Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

7 juin 1912

Lettre encyclique Lacrimabili statu

Sur l'adoucissement de la condition déplorable des Indiens

Aux arche­vêques et évêques de l’Amérique latine 

Pie X, Pape

Vénérables frères,
Salut et Bénédiction apostolique.

Vivement ému de la déplo­rable condi­tion des Indiens de l’Amérique du Sud, Notre illustre pré­dé­ces­seur Benoît XIV a plai­dé leur cause avec beau­coup de force, vous le savez, dans sa Lettre Immensa Pastorum, du 22 décembre 1741. Nous la rap­pe­lons spé­cia­le­ment à votre sou­ve­nir, car, ce qu’il déplo­rait dans cette Lettre, Nous avons presque à en gémir, Nous aus­si, en bien des endroits. Benoît XIV, en effet, s’y plaint entre autres choses de ce que, mal­gré les longs et nom­breux efforts du Siège apos­to­lique pour rele­ver la misé­rable condi­tion des Indiens, il y ait cepen­dant encore des « catho­liques qui, comme tota­lement oublieux des sen­ti­ments de la cha­ri­té répan­due dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, osent ou réduire en escla­vage, ou vendre à d’autres comme esclaves, ou dépouiller de leurs biens non seule­ment les mal­heureux Indiens pri­vés de la lumière de la foi, mais même ceux qui ont été régé­né­rés dans le saint bap­tême, et se com­por­ter à leur égard avec une cruau­té telle qu’ils les détournent plu­tôt d’embrasser la foi du Christ et les affer­missent encore plus dans la haine qu’ils lui portent ».

La pire de ces indi­gni­tés, l’esclavage pro­pre­ment dit, dis­pa­rut ensuite peu à peu par la misé­ri­corde de Dieu, et son abo­li­tion publique au Brésil et dans les autres pays revient pour une grande part à l’insistance mater­nelle de l’Eglise auprès des chefs émi­nents de ces Répu­bliques. Et, Nous le décla­rons volon­tiers, sans de nom­breux et graves obs­tacles tenant aux cir­cons­tances et aux lieux, leurs déci­sions auraient obte­nu des résul­tats bien supérieurs.

Aussi, bien qu’il ait été fait quelque chose pour les Indiens, plus consi­dé­rable est néan­moins ce qui reste encore à faire.

Et, en véri­té, esti­mant crime et for­fait ce que l’on est encore accou­tumé de se per­mettre contre eux, Nous en avons hor­reur, et ce mal­heureux peuple Nous ins­pire une pro­fonde pitié.

Qu’y a‑t-​il d’aussi cruel et d’aussi bar­bare, en effet, que de frap­per les hommes de verges ou de lames rou­gies pour les motifs sou­vent les plus futiles, et bien des fois pour le simple plai­sir de frap­per, ou bien, après les avoir sou­dai­ne­ment sai­sis, de les tuer par cen­taines et par mil­liers à la fois, ou de dévas­ter les hameaux et les vil­lages jusqu’à exter­mi­na­tion des indi­gènes, dont Nous avons appris que quelques tri­bus avaient été presque entiè­re­ment détruites en ces der­nières années ? L’âpre désir du gain, sans doute, contri­bue puis­sam­ment à rendre les âmes aus­si bar­bares, mais le cli­mat et la nature de ces régions y con­tribuent aus­si beau­coup. En ces pays, en effet, sévit un vent chaud qui infuse au sang comme une sorte de lan­gueur et énerve en quelque sorte la ver­tu. Sans pra­tiques reli­gieuses, loin de la sur­veillance de l’Etat et presque de toutes rela­tions sociales, il est facile alors à ceux qui seraient venus là sans avoir per­du toutes mœurs de com­men­cer bien­tôt pour­tant à en avoir de dépra­vées et, peu à peu, bri­sant les bar­rières du droit et du devoir, d’en venir à toutes les mons­truo­si­tés du vice.

Ils n’épargnent la fai­blesse ni du sexe ni de l’âge : bien plus, Ton a honte de rap­por­ter les crimes et les infa­mies qui accom­pagnent la cap­ture et la vente des femmes et des enfants, car, en véri­té, ils dépassent les plus bas exemples de la tur­pi­tude païenne.

Et Nous-​même, lorsque par­vinrent les bruits de ces for­faits, ils Nous sem­blaient tel­le­ment incroyables que Nous hési­tâmes quelque temps à ajou­ter foi à tant d’atrocité. Mais, après qu’elle Nous a été cer­ti­fiée par les témoins les plus auto­ri­sés, c’est-à-dire par la plu­part d’entre vous, Vénérables Frères, par les délé­gués du Siège apos­to­lique, les mission­naires et d’autres hommes abso­lu­ment dignes de foi, le moindre doute ne Nous est plus per­mis sur la véri­té de ces choses.

Aussi, depuis long­temps, dans la pen­sée de Nous effor­cer de remé­dier autant qu’il est en Nous à de si grands maux, Nous sup­plions Dieu, dans une humble prière, de vou­loir bien Nous en indi­quer un moyen opportun.

Créateur et très aimant Rédempteur de tous les hommes, puisqu’il Nous a ins­pi­ré de tra­vailler au salut des Indiens, il Nous don­ne­ra cer­tainement les moyens d’y réussir.

En atten­dant, ce qui Nous console pro­fon­dé­ment, c’est l’empresse­ment des chefs de ces Républiques à repous­ser de tout leur pou­voir cette criante et hon­teuse igno­mi­nie de leurs Etats, et Nous ne pou­vons, en véri­té, assez les en louer et approu­ver. Mais, dans ces contrées éloi­gnées des centres de l’autorité, et la plu­part du temps inac­ces­sibles, les ten­ta­tives pleines d’humanité du pou­voir civil, soit à cause de la sou­plesse avec laquelle ces arti­sans du mal savent pas­ser à temps la fron­tière, soit à cause de l’inertie et de la per­fi­die des gou­ver­neurs, sou­vent sont peu effi­caces et même abso­lu­ment vaines. Mais si à l’ac­tion de l’Etat s’ajoute l’action de l’Eglise, alors enfin les résul­tats sou­hai­tés seront bien plus féconds.

Aussi, Vénérables Frères, c’est à vous, avant tous les autres, que Nous fai­sons appel afin que vous appor­tiez un soin tout par­ti­cu­lier et vos pen­sées à cette cause qui est digne en tous points de vos fonc­tions et de votre charge pas­to­rale. Et, tout en lais­sant libre champ à votre sol­li­ci­tude et à votre zèle, Nous vous exhor­tons ins­tam­ment par-​dessus tout à déve­lop­per avec le plus grand zèle cha­cune des ins­ti­tu­tions que vos dio­cèses ont consa­crées au bien des Indiens et aus­si à créer celles qui vous paraî­traient utiles à cette fin. En outre, vous aurez à cœur d’instruire votre peuple du devoir sacré qui lui incombe d’aider les saintes expé­di­tions des­ti­nées aux indi­gènes qui habi­tèrent les pre­miers cette terre d’Amérique. Dites-​leur qu’ils y doivent contri­buer notam­ment d’une double manière : par leurs aumônes et par leurs prières ; non seule­ment la reli­gion, mais la patrie elle-​même le leur demandent.

Pour vous, par­tout où l’on se consacre à l’instruction et à l’éducation, c’est-à-dire dans les Séminaires, les ins­ti­tu­tions de jeunes gens et de jeunes filles, mais sur­tout dans les églises, veillez à ce que jamais ne se taisent la recom­man­da­tion et la pré­di­ca­tion de la cha­ri­té chré­tienne, qui regarde tous les hommes, sans dis­tinc­tion de nation ni de cou­leur, comme de vrais frères, et qui doit se prou­ver moins par les paroles que par les actes et les faits. Vous ne lais­se­rez pas­ser non plus aucune des occa­sions qui se pré­sen­te­raient de mon­trer la honte qu’infligent au nom chré­tien les indi­gni­tés que Nous dénon­çons ici.

Quant à Nous, ayant, non sans rai­son, bon espoir dans l’assentiment et la bien­veillance des pou­voirs publics, Nous avons sur­tout pris à cœur d’élargir le champ de l’activité apos­to­lique dans ces si vastes régions, par l’établissement de nou­velles sta­tions de mis­sion­naires, où les Indiens trou­ve­raient un refuge et une pro­tec­tion salu­taire. L’Eglise catho­lique, en effet, n’a jamais été sté­rile en hommes apos­to­liques qui, pres­sés par la cha­ri­té du Christ, fussent tout dis­po­sés à don­ner jusqu’à leur vie pour leurs frères. Aujourd’hui même, où tant d’hommes ont hor­reur de la foi ou la délaissent, non seule­ment le zèle de la prédica­tion évan­gé­lique au milieu des nations bar­bares ne s’est pas ralen­ti ni chez les mis­sion­naires régu­liers et sécu­liers ni chez les reli­gieuses, mais encore il s’est accru et répan­du au loin par la ver­tu, assu­ré­ment, de l’Esprit-Saint, qui vient, sui­vant les néces­si­tés des temps, au secours de l’Eglise, son épouse.

Aussi, puisque, par la grâce divine, ces secours s’offrent à Nous, il Nous parait néces­saire d’en user d’autant plus lar­ge­ment à arra­cher les Indiens à l’esclavage de Satan et des méchants qu’ils en ont un besoin plus pres­sant. Au sur­plus, comme cette région a été arro­sée non seule­ment des sueurs, mais plus d’une fois du sang même des hérauts de l’Evangile, Nous espé­rons qu’un jour vien­dra où, de tant de tra­vaux, une ample mois­son d’humanité chré­tienne s’élèvera qui pro­duira des fruits excellents.

Enfin, pour qu’aux efforts que, spon­ta­né­ment ou sur Notre invi­ta­tion, vous consa­cre­rez au bien des Indiens, s’ajoute, grâce à Notre auto­ri­té apos­to­lique, toute l’efficacité pos­sible, sui­vant l’exemple de Notre prédé­cesseur Benoît XIV, Nous condam­nons et décla­rons cou­pables de crime inhu­main tous ceux qui, comme il l’écrit, « osent bien réduire en escla­vage les Indiens, les vendre, les ache­ter, les échan­ger ou livrer, les sépa­rer de leur femme et de leurs enfants, les dépouiller de leurs biens et pos­ses­sions, les éloi­gner et trans­por­ter en d’autres régions, enfin, de quelque manière que ce soit, les pri­ver de leur liber­té et les rete­nir en cap­ti­vi­té ; ceux-​là aus­si qui, sous quelque pré­texte ou rai­son spé­cieuse que ce soit, donnent à ces tra­fi­quants conseils, secours, faveur, sou­tien, ceux qui prêchent ou enseignent la légi­ti­mi­té de ce tra­fic ou qui y coopèrent de toute autre manière que ce soit ». Aussi Nous vou­lons que soit réser­vée aux Ordinaires de ces régions l’absolution, au tri­bu­nal de la Pénitence, des hommes cou­pables de ces crimes.

Ces choses, Vénérables Frères, Nous avons cru devoir vous les écrire dans l’intérêt des Indiens, aus­si bien pour obéir aux impul­sions de Notre cœur pater­nel que pour mar­cher sur les traces de plu­sieurs de Nos pré­dé­ces­seurs, par­mi les­quels il faut aus­si men­tion­ner spé­cia­le­ment Léon XIII, d’heureuse mémoire. A vous de ne rien négli­ger pour com­bler Nos vœux. Vous trou­ve­rez cer­tai­ne­ment aide en cette œuvre auprès de ceux qui gou­vernent ces Républiques ; le cler­gé, par­ti­cu­liè­re­ment les mis­sion­naires, ne vous ména­ge­ra ni son zèle ni ses efforts, et, sans nul doute, tous les hommes de bien vous apporte­ront le concours soit de leur for­tune, s’ils le peuvent, soit d’autres cha­ri­tables offices pour cette cause qui inté­resse à la fois la reli­gion et la digni­té humaine. Mais ce qui importe par-​dessus tout, la grâce du Dieu tout-​puissant vous assis­te­ra, grâce dont vous est un gage, en même temps qu’un témoi­gnage de Notre bien­veillance, la Bénédiction apos­to­lique que Nous vous accor­dons très affec­tueu­se­ment à vous, Vénérables Frères, et à vos ouailles.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 7 juin 1912, la neu­vième année de Notre Pontificat.

PIE X, PAPE.

2 juin 1537
Condamnation et interdiction de l'esclavage des Indiens « et de tout autre peuple connu ou qui viendrait à être découvert »
  • Paul III