Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

29 avril 1942

Discours aux jeunes époux

Les bienfaits du mariage un et indissoluble.

Table des matières

Voici la deuxième par­tie du thème qui a fait l’objet du dis­cours aux jeunes époux du 22 avril :

Chers jeunes époux, lorsque vous vous ras­sem­blez dans cette mai­son du Père com­mun des fidèles, que vous veniez de telle région ou de telle autre, jamais vous n’êtes étran­gers à Notre cœur, à qui l’immense bon­té divine a don­né de battre pour tous, sans dis­tinc­tion de visage et d’aspect, ni de haut lignage ou d’humble nais­sance, ni de cieux et de pays. A vous voir, à vous comp­ter, Notre cœur se dilate ; il répond de toute son ardeur à votre affec­tion filiale ; il Nous met sur les lèvres à l’adresse de Dieu de vifs accents de louange et Nous Nous écrions : qu’elles sont belles et rayon­nantes de foi les tentes que dressent par le monde les familles chré­tiennes ! En vous res­plendit à Notre regard la digni­té des époux chré­tiens, digni­té parti­culière, puisque vous n’avez pas seule­ment été mar­qués du chrême mys­tique com­mun à tous les fidèles pour être avec eux, selon la parole de l’apôtre Pierre, une nation sainte et un sacer­doce royal [1], mais qu’en outre, dans l’acte sacré de vos épou­sailles, votre libre et mutuel consen­te­ment vous a éle­vés au plan de minis­tres du sacre­ment de mariage ; mariage qui, repré­sen­tant la très par­faite union du Christ et de l’Eglise, ne sau­rait être qu’indissoluble et perpétuel.

Le mariage un et indissoluble répond aux besoins de la nature, c’est-à-dire aux aspirations du cœur humain

Mais la nature, que pense-​t-​elle de cette per­pé­tui­té ? Se peut-​il que la grâce, dont l’opération ne change pas la nature, mais bien la per­fec­tionne en tout et tou­jours, se peut-​il que la grâce ren­contre ici en la nature une enne­mie véri­table ? Non : Dieu agit avec un art mer­veilleux et suave, et cet art s’harmonise tou­jours avec la nature dont il est l’auteur. Cette per­pé­tui­té et indis­so­lu­bi­li­té qu’exi­gent la volon­té du Christ et la mys­tique signi­fi­ca­tion du mariage chré­tien, la nature elle-​même la réclame. Les aspi­ra­tions intimes de la nature, la grâce les accom­plit et elle accorde à la nature la force d’être ce dont les pro­fon­deurs humaines de sa sagesse et de sa volon­té lui donnent le désir.

Interrogez votre cœur, chers époux. Les autres ne sau­raient y péné­trer, mais vous, vous le pou­vez. Essayez de vous rap­pe­ler le moment où vous avez sen­ti qu’à votre affec­tion répon­dait un autre amour plei­ne­ment : ne vous semble-​t-​il pas que depuis cet ins­tant jusqu’au oui que vous alliez ensemble pro­non­cer à l’autel, vous avan­ciez d’heure en heure, à pas comp­tés, l’âme tour­men­tée par l’espé­rance et la fièvre de vos attentes ? Maintenant cette espé­rance n’est plus une « fleur en herbe », mais une rose épa­nouie et votre attente se porte vers d’autres joies. Votre rêve d’alors se serait-​il éva­noui ? Non, il est deve­nu réa­li­té. Quel est donc ce qui l’a trans­for­mé devant l’autel en la réa­li­té de votre union ? L’amour, qui, loin de dispa­raître, a per­sé­vé­ré ; l’amour, qui a trou­vé plus de force, plus de fer­me­té, et qui dans sa vigueur vous a fait pous­ser ce cri : « Notre amour doit res­ter inchan­gé, intact, invio­lable, à tout jamais ! L’affection conju­gale a ses aubes et ses aurores ; il faut qu’elle ne connaisse ni déclin ni automne, ni jour­nées tristes et grises, car l’amour veut gar­der sa jeu­nesse et res­ter inébran­lable dans le souffle de la tem­pête. » Vous confé­rez par là à votre amour nup­tial, sans vous en rendre compte, par une jalou­sie sacrée, allions-​Nous dire, cette marque que l’apôtre Paul assi­gnait à la cha­ri­té en un hymne de louanges : Caritas nun­quam exci­dit, « la cha­ri­té ne passe jamais » [2]. Le pur et véri­table amour conju­gal est un lim­pide ruis­seau qui, sous l’impétueuse pous­sée de la nature, jaillit de l’infran­gible roche de la fidé­li­té, s’écoule tran­quille par­mi les fleurs et les ronces de la vie et va se perdre au fond de la tombe. L’indissolubi­lité est donc l’assouvissement d’une aspi­ra­tion du cœur pur et intègre, d’une aspi­ra­tion de « l’âme natu­rel­le­ment chré­tienne », et elle ne dis­pa­raît qu’avec la mort. Dans la vie future, il n’y aura pas d’épou­sailles et les hommes vivront au ciel comme les anges de Dieu : In resur­rec­tione neque nubent, neque nuben­tur, sed erunt sicut ange­li dei in cae­lo [3]. Mais si l’amour conju­gal com­me tel, en sa nature propre, finit lorsque cesse le but qui le déter­mine et l’oriente ici-​bas, tou­te­fois, en tant qu’il a bat­tu dans le cœur des époux et qu’il les a étreints dans ce plus grand lien d’amour qui unit les âmes à Dieu et entre elles, cet amour reste dans l’autre vie, ain­si que demeurent les âmes elles-​mêmes au fond des­quelles il aura habi­té ici-bas.

…et à la nécessité de sauvegarder la dignité humaine.

Mais c’est encore pour une autre rai­son que la nature réclame l’indissolubilité du mariage : c’est qu’elle en a besoin pour pro­té­ger la digni­té de la per­sonne humaine. La vie de com­mu­nau­té conju­gale est une ins­ti­tu­tion divine dont les racines plongent dans la nature humaine ; elle réa­lise l’union de deux êtres que Dieu a for­més à son image et à sa res­sem­blance et qu’il appelle à conti­nuer son œuvre par la conser­va­tion et la pro­pa­ga­tion du genre humain. Cette vie appa­raît jusque dans ses expres­sions les plus intimes comme une chose extrê­me­ment déli­cate : elle rend les âmes heu­reuses, elle les sanc­ti­fie, lorsqu’elle s’élève au-​dessus des choses sen­sibles sur l’aile d’une dona­tion simul­ta­née, dés­in­té­res­sée et spi­ri­tuelle des époux l’un à l’autre, par la volon­té consciente, enra­ci­née dans les pro­fon­deurs de l’un et l’autre, d’appartenance totale de l’un à l’autre, de mutuelle fidé­li­té dans tous les évé­ne­ments de la vie, dans la joie et dans la tris­tesse, dans la san­té et dans la mala­die, dans les jeunes années et dans la vieillesse, sans limite et sans condi­tion, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de les appe­ler à lui dans l’éternité. Cette conscience, cette volon­té bien arrê­tée, rehausse la digni­té humaine, rehausse le mariage, rehausse la nature, qui se voit res­pec­tée, elle et ses lois ; l’Eglise se réjouit de voir res­plen­dir en une telle com­mu­nau­té conju­gale l’aurore du pre­mier ordre fami­lial éta­bli par le Créateur et le midi de sa divine res­tau­ra­tion dans le Christ. Otez cette conscience, cette volon­té bien arrê­tée, la vie conju­gale cour­ra le dan­ger de glis­ser dans la fange d’appétits égoïstes qui ne cherchent rien d’autre que leurs propres satis­fac­tions et qui ne se sou­cient ni de la digni­té per­son­nelle ni de l’honneur du conjoint.

Le régime du divorce bafoue la dignité des époux

Jetez un regard sur les pays qui ont admis le divorce et demandez-​vous : le monde y a‑t-​il bien sou­vent la claire conscience que la digni­té de la femme y est outra­gée et bles­sée, bafouée et en décom­position, ense­ve­lie, faudrait-​il dire, dans l’avilissement et l’abandon ?

Que de larmes secrètes ont bai­gné le seuil de cer­taines portes, de cer­taines chambres ! Que de gémis­se­ments, que de sup­pli­ca­tions, que d’appels déses­pé­rés lors de cer­taines ren­contres, par cer­tains che­mins ou sen­tiers, à cer­tains angles de rue, à cer­tains pas­sages déserts ! Non, la digni­té per­son­nelle du mari et de la femme, mais sur­tout de la femme, n’a pas de plus solide rem­part que l’indissolu­bilité du mariage. C’est une funeste erreur de croire qu’on puisse main­te­nir, pro­té­ger et pro­mou­voir la digne noblesse de la femme et sa culture fémi­nine sans en prendre pour fon­de­ment le mariage un et indis­so­luble. Si, par fidé­li­té à la mis­sion qu’elle a reçue de son divin Fondateur, l’Eglise a tou­jours affir­mé et répan­du à tra­vers le monde, dans un gigan­tesque et intré­pide déploie­ment de saintes et indomp­tables éner­gies, le mariage indis­so­luble, rendez-​lui gloire d’avoir ain­si hau­te­ment contri­bué à la défense des droits de l’esprit contre les impul­sions des sens dans la vie matri­mo­niale, d’avoir sau­ve­gar­dé avec la digni­té des noces la digni­té de la femme, non moins que celle de la per­sonne humaine.

… et dissout la vie et le bonheur de la communauté conjugale et familiale.

Lorsqu’il manque à la volon­té la ferme et pro­fonde réso­lu­tion de fidé­li­té per­pé­tuelle et invio­lable au lien conju­gal, le père, la mère et les enfants voient vaciller et se perdre cette conscience d’un ave­nir tran­quille et sûr, ce sen­ti­ment pré­cieux et bien­fai­sant de confiance réci­proque abso­lue, ce lien d’étroite et immuable com­mu­nau­té inté­rieure et exté­rieure qu’aucun évé­ne­ment ne sau­rait mena­cer, cette terre où plonge et s’alimente une puis­sante et indis­pen­sable racine du bon­heur familial.

Pourquoi, demanderez-​vous peut-​être, étendre ces consé­quences jusqu’aux enfants ? Parce qu’ils reçoivent de leurs parents trois biens pré­cieux : l’existence, la nour­ri­ture et l’éducation [4] et qu’ils ont besoin pour leur déve­lop­pe­ment nor­mal d’une atmo­sphère de joie ; or, la séré­ni­té de la jeu­nesse, l’équilibre de la for­ma­tion et de l’instruction ne se conçoivent pas tant qu’il peut sub­sis­ter un doute sur la fidé­li­té des parents. Les enfants ne renforcent-​ils point le lien de l’amour conju­gal ? Mais la rup­ture de ce lien devient une cruau­té à leur égard : c’est mécon­naître leur sang, avi­lir leur nom et cou­vrir leur front de honte ; c’est divi­ser leur cœur, leur enle­ver leurs petits frères et le toit domes­tique ; c’est empoi­son­ner le bon­heur de leur jeu­nesse et c’est leur don­ner, chose grave entre toutes pour leur esprit, un scan­dale moral. Que de bles­sures dans l’âme de mil­lions d’enfants ! Et sou­vent quelles tristes et lamen­tables ruines ! Que d’implacables remords, quels déchi­re­ments dans les consciences ! Les hommes sains d’esprit, mora­le­ment purs, joyeux et contents, les hommes intègres de carac­tère et de vie, en qui l’Eglise et la Cité mettent leurs espé­rances, ne sortent pas pour l’ordinaire de foyers trou­blés par la dis­sen­sion et par l’inconstance de l’amour, mais de familles où règnent, pro­fonde, la crainte de Dieu et, invio­lable, la fidé­li­té conju­gale. Si vous recher­chez aujourd’hui les vraies causes de l’affaissement des mœurs, l’origine du poi­son qui tra­vaille à cor­rompre une part impor­tante de la famille humaine, vous ne tar­de­rez pas à en décou­vrir une des sources les plus fatales et les plus cou­pables dans la législa­tion et la pra­tique du divorce. Les œuvres et les lois de Dieu exercent tou­jours une heu­reuse et puis­sante action ; mais quand la légè­re­té ou la malice des hommes inter­viennent, elles y apportent le trouble et le désordre, et alors les bien­fai­sants effets cèdent la place à une somme incal­cu­lable de maux, comme si la nature elle-​même se révol­tait, indi­gnée, contre l’œuvre des hommes. Et par­mi les institu­tions et les lois de Dieu, qui donc ose­rait nier ou contes­ter qu’il y ait l’indissolubilité du mariage, cette colonne de la famille, de la gran­deur natio­nale, de la patrie ? Car c’est bien dans le cou­rage de ses har­dis gar­çons que la patrie trou­ve­ra tou­jours le rem­part et l’instrument de sa prospérité.

Pour vous, chers jeunes mariés, remer­ciez Dieu d’appartenir à une famille sans tache où vous avez eu la faveur de vivre dans l’affection de parents crai­gnant Dieu et de par­ve­nir à votre pleine matu­ri­té chré­tienne et catho­lique. En un temps si enclin à une exces­sive liber­té à l’égard des lois divines, met­tez votre hon­neur et votre gloire à déve­lop­per, à réa­li­ser et à pro­fes­ser la haute con­ception du mariage tel que le Christ l’a éta­bli. Elevez dans vos prières com­munes de chaque jour vos cœurs vers Dieu et demandez-​lui qu’après avoir bien vou­lu vous accor­der un bon départ, il daigne, dans la puis­sante effi­ca­ci­té de sa grâce, vous conduire heu­reu­se­ment au terme. C’est avec ce vœu et en gage des plus exquises faveurs du ciel que Nous vous accor­dons de cœur Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

Pie XII, Pape

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1954, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice – D’après le texte ita­lien de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 53 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 156.

Notes de bas de page
  1. 1 P 2, 9.[]
  2. 1 Co 13, 8.[]
  3. Mt 22, 30.[]
  4. Summa Theol., Suppl., q. 41, a. 1.[]
10 janvier 1940
Épiphanie et Mariage : les trois offrandes des Mages symbolisent les biens du mariage
  • Pie XII