ga­tion de la femme en ques­tion, est regar­dé par tous les autres membres de la secte comme leur chef.

Tous deux nous deman­daient, dans une sup­plique qu’ils avaient écrite, disaient-​ils, sur l’ordre exprès de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, que le suprême Pasteur de l’Eglise, ou eu son nom la Congrégation du Saint-​Office, don­nât en faveur de celle asso­cia­tion un docu­ment dont la teneur serait la suivante :

Marie-​Françoise (c’est le nom de cette femme), éle­vée par Dieu à un très haut degré de sain­te­té, est la mère de misé­ri­corde don­née à tous les hommes appe­lés par Dieu au salut et par lui élus en ces der­niers temps du monde ; tous les prêtres maria­vites ont reçu de Dieu l’ordre de répandre dans le monde entier le culte du Très Saint Sacrement et de la bien­heu­reuse Vierge Marie du Perpétuel Secours. Ils ne seront entra­vés dans l’ac­com­plis­se­ment de cette mis­sion par aucun droit ecclé­sias­tique, aucune loi humaine, aucune cou­tume, aucune puis­sance ecclé­sias­tique ou humaine.

En enten­dant ces paroles. Nous avons vou­lu sup­po­ser que ces prêtres étaient peut-​être moins aveu­glés par un orgueil conscient que par l’ignorance et les appa­rences trom­peuses, comme ces faux pro­phètes dont parle Ezéchiel : « Ils ont des visions vaines et ils pro­fèrent des oracles de men­songe, disant : Ainsi a par­lé Jéhovah, sans que Jéhovah les ait envoyés, et ils ont conti­nué à main­te­nir leur asser­tion. Ne sont-​ce pas des visions vaines que celles que vous voyez, et des oracles men­teurs que ceux que vous pro­non­cez ? Et pour­tant vous dites : Ainsi a par­lé Jéhovah. Et moi je n’ai point parié. » [1]

Les ayant donc accueillis avec misé­ri­corde, Nous les avons exhor­tés à lais­ser de côté leurs vaines et trom­peuses révé­la­tions, à sou­mettre sin­cè­re­ment leurs per­sonnes et leurs œuvres à la direc­tion salu­taire de leurs chefs hié­rar­chiques, et à rame­ner promp­te­ment les fidèles du Christ dans la voie sûre de l’obéissance et du res­pect qu’ils doivent à leurs pasteurs.

Nous les avons enfin enga­gés à lais­ser à la sol­li­ci­tude du Saint-​Siège apos­to­lique et de ceux qui en ont la mis­sion le soin d’approuver les pra­tiques de dévo­tion qui, dans plu­sieurs paroisses de vos dio­cèses, Vénérables Frères, paraî­traient plus aptes à favo­ri­ser le plein épanouis­sement de la vie chré­tienne et de répri­man­der, s’il s’en trou­vait, les prêtres qui cri­ti­que­raient ou esti­me­raient inutiles les exer­cices de pié­té et de dévo­tion approu­vés dans l’Eglise.

Ce n’est pas sans conso­la­tion que Nous les avons vus, émus de Notre bon­té pater­nelle, se jeter à Nos pieds et pro­cla­mer leur ferme volon­té d’accéder à Nos dési­rs avec une filiale soumission.

Ensuite ces mêmes prêtres Nous firent pré­sen­ter une décla­ra­tion écrite [2]; Nous en conçûmes une plus vive espé­rance que ces fils trom­pés aban­don­ne­raient sin­cè­re­ment leurs illu­sions pas­sées et rentre­raient dans la voie droite. Voici quels étaient les termes de cette déclaration :

Toujours dis­po­sés à accom­plir la volon­té de Dieu, qui vient de se mani­fes­ter à nous d’une manière si évi­dente par son Vicaire, nous désa­vouons très sin­cè­re­ment et avec une très grande joie la lettre que nous avons adres­sée le 1er février de cette année à l’archevêque de Varsovie et dans laquelle nous avions décla­ré nous sépa­rer de lui. De plus, avec une grande sin­cé­ri­té et une joie très vive, nous affir­mons notre volon­té d’être tou­jours unis à nos évêques, spé­cia­le­ment à l’é­vêque de Varsovie, aus­si long­temps que Votre Sainteté nous le commandera.

En outre, comme nous agis­sons pré­sen­te­ment au nom de tons les maria­vites, nous fai­sons cette décla­ra­tion d’obéissance et de sou­mis­sion totales non seule­ment au nom de tous les maria­vites, mais encore en celui de tout le groupe des ado­ra­teurs du Très Saint Sacrement.

Nous fai­sons aus­si cette décla­ra­tion spé­cia­le­ment au nom des maria­vites de Plock, qui, pour la même rai­son que les maria­vites de Varsovie, ont déclare à leur évêque qu’ils se sépa­raient de lui.

C’est pour­quoi, pros­ter­nés aux pieds de Votre Sainteté, nous réité­rons, tous sans excep­tion, l’assurance de notre amour, de notre obéis­sance au Saint-​Siège et tout par­ti­cu­liè­re­ment à Votre Sainteté, vous deman­dant très hum­ble­ment par­don de tout ce qui, soit de notre part soit à cause de nous, aurait pu affli­ger votre cœur paternel.

Enfin nous décla­rons que nous sommes prêts à tra­vailler de toutes nos forces pour que la paix entre le peuple et les évêques se réta­blisse au plus tôt. Bien plus, nous pou­vons affir­mer que cette paix revien­dra sans tarder.

Il Nous était donc très doux d’espérer que ces fils, après avoir obte­nu Notre par­don pater­nel, s’appliqueraient, dès leur retour en Pologne, à réa­li­ser promp­te­ment leurs pro­messes. Dans ce but, Vénérables Frères, Nous vous avons enga­gés aus­si­tôt à accueillir avec une miséri­corde égale à la Nôtre ces prêtres et leurs com­pa­gnons qui se disaient plei­ne­ment sou­mis à votre auto­ri­té, et, si les faits répon­daient aux pro­messes, à les réta­blir dans leurs anciennes fonc­tions sacer­do­tales en vous confor­mant aux pres­crip­tions du droit.

Mais l’événement a trom­pé notre attente ; Nous avons su, en effet, par de récents ren­sei­gne­ments, qu’ils avaient de nou­veau ajou­té foi à des révé­la­tions men­son­gères. Accueillis par vous en Pologne, non seule­ment ils ne vous ont pas pré­sen­té, Vénérables Frères, comme ils avaient pro­mis de le faire, un témoi­gnage de leur res­pect et de leur sou­mis­sion, mais encore ils ont écrit à leurs asso­ciés et au peuple une lettre qui n’était nul­le­ment conforme ni à la réa­li­té ni à la véri­table obéissance.

Elle est donc vaine, cette assu­rance qu’ils don­naient de leur fidé­li­té au Vicaire du Christ, puisqu’en fait ils ne cessent de résis­ter ouverte­ment à l’autorité de leurs pasteurs.

En effet, « ce sont les évêques qui forment la par­tie la plus auguste de l’Eglise, comme on lit dans la lettre que le 17 décembre 1888 Léon XIII, Notre pré­dé­ces­seur de sainte mémoire, a écrite à l’arche­vêque de Tours ; le corps épis­co­pal ins­truit et dirige les hommes de par le droit divin ; et c’est pour­quoi qui­conque leur résiste ou refuse opi­niâtrement de les écou­ter s’écarte de l’Eglise […] D’autre part, il n’ap­partient d’aucune façon à de simples par­ti­cu­liers de recher­cher la rai­son des actes des évêques et de les cri­ti­quer, mais cela ne regarde que leurs supé­rieurs dans la hié­rar­chie sacrée, en pre­mier lieu le Sou­verain Pontife, à qui le Christ a confié le soin de paître non seule­ment les agneaux, mais encore toutes les bre­bis, quelles qu’elles soient et en tous lieux.

» Tout au plus est-​il per­mis, lorsqu’il existe quelque grave sujet de plainte, de por­ter l’affaire devant le Pontife romain ; mais encore faut- il agir en cela avec la réserve et la modé­ra­tion que recom­mande le sou­ci du bien com­mun, en évi­tant les contes­ta­tions bruyantes et les objur­ga­tions, qui sont plu­tôt de nature à engen­drer des dis­sen­sions et des frois­se­ments, ou du moins à les augmenter ».

Quant à l’ex­hor­ta­tion faite par le prêtre Jean Kowalski à ses compa­gnons d’égarement à pro­pos du réta­blis­se­ment de la paix, elle devra aus­si être consi­dé­rée comme vaine et hypo­crite tant que dure­ront leurs décla­ma­tions contre les pas­teurs légi­times, leurs appels à la révolte et leurs infrac­tions auda­cieuses aux ordres des évêques.

C’est pour­quoi, vou­lant évi­ter aux fidèles dis­ciples du Christ et à ceux des prêtres dits maria­vites qui sont res­tés jusqu’ici dans la bonne foi le mal­heur d’être trom­pés plus long­temps par les four­be­ries de Marie- Françoise et du prêtre Jean Kowalski, Nous confir­mons à nou­veau le décret qui sup­prime com­plè­te­ment l’association des maria­vites, for­mée sui­vant un des­sein illé­gi­time et sans valeur ; Nous la décla­rons sup­primée, Nous la réprou­vons et Nous main­te­nons l’interdiction déjà faite par Nous à tous les prêtres, quels qu’ils soient, d’avoir des rap­ports avec cette femme et de la rece­voir sous aucun pré­texte ; excep­tion est faite seule­ment pour le prêtre que l’évêque de Plock, dans sa pru­dence, aura jugé bon de lui dépu­ter comme confesseur.

Pour vous, Vénérables Frères, Nous vous exhor­tons vive­ment à re­cevoir avec une cha­ri­té pater­nelle ces prêtres éga­rés dès qu’ils seront venus sin­cè­re­ment à rési­pis­cence, et, après les avoir dûment éprou­vés, n’hésitez pas à les appe­ler de nou­veau à rem­plir sous votre direc­tion les fonc­tions de leur minis­tère. Que si, au contraire, mépri­sant vos exhor­ta­tions, ils per­sé­vèrent dans leur esprit de révolte – Dieu veuille écar­ter un tel mal­heur ! –, ce sera Notre devoir de sévir contre eux avec plus de rigueur.

Pour les fidèles du Christ qui ont été vic­times d’une aber­ra­tion actuel­lement par­don­nable, efforcez-​vous de les rame­ner dans le droit che­min, et appliquez-​vous à encou­ra­ger dans vos dio­cèses ces exer­cices de pié­té chré­tienne que, par des actes mul­ti­pliés depuis long­temps et tout récem­ment encore, le Saint-​Siège a plei­ne­ment approu­vés. Encouragez-​les avec d’autant plus d’ardeur que chez vous main­te­nant, grâce à Dieu, les prêtres et les fidèles ont une liber­té plus grande, ceux-​là pour exer­cer leur minis­tère, ceux-​ci pour imi­ter les exemples de pié­té don­nés par leurs ancêtres.

En atten­dant, comme gage des dons célestes et en témoi­gnage de Notre pater­nelle bien­veillance, Nous vous accor­dons de tout cœur dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre cler­gé et à tout le peuple confiés à votre foi et à votre vigi­lance, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 5 avril 1906, la troi­sième année de Notre Pontificat.

PIE X, PAPE.

Source : Actes de S. S. Pie X, tome 2, La Bonne Presse.

Notes de bas de page
  1. Ez 13, 6, 7.[]
  2. Le 20 février 1906.[]