Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 décembre 1984,
premier dimanche de l’Avent, en la septième année de mon pontificat.
À L’ÉPISCOPAT, AU CLERGÉ ET AUX FIDÈLES
PRÉAMBULE – ORIGINE ET SENS DU DOCUMENT
1. Parler de RÉCONCILIATION et de PÉNITENCE, pour les hommes et les femmes de notre temps, c’est inviter à retrouver, traduites dans leur langage, les paroles mêmes par lesquelles notre Sauveur et Maître Jésus Christ a voulu inaugurer sa prédication : « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile»(1), c’est-à-dire accueillez la joyeuse nouvelle de l’amour, de votre adoption comme fils de Dieu, et donc de la fraternité.
Pourquoi l’Eglise reprend-elle ce thème et cette invitation ?
La soif de mieux connaître et de comprendre l’homme d’aujourd’hui et le monde contemporain, de déchiffrer leur énigme et de dévoiler leur mystère, d’y discerner la fermentation du bien et du mal, entraîne bien des gens, et depuis longtemps, à porter sur cet homme et sur ce monde un regard interrogateur : regard de l’historien et du sociologue, du philosophe et du théologien, du psychologue et de l’humaniste, du poète et du mystique, et surtout regard soucieux, mais chargé d’espérance, du pasteur.
Ce regard se révèle de manière exemplaire dans chaque page de l’importante constitution pastorale du deuxième Concile du Vatican Gaudium et spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps, particulièrement dans son ample et pénétrante introduction. Il se révèle aussi dans certains documents publiés par la sagesse et la charité pastorale de mes vénérés prédécesseurs, dont les illustres pontificats ont été marqués par l’événement historique et prophétique que fut ce Concile œcuménique.
Le regard du pasteur, comme les autres, découvre malheureusement, parmi les caractéristiques du monde et de l’humanité de notre époque, l’existence de divisions nombreuses, profondes, douloureuses.
Un monde éclaté
2. Ces divisions se manifestent dans les rapports entre les personnes et entre les groupes, mais aussi au niveau des collectivités les plus vastes : nations contre nations, blocs de pays opposés et tendus dans la recherche de l’hégémonie. A la racine des ruptures, il n’est pas difficile d’identifier des conflits qui, au lieu de se résoudre par le dialogue, s’exacerbent dans l’affrontement et dans l’opposition.
Un observateur attentif qui part à la découverte des éléments générateurs de division constate la plus grande variété, de l’inégalité croissante entre les groupes, les classes sociales et les pays, aux antagonismes idéologiques qui sont loin d’être éteints ; de l’opposition des intérêts économiques aux polarisations politiques ; des divergences tribales aux discriminations pour des motifs socio-religieux. Certaines réalités que nous avons tous sous les yeux font du reste apparaître, en quelque sorte, le visage malheureux de la division dont elles sont le fruit, et font ressortir sa gravité indéniable dans la réalité. Parmi tant d’autres phénomènes sociaux douloureux de notre temps, on peut rappeler : le fait de fouler aux pieds les droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie et à une digne qualité de vie, ce qui est d’autant plus scandaleux que l’on n’a jamais fait autant de discours sur ces mêmes droits ; les pièges tendus et les pressions exercées contre la liberté des individus et des groupes, sans oublier la liberté, plus atteinte même et plus menacée que d’autres, d’avoir sa propre foi, de la professer et de la pratiquer ; les diverses formes de discrimination : raciale, culturelle, religieuse, etc.; la violence et le terrorisme ; l’usage de la torture et les formes injustes et illégitimes de répression ; l’accumulation des armes conventionnelles ou atomiques, la course aux armements entraînant des dépenses de guerre qui pourraient servir à soulager la misère non méritée de peuples socialement et économiquement sous-développés ; la répartition injuste des ressources du monde et des biens de la civilisation, qui atteint son sommet dans un type d’organisation sociale où la distance entre les conditions humaines des riches et celles des pauvres s’accroît toujours davantage(2). La puissance irrésistible de cette division fait du monde où nous vivons un monde éclaté(3) jusqu’en ses fondements.
D’autre part, l’Eglise, sans s’identifier au monde ni être du monde, est insérée dans le monde et est en dialogue avec lui(4). Il ne faut donc pas s’étonner de voir en son sein des répercussions et des signes de la division qui atteint la société humaine. En plus des scissions entre les Communautés chrétiennes qui l’affligent depuis des siècles, l’Eglise expérimente aujourd’hui en son sein, ici ou là, des divisions entre les éléments qui la composent, divisions causées par les divergences de vue et par les différents choix dans le domaine doctrinal et pastoral(5). Ces divisions peuvent parfois sembler, elles aussi, inguérissables.
Bien que ces déchirures apparaissent déjà fort impressionnantes à première vue, seule une observation en profondeur permet d’identifier leur racine : celle-ci se trouve dans une blessure au cœur même de l’homme. A la lumière de la foi, nous l’appelons le péché, à commencer par le péché originel que chacun porte en soi depuis sa naissance comme un héritage reçu de nos premiers parents, jusqu’au péché que chacun commet en usant de sa propre liberté.
Nostalgie de réconciliation
3. Et pourtant, le même regard, s’il conduit ses investigations avec assez d’acuité, saisit au plus vif de la division un désir incomparable, ressenti par les hommes de bonne volonté et par les vrais chrétiens, de réduire les fractures, de cicatriser les déchirures, d’instaurer à tous les niveaux une unité essentielle. Chez beaucoup, ce désir comporte une véritable nostalgie de réconciliation, même si on n’emploie pas ce terme. Pour certains, il s’agit d’une utopie qui pourrait devenir le levier idéal pour un véritable changement de la société ; pour d’autres, au contraire, c’est l’objet d’une difficile conquête et donc un objectif à atteindre grâce à un sérieux effort de réflexion et d’action. Dans tous les cas, l’aspiration à une réconciliation sincère et profonde est, sans l’ombre d’un doute, un mobile fondamental de notre société, et comme le reflet d’une incoercible volonté de paix ; en dépit du paradoxe, elle l’est aussi fortement que sont dangereux les facteurs de division.
Toutefois, la réconciliation ne peut être moins profonde que la division. La nostalgie de la réconciliation et la réconciliation elle-même seront totales et efficaces dans la mesure où elles atteindront – pour le guérir – le déchirement primordial qui est la racine de tous les autres, à savoir le péché.
Le regard du Synode
4. Toute institution ou organisation destinée à servir l’homme et désireuse de le sauver dans ses dimensions fondamentales doit donc tourner son regard de façon pénétrante vers la réconciliation afin d’en approfondir la signification et la portée profonde, et d’en tirer les conséquences nécessaires pour l’action.
L’Eglise de Jésus Christ ne pouvait renoncer à ce regard. Avec son dévouement de Mère et son intelligence de Maîtresse, elle s’applique, empressée et attentive, à découvrir dans la société, en même temps que les signes de la division, les signes non moins éloquents et pertinents de la recherche d’une réconciliation. Elle sait en effet qu’il lui a été spécialement donné la possibilité et confié la mission de faire connaître le sens véritable, profondément religieux, et les dimensions intégrales de la réconciliation, contribuant, déjà par ce seul fait, à éclairer les termes essentiels de la question de l’unité et de la paix.
Mes prédécesseurs n’ont cessé de prêcher la réconciliation, d’inviter à la réconciliation l’humanité entière comme aussi tout groupement et toute portion de la communauté humaine qu’ils voyaient déchirée et divisée(6). Moi-même, mû par une impulsion intérieure qui obéissait à la fois – j’en suis sûr – à l’inspiration d’en haut et aux appels de l’humanité, de deux façons différentes, toutes deux solennelles et importantes, j’ai voulu mettre en lumière le thème de la réconciliation : d’abord en convoquant la VIe Assemblée générale du Synode des évêques, puis en mettant la réconciliation au centre de l’Année jubilaire décrétée pour célébrer le 1950e anniversaire de la Rédemption(7). Devant assigner un thème au Synode, je me suis trouvé pleinement d’accord avec celui qui était suggéré par nombre de mes frères dans l’épiscopat, celui, si fécond, de la réconciliation, étroitement lié à celui de la pénitence(8).
Le terme de pénitence et le concept lui-même sont assez complexes. Si nous la relions à la metánoia à laquelle se réfèrent les Evangiles synoptiques, la pénitence signifie le changement qui s’opère au plus profond du cœur sous l’influence de la Parole de Dieu et dans la perspective du Royaume(9). Mais pénitence veut dire aussi changer la vie en même temps que le cœur, et en ce sens l’action de faire pénitence se complète par celle de produire des fruits qui témoignent de la pénitence(10): c’est toute l’existence qui devient pénitentielle, c’est-à-dire tendue dans une progression continuelle vers le mieux. Cependant, faire pénitence n’est quelque chose d’authentique et d’efficace que si cela se traduit en actes et en gestes de pénitence. A ce point de vue, pénitence signifie, dans le vocabulaire chrétien théologique et spirituel, l’ascèse, autrement dit l’effort concret et quotidien de l’homme, soutenu par la grâce de Dieu, en vue de perdre sa vie pour le Christ, unique moyen de la gagner(11); pour se dépouiller du vieil homme et revêtir l’homme nouveau(12); pour surmonter en soi ce qui est charnel afin que prévale ce qui est spirituel(13); pour s’élever continuellement des réalités d’ici-bas à celles d’en haut, là où se trouve le Christ(14). La pénitence est donc la conversion qui passe du cœur aux œuvres et par conséquent à toute la vie du chrétien.
En chacune de ces acceptions, la pénitence est étroitement liée à la réconciliation, car se réconcilier avec Dieu, avec soi-même et avec les autres suppose que l’on remporte la victoire sur la rupture radicale qu’est le péché, ce qui se réalise seulement à travers la transformation intérieure ou conversion, qui porte des fruits dans la vie grâce aux actes de pénitence.
Le document antépréparatoire du Synode (appelé aussi Lineamenta), élaboré dans le seul but de présenter le thème en accentuant certains aspects fondamentaux, a permis aux communautés ecclésiales, où qu’elles se trouvent dans le monde, de réfléchir pendant presque deux ans sur ces aspects d’une question – celle de la conversion et de la réconciliation – qui intéresse tous et chacun, afin de susciter un élan renouvelé pour la vie chrétienne et l’apostolat. La réflexion s’est ensuite approfondie lors de la préparation plus immédiate aux travaux du Synode, grâce au Document de travail envoyé en temps voulu aux évêques et à leurs collaborateurs. Enfin, pendant un mois entier, les Pères synodaux, assistés par tous ceux qui avaient été appelés à la réunion proprement dite, ont traité, avec un grand sens de la responsabilité, le thème lui-même et les nombreuses et diverses questions qui lui étaient liées. Du débat, de l’étude faite en commun, de la recherche assidue et consciencieuse, est sorti un vaste et précieux trésor que les Propositions finales résument de façon substantielle.
Le regard du Synode n’ignore pas les actes de réconciliation (dont certains passent presque inaperçus dans la vie quotidienne) qui, à des degrés divers, servent à résoudre les multiples tensions, à surmonter les nombreux conflits et à vaincre les petites et les grandes divisions pour refaire l’unité. Mais la préoccupation principale du Synode était de trouver, au cœur de ces actes dispersés, la racine cachée, une réconciliation première, source de toutes les autres, pour ainsi dire, celle qui agit dans le cœur et la conscience de l’homme.
Le charisme et en même temps l’originalité de l’Eglise, en ce qui concerne la réconciliation, résident dans le fait que celle-ci, à quelque niveau qu’elle doive être réalisée, remonte toujours à cette réconciliation première. En effet, en vertu de sa mission essentielle, l’Eglise se sent le devoir d’aller jusqu’aux racines du déchirement primordial du péché pour y opérer la guérison et y rétablir, pour ainsi dire, une réconciliation primordiale elle aussi, qui soit le principe décisif de toute vraie réconciliation. C’est ce que l’Eglise a eu en vue et a proposé par le moyen du Synode.
Cette réconciliation, la Sainte Ecriture en parle, nous invitant à faire pour elle tous les efforts possibles(15); mais elle nous dit aussi que c’est avant tout un don miséricordieux de Dieu à l’homme(16). L’histoire du salut – celle de l’humanité entière comme celle de chaque être humain de tous les temps – est l’histoire admirable d’une réconciliation : Dieu, qui est Père, se réconcilie le monde par le Sang et par la Croix de son Fils fait homme, et fait naître ainsi une nouvelle famille de réconciliés.
La réconciliation est devenue nécessaire parce qu’il y a eu la rupture du péché, d’où ont découlé toutes les autres formes de rupture au cœur de l’homme et autour de lui. La réconciliation, pour être totale, exige donc nécessairement la libération par rapport au péché, celui-ci étant refusé jusqu’en ses racines les plus profondes. C’est pourquoi un lien interne étroit unit conversion et réconciliation : il est impossible de separer ces deux réalités, ou de parler de l’une sans l’autre.
Le Synode a parlé à la fois de la réconciliation de toute la famille humaine et de la conversion du cœur de chaque personne, de son retour à Dieu, voulant ainsi reconnaître et proclamer que l’union des hommes ne peut se réaliser sans un changement intérieur de chacun. La conversion personnelle est la voie nécessaire pour aboutir à la concorde entre les personnes(17). Lorsque l’Eglise proclame la joyeuse nouvelle de la réconciliation, ou propose de la réaliser grâce aux sacrements, elle exerce un véritable rôle prophétique : elle dénonce les maux de l’homme dans leur source contaminée, elle montre la racine des divisions et elle suscite l’espérance de pouvoir surmonter les tensions et les conflits pour atteindre la fraternité, la concorde et la paix a tous les niveaux et dans tous les groupements de la société humaine. Elle change une situation historique de haine et de violence en une civilisation d’amour. Elle offre à tous le principe évangélique et sacramentel de cette réconciliation première d’où découle tout autre geste ou acte de réconciliation, même sur le plan social.
C’est d’une telle réconciliation, fruit de la conversion, que traite la présente exhortation apostolique. Car, comme cela s’était produit au terme des trois précédentes Assemblées du Synode, les Pères eux-mêmes ont voulu, cette fois encore, remettre à l’Evêque de Rome, Pasteur universel de l’Eglise et Chef du Collège épiscopal, en sa qualité de Président du Synode, les conclusions de leur travail. J’ai accepté avec gratitude comme un grave devoir de mon ministère la tâche de puiser dans l’immense richesse du Synode pour présenter au Peuple de Dieu, comme fruit du Synode lui-même, un message doctrinal et pastoral sur le thème de la pénitence et de la réconciliation. Je traiterai donc, dans la première partie, de l’Eglise dans l’accomplissement de sa mission de réconciliation, dans l’œuvre de conversion des cœurs en vue de l’étreinte renouvelée entre l’homme et Dieu, entre l’homme et son frère, entre l’homme et toute la création. Dans la deuxième partie sera indiquée la cause radicale de toute déchirure ou division entre les hommes et, avant tout, à l’égard de Dieu : le péché. Enfin, je voudrais signaler les moyens qui permettent à l’Eglise de promouvoir et de susciter la pleine réconciliation des hommes avec Dieu et, par conséquent, des hommes entre eux.
Le document que je livre aux fils de l’Eglise, mais aussi a tous ceux, croyants ou non, qui se tournent vers elle avec intérêt et avec sincérité, veut être la réponse que je dois à ce que le Synode m’a demandé. Il veut être également – je tiens à le déclarer car c’est une dette de vérité et de justice – une œuvre de ce même Synode. Le contenu de ces pages vient en effet de lui, de sa préparation lointaine ou proche, de l’Instrument de travail, des interventions dans la salle synodale ou dans les commissions (circuli minores), et surtout des soixante-trois Propositions. On trouve ici le fruit du travail d’ensemble des Pères, parmi lesquels ne manquaient pas les représentants des Eglises orientales, dont le patrimoine théologique, spirituel et liturgique est si riche et vénérable, notamment en ce qui touche à la matière qui nous intéresse ici. De plus, c’est le Conseil du Synode qui, en deux sessions importantes, a évalué les résultats et les orientations de la réunion synodale à peine terminée, qui a mis en évidence les points forts des Propositions, puis tracé les grandes lignes, jugées les plus adaptées, pour la rédaction du présent document. Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont accompli ce travail et, fidèle à ma mission, ie veux transmettre ici ce qui, dans le trésor doctrinal et pastoral du Synode, me paraît providentiel pour la vie de tant de personnes en cette heure magnifique et difficile de l’histoire.
Il me plaît de le faire – et cela est d’autant plus significatif – alors qu’est encore vivant le souvenir de l’Année sainte, vécue entièrement sous le signe de la pénitence, de la conversion et de la réconciliation. Puisse cette exhortation, confiée à mes frères dans l’épiscopat et à leurs collaborateurs prêtres et diacres, aux religieux et religieuses, à tous les fidèles, aux hommes et aux femmes à la conscience droite, être non seulement un instrument de purification, d’enrichissement et d’approfondissement de leur foi personnelle mais aussi un levain capable de faire croître au cœur du monde la paix et la fraternité, l’espérance et la joie, valeurs qui naissent de l’Evangile accueilli, médité et vécu au jour le jour à l’exemple de Marie, Mère de notre Seigneur Jésus Christ par qui il a plu à Dieu de se réconcilier tous les êtres(18).
PREMIÈRE PARTIE – CONVERSION ET RÉCONCILIATION : TÂCHE ET ENGAGEMENT DE L’ÉGLISE
CHAPITRE I – UNE PARABOLE DE LA RÉCONCILIATION
5. Au début de cette exhortation apostolique se présente à mon esprit la page extraordinaire de saint Luc que j’ai déjà cherché à mettre en lumière dans un précédent document(19). Je veux parler de la parabole du fils prodigue(20).
Du frère qui était perdu…
« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient »», raconte Jésus en décrivant la dramatique histoire de ce jeune : le départ de la maison paternelle vers l’aventure, le gaspillage de tous ses biens dans une vie dissolue et vide, les jours sombres de l’éloignement et de la faim, mais plus encore de la dignité perdue, de l’humiliation et de la honte, et enfin la nostalgie de sa maison, le courage d’y revenir, l’accueil du père. Celui-ci n’avait certes pas oublié son fils, il lui avait même conservé intactes son affection et son estime. Aussi l’avait-il toujours attendu, et maintenant il l’embrasse, tout en donnant le signal de la grande fête du retour de « celui qui était mort et qui est revenu à la vie, qui était perdu et qui a été retrouvé ».
L’homme – tout homme – est ce fils prodigue : séduit par la tentation de se séparer de son Père pour vivre dans l’indépendance sa propre existence ; tombé dans la tentation ; déçu par le vide qui, comme un mirage, l’avait fasciné ; seul, déshonoré, exploité alors qu’il cherche à se bâtir un monde entièrement à soi ; travaillé, même au fond de sa misère, par le désir de revenir à la communion avec son Père. Comme le père de la parabole, Dieu guette le retour du fils, l’embrasse à son arrivée et prépare la table pour le banquet des retrouvailles où le Père et les frères célèbrent a reconciliation.
Ce qui frappe le plus dans la parabole, c’est l’accueil de fête et d’amour du père à son fils qui revient, signe de la miséricorde de Dieu, toujours prêt à pardonner. Disons-le tout de suite : la réconciliation est principalement un don du Père céleste.
… au frère resté à la maison
6. Mais la parabole met aussi en scène le frère aîné qui refuse de prendre sa place au banquet. Il reproche à son jeune frère ses égarements, et à son père l’accueil qu’il lui a réservé alors qu’à lui-même, sobre et travailleur, fidèle à son père et à sa maison, jamais il n’a été accordé – dit-il – de festoyer avec ses amis. C’est là un signe qu’il ne comprend pas la bonté de son père. Tant que ce frère, trop sûr de lui-même et de ses mérites, jaloux et méprisant, rempli d’amertume et de colère, ne s’est pas converti et réconcilié avec son père et son frère, le banquet n’est pas encore pleinement la fête de la rencontre et des retrouvailles.
L’homme – tout homme – est aussi ce frère aîné. L’égoïsme le rend jaloux, endurcit son cœur, l’aveugle et le ferme aux autres et à Dieu. La bonté et la miséricorde du père l’irritent et le contrarient ; le bonheur du frère retrouvé a pour lui un goût amer(21). C’est aussi de ce point de vue qu’il a besoin de se convertir pour se réconcilier.
La parabole du fils prodigue est avant tout l’histoire ineffable du grand amour d’un Père – Dieu – qui offre à son fils, revenu à lui, le don de la pleine réconciliation. Mais en évoquant, sous la figure du frère aîné, l’égoïsme qui divise les frères entre eux, elle devient aussi l’histoire de la famille humaine ; elle décrit notre situation et montre le chemin à parcourir. Le fils prodigue, dans son ardent désir de conversion, de retour dans les bras de son père et de pardon, représente ceux qui ressentent au fond de leur conscience la nostalgie d’une réconciliation à tous les niveaux et sans réserve, et qui sont intimement persuadés qu’elle n’est possible que si elle découle d’une réconciliation première et fondamentale, celle qui, de l’éloignement où il se trouve, amène l’homme à l’amitié filiale avec Dieu dont il reconnaît la miséricorde infinie. Mais, lue dans la perspective de l’autre fils, la parabole peint la situation de la famille humaine divisée par les égoïsmes, elle met en lumière la difficulté de satisfaire le désir et la nostalgie d’être d’une même famille réconciliée et unie, et elle rappelle donc la nécessité d’une profonde transformation des cœurs pour redécouvrir la miséricorde du Père et pour vaincre l’incompréhension et l’hostilité entre frères.
A la lumière de cette inépuisable parabole de la miséricorde qui efface le péché, l’Eglise, accueillant l’appel qu’elle contient, comprend sa mission d’œuvrer, à la suite du Seigneur, pour la conversion des cœurs et la réconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, ces deux réalités étant intimement liées.
CHAPITRE II – AUX SOURCES DE LA RÉCONCILIATION
Dans la lumière du Christ réconciliateur
7. Comme il résulte de la parabole du fils prodigue, la réconciliation est un don de Dieu, une initiative de Dieu. Or notre foi nous en seigne que cette initiative se concrétise dans le mystère du Christ rédempteur, réconciliateur, du Christ qui libère l’homme du péché sous toutes ses formes. Le même saint Paul n’hésite pas à synthétiser dans cette tâche et dans cette fonction la mission incomparable de Jésus de Nazareth, Verbe et Fils de Dieu fait homme.
Nous aussi, nous pouvons partir de ce mystère central de l’économie du salut, point clé de la christologie de l’Apôtre. « Si, étant ennemis, nous fûmes réconciliés à Dieu par la mort de son Fils – écrit-il aux Romains – , combien plus, une fois réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie, et pas seulement cela, mais nous nous glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à présent nous avons obtenu la réconciliation»(22). Puisque donc « Dieu … nous a réconciliés avec Lui par le Christ », Paul se sent poussé à exhorter les chrétiens de Corinthe : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu»(23).
Cette mission de réconciliation par la mort sur la Croix, l’évangéliste Jean en parlait, en d’autres termes, en observant que le Christ devait mourir « afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés»(24).
Saint Paul encore nous permet d’élargir à des dimensions cosmiques notre vision de l’œuvre du Christ lorsqu’il écrit qu’en lui le Père s’est réconcilié toutes les créatures, celles du ciel et celles de la terre(25). On peut vraiment dire du Christ Rédempteur que, « au temps de la colère, il a été fait réconciliation»(26) et que, s’il est « notre paix»(27), il est aussi notre réconciliation.
C’est à juste titre que sa passion et sa mort, sacramentellement renouvelées dans l’Eucharistie, sont appelées par la liturgie « sacrifice qui réconcilie»(28): qui réconcilie avec Dieu et avec les frères, puisque Jésus lui-même enseigne que la réconciliation fraternelle doit s’effectuer avant le sacrifice(29).
Il est, par conséquent, légitime, en partant de ces textes néo-testamentaires et de bien d’autres encore qui sont significatifs, de centrer sur sa mission de réconciliateur la réflexion concernant tout le mystère du Christ. Et il faut proclamer une fois encore la foi de l’Eglise dans l’acte rédempteur du Christ, dans le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection comme cause de la réconciliation de l’homme, dans son double aspect de libération par rapport au péché et de communion de grâce avec Dieu.
Face au tableau douloureux des divisions et des difficultés de la réconciliation entre les hommes, j’invite justement à regarder le mystère de la Croix comme le plus haut drame dans lequel le Christ perçoit en profondeur – et en éprouve la souffrance – la tragédie même de l’homme séparé de Dieu, au point de s’écrier avec les paroles du psalmiste : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?»(30), et réalise en même temps notre réconciliation. Le regard fixé sur le mystère du Golgotha doit nous rappeler sans cesse la dimension « verticale » de la division et de la réconciliation dans le rapport homme-Dieu qui, dans une vision de foi, l’emporte toujours sur la dimension « horizontale », c’est-à-dire sur la réalité de la division et sur la nécessité de la réconciliation entre les hommes. Nous savons en effet qu’une telle réconciliation entre eux n’est et ne peut être que le fruit de l’acte rédempteur du Christ, mort et ressuscité pour vaincre le règne du péché, rétablir l’alliance avec Dieu et abattre ainsi le « mur de séparation»(31) que le péché avait élevé entre les hommes.
L’Eglise réconciliatrice
8. Mais – comme le disait saint Léon le Grand en parlant de la passion du Christ – « tout ce que le Fils de Dieu a fait et enseigné pour la réconciliation du monde, nous ne le connaissons pas seulement par l’histoire du passé, mais encore nous en éprouvons l’efficacité par ses œuvres présentes»(32). La réconciliation, réalisée dans son humanité, nous la sentons dans l’efficacité des mystères sacrés célébrés par son Eglise, pour laquelle il s’est livré lui-même et qu’il a établie comme signe et en même temps instrument de salut.
C’est ce qu’affirme saint Paul quand il écrit que Dieu a fait participer les Apôtres du Christ à son œuvre de réconciliation. « Dieu – dit-il – nous a confié le ministère de la réconciliation… et la parole de réconciliation»(33).
Dans les mains et sur la bouche des Apôtres, ses messagers, le Père, dans sa miséricorde, a placé un ministère de réconciliation, qu’ils accomplissent d’une manière singulière, en vertu du pouvoir d’agir au nom du Christ, in persona Christi. Mais c’est aussi à toute la communauté des croyants, à l’ensemble de l’Eglise qu’est confiée la parole de réconciliation, c’est-à-dire la tâche de faire tout ce qui est possible pour témoigner de la réconciliation et pour la réaliser dans le monde.
On peut dire qu’en définissant l’Eglise comme « le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » et en signalant comme sa fonction propre celle d’obtenir la « pleine unité dans le Christ » pour tous les « hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par divers liens …»(34), le Concile Vatican II reconnaissait lui aussi que l’Eglise doit surtout tendre à ramener les hommes à la pleine réconciliation.
En lien étroit avec la mission du Christ, on peut donc synthétiser la mission, riche et complexe, de l’Eglise dans la tâche, pour elle centrale, de la réconciliation de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création ; et cela, d’une façon permanente car – comme je l’ai dit ailleurs – « l’Eglise est par nature toujours réconciliatrice»(35).
L’Eglise est réconciliatrice parce qu’elle proclame le message de la réconciliation, comme elle l’a toujours fait au cours de son histoire depuis le Concile apostolique de Jérusalem(36) jusqu’au dernier Synode des évêques et au récent Jubilé de la Rédemption. L’originalité de cette proclamation réside dans le fait que, pour l’Eglise, la réconciliation est étroitement liée à la conversion du cœur : c’est là le chemin nécessaire vers l’entente entre les êtres humains.
L’Eglise est aussi réconciliatrice parce qu’elle montre à l’homme les chemins et lui offre les moyens pour atteindre la quadruple réconciliation susdite. Les chemins sont justement la conversion du cœur et la victoire sur le péché, que ce soit l’égoïsme ou l’injustice, la domination orgueilleuse ou l’exploitation d’autrui, l’attachement aux biens matériels ou la recherche effrénée du plaisir. Les moyens sont l’écoute fidèle et attentive de la Parole de Dieu, la prière personnelle et communautaire, et surtout les sacrements, véritables signes et instruments de réconciliation, parmi lesquels se distingue à cet égard celui qu’à juste titre nous appelons le sacrement de la Réconciliation, ou de la Pénitence, sur lequel je reviendrai par la suite.
L’Eglise réconciliée
9. Mon vénéré prédécesseur Paul VI a eu le mérite de faire clairement comprendre que, pour être évangélisatrice, l’Eglise doit commencer par se montrer elle-même évangélisée, c’est-à-dire ouverte au message intégral et plénier de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ pour l’écouter et la mettre en pratique(37). Moi-même, reprenant et ordonnant dans un document les réflexions de la quatrième Assemblée générale du Synode des évêques, j’ai parlé d’une Eglise qui se catéchise dans la mesure où elle fait elle-même la catéchèse(38).
Je n’hésite pas à reprendre ici le parallèle, pour autant qu’il s’applique à notre sujet, afin d’affirmer que l’Eglise, pour être réconciliatrice, doit commencer par être une Eglise réconciliée. Il y a, sous-jacente à cette affirmation simple et linéaire, la conviction que l’Eglise, pour annoncer la réconciliation au monde et la lui proposer toujours plus efficacement, doit devenir toujours davantage une communauté (fût-ce le « petit troupeau » des premiers temps) de disciples du Christ, unis dans l’effort pour se convertir continuellement au Seigneur et vivre comme des hommes nouveaux dans l’esprit et la pratique de la réconciliation.
Face à nos contemporains si sensibles à ce que démontrent les témoignages concrets de vie, l’Eglise est appelée à donner l’exemple de la réconciliation d’abord en son sein ; et à cette fin, nous devons tous œuvrer pour pacifier les esprits, modérer les tensions, surmonter les divisions, soigner les blessures éventuellement provoquées entre frères lorsque s’accentuent les divergences de choix dans le domaine de la simple opinion, et essayer au contraire d’être unis dans ce qui est essentiel pour la foi et la vie chrétienne, selon le vieil adage : In dubiis libertas, in necessariis unitas, in omnibus caritas.
Selon ce critère, l’Eglise doit également rendre réelle sa dimension œcuménique. En effet, pour être entièrement réconciliée, elle sait qu’il lui faut avancer dans la recherche de l’unité entre ceux qui s’honorent de s’appeler chrétiens mais sont séparés entre eux, même au niveau des Eglises ou des Communions, et séparés de l’Eglise de Rome. Celle-ci recherche une unité qui, pour être le fruit et l’expression d’une véritable réconciliation, n’entend se fonder ni sur la dissimulation des points qui divisent ni sur des compromis d’autant plus faciles qu’ils sont superficiels et fragiles. L’unité doit être le résultat d’une vraie conversion de tous, du pardon réciproque, du dialogue théologique et des relations fraternelles, de la prière, de la pleine docilité à l’action de l’Esprit Saint, qui est aussi Esprit de réconciliation.
Enfin, l’Eglise, pour se dire pleinement réconciliée, sent qu’elle doit s’efforcer toujours davantage de porter l’Evangile à tous les peuples, suscitant le « dialogue du salut»(39), aux vastes secteurs de l’humanité contemporaine qui ne partagent pas sa foi et qui même, en raison d’un sécularisme croissant, prennent leurs distances avec elle et lui opposent une froide indifférence, quand ils ne vont pas jusqu’à lui faire obstacle ou la persécuter. A tous, l’Eglise se sent le devoir de répéter avec saint Paul : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu»(40).
Dans tous les cas, l’Eglise promeut une réconciliation dans la vérité, sachant bien qu’il n’y a pas de réconciliation ni d’unité possibles en dehors de la vérité ou contre elle.
CHAPITRE III – L’INITIATIVE DE DIEU ET LE MINISTÈRE DE L’ÉGLISE
10. Communauté réconciliée et réconciliatrice, l’Eglise ne peut oublier qu’à l’origine de son don et de sa mission se trouve l’initiative, remplie d’amour compatissant et de miséricorde, du Dieu qui est Amour(41) et qui par amour a créé les hommes(42): il les a créés pour qu’ils vivent dans son amitié et en communion entre eux.
La réconciliation vient de Dieu
Dieu est fidèle à son dessein éternel même quand l’homme, poussé par le Mauvais(43) et entraîné par son orgueil, abuse de la liberté qui lui a été donnée pour aimer et rechercher généreusement le bien, refusant ainsi d’obéir à son Seigneur et Père ; et aussi quand l’homme, au lieu de répondre par l’amour à l’amour de Dieu, s’oppose à lui comme à un rival, se leurrant lui-même et présumant de ses forces, pour en arriver à la rupture des rapports avec celui qui l’a créé. Malgré cette prévarication de l’homme, Dieu reste fidèle dans l’amour. Certes, le récit du paradis terrestre nous fait méditer sur les funestes conséquences du rejet du Père, qui se traduit par le désordre interne de l’homme et par la rupture de l’harmonie entre l’homme et la femme, entre un frère et l’autre(44). La parabole évangélique des deux fils qui, d’une manière différente, s’éloignent de leur père, creusant un abîme entre eux, est elle aussi significative. Le refus de l’amour paternel de Dieu et de ses dons d’amour est toujours à la racine des divisions de l’humanité.
Mais nous savons que Dieu, « riche en miséricorde»(45), telle père de la parabole, ne ferme son cœur à aucun de ses enfants. Il les attend, les cherche, les rejoint là où le refus de la communion les enferme dans l’isolement et la division, les appelle à se regrouper autour de sa table, dans la joie de la fête du pardon et de la réconciliation.
Cette initiative de Dieu se concrétise et se manifeste dans l’acte rédempteur du Christ, qui rayonne dans le monde grâce au ministère de l’Eglise.
En eflet, selon notre foi, le Verbe de Dieu s’est fait chair et est venu habiter la terre des hommes : il est entré dans l’histoire du monde, l’assumant et la récapitulant en lui-même(46). Il nous a révélé que Dieu est amour et il nous a donné le « commandement nouveau»(47) de l’amour, nous communiquant en même temps la certitude que le chemin de l’amour s’ouvre à tous les hommes, que n’est donc pas vain l’effort tendant à instaurer la fraternité universelle(48). Ayant vaincu, par sa mort sur la croix, le mal et la puissance du péché, par son obéissance pleine d’amour il a apporté le salut à tous et il est devenu pour tous « réconciliation ». En lui, Dieu s’est réconcilié l’homme.
L’Eglise, poursuivant l’annonce de la réconciliation proclamée par le Christ dans les villages de Galilée et de toute la Palestine(49), ne cesse d’inviter l’humanité entière à se convertir et à croire à la Bonne Nouvelle. Elle parle au nom du Christ, faisant sien l’appel de l’Apôtre Paul que nous avons déjà rappelé : « Nous sommes … en ambassade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhortait par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu»(50).
Celui qui accepte cet appel entre dans l’économie de la réconciliation et fait l’expérience de la vérité contenue dans cette autre annonce de saint Paul selon laquelle le Christ « est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, la haine .… pour faire la paix et les réconcilier tous les deux avec Dieu»(51). Si ce texte concerne directement le dépassement de la division religieuse entre Israël, en tant que peuple élu de l’Ancien Testament, et les autres peuples, tous appelés à faire partie de la Nouvelle Alliance, il contient néanmoins l’affirmation de la nouvelle universalité spirituelle, voulue par Dieu et réalisée par lui grâce au sacrifice de son Fils, le Verbe fait homme, sans limite ni exclusion d’aucune sorte, pour tous ceux qui se convertissent et croient au Christ. Nous sommes donc tous appelés à bénéficier des fruits de cette réconciliation voulue par Dieu : tous les hommes, tous les peuples.
L’Eglise, grand sacrement de réconciliation
11. L’Eglise a la mission d’annoncer cette réconciliation et d’en être le sacrement dans le monde. Sacrement, c’est-à-dire signe et instrument de réconciliation, l’Eglise l’est à divers titres, qui n’ont pas tous la même valeur mais qui, tous, convergent vers l’obtention de ce que l’initiative divine de miséricorde veut accorder aux hommes.
Elle l’est avant tout par son existence même de communauté réconciliée, qui témoigne dans le monde de l’œuvre du Christ et la représente.
Elle l’est par son service de gardienne et d’interprète de la Sainte Ecriture, qui est la joyeuse nouvelle de la réconciliation car elle fait connaître de génération en génération le dessein d’amour de Dieu et elle indique à chacun les voies de la réconciliation universelle dans le Christ.
Elle l’est enfin par les sept sacrements qui, chacun à sa manière, « font l’Eglise»(52). Puisqu’ils commémorent, en effet, et renouvellent le mystère de la Pâque du Christ, tous les sacrements sont sources de vie pour l’Eglise et, entre ses mains, instruments de conversion à Dieu et de réconciliation des hommes.
Autres chemins de réconciliation
12. La mission réconciliatrice est propre à toute l’Eglise, y compris et surtout celle qui est déjà admise à participer pleinement de la gloire divine avec la Vierge Marie, avec les anges et les saints qui contemplent et adorent le Dieu trois fois saint. L’Eglise du ciel, l’Eglise de la terre, l’Eglise du purgatoire sont mystérieusement unies dans cette coopération avec le Christ pour réconcilier le monde avec Dieu.
Le premier chemin de cette action salvatrice est celui de la prière. Il n’y a pas de doute que la Vierge, Mère du Christ et de l’Eglise(53), et les saints, arrivés au bout de leur cheminement terrestre et en possession de la gloire de Dieu, soutiennent de leur intercession leurs frères pèlerins en ce monde, dans leurs efforts de conversion, de foi, de reprise après chaque chute, d’action pour faire croître la communion et la paix dans l’Eglise et dans le monde. Dans le mystère de la communion des saints, la réconciliation universelle se réalise dans sa forme la plus profonde et la plus fructueuse pour le salut de tous.
Il y a aussi un autre chemin, celui de la prédication. Disciple de l’unique Maître Jésus Christ, l’Eglise, à son tour, comme mère et maîtresse, ne se lasse pas de proposer aux hommes la réconciliation, et elle n’hésite pas à dénoncer la malice du péché, à proclamer la nécessité de la conversion, à inviter les hommes à « se laisser réconcilier » et à le leur demander. En réalité, c’est bien là sa mission prophétique dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui d’hier : c’est la mission même de son Maître et Chef, Jésus. Comme lui, l’Eglise accomplira toujours cette mission avec des sentiments d’amour miséricordieux, et elle portera à tous les paroles du pardon et l’invitation à l’espérance, qui viennent de la Croix.
Il y a encore le chemin souvent si difficile et ardu de l’action pastorale pour ramener chaque homme – quel qu’il soit et où qu’il se trouve – sur la route, parfois longue, du retour vers le Père dans la communion avec tous les frères.
Il y a enfin le chemin du témoignage, presque toujours silencieux, qui naît d’une double conscience de l’Eglise : la conscience d’être en elle-même « indéfectiblement sainte»(54), mais aussi d’avoir besoin de « se purifier … de jour en jour, jusqu’à ce que le Christ se la présente à lui-même, glorieuse, sans tache ni ride », étant donné que parfois, à cause de nos péchés, son visage « resplendit moins » aux yeux de ceux qui la regardent(55). Ce témoignage ne peut pas ne pas revêtir deux aspects fondamentaux : être le signe de la charité universelle que Jésus Christ a laissée en héritage à ses disciples comme preuve de l’appartenance à son règne ; se traduire en actes toujours nouveaux de conversion et de réconciliation à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise, par le dépassement des tensions, le pardon réciproque, la croissance dans l’esprit de fraternité et de paix à étendre au monde entier. Au long de ce chemin, l’Eglise pourra agir utilement pour faire naître ce que mon prédécesseur Paul VI appelait la « civilisation de l’amour ».
DEUXIÈME PARTIE – L’AMOUR PLUS GRAND QUE LE PÉCHÉ
Le drame de l’homme
13. Comme l’écrit l’Apôtre saint Jean, « si nous disons : « Nous n’avons pas de péché », nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés»(56). Ces paroles inspirées, écrites à l’aube de la vie de l’Eglise, introduisent mieux que toute autre expression humaine cet exposé sur le péché, qui est étroitement lié à celui sur la réconciliation. Elles saisissent le problème du péché dans sa perspective anthropologique, en tant que partie intégrante de la vérité sur l’homme, mais elles l’inscrivent aussitôt dans la perspective divine où le péché est confronté avec la vérité de l’amour divin, juste, généreux et fidèle, qui se manifeste surtout par le pardon et la rédemption. Aussi le même saint Jean écrit-il un peu plus loin que, « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur»(57).
Reconnaître son péché, et même – en approfondissant la réflexion sur sa propre personnalité – se reconnaître pécheur, capable de péché et porté au péché, est le principe indispensable du retour à Dieu. C’est l’expérience exemplaire de David qui, « après avoir fait ce qui est mal aux yeux du Seigneur », réprimandé par le prophète Nathan(58), s’écrie : « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait»(59). Du reste, Jésus met sur les lèvres et dans le cœur du fils prodigue ces paroles significatives : « Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi»(60).
En réalité, se réconcilier avec Dieu suppose et inclut que l’on se détache avec lucidité et détermination du péché où l’on est tombé. Cela suppose donc et inclut que l’on fait pénitence au sens le plus complet du terme : se repentir, manifester son regret, prendre l’attitude concrète du repenti, celle de quiconque se met sur le chemin du retour au Père. C’est là une loi générale que chacun doit suivre dans la situation particulière où il se trouve. On ne peut en effet parler seulement en termes abstraits du péché et de la conversion.
Dans la situation concrète de l’homme pécheur, où il ne peut y avoir de conversion sans reconnaissance de son péché, le ministère de réconciliation de l’Eglise intervient en toute hypothèse avec une finalité ouvertement pénitentielle, c’est-à-dire visant à ramener l’homme à la « connaissance de soi » dont parle sainte Catherine de Sienne(61), au renoncement au mal, au rétablissement de l’amitié avec Dieu, à la remise en ordre intérieure, à la nouvelle conversion ecclésiale. Ajoutons qu’au-delà du cadre de l’Eglise et des croyants, le message et le ministère de la pénitence sont adressés à tous les hommes, car tous ont besoin de conversion et de réconciliation(62).
Pour accomplir comme il convient ce ministère pénitentiel, il faut aussi évaluer, avec les « yeux illuminés»(63) de la foi, les conséquences du péché, qui sont cause de division et de rupture non seulement à l’intérieur de chaque homme mais aussi dans les différentes sphères de son existence : famille, milieu, profession, société, comme on peut si souvent le constater par l’expérience, en confirmation de la page biblique concernant la ville de Babel et sa tour(64). Visant à construire ce qui devait être à la fois un symbole et un foyer d’unité, ces hommes se retrouvèrent plus dispersés qu’avant, en pleine confusion des langues, divisés entre eux, incapables d’accord ou de convergence.
Pourquoi l’ambitieux projet a‑t-il échoué ? Pourquoi « les bâtisseurs ont-ils peiné en vain »?(65) Parce que les hommes s’étaient fondés seulement sur une œuvre de leurs mains pour signifier et garantir l’unité qu’ils voulaient oubliant l’action du Seigneur. Ils avaient misé sur la seule dimension horizontale du travail et de la vie sociale, sans se préoccuper de la dimension verticale, grâce à laquelle ils se seraient trouvés enracinés en Dieu, leur Créateur et Seigneur, et ils auraient tendu vers lui comme but ultime de leur chemin.
On peut dire que le drame de l’homme d’aujourd’hui, comme celui de l’homme de tous les temps, consiste précisément dans son caractère « babélique ».
CHAPITRE I – LE MYSTÈRE DU PÉCHÉ
14. Si nous lisons dans la Bible la page sur la ville et la tour de Babel à la lumière nouvelle de l’Evangile, et si nous la confrontons avec le récit de la chute des premiers parents, nous pouvons y trouver des éléments précieux pour prendre conscience du mystère du péché. Cette expression, qui fait écho à ce qu’écrivait saint Paul sur le mystère d’iniquité(66), tend à nous faire percevoir ce qui se cache d’obscur et d’insaisissable dans le péché. Sans aucun doute, le péché est l’œuvre de l’homme ; mais dans la densité même de cette expérience humaine, interviennent des facteurs qui le situent au-delà de l’humain, dans cette zone limite où la conscience, la volonté et la sensibilité de l’homme sont au contact des forces obscures qui, selon saint Paul, agissent dans le monde au point de parvenir presque à s’en rendre maîtres(67).
La désobéissance à Dieu
Dans le récit biblique sur la construction de la tour de Babel ressort un premier élément qui nous aide à comprendre le péché : les hommes ont prétendu bâtir une cité, former une société, être forts et puissants sans Dieu, même si ce n’était pas à proprement parler contre Dieu(68). Dans ce sens, le récit du premier péché dans le paradis terrestre et le récit de Babel, malgré les différences notables de leurs contenus et de leurs formes, présentent une convergence sur un point : dans l’un et l’autre, nous nous trouvons en face d’une exclusion de Dieu, par le refus explicite de l’un de ses commandements, par un geste qui manifeste une rivalité face à lui, par la prétention illusoire d’être « comme lui»(69). Dans le récit de Babel, l’exclusion de Dieu n’apparaît pas tellement sur le mode d’une confrontation avec lui, mais comme l’oubli et l’indifférence à son égard, comme si Dieu ne présentait aucun intérêt dans le cadre du projet humain de bâtir et de s’unir. Mais, dans les deux cas, c’est avec violence que se trouve rompu le rapport avec Dieu. Dans la scène du paradis terrestre apparaît toute la gravité dramatique de ce qui constitue l’essence la plus intime et la plus obscure du péché : la désobéissance à Dieu, à sa loi, à la norme morale qu’il a donnée à l’homme et inscrite dans son cœur, la confirmant et l’achevant par la révélation.
Exclusion de Dieu, rupture avec Dieu, désobéissance à Dieu : c’est ce qu’a été et ce qu’est le péché tout au long de l’histoire humaine, sous des formes diverses qui peuvent aller jusqu’à la négation de Dieu et de son existence : c’est le phénomène de l’athéisme.
La désobéissance de l’homme qui – par un acte de sa liberté – ne reconnaît pas la prédominance de Dieu dans sa vie, au moins au moment précis où il viole sa loi.
La division entre les frères
15. Dans les récits bibliques rappelés plus haut, la rupture avec Dieu aboutit d’une manière dramatique à la division entre les frères.
Dans la description du « premier péché », la rupture avec Yahvé tranche en même temps le lien d’amitié qui unissait la famille humaine, à tel point que les pages suivantes de la Genèse nous montrent l’homme et la femme qui, pour ainsi dire, tendent l’un vers l’autre un doigt accusateur(70); puis un frère qui, hostile à son frère, finit par lui enlever la vie(71).
Suivant le récit des événements de Babel, la conséquence du péché est l’éclatement de la famille humaine, déjà commencé lors du premier péché, désormais arrivé au pire en prenant une dimension sociale.
Pour qui veut chercher à pénétrer le mystère du péché, il est impossible de ne pas prendre en compte cet enchaînement de cause à effet. En tant que rupture avec Dieu, le péché est l’acte de désobéissance d’une créature qui rejette, au moins implicitement, celui qui est à son origine et qui la maintient en vie ; c’est donc un acte suicidaire. Du fait que par le péché l’homme refuse de se soumettre à Dieu, son équilibre intérieur est détruit et c’est au fond même de son être qu’éclatent les contradictions et les conflits. Ainsi déchiré, l’homme provoque de manière presque inévitable un déchirement dans la trame de ses rapports avec les autres hommes et le monde créé. C’est là une loi et un fait objectif, vérifiés par de multiples expériences de la psychologie humaine et de la vie spirituelle, et aussi dans la réalité de la vie sociale : il est facile d’y observer les répercussions et les signes du désordre intérieur.
Le mystère du péché comprend cette double blessure que le pécheur ouvre en lui-même et aussi dans ses rapports avec son prochain. C’est pourquoi on peut parler de péché personnel et social : tout péché est personnel d’un certain point de vue, et d’un autre point de vue, tout péché est social en ce que, et parce que, il a aussi des consequences sociales.
Péché personnel et péché social
16. Le péché, au sens propre et précis du terme, est toujours un acte de la personne, car il est l’acte de liberté d’un homme particulier et non pas, à proprement parler, celui d’un groupe ou d’une communauté. Cet homme peut se trouver conditionné, opprimé, poussé par des facteurs externes nombreux et puissants ; il peut aussi être sujet à des tendances, à une hérédité, à des habitudes liées à sa condition personnelle. Dans bien des cas, de tels facteurs externes et internes peuvent, dans une mesure plus ou moins grande, atténuer sa liberté et, par là, sa responsabilité et sa culpabilité. Mais c’est une vérité de foi, confirmée également par notre expérience et notre raison, que la personne humaine est libre. On ne peut ignorer cette vérité en imputant le péché des individus à des réalités extérieures : les structures, les systèmes, les autres. Ce serait surtout nier la dignité et la liberté de la personne qui s’expriment – même de manière négative et malheureuse – jusque dans cette responsabilité de commettre le péché. C’est pourquoi, en tout homme il n’y a rien d’aussi personnel et incommunicable que le mérite de la vertu ou la responsabilité de la faute.
Les conséquences premières, et les plus importantes, du péché, acte de la personne, portent sur le pécheur lui-même : c’est-à-dire sur sa relation avec Dieu, fondement même de la vie humaine ; sur son esprit, affaiblissant sa volonté et obscurcissant son intelligence.
Parvenus à ce stade de la réflexion, il faut nous demander à quelle réalité se référaient ceux qui ont mentionné fréquemment le péché social, au cours de la préparation et des travaux du Synode. L’expression et le concept sous-jacent ont à vrai dire plusieurs sens différents.
Parler de péché social veut dire, avant tout, reconnaître que, en vertu d’une solidarité humaine aussi mystérieuse et imperceptible que réelle et concrète, le péché de chacun se répercute d’une certaine manière sur les autres. C’est là le revers de cette solidarité qui, du point de vue religieux, se développe dans le mystère profond et admirable de la communion des saints, grâce à laquelle on a pu dire que « toute âme qui s’élève, élève le monde»(72). A cette loi de l’élévation correspond, malheureusement, la loi de la chute, à tel point qu’on peut parler d’une communion dans le péché, par laquelle une âme qui s’abaisse par le péché abaisse avec elle l’Eglise et, d’une certaine façon, le monde entier. En d’autres termes, il n’y a pas de péché, même le plus intime et le plus secret, le plus strictement individuel, qui concerne exclusivement celui qui le commet. Tout péché a une répercussion, plus ou moins forte, plus ou moins dommageable, sur toute la communauté ecclésiale et sur toute la famille humaine. Selon ce premier sens, on peut attribuer indiscutablement à tout péché le caractère de péché social.
Certains péchés, cependant, constituent, par leur objet même, une agression directe envers le prochain et – plus exactement, si l’on recourt au langage évangélique – envers les frères. Ces péchés offensent Dieu, parce qu’ils offensent le prochain. On désigne habituellement de tels péchés par l’épithète « sociaux » et c’est là la seconde signification du terme. En ce sens, est social le péché contre l’amour du prochain ; selon la loi du Christ, il est d’autant plus grave qu’il met en cause le second commandement qui est « semblable au premier»(73). Est également social tout péché commis contre la justice dans les rapports soit de personne à personne, soit de la personne avec la communauté, soit encore de la communauté avec la personne. Est social tout péché contre les droits de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie, sans exclure le droit de naître, ou contre l’intégrité physique de quelqu’un ; tout péché contre la liberté d’autrui, spécialement contre la liberté suprême de croire en Dieu et de l’adorer ; tout péché contre la dignité et l’honneur du prochain. Est social tout péché contre le bien commun et ses exigences, dans tout l’ample domaine des droits et des devoirs des citoyens. Peut être social le péché par action ou par omission, de la part de dirigeants politiques, économiques et syndicaux qui, bien que disposant de l’autorité nécessaire, ne se consacrent pas avec sagesse à l’amélioration ou à la transformation de la société suivant les exigences et les possibilités qu’offre ce moment de l’histoire ; de même, de la part des travailleurs qui manqueraient au devoir de présence et de collaboration qui est le leur pour que les entreprises puissent continuer à assurer leur bien-être, celui de leurs familles et de la société entière.
Le troisième sens du péché social concerne les rapports entre les diverses communautés humaines. Ces rapports ne sont pas toujours en harmonie avec le dessein de Dieu qui veut dans le monde la justice, la liberté et la paix entre les individus, les groupes, les peuples. Ainsi la lutte des classes, quel qu’en soit le responsable et parfois celui qui l’érige en système, est un mal social. Ainsi les oppositions tenaces entre des blocs de nations, d’une nation contre une autre, de groupes contre d’autres groupes au sein de la même nation, constituent en vérité un mal social. Dans tous ces cas, il faudrait se demander si l’on peut attribuer à quelqu’un la responsabilité morale de tels maux et, par conséquent, le péché. On doit bien reconnaître que les réalités et les situations comme celles qu’on vient d’indiquer, dans la mesure où elles se généralisent et se développent énormément comme faits de société, deviennent presque toujours anonymes, leurs causes étant par ailleurs complexes et pas toujours identifiables. C’est pourquoi, si l’on parle de péché social, l’expression prend ici une signification évidemment analogique. Quoi qu’il en soit, parler de péché social, même au sens analogique, ne doit amener personne à sous-estimer la responsabilité des individus, mais cela revient à adresser un appel à la conscience de tous, afin que chacun assume sa propre responsabilité pour changer sérieusement et avec courage ces réalités néfastes et ces situations intolérables.
Cela dit de la manière la plus claire et sans équivoque, il convient d’ajouter aussitôt qu’il est une conception du péché social qui n’est ni légitime ni admissible, bien qu’elle revienne souvent à notre époque dans certains milieux(74): cette conception, en opposant, non sans ambiguïté, le péché social au péché personnel, conduit, de façon plus ou moins inconsciente, à atténuer et presque à effacer ce qui est personnel pour ne reconnaître que les fautes et les responsabilités sociales. Selon une telle conception, qui manifeste assez clairement sa dépendance d’idéologies et de systèmes non chrétiens – parfois abandonnés aujourd’hui par ceux-là mêmes qui en ont été les promoteurs officiels dans le passé – , pratiquement tout péché serait social, au sens où il serait imputable moins à la conscience morale d’une personne qu’à une vague entité ou collectivité anonyme telle que la situation, le système, la société, les structures, l’institution, etc.
Or, quand elle parle de situations de péché ou quand elle dénonce comme péchés sociaux certaines situations ou certains comportements collectifs de groupes sociaux plus ou moins étendus, ou même l’attitude de nations entières et de blocs de nations, l’Eglise sait et proclame que ces cas de péché social sont le fruit, l’accumulation et la concentration de nombreux péchés personnels. Il s’agit de péchés tout à fait personnels de la part de ceux qui suscitent ou favorisent l’iniquité, voire l’exploitent ; de la part de ceux qui, bien que disposant du pouvoir de faire quelque chose pour éviter, éliminer ou au moins limiter certains maux sociaux, omettent de le faire par incurie, par peur et complaisance devant la loi du silence, par complicité masquée ou par indifférence ; de la part de ceux qui cherchent refuge dans la prétendue impossibilité de changer le monde ; et aussi de la part de ceux qui veulent s’épargner l’effort ou le sacrifice en prenant prétexte de motifs d’ordre supérieur. Les vraies responsabilités sont donc celles des personnes.
Une situation – et de même une institution, une structure, une société – n’est pas, par elle-même, sujet d’actes moraux ; c’est pourquoi elle ne peut être, par elle-même, bonne ou mauvaise.
A l’origine de toute situation de péché se trouvent toujours des hommes pécheurs. C’est si vrai que, si une telle situation peut être modifiée dans ses aspects structurels et institutionnels par la force de la loi ou, comme il arrive malheureusement trop souvent, par la loi de la force, en réalité le changement se révèle incomplet, peu durable et, en définitive, vain et inefficace – pour ne pas dire qu’il produit un effet contraire – si les personnes directement ou indirectement responsables d’une telle situation ne se convertissent pas.
Péché mortel, péché véniel
17. Mais voici, dans le mystère du péché, une autre dimension sur laquelle l’intelligence de l’homme n’a jamais cessé de méditer : celle de sa gravité. C’est une question inévitable, à laquelle la conscience chrétienne n’a jamais renoncé à répondre : pourquoi et dans quelle mesure le péché est-il grave en tant qu’offense faite à Dieu et en raison de sa répercussion sur l’homme ? L’Eglise a une doctrine propre à ce sujet, et elle la réaffirme en ses éléments essentiels tout en sachant qu’il n’est pas toujours facile, dans les situations concrètes, de délimiter nettement les frontières.
Déjà dans l’Ancien Testament il était dit, à propos de nombreux péchés – ceux qui étaient commis délibérément(75), les diverses formes de luxure(76), d’idolâtrie(77), de culte des faux dieux(78) – que le coupable devait être « éliminé de son peuple », ce qui pouvait aussi signifier condamné à mort(79). Par contre d’autres péchés, surtout ceux commis par ignorance, pouvaient être pardonnés grâce à un sacrifice(80).
C’est aussi en se référant à ces textes que l’Eglise parle constamment, depuis des siècles, de péché mortel et de péché véniel. Mais cette distinction et ces termes s’éclairent surtout dans le Nouveau Testament, où se trouvent des textes nombreux qui énumèrent et réprouvent en des termes vigoureux les péchés qui méritent particulièrement d’être condamnés(81), sans parler de la confirmation du décalogue que Jésus donne lui-même(82). Ici, je voudrais me reporter particulièrement à deux pages significatives et impressionnantes.
Dans un passage de sa première Lettre, saint Jean parle d’un péché qui conduit à la mort (prós thánaton) et l’oppose à un péché qui ne conduit pas à la mort (mè prós thánaton)(83). Il est évident que le concept de mort est ici spirituel : il s’agit de perdre la vie véritable ou « vie éternelle » qui, pour Jean, est la connaissance du Père et du Fils(84), la communion et l’intimité avec eux. Le péché qui conduit à la mort semble, dans le passage cité de la première Lettre de saint Jean, être le rejet du Fils(85), ou le culte des faux dieux(86). Quoi qu’il en soit, par cette distinction des concepts, Jean semble vouloir souligner la gravité incalculable de ce qui est l’essence du péché, le refus de Dieu, accompli surtout dans l’apostasie et l’idolâtrie, c’est-à-dire l’acte de rejeter la foi en la vérité révélée, de mettre au même rang que Dieu certaines réalités créées et d’en faire des idoles ou de faux dieux(87). Mais l’Apôtre, dans cette page, entend aussi mettre en lumière la certitude donnée au chrétien du fait qu’il est « né de Dieu » grâce à la « venue du Fils » : il y a en lui une force qui le préserve de la chute dans le péché ; Dieu le garde, et « le Mauvais n’a pas de prise sur lui ». Car s’il pèche par faiblesse ou par ignorance, il a en lui l’espérance de la rémission, étant d’ailleurs soutenu par la prière commune de ses frères.
Dans une autre page du Nouveau Testament, plus précisément dans l’Evangile de Matthieu(88), Jésus lui-même parle d’un « blasphème contre l’Esprit Saint » qui « ne sera pas remis », parce qu’il consiste, dans ses diverses manifestations, à refuser avec obstination la conversion à l’amour du Père des miséricordes.
Il s’agit, bien entendu, d’expressions extrêmes et radicales : le refus de Dieu, le refus de sa grâce et, par conséquent, l’opposition au principe même du salut(89); par là l’homme semble volontairement s’interdire la voie de la rémission. Il faut espérer que très peu d’hommes aient la volonté de s’obstiner jusqu’à la fin dans cette attitude de révolte ou de défi ouvert contre Dieu, lequel, par ailleurs, comme nous l’enseigne encore saint Jean(90), « est plus grand que notre cœur » dans son amour miséricordieux et peut vaincre toutes nos résistances psychologiques et spirituelles, si bien que, comme l’écrit saint Thomas d’Aquin, « il ne faut désespérer du salut de personne en cette vie, en raison de la toute-puissance et de la miséricorde de Dieu»(91).
Mais, face à ce problème de la rencontre d’une volonté rebelle avec Dieu infiniment juste, on ne peut pas ne pas nourrir des sentiments de « crainte et tremblement » salutaires, comme le suggère saint Paul(92); tandis que l’avertissement de Jésus à propos du péché « qui ne peut être remis » confirme l’existence de fautes qui peuvent attirer sur le pécheur la peine de la « mort éternelle ».
A la lumière de ces textes de la sainte Ecriture et d’autres, les docteurs et les théologiens les maîtres spirituels et les pasteurs ont distingué entre les péchés mortels et les péchés véniels. Saint Augustin, notamment, parlait de letalia ou de mortifera crimina, les opposant à venialia, levia ou quotidiana(93). Le sens qu’il a donné à ces qualificatifs influencera ultérieurement le Magistère de l’Eglise. Après lui, saint Thomas d’Aquin formulera dans les termes les plus clairs possible la doctrine devenue constante dans l’Eglise.
En établissant cette distinction entre les péchés mortels et les péchés véniels, et en les définissant, la théologie du péché de saint Thomas et de ceux qui la continuent ne pouvait ignorer la référence biblique et, par conséquent, le concept de mort spirituelle. Selon le Docteur angélique, pour vivre selon l’Esprit, l’homme doit rester en communion avec le principe suprême de la vie, Dieu même, en tant que fin ultime de tout son être et de tout son agir. Or le péché est un désordre provoqué par l’homme contre ce principe vital. Et quand, « par le péché, l’âme provoque un désordre qui va jusqu’à la séparation d’avec la fin ultime – Dieu – à laquelle elle est liée par la charité, il y a alors un péché mortel ; au contraire, toutes les fois que le désordre reste en-deçà de la séparation d’avec Dieu, le péché est véniel»(94). Pour cette raison, le péché véniel ne prive pas de la grâce sanctifiante, de l’amitié avec Dieu, de la charité, ni par conséquent de la béatitude éternelle, tandis qu’une telle privation est précisément la conséquence du péché mortel.
En outre, considérant le péché sous l’aspect de la peine qu’il entraîne, saint Thomas avec d’autres docteurs appelle mortel le péché qui, s’il n’est pas remis, fait contracter une peine éternelle ; véniel, le péché qui mérite une peine simplement temporelle (c’est-à-dire partielle et qui peut être expiée sur terre ou au purgatoire).
Si l’on considère ensuite la matière du péché, les idées de mort, de rupture radicale avec Dieu, bien suprême, de déviation par rapport à la route qui conduit à Dieu ou d’interruption du cheminement vers lui (toutes manières de définir le péché mortel), se conjuguent avec l’idée de gravité impliquée dans le contenu objectif : c’est pourquoi le péché grave s’identifie pratiquement, dans la doctrine et l’action pastorale de l’Eglise, avec le péché mortel.
Nous recueillons ici le noyau de l’enseignement traditionnel de l’Eglise, repris souvent et avec force au cours du récent Synode. Celui-ci, en effet, a non seulement réaffirmé ce qui avait été proclamé par le Concile de Trente sur l’existence et la nature des péchés mortels et véniels(95), mais il a voulu rappeler qu’est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave et qui, de plus, est commis en pleine conscience et de consentement délibéré. On doit ajouter, comme cela a été fait également au Synode, que certains péchés sont intrinsèquement graves et mortels quant à leur matière. C’est-à-dire qu’il y a des actes qui, par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances, sont toujours gravement illicites, en raison de leur objet. Ces actes, s’ils sont accomplis avec une conscience claire et une liberté suffisante, sont toujours des fautes graves(96).
Cette doctrine, fondée sur le Décalogue et sur la prédication de l’Ancien Testament, reprise dans le kérygme des Apôtres, appartenant à l’enseignement le plus ancien de l’Eglise qui la répete jusqu’à aujourd’hui, trouve dans l’expérience humaine de tous les temps une exacte vérification. L’homme sait bien, par expérience, que, sur le chemin de la foi et de la justice qui le conduit à la connaissance et à l’amour de Dieu dans cette vie et à l’union parfaite avec lui dans l’éternité, il peut s’arrêter ou s’écarter, sans pour autant abandonner la voie de Dieu : dans ce cas il y a péché véniel ; toutefois celui-ci ne devra pas être vidé de son sens, comme s’il était automatiquement chose négligeable, ou un « péché qui compte peu ». A vrai dire l’homme sait aussi, par sa douloureuse expérience, qu’il peut inverser sa marche par un acte conscient et libre de sa volonté, et cheminer dans le sens opposé à la volonté de Dieu, et ainsi s’éloigner de lui (aversio a Deo), refusant la communion d’amour avec lui, se détachant du principe de vie qu’est Dieu, choisissant ainsi la mort.
Avec toute la tradition de l’Eglise, nous appelons péché mortel l’acte par lequel un homme, librement et consciemment, refuse Dieu, sa loi, l’alliance d’amour que Dieu lui propose, préférant se tourner vers lui-même, vers quelque réalité créée et finie, vers quelque chose de contraire à la volonté de Dieu (conversio ad creaturam). Cela peut se produire d’une manière directe et formelle, comme dans les péchés d’idolâtrie, d’apostasie, d’athéisme ; ou d’une manière qui revient au même comme dans toutes les désobéissances aux commandements de Dieu en matière grave. L’homme sent bien que cette désobéissance à Dieu brise ses liens avec son principe vital : c’est un péché mortel, c’est-à-dire un acte qui offense Dieu gravement et finalement se retourne contre l’homme lui-même avec une force puissante et obscure de destruction.
Au cours de l’assemblée synodale, certains Pères ont proposé une distinction tripartite des péchés : il conviendrait de les classer en péchés véniels, graves et mortels. Cette distinction tripartite pourrait mettre en lumière le fait que, parmi les péchés graves, il existe une gradation. Mais il reste toujours vrai que la distinction essentielle et décisive est celle entre le péché qui détruit la charité et le péché qui ne tue pas la vie surnaturelle : entre la vie et la mort il n’y a pas de place pour un moyen terme.
De même on devra éviter de réduire le péché mortel à l’acte qui exprime une « option fondamentale » contre Dieu, suivant l’expression courante actuellement, en entendant par là un mépris formel et explicite de Dieu ou du prochain. Il y a, en fait, péché mortel également quand l’homme choisit, consciemment et volontairement, pour quelque raison que ce soit, quelque chose de gravement désordonné. En effet, un tel choix comprend par lui-même un mépris de la loi divine, un refus de l’amour de Dieu pour l’humanité et toute la création : l’homme s’éloigne de Dieu et perd la charité. L’orientation fondamentale peut donc être radicalement modifiée par des actes particuliers. Sans aucun doute il peut y avoir des situations très complexes et obscures sur le plan psychologique, qui ont une incidence sur la responsabilité subjective du pécheur. Mais de considérations d’ordre psychologique, on ne peut passer à la constitution d’une nouvelle catégorie théologique, comme le serait précisément l”«option fondamentale », entendue de telle manière que, sur le plan objectif, elle changerait ou mettrait en doute la conception traditionnelle du péché mortel.
S’il convient d’apprécier toute tentative sincère et prudente de clarifier le mystère psychologique et théologique du péché, l’Eglise a cependant le devoir de rappeler à tous ceux qui étudient ces matières la nécessité d’une part d’être fidèles à la Parole de Dieu qui nous instruit aussi sur le péché, et d’autre part le risque que l’on court de contribuer à atténuer encore plus dans le monde contemporain le sens du péché.
Perte du sens du péché
18. Par la lecture de l’Evangile faite dans la communion ecclésiale, la conscience chrétienne a acquis au long des générations une fine sensibilité et une capacité aiguë de percevoir lesferments de mort que contient le péché. Une sensibilité et une capacité de perception qui permettent aussi de déceler ces ferments dans les mille formes que revêt le péché, dans les mille visages sous lesquels il se présente. Et c’est ce qu’on a coutume d’appeler le sens du péché.
Ce sens du péché a sa racine dans la conscience de l’homme et en est comme l’instrument de mesure. Il est lié au sens de Dieu, puisqu’il provient du rapport conscient de l’homme avec Dieu comme son Créateur, son Seigneur et Père. C’est pourquoi, de même que l’on ne peut effacer complètement le sens de Dieu ni éteindre la conscience, de même le sens du péché n’est jamais complètement effacé.
Pourtant, il n’est pas rare dans l’histoire, en des périodes plus ou moins longues et sous l’influence de facteurs multiples, que la conscience morale se trouve gravement obscurcie en beaucoup d’hommes. « Avons-nous une idée juste de la conscience ? », demandais-je il a deux ans au cours d’un entretien avec les fidèles : « L’homme contemporain ne vit-il pas sous la menace d’une éclipse de la conscience, d’une déformation de la conscience, d’un engourdissement ou d’une « anesthésie » des consciences?»(97). Trop de signes indiquent qu’à notre époque se produit une telle éclipse, ce qui est d’autant plus inquiétant que cette conscience, définie par le Concile comme « le centre le plus secret et le sanctuaire de l’homme»(98), est « étroitement liée à la liberté de l’homme… C’est pour cela que la conscience constitue un élément essentiel qui fonde la dignité intérieure de l’homme et, en même temps, son rapport avec Dieu»(99). Il est donc inévitable dans cette situation que le sens du péché soit lui aussi obnubilé, car il est étroitement lié à la conscience morale, à la recherche de la vérité, à la volonté de faire un usage responsable de sa liberté. Avec la conscience, le sens de Dieu lui aussi se trouve obscurci, et alors, si cette référence intérieure décisive est perdue, le sens du péché disparaît. Voilà pourquoi mon prédécesseur Pie XII a pu déclarer un jour, dans une expression devenue presque proverbiale, que « le péché de ce siècle est la perte du sens du péché»(100).
Pourquoi ce phénomène en notre temps ? Un regard sur certaines composantes de la culture contemporaine peut nous aider à comprendre l’atténuation progressive du sens du péché, précisément à cause de la crise de la conscience et du sens de Dieu déjà soulignée ci-dessus.
Le « sécularisme » est en soi et par définition un mouvement d’idées et de mœurs qui impose un humanisme qui fait totalement abstraction de Dieu, concentré uniquement sur le culte de l’agir et de la production, emporté par l’ivresse de la consommation et du plaisir, sans se préoccuper du danger de « perdre son âme» ; il ne peut qu’amoindrir le sens du péché. Ce dernier se réduit, tout au plus, à ce qui offense l’homme. Mais précisément ici s’impose l’amère expérience à laquelle j’ai déjà fait allusion dans ma première encyclique : l’homme peut construire un monde sans Dieu, mais ce monde finira par se retourner contre l’homme(101). En réalité, Dieu est l’origine et la fin suprême de l’homme, et celui-ci porte en lui un germe divin(102). C’est pourquoi, c’est le mystère de Dieu qui dévoile et éclaire le mystère de l’homme. Il est donc vain d’espérer qu’un sens du péché puisse prendre consistance par rapport à l’homme et aux valeurs humaines si fait défaut le sens de l’offense commise contre Dieu, c’est-à-dire le véritable sens du péché.
Ce sens du péché disparaît également dans la société contemporaine à cause des équivoques ou l’on tombe en accueillant certains résultats des sciences humaines. Ainsi, en partant de quelques-unes des affirmations de la psychologie, la préoccupation de ne pas culpabiliser ou de ne pas mettre un frein à la liberté porte à ne jamais reconnaître aucun manquement. A cause d’une extrapolation indue des critères de la science sociologique, on en vient, comme j’y ai déjà fait allusion, à reporter sur la société toutes les fautes dont l’individu est déclaré innocent. Egalement, une certaine anthropologie culturelle, à son tour, a force de grossir les conditionnements indéniables et l’influence du milieu et des conditions historiques sur l’homme, limite sa responsabilité au point de ne pas lui reconnaître la capacité d’accomplir de véritables actes humains et, par conséquent, la possibilité de pécher.
Le sens du péché disparaît facilement aussi sous l’influence d’une éthique dérivée d’un certain relativisme historique. Il peut s’agir de l’éthique qui relativise la norme morale, niant sa valeur absolue et inconditionnelle, et niant par conséquent qu’il puisse exister des actes intrinsèquement illicites, indépendamment des circonstances où ils sont posés par le sujet. Il s’agit d’un véritable « ébranlement et (d’une) baisse des valeurs morales », et le problème, « ce n’est pas tellement l’ignorance de l’éthique chrétienne », mais « plutôt celui du sens, des fondements et des critères de l’attitude morale»(103). L’effet de cet ébranlement éthique est toujours aussi d’étouffer à ce point la notion du péché qu’on finit presque par affirmer que le péché existe mais qu’on ne sait pas qui le commet.
Enfin le sens du péché disparaît quand – comme cela peut se produire dans l’enseignement donné aux jeunes, dans les médias, dans l’éducation familiale elle-même – il se trouve identifié par erreur avec le sentiment morbide de la culpabilité ou avec la simple transgression des normes et des préceptes de la loi.
La perte du sens du péché est donc une forme ou un résultat de la négation de Dieu : non seulement celle de l’athéisme, mais aussi celle de la sécularisation. Si le péché est la rupture du rapport filial avec Dieu pour mener sa vie en dehors de l’obéissance qu’on lui doit, alors pécher ce n’est pas seulement nier Dieu ; pécher, c’est aussi vivre comme s’il n’existait pas, c’est l’effacer de sa vie quotidienne. Un modèle de société mutilé ou déséquilibré dans l’un ou l’autre sens, souvent présenté par les moyens de communication sociale, favorise considérablement la perte progressive du sens du péché. Dans une telle situation, l’obscurcissement ou l’affaiblissement du sens du péché découle du refus de toute référence à la transcendance, au nom de l’aspiration à l’autonomie personnelle ; de l’assujettissement à des modèles éthiques imposés par un consensus et une attitude générale, même si la conscience individuelle les condamne ; des conditions socio-économiques dramatiques qui oppriment une très grande part de l’humanité, faisant naître la tendance à ne voir les erreurs et les fautes que dans le domaine social ; enfin et surtout de l’effacement de l’idée de la paternité de Dieu et de sa seigneurie sur l’homme.
Et même dans le domaine de la pensée et de la vie ecclésiales, il y a des tendances qui favorisent inévitablement le déclin du sens du péché. Certains, par exemple, tendent à remplacer des attitudes excessives du passé par d’autres excès : au lieu de voir le péché partout, on ne le distingue plus nulle part ; au lieu de trop mettre l’accent sur la peur des peines éternelles, on prêche un amour de Dieu qui excluerait toute peine méritée par le péché ; au lieu de la sévérité avec laquelle on s’efforce de corriger les consciences erronées, on prône un tel respect de la conscience qu’il supprime le devoir de dire la vérité. Et pourquoi ne pas ajouter que la confusion créée dans la conscience de nombreux fidèles par les divergences d’opinions et d’enseignements dans la théologie, dans la prédication, dans la catéchèse, dans la direction spirituelle au sujet de questions graves et délicates de la morale chrétienne, finit par amoindrir, presque au point de l’effacer, le véritable sens du péché ? Et il ne faut pas taire certains défauts dans la pratique de la Pénitence sacramentelle : ainsi la tendance à obscurcir le sens ecclésial du péché et de la conversion, en les réduisant à des réalités seulement individuelles, ou, inversement, la tendance à supprimer la valeur personnelle du bien et du mal pour en considérer exclusivement la dimension communautaire ; ou encore le danger, pas encore entièrement conjuré, du ritualisme routinier qui enlève au sacrement son plein sens et son efficacité éducative.
Rétablir un juste sens du péché, c’est la première façon d’affronter la grave crise spirituelle qui pèse sur l’homme de notre temps. Mais le sens du péché ne se rétablira que par un recours clair aux principes inaliénables de la raison et de la foi que la doctrine morale de l’Eglise a toujours soutenus.
Il est permis d’espérer que sera ravivé, surtout dans le monde chrétien et ecclésial, un sens salutaire du péché. A cela contribueront une bonne catéchèse, éclairée par la théologie biblique de l’Alliance, une écoute attentive et un accueil confiant du Magistère de l’Eglise qui ne cesse d’éclairer les consciences, et une pratique toujours plus sérieuse du sacrement de la Pénitence.
CHAPITRE II – « MYSTERIUM PIETATIS »
19. Pour connaître le péché, il était nécessaire de regarder attentivement sa nature, telle que la révélation du dessein du salut nous l’a fait connaître : il s’agit du mysterium iniquitatis. Mais dans ce plan du salut, le péché n’est pas agent principal, et encore moins vainqueur. Il est en opposition avec un autre principe agissant que nous pouvons appeler le mysterium, ou le sacramentum pietatis, selon une expression de saint Paul, belle et suggestive. Le péché de l’homme aurait le dessus et finalement il serait destructeur, le dessein salvifique de Dieu demeurerait sans accomplissement ou même se terminerait en défaite, si ce mysterium pietatis n’était pas inséré dans le dynamisme de l’histoire pour vaincre le péché de l’homme.
Nous trouvons cette expression dans une des Lettres pastorales de saint Paul, la première à Timothée. Elle surgit à l’improviste comme par une inspiration jaillissante. En effet l’Apôtre, qui, auparavant, a consacré de longs paragraphes de son message au disciple bien-aimé pour expliquer le sens de l’organisation de la communauté (la vie liturgique, et, en lien avec elle, la structure hiérarchique), a ensuite parlé du rôle des chefs de la communauté, pour évoquer finalement le comportement de Timothée lui-même dans « l’Eglise du Dieu vivant, colonne et support de la vérité ». A la fin il évoque donc soudain, non sans une intention profonde, ce qui donne son sens à tout ce qu’il a écrit : « C’est incontestablement un grand mystère que celui de la piété…»(104).
Sans trahir le moins du monde le sens littéral du texte, nous pouvons élargir cette magnifique intuition théologique de l’Apôtre à une vision plus complète du rôle que tient dans l’économie du salut la vérité qu’il annonce. « Il est vraiment grand, répétons-le avec lui, le mystère de la piété », parce qu’il est vainqueur du péché.
Mais cette « piété », qu’est-elle au juste dans la conception paulinienne ?
Il s’agit du Christ lui-même
20. Il est profondément significatif que, pour présenter ce mysterium pietatis, Paul transcrit simplement, sans établir un lien grammatical avec le texte précédent(105), trois lignes d’une hymne christologique qui, de l’avis de plusieurs spécialistes autorisés, était en usage dans les communautés chrétiennes hellénistiques.
Par les paroles de cette hymne, denses de contenu théologique et d’un style noble et beau, ces croyants du premier siècle professaient leur foi dans le mystère du Christ, à savoir qu e : il s’est manifesté dans la réalité de la chair humaine et il a été constitué le Juste par l’Esprit Saint, lui qui s’offre pour les injustes ; il est apparu aux anges, devenu plus grand qu’eux, et il a été proclamé chez les païens, comme porteur de salut ; il a été accueilli dans le monde par la foi, comme envoyé du Père, et élevé au ciel par le même Père, comme Seigneur(106).
Le mystère ou le sacrement de la piété est donc le mystère même du Christ. Il est, dans une synthèse très expressive, le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption, de la Pâque plénière de Jésus, Fils de Dieu et Fils de Marie : mystère de sa passion et de sa mort, de sa résurrection et de sa glorification. Saint Paul, en reprenant les phrases de l’hymne, a voulu rappeler que ce mystère est le principe vital secret faisant de l’Eglise la maison de Dieu, la colonne et le support de la vérité. Dans le sillage de l’enseignement de Paul, nous pouvons affirmer que ce mystère de l’infinie piété de Dieu envers nous est capable de pénétrer jusqu’aux racines cachées de notre iniquité, pour susciter dans l’âme un mouvement de conversion, pour la racheter et déployer ses voiles vers la réconciliation.
En se référant sans aucun doute à ce mystère, saint Jean lui aussi, dans son langage caractéristique, différent de celui de saint Paul, pouvait écrire que « quiconque est né de Dieu ne pèche pas » : le Fils de Dieu le garde, « et le Mauvais n’a pas prise sur lui»(107). Dans cette affirmation de saint Jean, il y a une indication d’espérance, fondée sur les promesses divines : le chrétien a été assuré de recevoir les forces nécessaires pour ne pas pécher. Il ne s’agit donc pas d’une impeccabilité acquise par sa propre vertu ou, à plus forte raison, innée dans l’homme, comme le pensaient les Gnostiques. C’est un résultat de l’action de Dieu. Pour ne pas pécher, le chrétien dispose de la connaissance de Dieu, comme saint Jean le rappelle dans le même passage. Mais un peu auparavant, il avait écrit : « Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché, parce que la semence divine demeure en lui»(108). Si, par « semence de Dieu » nous entendons, comme le proposent certains commentateurs, Jésus, le Fils de Dieu, alors nous pouvons dire que, pour ne pas pécher – ou pour se libérer du péché – le chrétien dispose de la présence en soi du Christ lui-même et du mystère du Christ, qui est le mystère de piété.
L’effort du chrétlen
21. Mais dans le mysterium pietatis, il y a une autre face : à la piété de Dieu envers le chrétien doit correspondre la piété du chrétien envers Dieu. Dans cette seconde acception, la piété (eusébeia) signifie précisément le comportement du chrétien qui répond à la piété paternelle de Dieu par sa piété filiale.
En ce sens encore nous pouvons affirmer avec saint Paul qu” « il est grand le mystère de la piété ». Dans ce sens aussi, la piété, comme force de conversion et de réconciliation, affronte l’iniquité et le péché. Dans ce cas également les aspects essentiels du mystère du Christ sont objets de la piété, c’est-à-dire que le chrétien accueille le mystère, le contemple, en tire la force spirituelle nécessaire pour mener sa vie selon l’Evangile. Ici encore, on doit dire que « celui qui est né de Dieu ne commet pas le péché» ; mais l’expression a un sens impératif : soutenu par le mystère et par les mystères du Christ, comme par une source intérieure d’énergie spirituelle, le chrétien est mis en garde contre le péché et, plus encore, il reçoit le commandement de ne pas pécher en se comportant dignement « dans la maison de Dieu, c’est-à-dire dans l’Eglise du Dieu vivant»(109), étant un fils de Dieu.
Vers une vie réconciliée
22. Ainsi la Parole de l’Ecriture, en nous révélant le mystère de la piété, ouvre l’intelligence humaine à la conversion et à la réconciliation, entendues non comme de hautes abstractions, mais comme des valeurs chrétiennes concrètes à acquérir dans la vie quotidienne.
Les hommes d’aujourd’hui, comme pris au piège par la perte du sens du péché, tentés parfois par quelque illusion bien peu chrétienne d’impeccabilité, ont besoin eux aussi de réentendre, comme adressé à chacun d’eux personnellement, l’avertissement de saint Jean : « Si nous disons : « Nous n’avons pas de péché », nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous » (110). Et encore : « Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais»(111). Chacun est donc invité par la voix de la Vérité divine à lire dans sa conscience avec réalisme et à confesser qu’il a été engendré dans l’iniquité, comme nous le disons dans le psaume Miserere(112).
Cependant, menacés par la peur et par le désespoir, les hommes d’aujourd’hui peuvent se sentir réconfortés par la promesse divine qui les ouvre à l’espérance de la pleine réconciliation.
Le mystère de la piété, de la part de Dieu, est la miséricorde dont le Seigneur notre Père – je le répète encore – est infiniment riche(113). Comme je l’ai dit dans l’encyclique consacrée au thème de la miséricorde divine(114), celle-ci est un amour plus puissant que le péché, plus fort que la mort. Quand nous nous apercevons que l’amour que Dieu a pour nous ne se laisse pas arrêter par notre péché, ne recule pas devant nos offenses, mais se fait encore plus pressant et plus généreux ; quand nous nous rendons compte que cet amour est allé jusqu’à causer la passion et la mort du Verbe fait chair, qui a accepté de nous racheter en payant de son Sang, alors nous débordons de reconnaissance : « Oui, le Seigneur est riche en miséricorde », et nous allons jusqu’à dire : « Le Seigneur est miséricorde ».
Le mystère de la piété est la voie ouverte par la miséricorde divine à la vie réconciliée.
TROISIÈME PARTIE – LA PASTORALE DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION
Promotion de la pénitence et de la réconciliation
23. Susciter dans le cœur de l’homme la conversion et la pénitence, et lui offrir le don de la réconciliation, constitue la mission naturelle de l’Eglise qui continue ainsi l’œuvre rédemptrice de son divin Fondateur. Cette mission ne se limite pas à quelques affirmations théoriques ni à proposer un idéal éthique sans l’accompagner des forces nécessaires à sa réalisation ; elle tend à s’exprimer dans des fonctions précises du ministère, ordonnées à une pratique concrète de la pénitence et de la réconciliation.
Ce ministère, fondé et éclairé par les principes de foi exposés ci-dessus, orienté vers des objectifs précis et soutenu par des moyens adéquats, nous pouvons l’appeler pastorale de la pénitence et de la réconciliation. Son point de départ est la conviction de l’Eglise que l’homme auquel s’adresse toute forme de pastorale, mais surtout la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, est l’homme marqué par le péché dont David nous fournit un exemple significatif. Recevant les reproches du prophète Nathan, il accepte d’être confronté avec ses propres crimes et il avoue : « J’ai péché contre le Seigneur»(115). Il proclame : « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi»(116). Mais aussi il prie : « Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige»(117). Et il reçoit la réponse du Dieu miséricordieux : « Le Seigneur a pardonné ton péché : tu ne mourras pas»(118).
L’Eglise se trouve donc en face de l’homme – en face de tout un monde humain – blessé par le péché, atteint par lui au plus intime dans la profondeur de son être, mais en même temps poussé par le désir incoercible d’être libéré du péché et, spécialement s’il est chrétien, conscient que le mystère de piété, le Christ Seigneur, agit en lui et dans le monde par la force de la Rédemption.
La fonction réconciliatrice de l’Eglise doit ainsi se déployer en fonction du lien intime qui rattache étroitement le pardon et la rémission du péché de chaque homme à la réconciliation fondamentale et plénière de l’humanité, réalisée par la Rédemption. Ce lien nous fait comprendre que, le péché étant le principe actif de la division – division entre l’homme et son Créateur, division dans le cœur et dans l’esprit de l’homme, division entre les individus et entre les groupes humains, division entre l’homme et la nature créée par Dieu – , seule la conversion qui détourne du péché est capable de réaliser une réconciliation profonde et durable partout où la division a pénétré.
Il n’est point besoin de répéter ici ce que j’ai déjà dit sur l’importance de ce « ministère de la réconciliation»(119) et de la pastorale correspondante qui le met en œuvre dans la conscience et dans la vie de l’Eglise. Celle-ci faillirait à un aspect de sa nature et négligerait l’une de ses fonctions indispensables si elle ne proclamait pas avec clarté et fermeté, à temps et à contretemps, « la parole de la réconciliation»(120) et si elle n’offrait pas au monde le don de la réconciliation. Mais, il convient de le répéter, il importe que ce service ecclésial de réconciliation s’étende, au-delà des frontières de l’Eglise, au monde entier.
Parler de pastorale de la pénitence et de la réconciliation signifie donc que l’on envisage l’ensemble des tâches qui incombent à l’Eglise, sur tous les plans, pour les promouvoir. Plus concrètement, parler de cette pastorale veut dire évoquer toutes les activités par lesquelles l’Eglise, grâce à l’ensemble et à chacun de ceux qui la composent – Pasteurs et fidèles à tous les niveaux et dans tous les milieux et avec tous les moyens à sa disposition – en paroles et en actes, par l’enseignement et par la prière – conduit les hommes, individuellement ou en groupe, à la vraie pénitence et les introduit ainsi sur le chemin de la pleine réconciliation.
Les Pères du Synode – en tant que représentants de leurs confrères évêques, guides du peuple qui leur est confié – ont travaillé sur cette pastorale dans ses éléments les plus pratiques et les plus concrets. Et je suis heureux de leur faire écho, en m’associant à leurs préoccupations et à leurs espérances, en accueillant les fruits de leurs recherches et de leurs expériences, en les encourageant dans leurs projets et leurs réalisations. Puissent-ils retrouver dans cette partie de l’exhortation apostolique ce qu’ils ont apporté eux-mêmes au Synode, apport dont je voudrais faire bénéficier aussi, dans les pages qui suivent, l’Eglise entière.
Je juge donc opportun de mettre en lumière l’essentiel de la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, en exposant les deux points suivants :
Les moyens utilisés et les voies suivies par l’Eglise pour promouvoir la pénitence et la réconciliation ;
Le sacrement par excellence de la Pénitence et de la Réconciliation.
CHAPITRE I – LA PROMOTION DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION : MOYENS ET VOIES
24. Pour promouvoir la pénitence et la réconciliation, l’Eglise a à sa disposition surtout deux moyens qui lui ont été confiés par son Fondateur même : la catéchèse et les sacrements. L’Eglise les met en œuvre d’une façon qu’elle considère toujours pleinement adaptée aux exigences de sa mission salvifique et répondant en même temps aux exigences et aux besoins spirituels des hommes de tous les temps, et cela sous des formes et des manières anciennes et nouvelles. Parmi celles-ci, il sera bon de rappeler spécialement ce que nous pouvons nommer la méthode du dialogue, à la suite de mon prédécesseur Paul VI.
Le dialogue
25. Le dialogue, pour l’Eglise, est en un sens un moyen et surtout une manière d’exercer son action dans le monde contemporain. Le Concile Vatican II, en effet, proclame d’abord que « l’Eglise, en vertu de la mission qui est la sienne d’éclairer l’univers entier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes…, apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et qui le renforce ». Puis il ajoute qu’elle doit être capable « d’établir un dialogue sans cesse plus fécond entre tous ceux qui constituent l’unique peuple de Dieu»(121), comme aussi d”«établir un dialogue avec la société humaine»(122).
Mon prédécesseur Paul VI a consacré au dialogue une partie notable de sa première encyclique Ecclesiam suam, où il le décrit et le caractérise de façon significative comme un dialogue du salut(123).
L’Eglise en effet utilise la méthode du dialogue pour mieux amener les hommes – ceux qui, par le baptême et la profession de foi, se reconnaissent membres de la communauté chrétienne, et ceux qui lui sont étrangers – à la conversion et à la pénitence, sur la voie d’un profond renouveau de leur conscience et de leur vie, à la lumière du mystère de la rédemption et du salut réalisés par le Christ et confiés au ministère de son Eglise. L’authentique dialogue vise donc avant tout la régénération de chacun, par la conversion intérieure et la pénitence, tout en respectant profondément les consciences dans les démarches patientes et progressives que requièrent les conditions des hommes de notre temps.
Le dialogue pastoral en vue de la réconciliation demeure aujourd’hui un engagement fondamental de l’Eglise en divers domaines et à différents niveaux.
L’Eglise met en œuvre avant tout un dialogue œcuménique, c’est-à-dire avec les Eglises et les Communautés ecclésiales qui se réclament de la foi dans le Christ, Fils de Dieu et unique Sauveur, et un dialogue avec les autres communautés d’hommes qui cherchent Dieu et veulent avoir un rapport de communion avec lui.
A la base d’un tel dialogue avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales, et avec les autres religions – et c’est aussi la condition de sa crédibilité et de son efficacité – , il doit y avoir un effort sincère de dialogue permanent et renouvelé à l’intérieur de l’Eglise catholique elle-même. Cette Eglise a conscience d’être, par sa nature, sacrement de la communion universelle de charité(124); mais elle a conscience également des tensions qui existent en son sein et qui risquent de devenir des facteurs de division.
L’appel attristé et ferme, déjà adressé par mon prédécesseur en vue de l’Année sainte 1975(125), est encore valable actuellement. Pour parvenir à surmonter les conflits et éviter que les tensions normales ne nuisent à l’unité de l’Eglise, il faut que nous nous mettions tous en face de la Parole de Dieu et que, abandonnant nos vues subjectives, nous cherchions la vérité là où elle se trouve, c’est-à-dire dans la Parole divine et dans l’interprétation authentique qu’en donne le Magistère de l’Eglise. Sous cette lumière, l’écoute réciproque, le respect et l’abstention de tout jugement hâtif, la patience, la capacité d’éviter que la foi, qui unit, soit subordonnée aux opinions, aux modes et aux choix idéologiques qui divisent, constituent autant de qualités d’un dialogue qui, à l’intérieur de l’Eglise, doit être poursuivi avec assiduité, volonté, sincérité. Il est clair que le dialogue ne serait pas tout cela et qu’il ne deviendrait pas un facteur de réconciliation si on ne prêtait pas attention au Magistère et si on ne l’acceptait pas.
Effectivement engagée dans la recherche de sa propre communion interne, l’Eglise catholique peut adresser l’appel à la réconciliation, comme elle l’a déjà fait depuis longtemps, aux autres Eglises avec lesquelles il n’y a pas une pleine communion, et aussi aux autres religions et même à tous ceux qui cherchent Dieu d’un cœur sincère.
A la lumière du Concile et du magistère de mes prédécesseurs, dont j’ai reçu le précieux héritage que je m’efforce de conserver et de mettre en pratique, je puis affirmer que l’Eglise catholique, dans toutes ses communautés, s’engage avec loyauté dans le dialogue œcuménique, en évitant les optimismes faciles, mais aussi sans méfiance, sans hésitation ou sans délai. Les règles fondamentales qu’elle cherche à suivre dans ce dialogue sont, d’une part, l’assurance que seul un œcuménisme spirituel – fondé sur la prière commune et sur la docilité commune à l’unique Seigneur – permet de répondre sincèrement et sérieusement aux autres exigences de l’action œcuménique(126); d’autre part, la conviction qu’un certain irénisme facile en matière doctrinale et surtout dogmatique pourrait peut-être mener à une forme de « convivialité » superficielle et passagère, mais non pas à la communion profonde et stable que nous souhaitons tous. A cette communion on parviendra à l’heure voulue par la divine Providence, mais pour y arriver, l’Eglise catholique, en ce qui la concerne, sait qu’elle doit être ouverte et sensible à toutes « les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères séparés»(127), mais qu’elle doit pareillement poser à la base d’un dialogue loyal et constructif la clarté des positions, la fidélité et la cohérence avec la foi transmise et définie dans la continuité de la tradition chrétienne par son Magistère. Par ailleurs, malgré la menace d’un certain défaitisme et malgré les inévitables lenteurs qui ne sauraient être corrigées par une manière inconsidérée d’agir, l’Eglise catholique continue à chercher avec tous les autres frères chrétiens les voies de l’unité et, avec les disciples des autres religions, un dialogue sincère. Puisse ce dialogue inter-religieux conduire au dépassement de toute attitude d’hostilité, de défiance, de condamnation mutuelle et même de mutuelles invectives ! C’est là une condition préliminaire pour que nous puissions nous rencontrer au moins dans la foi en un Dieu unique et dans la certitude de la vie éternelle pour l’âme immortelle. Et, en particulier, fasse le Seigneur que le dialogue œcuménique mène à une sincère réconciliation dans le cadre de tout ce que nous pouvons déjà avoir en commun avec les autres Eglises chrétiennes : la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu fait homme, Sauveur et Seigneur, l’écoute de la Parole, l’étude de la Révélation, le sacrement du baptême.
Dans la mesure où l’Eglise est capable de susciter la concorde active – l’unité dans la diversité – en son propre sein, et de s’offrir comme témoin et humble agent de réconciliation à l’égard des autres Eglises et Communautés ecclésiales et des autres religions, elle devient, selon la définition expressive de saint Augustin, « monde réconcilié»(128). Alors elle pourra être un signe de réconciliation dans le monde et pour le monde.
Ayant conscience de l’immense gravité de la situation créée par les forces de division et de guerre, situation qui constitue aujourd’hui une menace pesante non seulement pour l’équilibre et l’harmonie des nations, mais pour la survie même de l’humanité, l’Eglise ressent le devoir d’offrir et de proposer sa collaboration spécifique pour surmonter les conflits et rétablir la concorde.
Il s’agit là d’un dialogue complexe et délicat de réconciliation. L’Eglise s’y engage avant tout par l’action du Saint-Siège et de ses divers Organismes. On peut affirmer que le Saint-Siège s’efforce d’intervenir auprès des Gouvernants des nations et des responsables des diverses instances internationales, ou de se joindre à eux, en dialoguant avec eux ou en les stimulant à dialoguer entre eux, au bénéfice de la réconciliation au cœur de nombreux conflits. L’Eglise le fait, non pour des motifs seconds ou pour des intérêts occultes, car elle n’en a pas, mais « par préoccupation humanitaire»(129), mettant sa structure institutionnelle et son autorité morale, tout à fait singulières, au service de la concorde et de la paix. Elle le fait dans la conviction que, de même que « dans une guerre, deux parties se lèvent l’une contre l’autre », de même « dans la question de la paix, ce sont toujours et nécessairement deux parties qui doivent savoir s’engager », et c’est ainsi que « l’on trouve le véritable sens du dialogue pour la paix»(130).
Dans le dialogue pour la réconciliation, l’Eglise s’engage aussi par les évêques, selon la compétence et la responsabilité qui leur sont propres, soit individuellement en dirigeant leurs Eglises particulières, soit réunis dans leurs Conférences épiscopales, avec la collaboration des prêtres et de tous les membres des communautés chrétiennes. Ils accomplissent fidèlement leur devoir quand ils promeuvent cet indispensable dialogue et lorsqu’ils proclament les exigences humaines et chrétiennes de réconciliation et de paix. En communion avec leurs Pasteurs, les laïcs, dont le « champ propre de (l”)activité évangélisatrice est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie…, de la vie internationale»(131), sont appelés à s’engager directement dans le dialogue ou en faveur du dialogue pour la réconciliation. Par leur entremise, c’est encore l’Eglise qui accomplit son action réconciliatrice.
La régénération des cœurs par la conversion et la pénitence est donc le présupposé fondamental et la base sûre de tout renouveau social durable et de la paix entre les nations.
Il reste à rappeler que, de la part de l’Eglise et de ses membres, le dialogue, sous quelque forme qu’il se déroule – ces formes sont et peuvent être très diverses, si bien que le concept de dialogue a une valeur analogique – , ne pourra jamais partir d’une attitude d’indifférence envers la vérité, mais il en sera plutôt une présentation faite sous un mode serein, respectueux de l’intelligence et de la conscience des autres. Le dialogue de la réconciliation ne pourra jamais remplacer ou atténuer l’annonce de la vérité évangélique, qui a comme but précis la conversion du pécheur et la communion avec le Christ et avec l’Eglise, mais il devra servir à la transmission de cette vérité et à sa réalisation à travers les moyens laissés par le Christ à son Eglise pour la pastorale de la réconciliation : la catéchèse et la pénitence.
La catéchèse
26. Dans le vaste domaine où l’Eglise a la mission d’œuvrer selon la méthode du dialogue, la pastorale de la pénitence et de la réconciliation s’adresse aux membres du corps de l’Eglise, avant tout par une catéchèse appropriée concernant les deux réalités distinctes et complémentaires auxquelles les Pères du Synode ont donné une particulière importance et qu’ils ont mises en relief dans plusieurs des Propositions qui concluaient leur travail, précisément la pénitence et la réconciliation. La catéchèse est donc le premier moyen à employer.
A la base de la recommandation si opportune du Synode, on trouve un présupposé fondamental : ce qui est pastoral ne s’oppose pas à doctrinal, et l’action pastorale ne peut faire abstraction du contenu doctrinal, bien plus, elle tire de lui sa substance et sa valeur réelle. Or, si l’Eglise est « colonne et support de la vérité»(132), et si elle est établie dans le monde comme Mère et Maîtresse, comment pourrait-elle négliger le devoir d’enseigner la vérité qui constitue un chemin de vie ?
Des Pasteurs de l’Eglise, on attend avant tout une catéchèse sur la réconciliation. Celle-ci ne peut manquer de se fonder sur l’enseignement biblique, spécialement sur celui du Nouveau Testament, touchant la nécessité de reconstituer l’alliance avec Dieu dans le Christ rédempteur et réconciliateur et, à la lumière de cette nouvelle communion et de cette nouvelle amitié, et dans leur prolongement, la nécessité de se réconcilier avec son frère, quitte à laisser pour un temps l’offrande du sacrifice(133). Jésus insiste beaucoup sur ce thème de la réconciliation fraternelle : par exemple lorsqu’il invite à tendre l’autre joue à celui qui nous a frappés, et à laisser même notre manteau à celui qui a pris notre tunique(134), ou lorsqu’il enseigne la loi du pardon, un pardon que chacun reçoit dans la mesure où il sait pardonner(135), un pardon à offrir même à nos ennemis(136), un pardon à accorder soixante-dix fois sept fois(137), c’est-à-dire, en pratique, sans aucune limitation. C’est à ces conditions, réalisables seulement dans un climat authentiquement évangélique, qu’est possible une véritable réconciliation entre les individus, entre les familles, les communautés, les nations et les peuples. De ces données bibliques sur la réconciliation découlera naturellement une catéchèse théologique, qui intégrera aussi dans sa synthèse les éléments de la psychologie, de la sociologie et des autres sciences humaines, celles-ci pouvant servir à clarifier les situations, bien poser les problèmes, convaincre les auditeurs ou les lecteurs de prendre des résolutions concrètes.
Des Pasteurs de l’Eglise, on attend également une catéchèse sur la pénitence. Là encore la richesse du message biblique doit en être la source. Ce message souligne avant tout, en ce qui concerne la pénitence, sa valeur de conversion, terme par lequel on cherche à traduire le mot du texte grec metánoia(138), qui signifie littéralement laisser s’opérer un retournement de l’esprit pour qu’il se tourne vers Dieu. Voici du reste les deux éléments fondamentaux qui ressortent de la parabole du fils perdu et retrouvé : le fait de « rentrer en soi-même»(139) et la décision de retourner vers son père. Il ne saurait y avoir de réconciliation sans ces attitudes primordiales de la conversion, et la catéchèse doit les expliquer par des concepts et des termes adaptés aux différents âges, aux diverses conditions culturelles, morales et sociales.
C’est une première valeur de la pénitence qui se prolonge dans la deuxième valeur : la pénitence signifie aussi repentir. Les deux sens de la metánoia apparaissent dans la consigne significative donnée par Jésus : « Si ton frère se repent, remets-lui. Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi en disant : « Je me repens », tu lui remettras»(140). Une bonne catéchèse montrera comment le repentir, tout comme la conversion, loin d’être un sentiment superficiel, est un vrai retournement de l’âme.
Une troisième valeur est contenue dans la pénitence : c’est le mouvement par lequel les attitudes de conversion et de repentir dont on vient de parler se manifestent à l’extérieur : c’est ce qu’on appelle faire pénitence. Ce sens est bien perceptible dans le terme metánoia tel qu’il est employé par le Précurseur selon le texte des synoptiques(141). Faire pénitence veut dire, finalement, rétablir l’équilibre et l’harmonie rompus par le péché, changer de direction même au prix de sacrifices.
En somme, on ne saurait se passer d’une catéchèse sur la pénitence, la plus complète et la plus adéquate possible, en un temps comme le nôtre où les attitudes dominantes dans la psychologie et dans les comportements sociaux sont en opposition avec la triple valeur déjà exposee : l’homme d’aujourd’hui semble avoir plus de peine que jamais à reconnaître ses propres erreurs et à décider de revenir sur ses pas pour reprendre le chemin après avoir rectifié sa marche ; il semble très réticent à dire : « Je me repens » ou « je regrette» ; il semble refuser instinctivement, et souvent de manière irrésistible, tout ce qui est pénitence au sens du sacrifice accepté et pratiqué pour se corriger du péché. A cet égard, je voudrais souligner que, même si elle est adoucie depuis quelque temps, la discipline pénitentielle de l’Eglise ne peut être abandonnée sans grave dommage pour la vie intérieure des chrétiens et de la communauté ecclésiale, comme pour leur capacité de rayonnement missionnaire. Il n’est pas rare que des non-chrétiens soient surpris par la rareté du témoignage de vraie pénitence de la part des disciples du Christ. Il est clair, par ailleurs, que la pénitence chrétienne sera authentique dans la mesure où elle sera inspirée par l’amour, et non pas par la seule crainte, où elle consistera en un sérieux effort pour crucifier le « vieil homme » afin que puisse renaître « l’homme nouveau », grâce au Christ ; où elle suivra comme modèle le Christ qui, bien qu’innocent, choisit la voie de la pauvreté de la patience, de l’austérité et, on peut le dire, de la vie pénitente.
Des Pasteurs de l’Eglise, on attend encore, comme l’a rappelé le Synode, une catéchèse sur la conscience et sur sa formation. Il y a là encore un thème de grande actualité étant donné que, dans les soubresauts qui affectent la culture de notre temps, ce sanctuaire intérieur de l’homme, c’est-à-dire ce moi le plus intime de l’homme, sa conscience, se trouve trop souvent agressé, mis à l’épreuve, bouleversé, obscurci. Pour une catéchèse sérieuse sur la conscience, on peut trouver des indications précieuses aussi bien chez les Docteurs de l’Eglise que dans la théologie du Concile Vatican II et spécialement dans ses documents sur l’Eglise dans le monde contemporain(142) et sur la liberté religieuse(143). C’est dans cette ligne que le Pape Paul VI intervint souvent pour rappeler la nature et le rôle de la conscience dans notre vie(144). Pour ma part, en suivant ses traces, je ne laisse passer aucune occasion de faire la lumière sur ce qui fait partie au plus haut degré de la grandeur et de la dignité de l’homme(145), sur cette « sorte de sens moral qui nous amène à discerner ce qui est bien et ce qui est mal… comme un oeil intérieur, une faculté visuelle de l’esprit, capable de guider nos pas sur la voie du bien» ; j’ai rappelé également la nécessité de former de façon chrétienne sa propre conscience afin qu’elle ne devienne pas « une force destructrice de sa véritable humanité (de la personne), mais soit le saint lieu où Dieu lui révèle son vrai bien»(146).
C’est aussi sur d’autres points importants pour la réconciliation que l’on attend la catéchèse des Pasteurs de l’Eglise :
Sur le sens du péché qui, comme je l’ai dit, s’est passablement atténué dans notre monde.
Sur la tentation et sur les tentations : le Seigneur Jésus lui-même, le Fils de Dieu, « éprouvé en tout, d’une manière semblable à nous, a l’exception du péché»(147), voulut être tenté par le Mauvais(148), pour nous indiquer que, comme lui, les siens seraient eux aussi soumis à la tentation, et de même pour nous montrer comment il faut se comporter quand nous sommes tentés. Pour celui qui supplie le Père de ne pas être tenté au-delà de ses forces(149) et de ne pas succomber à la tentation(150), pour celui qui ne s’expose pas aux occasions de péché, le fait d’être soumis à la tentation ne signifie pas avoir péché, mais c’est plutôt une occasion de grandir dans la fidélité et dans la cohérence à travers l’humilité et la vigilance.
Sur le jeûne : il peut être pratiqué sous des formes anciennes ou nouvelles, comme signe de conversion, de repentir et de mortification personnelle et, en même temps, d’union avec le Christ crucifié et de solidarité avec ceux qui ont faim et ceux qui souffrent.
Sur l’aumône : elle est un moyen de concrétiser la charité, en partageant ce dont on dispose avec celui qui éprouve les conséquences de la pauvreté.
Sur le lien étroit qui existe entre le dépassement des divisions dans le monde et la pleine communion avec Dieu et entre les hommes, fin eschatologique de l’Eglise.
Sur les circonstances concrètes dans lesquelles doit se réaliser la réconciliation (dans la famille, dans la communauté civile, dans les structures sociales) et, en particulier, sur les quatre réconciliations qui réparent les quatre ruptures fondamentales : réconciliation de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création.
L’Eglise ne peut omettre, sans une grave mutilation de son message essentiel, particulier et universel, une catéchèse constante sur ce que le langage chrétien traditionnel désigne comme les quatre fins dernières de l’homme : la mort, le jugement (particulier et universel), l’enfer et le paradis ; dans un contexte culturel qui tend à enfermer l’homme dans le cadre de sa vie terrestre plus ou moins réussie, on demande aux Pasteurs de l’Eglise une catéchèse qui ouvre et éclaire avec les certitudes de la foi l’au-delà de la vie présente ; derrière les mystérieuses portes de la mort se profile une éternité de joie dans la communion avec Dieu ou de peine dans l’éloignement de Dieu. C’est seulement dans cette vision eschatologique que l’on peut avoir la mesure exacte du péché et se sentir poussé de façon décisive à la pénitence et à la réconciliation.
Les Pasteurs zélés et inventifs ne manqueront jamais de trouver les occasions de donner cette catéchèse dans son extension et sa variété, en tenant compte de la diversité de culture et de formation religieuse de ceux auxquels ils s’adressent. Les lectures bibliques et les rites de la messe et des autres sacrements en donnent souvent la possibilité, ainsi que les circonstances mêmes qui appellent leur célébration. De multiples initiatives peuvent être prises dans le même but, telles que les prédications, les conférences, les débats, les sessions et les cours de culture religieuse, etc., comme cela se fait en beaucoup d’endroits. Je désire signaler en particulier l’importance et l’efficacité des anciennes missions populaires, toujours pour cette même catéchèse. Si elles sont adaptées aux exigences particulières de notre temps, elles peuvent être, aujourd’hui comme hier, un instrument valable d’éducation dans la foi, notamment pour tout ce qui concerne la pénitence et la réconciliation.
Etant donné la grande importance de la réconciliation, fondée sur la conversion, dans le domaine délicat des rapports humains et de la vie sociale à tous les niveaux, y compris sur le plan international, la catéchèse ne peut négliger l’apport précieux de la doctrine sociale de l’Eglise. L’enseignement circonstancié et précis de mes prédécesseurs, depuis le Pape Léon XIII, auquel est venu s’adjoindre l’apport substantiel de la constitution pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II et celui des divers épiscopats sollicités d’intervenir en diverses circonstances connues par leurs pays, tout cela a constitué un corps de doctrine ample et solide touchant les multiples exigences inhérentes à la vie de la communauté humaine, aux rapports entre les individus, les familles et les groupes qui la composent, et a la constitution d’une société qui cherche à être cohérente avec la loi morale, fondement de la civilisation.
A la base de cet enseignement social de l’Eglise se trouve évidemment la vision qu’elle tire de la Parole de Dieu sur les droits et les devoirs des individus, de la famille et de la communauté ; sur la valeur de la liberté et les dimensions de la justice ; sur le primat de la charité ; sur la dignité de la personne humaine et les exigences du bien commun que doivent chercher à réaliser la politique et l’économie elle-même. C’est sur ces principes fondamentaux du magistere social, qui confirment et proposent à nouveau les lois universelles de la raison et de la conscience des peuples, que s’appuie en grande partie l’espérance d’une solution pacifique de multiples conflits sociaux et, en définitive, de la reconcfliation universelle.
Les sacrements
27. Le second moyen d’institution divine, que l’Eglise met à la disposition de la pastorale de la pénitence et de la réconciliation, est constitué par les sacrements.
Dans le dynamisme mystérieux des sacrements, si riches de symbolismes et de contenu, il est possible de percevoir un aspect qui n’est pas toujours mis en lumière : chacun d’eux est signe, non seulement de sa grâce propre, mais aussi de pénitence et de réconciliation, et il est donc possible de revivre en chacun d’eux ces dimensions spirituelles.
Il est certain que le baptême est un bain de salut : comme le dit saint Pierre, il a sa valeur, « non pas (comme) l’enlèvement d’une souillure charnelle, mais (comme) l’engagement envers Dieu d’une bonne conscience»(151). Il est à la fois mort, ensevelissement et résurrection avec le Christ mort, enseveli et ressuscité(152). Il est don de l’Esprit Saint à travers le Christ(153). Toutefois cet élément constitutif essentiel et original du baptême chrétien n’élimine pas, mais au contraire enrichit l’aspect pénitentiel déjà présent dans le baptême que Jésus lui-même reçut de Jean « pour accomplir toute justice»(154); autrement dit, il s’agit d’une conversion et d’une réintégration dans de justes rapports avec Dieu, de réconciliation avec Dieu, avec l’effacement de la tache originelle et l’insertion qui s’ensuit dans la grande famille des réconciliés.
De même, la confirmation, en tant d’ailleurs qu’achèvement du baptême et, avec lui, sacrement de l’initiation, en conférant la plénitude de l’Esprit Saint et en amenant la vie chrétienne à l’âge adulte, signifie et réalise par là même une conversion plus grande du cœur et une appartenance plus intime et plus effective à la même assemblée de réconciliés qu’est l’Eglise du Christ.
La définition que saint Augustin donne de l’Eucharistie comme « sacrement de la sanctification, signe d’unité, lien de charité » (« sacramentum pietatis, signum unitatis, vinculum caritatis »)(155) met clairement en lumière les effets de sanctification personnelle (pietas) et de réconciliation communautaire (unitas et caritas) qui découlent de l’essence même du mystère eucharistique en tant que renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix, source de salut et de réconciliation pour tous les hommes. Il est cependant nécessaire de rappeler que l’Eglise, guidée par la foi dans cet auguste sacrement, enseigne qu’aucun chrétien, conscient d’avoir commis un péché grave, ne peut recevoir l’Eucharistie avant d’avoir obtenu le pardon de Dieu. Comme on le lit dans l’instruction Eucharisticum mysterium, qui, dûment approuvée par Paul VI, confirme pleinement l’enseignement du Concile de Trente : « On présentera aux fidèles l’Eucharistie comme “l’antidote qui nous libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels”, et on leur indiquera la façon convenable d’user des parties pénitentielles de la liturgie de la messe. “On doit rappeler à qui veut communier le précepte : Que l’homme s’éprouve lui-même (1 Co 11, 28). La coutume de l’Eglise montre que cette épreuve est nécessaire, afin que tout homme, s’il a conscience d’un péché mortel, si contrit qu’il s’estime, ne s’approche pas de la sainte Eucharistie sans une confession sacramentelle préalable”; s’il se trouve en cas de nécessité et qu’il ne lui est pas possible de se confesser, qu’il fasse d’abord un acte de contrition parfaite»(156).
Le sacrement de l’Ordre est destiné à donner à l’Eglise des Pasteurs, qui ne sont pas seulement maîtres et guides, mais sont appelés à être témoins et artisans d’unité, constructeurs de la famille de Dieu, défenseurs et gardiens de la communion de cette famille contre les ferments de division et de dispersion.
Le sacrement du mariage, exaltation de l’amour humain sous l’action de la grâce, est signe de l’amour du Christ pour l’Eglise, certes, mais aussi de la victoire qu’il permet aux époux de remporter sur les forces qui déforment et détruisent l’amour, de telle sorte que la famille, née de ce sacrement, devienne également signe de l’Eglise réconciliée et réconciliatrice pour un monde réconcilié dans toutes ses structures et ses institutions.
L’onction des malades, enfin, dans l’épreuve de la maladie et de la vieillesse, et spécialement à l’heure finale de la vie du chrétien, est un signe de la conversion définitive au Seigneur, comme aussi de la totale acceptation de la douleur et de la mort comme pénitence pour les péchés. En cela se réalise la suprême réconciliation avec le Père.
Toutefois, parmi les sacrements, il en est un qui, souvent appelé confession en raison de l’accusation des péchés qu’il comporte, peut être considéré de façon plus appropriée comme le sacrement de la Pénitence par antonomase – c’est en effet ainsi qu’on le désigne – et il est donc le sacrement de la conversion et de la réconciliation. La récente Assemblée du Synode a particulièrement traité de ce sacrement, vu l’importance qu’il revêt pour la réconciliation.
CHAPITRE II – LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION
28. Dans toutes les phases et à tous les niveaux de son déroulement, le Synode a porté la plus grande attention au signe sacramentel qui représente et en même temps réalise la pénitence et la réconciliation. Assurément, ce sacrement n’épuise pas en lui-même les concepts de conversion et de réconciliation. L’Eglise, en effet, connaît et valorise depuis ses origines des formes nombreuses et variées de pénitence : certaines de type liturgique ou paraliturgique, qui vont de l’acte pénitentiel de la messe aux cérémonies pour implorer le pardon et aux pèlerinages ; d’autres de caractère ascétique, comme le jeûne. Cependant, parmi tous ces actes, aucun n’est plus significatif, plus divinement efficace, ni plus élevé et en même temps plus accessible au sein du rite lui-même que le sacrement de Pénitence.
Dès sa préparation, et ensuite au long des nombreuses interventions qui eurent lieu pendant son déroulement, dans les travaux de groupe et dans les Propositions finales, le Synode a tenu compte de cette affirmation bien des fois répétée, avec des diversités de ton et de contenu : le sacrement de Pénitence traverse une crise, et le Synode en a pris acte. Il a recommandé une catéchèse approfondie, mais également une analyse non moins approfondie de caractère théologique, historique, psychologique, sociologique et juridique sur la pénitence en général et sur le sacrement de Pénitence en particulier. Il a cherché ainsi à éclaircir les causes de la crise et à ouvrir la voie à une solution positive pour le plus grand bien de l’humanité. En même temps, du Synode lui-même l’Eglise a reçu une claire confirmation de sa foi en ce qui concerne le sacrement qui donne à tout chrétien et à la communauté entière des croyants la certitude du pardon grâce à la puissance du sang rédempteur du Christ.
Il est bon de renouveler et de réaffirmer cette foi à une époque où elle pourrait s’affaiblir, perdre quelque chose de son intégrité ou entrer dans une zone d’ombre et de silence, menacée comme elle l’est par la crise déjà mentionnée en ce qu’elle a de négatif. En effet, le sacrement de la confession est en butte à de nombreuses menaces : d’un côté, l’obscurcissement de la conscience morale et religieuse, la diminution du sens du péché, la déformation de la notion de repentir, l’élan insuffisant vers une vie authentiquement chrétienne ; d’un autre côté, la mentalité répandue ici ou là selon laquelle on pourrait obtenir le pardon directement de Dieu, même de façon ordinaire, sans s’approcher du sacrement de la Réconciliation, et aussi la routine d’une pratique sacramentelle qui manque parfois de ferveur et de spontanéité spirituelle, cette routine étant due peut-être à une conception erronée et détournée de son vrai sens en ce qui concerne les effets du sacrement.
Il convient donc de rappeler les principaux aspects de ce grand sacrement.
« Ceux à qui vous les remettrez »
29. La première donnée fondamentale nous vient des Livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament à propos de la miséricorde du Seigneur et de son pardon. Dans les psaumes et la prédication des prophètes, le terme miséricordieux est peut-être le terme le plus souvent attribué au Seigneur, contrairement au cliché persistant qui présente le Dieu de l’Ancien Testament surtout comme un Dieu sévère et punisseur. Ainsi, parmi les psaumes, un long exposé sapientiel, se rapportant à la tradition de l’Exode, rappelle l’action bienveillante de Dieu au milieu de son peuple. Cette action, même dans sa représentation anthropomorphique, est peut-être l’une des proclamations les plus éloquentes de la miséricorde divine dans l’Ancien Testament. Il suffit de rappeler ici les versets : « Et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait ; maintes fois, il retint sa colère au lieu de réveiller sa violence. Il se rappelait : ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour»(157).
A la plénitude des temps, le Fils de Dieu, venant comme l’Agneau qui enlève et porte sur lui le péché du monde(158), apparaît comme celui qui possède le pouvoir aussi bien de juger(159) que de pardonner les péchés(160); et il est venu non pour condamner mais pour pardonner et sauver(161).
Or, ce pouvoir de remettre les péchés, Jésus l’a conféré, par l’Esprit Saint, à de simples hommes, eux-mêmes sujets aux assauts du péché, à savoir à ses Apôtres : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus»(162). C’est là une des nouveautés évangéliques les plus formidables ! En conférant ce pouvoir aux Apôtres, Jésus leur donne la faculté de le transmettre, comme l’Eglise l’a compris dès l’aube de son existence, à leurs successeurs, investis par les Apôtres eux-mêmes de la mission et de la responsabilité de continuer leur œuvre d’annonciateurs de l’Evangile et de ministres de la Rédemption du Christ.
Ici apparaît dans toute sa grandeur la figure du ministre du sacrement de Pénitence, appelé confesseur selon une coutume très ancienne.
Comme à l’autel où il célèbre l’Eucharistie, et comme en chacun des sacrements, le prêtre, ministre de la Pénitence, agit « in persona Christi ». Le Christ, qui est rendu présent par le prêtre et qui accomplit par lui le mystère de la rémission des péchés, apparaît bien comme frère de l’homme(163), pontife miséricordieux, fidèle et compatissant(164), pasteur toujours à la recherche de la brebis perdue(165), médecin qui guérit et réconforte(166), maître unique qui enseigne la vérité et montre les chemins de Dieu(167), juge des vivants et des morts(168), qui juge selon la vérité et non d’après les apparences(169).
Ce ministère du prêtre est sans aucun doute le plus difficile et le plus délicat, le plus fatigant et le plus exigeant, mais aussi l’un des plus beaux et des plus consolants ; c’est précisément pour cela que, attentif au rappel très fort du Synode, je ne me lasserai jamais de rappeler à mes frères évêques et prêtres l’accomplissement fidèle et assidu de ce ministère(170). Face à la conscience du fidèle, qui s’ouvre à lui avec un mélange de crainte et de confiance, le confesseur est appelé à une tâche élevée qui consiste à servir la pénitence et la réconciliation humaine, à savoir connaître les faiblesses et les chutes de ce fidèle, évaluer son désir de se reprendre et les efforts nécessaires pour y parvenir, discerner l’action de l’Esprit sanctificateur dans son cœur, lui transmettre un pardon que Dieu seul peut accorder, « célébrer » sa réconciliation avec le Père, telle que la présente la parabole du fils prodigue, réinsérer ce pécheur libéré dans la communion ecclésiale avec ses frères, admonester paternellement ce pénitent en l’encourageant fermement et amicalement : « Va, désormais ne pèche plus!»(171).
Pour l’accomplissement efficace de ce ministère, le confesseur doit nécessairement posséder des qualités humaines de prudence, de discrétion, de discernement, de fermeté tempérée par la douceur et la bonté. Il doit avoir aussi une préparation sérieuse, non point fragmentaire mais complète et cohérente dans les divers secteurs de la théologie, dans les domaines de la pédagogie et de la psychologie, de la méthodologie du dialogue, et surtout en matière de connaissance profonde et communicative de la Parole de Dieu. Mais il est encore plus nécessaire que le confesseur soit animé d’une vie spirituelle intense et sincère. Pour conduire les autres sur la voie de la perfection chrétienne, le ministre de la Pénitence doit le premier parcourir lui-même ce chemin et donner – plus par des actes que par d’abondants discours – des preuves d’expérience réelle de l’oraison vécue, de pratique des vertus évangéliques théologales et morales, d’obéissance fidèle à la volonté de Dieu, d’amour de l’Eglise et de docilité à son Magistère.
Tout cet ensemble de qualités humaines, de vertus chrétiennes et de compétences pastorales ne s’improvise pas et ne s’acquiert pas sans effort. Pour le ministère de la Pénitence sacramentelle, tout prêtre doit être préparé dès ses années de séminaire, non seulement par l’étude de la théologie dogmatique, morale, spirituelle et pastorale (ce qui ne forme qu’une seule théologie), mais aussi par les sciences de l’homme, la méthodologie du dialogue, et spécialement de l’entretien pastoral. Il faudra ensuite qu’il se lance et qu’il soit soutenu dans ses premières expériences. Lui-même devra veiller à son propre perfectionnement, à la mise à jour de sa formation par l’étude permanente. Quel trésor de grâce, de vie véritable et de rayonnement spirituel ne retomberait-il pas sur l’Eglise, si chaque prêtre veillait à ne jamais manquer, par négligence ou sous divers prétextes, le rendez-vous avec les fidèles au confessionnal, et veillait avec encore plus de soin à ne jamais s’y rendre sans préparation, ou démuni des qualités humaines indispensables et des conditions spirituelles et pastorales.
A ce propos, je ne puis manquer d’évoquer, avec une respectueuse admiration, les figures de certains apôtres extraordinaires du confessionnal, tels que saint Jean Népomucène, saint Jean-Marie Vianney, saint Joseph Cafasso et saint Léopold de Castelnuovo, pour ne parler que des plus connus, inscrits par l’Eglise au nombre des saints. Mais je désire rendre hommage également à l’innombrable foule de saints confesseurs, presque toujours anonymes, auxquels est dû le salut de tant d’âmes qu’ils ont aidées à se convertir, à lutter contre le péché et les tentations, à progresser spirituellement et, en définitive, à se sanctifier. Je n’hésite pas à dire que les grands saints canonisés sont généralement eux aussi issus de cette pratique de la confession, et, avec eux, le patrimoine spirituel de l’Eglise et l’épanouissement d’une civilisation imprégnée d’esprit chrétien. Honneur soit donc rendu à cette cohorte silencieuse de nos confrères qui ont bien servi et servent chaque jour la cause de la réconciliation par le ministère de la Pénitence sacramentelle !
Le sacrement du Pardon
30. La révélation de la valeur de ce ministère, et du pouvoir de remettre les péchés conféré aux Apôtres et à leurs successeurs par le Christ, a fait se développer dans l’Eglise la conscience du signe du pardon donné par le sacrement de Pénitence. Il s’agit de la certitude que le Seigneur Jésus lui-même a institué et confié à l’Eglise – comme don de sa bienveillance et de son « amour pour les hommes »(172) à proposer à tous – un sacrement spécial pour la rémission des péchés commis après le baptême.
La pratique de ce sacrement, quant à sa célébration et à sa forme, a connu un long processus de développement, comme l’attestent les sacramentaires les plus anciens, les Actes des Conciles et des Synodes épiscopaux, la prédication des Pères et l’enseignement des Docteurs de l’Eglise. Mais, en ce qui concerne la substance du sacrement, la certitude que, par la volonté du Christ, le pardon est offert à chacun au moyen de l’absolution sacramentelle donnée par les ministres de la Pénitence, est toujours demeurée solide et inchangée dans la conscience de l’Eglise ; et cette certitude est réaffirmée vigoureusement aussi bien par le Concile de Trente(173) que par le Concile Vatican II : « Ceux qui s’approchent du sacrement de Pénitence y reçoivent de la miséricorde de Dieu le pardon de l’offense qu’ils lui ont faite et du même coup sont réconciliés avec l’Eglise que leur péché a blessée et qui, par la charité, l’exemple, les prières, travaille à leur conversion»(174). On doit réaffirmer comme une donnée essentielle de la foi sur la valeur et le but de la Pénitence, que notre Sauveur Jésus Christ institua dans son Eglise le sacrement de Pénitence, afin que les fidèles tombés dans le péché après leur baptême puissent recevoir la grâce et se réconcilier avec Dieu(175).
La foi de l’Eglise dans ce sacrement comporte quelques autres vérités fondamentales qu’on ne peut éluder. Le rite sacramentel de la Pénitence, dans son évolution et les variations de ses formes concrètes, a toujours conservé et mis en lumière ces vérités. Le Concile Vatican II, en prescrivant la réforme de ce rite, avait en vue une expression encore améliorée de ces vérités(176) et cela s’est réalisé grâce au nouveau Rituel de la Pénitence(177). Celui-ci, en effet, a repris dans son intégrité la doctrine de la tradition formulée par le Concile de Trente, en la transférant de son contexte historique (celui d’un effort déterminé de clarification doctrinale face à de graves déviations par rapport à l’enseignement authentique de l’Eglise) pour l’exprimer fidèlement en termes plus adaptés au contexte de notre époque.
Quelques convictions fondamentales
31. Les vérités susdites, rappelées avec force et clarté par le Synode et incluses dans les Propositions, peuvent se synthétiser dans les convictions de foi suivantes, auxquelles se rattachent toutes les autres affirmations de la doctrine catholique sur le sacrement de Pénitence.
I. La première conviction est que, pour un chrétien, le sacrement de Pénitence est la voie ordinaire pour obtenir le pardon et la rémission des péchés graves commis après le baptême. Assurément, le Sauveur et son œuvre salvifique ne sont pas liés à quelque signe sacramentel au point de ne pouvoir, en n’importe quel moment et domaine de l’histoire du salut, agir en dehors et au-dessus des sacrements. Mais à l’école de la foi, nous apprenons que le même Sauveur a voulu et disposé que les humbles et précieux sacrements de la foi soient ordinairement les moyens efficaces par lesquels passe et agit sa puissance rédemptrice. Il serait donc insensé et pas seulement présomptueux de vouloir laisser arbitrairement de côté des instruments de grâce et de salut que le Seigneur a institués et, en l’occurrence, de prétendre recevoir le pardon sans recourir au sacrement institué par le Christ précisément en vue du pardon. Le renouveau des rites, effectué après le Concile, n’autorise aucune illusion ni aucune altération dans ce sens. Ce renouveau devait et doit servir, selon l’intention de l’Eglise, à susciter en chacun de nous un nouvel élan en vue du renouvellement de notre attitude intérieure, je veux dire en vue d’une compréhension plus profonde de la nature du sacrement de Pénitence, de sa réception plus imprégnée de foi, sans anxiété mais pleine de confiance, d’une fréquentation plus assidue du sacrement que l’on sait débordant de l’amour miséricordieux du Seigneur.
II. La deuxième conviction concerne la fonction du sacrement de Pénitence pour celui qui y recourt. Selon la conception la plus ancienne de la Tradition, ce sacrement est une sorte d’action judiciaire ; mais celle-ci se déroule auprès d’un tribunal de miséricorde, plus que d’étroite et rigoureuse justice, ce tribunal n’étant donc comparable aux tribunaux humains que par analogie(178), en ce sens que le pécheur y dévoile ses péchés et sa situation de créature sujette au péché ; et ce pécheur s’engage à renoncer au péché et à le combattre, il accepte la peine (pénitence sacramentelle) que le confesseur lui impose et il reçoit l’absolution de ses fautes.
Mais, en réfléchissant sur la fonction de ce sacrement, la conscience de l’Eglise y voit, en plus du caractère judiciaire dans le sens déjà évoqué, un aspect thérapeutique ou médicinal. Et ceci se rattache au fait de la présentation du Christ comme médecin(179), fréquente dans l’Evangile, son œuvre rédemptrice étant d’ailleurs souvent appelée, depuis l’antiquité chrétienne, « remède de salut ». « Je veux soigner et non accuser », disait saint Augustin en se référant à l’exercice de la pastorale pénitentielle(180), et c’est grâce au remède de la conversion que l’expérience du péché ne dégénère pas en désespoir(181). Le Rituel de la Pénitence fait allusion à cet aspect médicinal du sacrement(182), auquel l’homme contemporain est peut-être plus sensible, en voyant dans le péché ce qu’il comporte d’erreur et plus encore ce qu’il manifeste sur le plan de la faiblesse et de l’infirmité humaines.
Tribunal de miséricorde ou lieu de guérison spirituelle, sous les deux aspects en même temps, le sacrement exige une connaissance de la vie intime du pécheur, pour pouvoir le juger et l’absoudre, pour le soigner et le guérir. C’est justement pour cela que le sacrement implique, de la part du pénitent, l’accusation sincère et complète des péchés, motivée non seulement par des fins ascétiques (celles de l’humilité et de la mortification), mais par la nature même du sacrement.
III. La troisième conviction que je tiens à faire ressortir concerne les réalités ou les éléments qui composent le signe sacramentel du pardon et de la réconciliation. Quelques-unes de ces réalités sont des actes du pénitent, d’importance diverse, chacun étant toutefois indispensable ou bien à la validité, ou bien à l’intégrité, ou bien à la fécondité du signe.
Une condition indispensable est, avant tout, la rectitude et la limpidité de la conscience du pénitent. On ne s’achemine pas vers une véritable pénitence tant qu’on ne se rend pas compte que le péché est contraire à la norme éthique inscrite au plus intime de l’être(183), tant qu’on n’avoue pas avoir fait l’expérience personnelle et coupable d’une telle opposition, tant qu’on ne dit pas seulement « c’est un péché », mais « j’ai péché », tant qu’on n’admet pas que le péché a introduit dans la conscience une rupture qui envahit tout l’être et le sépare de Dieu et du prochain. Le signe sacramentel de cette transparence de la conscience est l’acte traditionnellement appelé examen de conscience, acte qui doit toujours être, non point une introspection psychologique angoissée, mais la confrontation sincère et sereine avec la loi morale intérieure, avec les normes évangéliques proposées par l’Eglise, avec le Christ Jésus lui-même, notre Maître et notre modèle de vie, et avec le Père céleste, qui nous appelle au bien et à la perfection(184).
Mais l’acte essentiel de la Pénitence, de la part du pénitent, est la contrition, à savoir un rejet net et ferme du péché commis, en même temps que la résolution de ne plus le commettre(185) à cause de l’amour que l’on a pour Dieu et qui renaît avec le repentir. Ainsi comprise, la contrition est donc le principe et l’âme de la conversion, de cette metánoia évangélique qui ramène l’homme à Dieu, à la manière du fils prodigue revenant vers son père, et qui a dans le sacrement de Pénitence son signe visible, où l’attrition trouve son accomplissement. C’est pourquoi, « de cette contrition du cœur dépend la vérité de la pénitence»(186).
En renvoyant à tout ce que l’Eglise, inspirée par la Parole de Dieu, enseigne sur la contrition, je tiens à souligner ici un seul aspect de cette doctrine qu’il importe de mieux connaître et d’avoir présent à l’esprit. On considère souvent la conversion et la contrition sous l’aspect des exigences incontestables qu’elles comportent, et de la mortification qu’elles imposent en vue d’un changement radical de vie. Mais il est bon de rappeler et de souligner que contrition et conversion sont plus encore que cela : c’est s’approcher de la sainteté de Dieu, c’est retrouver sa propre vérité intérieure, troublée et même bouleversée par le péché, c’est se libérer au plus profond de soi-même, et par suite recouvrer la joie perdue, la joie d’être sauvé(187), que la majorité de nos contemporains ne sait plus apprécier.
On comprend donc que, dès les débuts du christianisme, en lien avec les Apôtres et avec le Christ, l’Eglise ait inclus dans le signe sacramentel de la Pénitence l’accusation des fautes. Celle-ci paraît si importante que, depuis des siècles, le nom habituellement donné au sacrement a été et est toujours celui de confession. L’accusation des péchés est avant tout exigée par la nécessité que le pécheur soit connu par celui qui exerce le rôle de juge dans le sacrement, car il lui revient d’évaluer aussi bien la gravité des péchés que le repentir du pénitent. Et, exerçant également le rôle de médecin, il a besoin de connaître l’état du malade pour le soigner et le guérir. Mais la confession individuelle a aussi la valeur de signe : signe de la rencontre du pécheur avec la médiation de l’Eglise dans la personne du ministre ; signe qu’il se reconnaît pécheur devant Dieu et devant l’Eglise, qu’il fait la clarté sur lui-même sous le regard de Dieu. L’accusation des péchés ne saurait donc être réduite à une tentative quelconque d’autolibération psychologique, même si elle répond à un besoin légitime et naturel de se confier à quelqu’un, besoin inscrit dans le cœur humain. L’accusation est un geste liturgique, solennel par son aspect quelque peu dramatique, humble et sobre dans la grandeur de sa signification. C’est vraiment le geste du fils prodigue, qui revient vers son Père et qui est accueilli par lui avec un baiser de paix ; c’est un geste de loyauté et de courage ; c’est un geste de remise de soi-même, au-delà du péché, à la miséricorde qui pardonne(188). On comprend alors pourquoi l’accusation des fautes doit être ordinairement individuelle et non collective, de même que le péché est un fait profondément personnel. Mais en même temps, cette accusation arrache d’une certaine façon le péché des secrètes profondeurs du cœur et donc du cercle de la pure individualité, en mettant aussi en relief son caractère social : en effet, par l’entremise du ministre de la Pénitence, c’est la Communauté ecclésiale, lésée par le péché, qui accueille de nouveau le pécheur repenti et pardonné.
L’autre moment essentiel du sacrement de Pénitence est, cette fois, du ressort du confesseur juge et médecin, image du Dieu-Père qui accueille et pardonne celui qui revient : c’est l’absolution. Les paroles qui l’expriment et les gestes qui l’accompagnent dans l’ancien et dans le nouveau Rituel de la Pénitence revêtent une simplicité significative dans leur grandeur. La formule sacramentelle : « Je te pardonne …», et l’imposition de la main suivie du signe de la croix tracé sur le pénitent, manifestent qu’en cet instant le pécheur contrit et converti entre en contact avec la puissance et la miséricorde de Dieu. C’est le moment où la Trinité, en réponse au pénitent, se rend présente à lui pour effacer son péché et lui redonner son innocence ; et la force salvifique de la Passion, de la Mort et de la Résurrection de Jésus est communiquée au même pénitent, en tant que « miséricorde plus forte que la faute et que l’offense », comme j’ai eu l’occasion de le préciser dans l’encyclique Dives in misericordia. Dieu est toujours le principal offensé par le péché – « contre Toi seul, j’ai péché » – et Dieu seul peut pardonner. C’est pourquoi, l’absolution que le prêtre, ministre du pardon, tout en étant lui-même pécheur, accorde au pénitent, est le signe efficace de l’intervention du Père dans toute absolution et de cette « résurrection » de la « mort spirituelle » qui se renouvelle chaque fois qu’est donné le sacrement de Pénitence. Seule la foi peut assurer qu’en cet instant tout péché est remis et effacé par la mystérieuse intervention du Sauveur.
La satisfaction est l’acte final qui couronne le signe sacramentel de la Pénitence. Dans certains pays, ce que le pénitent pardonné et absous accepte d’accomplir après avoir reçu l’absolution s’appelle précisément pénitence. Quel est le sens de cette satisfaction dont on s’acquitte, ou de cette pénitence que l’on accomplit ? Ce n’est assurément pas le prix que l’on paye pour le péché absous et pour le pardon acquis : aucun prix humain n’est équivalent à ce qui est obtenu, fruit du sang très précieux du Christ. Les actes de la satisfaction – qui, tout en conservant un caractère de simplicité et d’humilité, devraient mieux exprimer tout ce qu’ils signifient – sont l’indice de choses importantes : ils sont le signe de l’engagement personnel que le chrétien a pris devant Dieu, dans le sacrement, de commencer une existence nouvelle (et c’est pourquoi ils ne devraient pas se réduire seulement à quelques formules à réciter, mais consister dans des œuvres de culte, de charité, de miséricorde, de réparation); ces actes de la satisfaction incluent l’idée que le pécheur pardonné est capable d’unir sa propre mortification corporelle et spirituelle, voulue ou au moins acceptée, à la Passion de Jésus qui lui a obtenu le pardon ; ils rappellent que, même après l’absolution, il demeure dans le chrétien une zone d’ombre résultant des blessures du péché, de l’imperfection de l’amour qui imprègne le repentir, de l’affaiblissement des facultés spirituelles dans lesquelles agit encore ce foyer d’infection qu’est le péché, qu’il faut toujours combattre par la mortification et la pénitence. Telle est la signification de la satisfaction humble mais sincère(189).
IV. Il reste à faire une brève allusion aux autres convictions importantes relatives au sacrement de Pénitence.
Avant tout, il importe de redire que rien n’est plus personnel et intime que ce sacrement, dans lequel le pécheur se trouve seul face à Dieu avec sa faute, son repentir et sa confiance. Personne ne peut se repentir à sa place ou demander pardon en son nom. Il y a une certaine solitude du pécheur dans sa faute, que l’on peut voir comme dramatiquement figurée par Caïn avec son péché « tapi à sa porte », selon l’expression si suggestive du Livre de la Genèse, et avec le signe particulier gravé sur son front(190); figurée également par David, réprimandé par le prophète Nathan(191); ou encore par le fils prodigue, lorsqu’il prend conscience de la situation où il s’est mis en s’éloignant de son père, et qu’il décide de revenir vers lui(192): tout se déroule seulement entre l’homme et Dieu. Mais, en même temps, on ne peut nier la dimension sociale de ce sacrement, dans lequel l’Eglise entière, qu’elle soit militante, souffrante ou dans la gloire du Ciel, vient au secours du pénitent et l’accueille de nouveau en son sein, d’autant plus que toute l’Eglise était offensée et blessée par son péché. Le prêtre, ministre de la Pénitence, apparaît, en vertu de la charge sacrée qui lui est propre, comme témoin et représentant de ce caractère ecclésial. Ce sont ces deux aspects complémentaires du sacrement, individuel et ecclésial, que la réforme progressive du rite de la Pénitence, spécialement l’Ordo Paenitentiae promulgué par Paul VI, a cherché à mettre en relief et à rendre plus significatifs dans la célébration.
V. Il importe de souligner ensuite que le fruit le plus précieux du pardon obtenu dans le sacrement de Pénitence consiste dans la réconciliation avec Dieu : celle-ci se produit dans le secret du cœur du fils prodigue et retrouvé qu’est chaque pénitent. Il faut évidemment ajouter que cette réconciliation avec Dieu a pour ainsi dire comme conséquences d’autres réconciliations, qui portent remède à autant de ruptures causées par le péché : le pénitent pardonné se réconcilie avec lui-même dans les profondeurs de son être, où il retrouve sa vérité intérieure ; il se réconcilie avec ses frères, agressés et lésés par lui en quelque sorte ; il se réconcilie avec l’Eglise ; il se réconcilie avec toute la création. La prise de conscience de tout cela fait naître chez le pénitent, au terme de la célébration, un sentiment de gratitude envers Dieu pour le don de la miséricorde qu’il a reçue. C’est à cette action de grâce que l’Eglise l’invite.
Tout confessionnal est un lieu privilégié et béni d’où, une fois les divisions effacées, naît un homme réconcilié, nouveau et sans tache, un monde réconcilié !
VI. Enfin, une dernière considération me tient à cœur. Elle nous concerne tous, nous prêtres, qui sommes ministres du sacrement de Pénitence, mais qui sommes aussi – et qui devons être – ses bénéficiaires. La vie spirituelle et pastorale du prêtre, comme celle de ses frères laïcs et religieux, dépend, pour sa qualité et sa ferveur, de la pratique personnelle, assidue et consciencieuse, du sacrement de Pénitence(193). La célébration de l’Eucharistie et le ministère des autres sacrements, le zèle pastoral, les relations avec les fidèles, la communion avec ses frères prêtres, la collaboration avec l’évêque, la vie de prière, en un mot toute la vie sacerdotale subit un déclin inévitable si lui-même, par négligence ou pour tout autre motif, ne recourt pas, de façon régulière et avec une foi et une piété authentiques, au sacrement de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se confesserait plus ou se confesserait mal, son être sacerdotal et son action sacerdotale s’en ressentiraient vite, et la communauté elle-même dont il est le pasteur ne manquerait pas de s’en rendre compte.
Mais j’ajoute aussi que, même pour être un bon ministre, un ministre efficace de la Pénitence, le prêtre a besoin de recourir à la source de grâce et de sainteté présente dans ce sacrement. Nous, prêtres, à partir de notre expérience personnelle, nous pouvons dire en vérité que, dans la mesure où nous veillons à recourir au sacrement de Pénitence et à nous en approcher fréquemment et dans de bonnes dispositions, nous remplissons mieux notre propre ministère de confesseurs et en assurons le bénéfice aux pénitents. Par contre, ce ministère perdrait beaucoup de son efficacité si de quelque manière nous négligions d’être de bons pénitents. Telle est la logique interne de ce grand sacrement. Ce sacrement nous invite tous, nous, prêtres du Christ, à prêter une attention renouvelée à notre confession personnelle.
A son tour, cette expérience personnelle devient et doit devenir aujourd’hui un stimulant pour l’exercice diligent, régulier, patient et fervent du ministère sacré de la Pénitence, auquel nous sommes obligés en vertu de notre sacerdoce, de notre vocation qui fait de nous des pasteurs et des serviteurs de nos frères. Aussi, par la présente exhortation, j’adresse un appel insistant à tous les prêtres du monde, spécialement à mes frères dans l’épiscopat et aux curés, pour qu’ils favorisent de toutes leurs forces la fréquentation de ce sacrement par les fidèles, pour qu’ils mettent en œuvre tous les moyens possibles et adéquats et qu’ils essayent tous les chemins susceptibles de faire parvenir au plus grand nombre de nos frères la grâce qui nous a été donnée par la Pénitence en vue de la réconciliation de chaque personne et du monde entier avec Dieu dans le Christ.
Les formes de la célébration
32. Fidèle aux indications du Concile Vatican II, l’Ordo Paenitentiae a prévu trois rites qui, les éléments essentiels étant saufs, permettent d’adapter la célébration du sacrement de Pénitence à des circonstances pastorales déterminées.
La première forme – réconciliation individuelle des pénitents – constitue l’unique manière normale et ordinaire de célébrer ce sacrement, et on ne peut ni ne doit la laisser tomber en désuétude ou la négliger. La deuxième – réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution individuelles – même si, dans sa préparation, elle permet de souligner davantage les aspects communautaires du sacrement, rejoint la première forme dans l’acte culminant du sacrement, à savoir la confession et l’absolution individuelles des péchés, et par conséquent elle peut être assimilée à la première forme en ce qui concerne la normalité du rite. Par contre, la troisième - réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales – revêt un caractère d’exception ; elle n’est donc pas laissée au libre choix, mais elle est réglementée par une discipline spéciale.
La première forme permet la valorisation des aspects plus personnels – et essentiels – que comporte l’itinéraire pénitentiel. Le dialogue entre le pénitent et le confesseur, l’ensemble des éléments utilisés (les textes bibliques, le choix des formes de la « satisfaction », etc.) permettent à la célébration sacramentelle de mieux répondre à la situation concrète du pénitent. On voit bien la valeur de ces éléments lorsqu’on pense aux diverses raisons qui poussent un chrétien à la pénitence sacramentelle : un besoin d’être personnellement réconcilié et d’être admis à nouveau dans l’amitié de Dieu, en retrouvant la grâce perdue par suite du péché ; un besoin de vérifier son cheminement spirituel et, parfois, de discerner de façon plus précise sa vocation ; en beaucoup d’autres cas, un besoin et un désir de sortir d’un état d’apathie spirituelle et de crise religieuse. Par ailleurs, grâce à son caractère individuel, la première forme de célébration permet d’associer le sacrement de Pénitence à une pratique qui s’en distingue, mais qui peut bien lui être associée : je veux dire la direction spirituelle. Il est donc certain que cette première forme permet d’exprimer clairement et de promouvoir la décision et l’effort personnels.
La deuxième forme de célébration, précisément par son caractère communautaire et la façon dont elle se déroule, met en relief quelques aspects de grande importance : la Parole de Dieu, écoutée en commun, a un autre effet que la lecture faite individuellement, et elle souligne mieux le caractère ecclésial de la conversion et de la réconciliation. Elle revêt une signification particulière dans les divers moments de l’année liturgique et à l’occasion des événements présentant un intérêt pastoral spécial. Il suffit de mentionner ici qu’il importe d’avoir un nombre suffisant de confesseurs pour sa célébration.
Il est donc naturel que les critères permettant de décider à laquelle des deux formes de célébration on doit recourir soient dictés, non par des motivations conjoncturelles et subjectives, mais par la volonté d’obtenir le véritable bien spirituel des fidèles, en obéissant à la discipline pénitentielle de l’Eglise.
Il sera bon de rappeler également que, pour une orientation spirituelle et pastorale équilibrée en ce domaine, il est nécessaire, comme l’attestent une tradition doctrinale et une pratique désormais séculaires, de continuer à considérer comme très important le recours au sacrement de Pénitence même pour les seuls péchés véniels, et à y éduquer les fidèles.
Tout en sachant et en enseignant que les péchés véniels sont pardonnés aussi par d’autres voies – on peut penser aux actes de contrition, aux œuvres de charité, à la prière, aux rites pénitentiels – , l’Eglise ne cesse de rappeler à tous la richesse singulière de l’acte sacramentel, même par rapport à de tels péchés. Le recours fréquent au sacrement – auquel sont tenus plusieurs catégories de fidèles – renforce la conscience que même les péchés moins importants offensent Dieu et blessent l’Eglise, le corps du Christ, et sa célébration fournit aux fidèles « une occasion et un stimulant pour se conformer plus intimement au Christ et pour se faire plus dociles à la voix de l’Esprit»(194). Surtout, il faut le souligner, la grâce propre de la célébration sacramentelle a une plus grande vertu thérapeutique et contribue à enlever les racines mêmes du péché.
Le soin apporté à la célébration(195), avec une attention particulière à la Parole de Dieu lue, rappelée et expliquée aux fidèles et avec les fidèles lorsque c’est possible et opportun, contribuera à vivifier la pratique du sacrement et à l’empêcher de tomber dans quelque chose de formel et de routinier. Le pénitent sera plutôt aidé à découvrir qu’il est en train de vivre un événement du salut capable de susciter en son cœur un nouvel élan de vie et une véritable paix. Ce soin apporté à la célébration amènera, entre autres, à fixer dans chacune des Eglises des moments réservés à la célébration du sacrement, et à éduquer les chrétiens, en particulier les enfants et les jeunes, à s’y conformer habituellement, sauf les cas de nécessité pour lesquels le pasteur d’âmes devra toujours se montrer prêt à accueillir volontiers ceux qui recourent à lui.
La célébration du sacrement avec absolution générale
33. Dans les nouvelles règles liturgiques et, plus récemment, dans le nouveau Code de droit canonique(196) se trouvent précisées les conditions qui légitiment le recours au « rite de la réconciliation de plusieurs pénitents avec confession et absolution générales ». Les normes et les dispositions établies sur ce point, fruit d’une réflexion mûrie et équilibrée, doivent être accueillies et appliquées en évitant toute interprétation arbitraire.
Il convient de réfléchir de manière plus approfondie aux motivations qui imposent la célébration de la Pénitence selon l’une des deux premières formes et qui permettent le recours à la troisième forme. Il y a, avant tout, une motivation de fidélité à la volonté du Seigneur Jésus, transmise par l’Eglise dans sa doctrine et également d’obéissance aux lois de l’Eglise. Le Synode a rappelé dans l’une de ses Propositions l’enseignement inchangé que l’Eglise a puisé dans la Tradition la plus ancienne, et la loi dans laquelle elle a codifié l’ancienne pratique pénitentielle : la confession individuelle et intégrale des péchés avec absolution également individuelle constitue l’unique moyen ordinaire qui permet au fidèle, conscient de péché grave, d’être réconcilié avec Dieu et avec l’Eglise. De cette confirmation nouvelle de l’enseignement de l’Eglise il ressort clairement que tout péché grave doit être toujours avoué, avec ses circonstances déterminantes, dans une confession individuelle.
Il y a ensuite une motivation d’ordre pastoral. S’il est vrai que, lorsque se vérifient les conditions requises par la discipline canonique, on peut faire usage de la troisième forme de célébration, on ne saurait pourtant oublier que cette forme ne peut devenir une forme ordinaire et qu’elle ne peut ni ne doit être employée, comme l’a répété le Synode, si ce n’est « en cas de grave nécessité », restant ferme l’obligation de confesser individuellement les péchés graves avant de recourir de nouveau à une autre absolution générale. Par conséquent l’Evêque, auquel seul il appartient, dans le cadre de son diocèse, de juger si les conditions établies par la loi canonique pour l’usage de la troisième forme existent concrètement, donnera ce jugement – sa conscience étant gravement engagée – dans le plein respect de la loi et de la pratique de l’Eglise et en tenant compte, par ailleurs, des critères et des orientations sur lesquels les autres membres de la Conférence épiscopale se seront mis d’accord en se fondant sur les considérations doctrinales et pastorales exposées ci-dessus. Pareillement, on devra avoir la préoccupation pastorale authentique de poser et de garantir les conditions qui permettent à la pratique de la troisième forme de donner les fruits spirituels pour lesquels elle a été prévue. Et l’usage exceptionnel de la troisième forme de célébration ne devra jamais conduire à une moindre estime des formes ordinaires, encore moins à leur abandon, ni à considérer cette troisième forme comme une possibilité équivalente à chacune des deux autres ; car la faculté de choisir parmi les formes de célébration ci-dessus mentionnées n’est pas laissée à la liberté des Pasteurs et des fidèles. Les Pasteurs gardent l’obligation de faciliter aux fidèles la pratique de la confession intégrale et individuelle des péchés : elle constitue pour les chrétiens non seulement un devoir, mais un droit inviolable et inaliénable, en plus d’un besoin spirituel. Pour les fidèles, l’usage de la troisième forme de célébration comporte l’obligation de s’en tenir à toutes les normes qui en réglementent l’exercice, y compris celle de ne pas recourir à nouveau à l’absolution générale avant de faire une confession régulière, intégrale et individuelle, des péchés, qui doit être accomplie le plus tôt possible. De cette norme et de l’obligation de l’observer, les fidèles doivent être avertis et instruits par le prêtre avant l’absolution.
Par ce rappel de la doctrine et de la loi de l’Eglise, je désire convaincre tous les esprits du vif sentiment de responsabilité qui doit nous guider lorsque nous traitons les choses sacrées dont nous ne sommes pas propriétaires, comme les sacrements, ou qui ont le droit de ne pas être laissées dans l’incertitude et dans la confusion, comme les consciences. Oui, je le répète, les sacrements et les consciences sont les uns et les autres des choses sacrées qui exigent de notre part d’être servies dans la vérité.
Telle est la raison de la loi de l’Eglise.
Quelques cas plus délicats
34. J’estime devoir mentionner à cet endroit, même très brièvement, un cas pastoral que le Synode a voulu traiter, autant qu’il lui était possible de le faire, en l’examinant aussi dans l’une des Propositions. Je veux parler de certaines situations, qui ne sont pas rares aujourd’hui, où se trouvent des chrétiens désireux de continuer la pratique religieuse sacramentelle, mais qui en sont empêchés par leur condition personnelle en opposition avec les engagements qu’ils ont librement assumés devant Dieu et devant l’Eglise. Ce sont des situations qui apparaissent particulièrement délicates et quasi inextricables.
Un certain nombre d’interventions, au cours du Synode, exprimant la pensée générale des Pères, ont mis en lumière la coexistence et l’interférence de deux principes, également importants, au regard de ces cas. Le premier est le principe de la compassion et de la miséricorde, en vertu duquel l’Eglise – qui prolonge dans l’histoire la présence et l’œuvre du Christ – , ne voulant pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu “il vive (197), attentive à ne pas briser le roseau froissé et à ne pas éteindre la mèche qui fume encore(198), cherche toujours à offrir, autant qu’il lui est possible, la voie du retour à Dieu et de la réconciliation avec lui. L’autre principe est celui de la vérité et de la cohérence, en vertu duquel l’Eglise n’accepte pas d’appeler bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. En se fondant sur ces deux principes complémentaires, l’Eglise ne peut qu’inviter ses fils qui se trouvent dans ces situations douloureuses à s’approcher de la miséricorde divine par d’autres chemins, sans que ce soit cependant celui des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, tant qu’ils ne remplissent pas les conditions requises.
En ce domaine, qui, il est certain, afflige aussi, et profondément, nos cœurs de pasteurs, il m’a semblé qu’il était de mon strict devoir de dire des paroles claires dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio, en ce qui concerne le cas des divorcés remariés(199), ou des chrétiens qui cohabitent d’une manière irrégulière.
En même temps, je me sens le devoir d’exhorter, avec le Synode, les communautés ecclésiales et surtout les évêques à apporter toute l’aide possible aux prêtres qui, manquant aux graves obligations assumées à leur ordination, se trouvent dans des situations irrégulières. Aucun de ces frères ne doit se sentir abandonné de l’Eglise.
Pour tous ceux qui ne se trouvent pas actuellement dans les conditions objectives requises par le sacrement de Pénitence, les manifestations de bonté maternelle de la part de l’Eglise, le soutien des actes de piété en dehors des actes sacramentels, l’effort sincère de se maintenir en contact avec le Seigneur, la participation à la Messe, la répétition fréquente d’actes de foi, d’espérance, de charité, de contrition les plus parfaits possible, pourront préparer le chemin pour une pleine réconciliation à l’heure que seule la Providence connaît.
SOUHAIT FINAL
35. Au terme de ce document, je sens résonner en moi et je désire vous redire à tous l’exhortation que le premier Evêque de Rome, à un moment critique des commencements de l’Eglise, voulut adresser « aux étrangers de la Dispersion, élus selon la prescience de Dieu le Père : Vivez tous en esprit d’union, dans la compassion, l’amour fraternel, la miséricorde, l’esprit d’humilité»(200). L’Apôtre recommandait de vivre « en esprit d’union…»; mais aussitôt après, il signalait les péchés contraires à l’union et à la paix qu’il importe d’éviter : « Ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte. Bénissez, au contraire, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction ». Et il concluait par un mot d’encouragement et d’espérance : « Qui vous ferait du mal, si vous devenez zélés pour le bien?»(201).
A une époque non moins critique de l’histoire, j’ose rattacher mon exhortation à celle du Prince des Apôtres, qui fut le premier à occuper ce Siège de Rome, comme témoin du Christ et pasteur de l’Eglise, et qui « présida à la charité » au regard du monde entier. Moi aussi, en union avec les évêques successeurs des Apôtres et aidé par la réflexion collégiale que beaucoup d’entre eux, réunis en Synode, ont consacrée aux thèmes et aux problèmes de la réconciliation, j’ai tenu à vous communiquer dans l’esprit même du pécheur de Galilée ce qu’il disait à nos frères dans la foi, loin de nous dans le temps, mais si proches par le cœur : « Vivez tous en esprit d’union… ne rendez pas mal pour mal… devenez zélés pour le bien»(202). Et il ajoutait : « Mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si telle était la volonté de Dieu, qu’en faisant le mal»(203).
Cette consigne est toute imprégnée des paroles que Pierre avait entendues de Jésus en personne et d’idées qui faisaient partie de sa « Bonne Nouvelle » : le commandement nouveau de l’amour mutuel ; le désir ardent de l’unité et l’engagement en sa faveur ; les béatitudes de la miséricorde et de la patience dans la persécution pour la justice ; le bien rendu pour le mal ; le pardon des offenses ; l’amour des ennemis. Ces paroles et ces idées constituent la synthèse originale et transcendante de l’éthique chrétienne, ou, mieux et plus profondément, de la spiritualité de la Nouvelle Alliance en Jésus Christ.
Je confie au Père, riche en miséricorde, je confie au Fils de Dieu, devenu homme pour être notre Rédempteur et Réconciliateur, je confie à l’Esprit Saint, source d’unité et de paix, mon appel paternel et pastoral à la pénitence et à la réconciliation. Que la très sainte et adorable Trinité fasse germer dans l’Eglise et dans le monde cette petite semence qu’en ce moment je remets à la terre généreuse de tant de cœurs humains.
Afin qu’il en résulte sans tarder des fruits abondants, je vous invite tous à vous tourner avec moi vers le Cœur du Christ, signe éloquent de la miséricorde divine, « propitiation pour nos péchés », « notre paix et notre réconciliation»(204), afin d’y puiser la force intérieure pour nous détourner du péché et nous convertir à Dieu, et d’y trouver la bienveillance divine comme réponse aimante au repentir humain.
Je vous invite aussi à vous tourner avec moi vers le Cœur immaculé de Marie, Mère de Jésus, en qui « s’est effectuée la réconciliation de Dieu avec l’humanité…, s’est achevée l’œuvre de la réconciliation, parce qu’elle a reçu de Dieu la plénitude de la grâce en vertu du sacrifice rédempteur du Christ»(205). En vérité, Marie est devenue, par sa maternité divine, « l’alliée de Dieu » dans l’œuvre de la réconciliation(206).
Son « Fiat » a marqué le commencement de la « plénitude des temps » qui a vu se réaliser par le Christ la réconciliation de l’homme avec
Dieu. C’est entre les mains de cette Mère, c’est à son Cœur immaculé – auquel nous avons confié plusieurs fois l’humanité entière perturbée par le péché et déchirée par tant de tensions et de conflits – que je remets spécialement cette intention : que par son intercession, l’humanité découvre et parcoure le chemin de la pénitence, l’unique chemin capable de la conduire à une totale réconciliation !
A vous tous qui, dans un esprit de communion ecclésiale, dans l’obéissance et dans la foi(207), voudrez bien accueillir les indications, les suggestions et les directives contenues dans ce document, en vous efforçant de les traduire dans une pratique pastorale vivante, j’accorde très volontiers ma Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 2 décembre 1984, premier dimanche de l’Avent, en la septième année de mon pontificat.
Jean-Paul II
Notes
1 Mc 1, 15.
2 Cf. JEAN-PAUL II, Discours inaugural de la 3e Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, III, nn. 1–7 : AAS 71 (1979), pp. 198–204.
3 La vision d’un monde « éclaté » transparaît dans l’œuvre de nombreux écrivains contemporains, chrétiens et non chrétiens, témoins de la condition de l’homme en notre époque tourmentée.
4 Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 43–44 ; Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis, n. 12 ; PAUL VI, Encyclique Ecclesiam suam : AAS 56 (1964), pp. 609–659.
5 Sur la division dans le corps de l’Eglise, I’Apôtre Paul s’est exprimé avec des paroles de feu, à l’aube de la vie de l’Eglise dans la fameuse page de 1 Co 1, 10–16 C’est à ces mêmes chrétiens de Corinthe que s’adressera, des années plus tard, saint Clément de Rome pour dénoncer les divisions au sein de cette communauté : cf. Lettre aux Corinthiens, III-VI ; LVII : Patres Apostolici, éd. FUNK, I, 103–109 ; 171–173. Nous savons que, depuis les Pères les plus anciens, la tunique sans couture du Christ, que les soldats n’ont pas déchirée, est devenue une image de l’unité de l’Eglise : cf. S. CYPRIEN, De Ecclesiae catholicae unitate, 7 : CCL 3/1, 254–255 ; S. AUGUSTIN, In Ioannis Evangelium tractatus, 118, 4 : CCL 36, 656–657 ; S. BÈDE LE VÉNÉRABLE, In Marci Evangelium expositio, IV, 15 : CCL 120, 630 ; In Lucae Evangelium expositio, VI, 23 : CCL 120, 403 ; In S. Ioannis Evangelium expositio, 19 : PL 92, 911–912.
6 L’encyclique Pacem in terris, testament spirituel de Jean XXIII (cf : AAS 55 [1963], pp. 257–304), est souvent considérée comme un « document social » et aussi un « message politique », et elle l’est en vérité si on prend ces expressions dans leur sens le plus large. En effet, plus qu’une stratégie en vue de la vie collective de peuples et de nations, l’exposé du Pape-tel qu’il apparaît plus de vingt ans après sa publication-est un rappel pressant des valeurs suprêmes sans lesquelles la paix sur terre devient une chimère. L’une de ces valeurs est précisément la réconciliation entre les hommes, et le Pape Jean XXIII s’est bien des fois référé à ce thème. Quant à Paul VI, il suffit de rappeler qu’en invitant toute l’Eglise et le monde entier à célébrer l’Année sainte de 1975, il a voulu que « renouveau et réconciliation » constituent l’idée centrale de cet événement important. On ne peut oublier non plus les catéchèses qu’il a consacrées à cette idéeforce, notamment pour illustrer le jubilé lui-même.
7 « En ce temps fort pendant lequel tout chrétien est appelé à réaliser plus profondément sa vocation de réconciliation avec le Père dans le Fils-écrivais-je dans la bulle d’indiction de l’Année sainte extraordinaire de la Rédemption‑,il doit être clairque l’objectif de l’Année ne sera atteint que si tous et chacun s’engagent vraiment au service de la réconciliation, non seulement entre tous les disciples du Christ mais également entre tous les hommes » : bulle Aperite portas Redemptori, n. 3 : AAS 75 (1983), p. 93.
8 Le thème du Synode était, plus précisément, Réconciliation et pénitence dans la mission de l’Eglise.
9 Cf. Mt 4, 17 ; Mc 1, 14–15.
10 Cf. Lc3,8.
11Cf. Mt 16, 24–26 ; Mc 8, 34–36 ; Lc 9, 23–25.
12 Cf. Ep 4, 23–24.
13 Cf. 1 Co 3, 1–20.
14 Cf. Col 3, 1–2.
15 « Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » : 2 Co 5, 20.
16 « Nous nous glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à présent nous avons obtenu la réconciliation » : Rm 5, 11 ; cf. Col 1, 20. 17 Le Concile Vatican II a noté à ce sujet : « En vérité, les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre plus fondamental, qui prend racine dans le cœur même de l’homme. C’est en l’homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature, il fait l’expérience de ses multiples limites ; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu’il ne veut pas et n’accomplit point ce qu’il voudrait (cf. Rm 7, 14 ss.). En somme, c’est en lui-même qu’il souffre division, et c’est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes » : Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 10.
18 Cf. Col 1, 19–20
19 Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Dives in misericordia, IV, nn. 5–6 : AAS 72 (1980), pp. 1193–1199.
20 Cf. Lc 15, 11–32.
21 Le Livre de Jonas est, dans l’Ancien Testament, une anticipation et une figure admirables de cet aspect de la parabole. Le péché de lonas est celui « d“éprouver un grand dépit et de se fâcher » parce que Dieu est « un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et se repentant du mal », c’est le péché « d’avoir de la peine pour une plante de ricin … qui a poussé en une nuit et en une nuit a péri », et de ne pas comprendre que le Seigneur « ait eu pitié de Ninive » : cf. Jon 4.
22 Rm 5, 10–11 ; cf. Col 1, 20–22
23 Co 5, 18. 20.
24 Jn 11, 52.
25 Cf Col 1, 20.
26 Cf. Si 44, 17.
27 Ep 2, 14.
28 Prière eucharistique III
29 Cf. MT 5, 23–24.
30 Mt 27, 46 ; Mc 15, 34 ; PS 22 [21], 2.
31 Cf. Ep 2, 14–16
32 S. LÉON LE GRAND, Tractatus 63 (De passione Domini 12), 6 : CCL 138/A, 386.
33 2 Co 5, 18–19.
34 Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, n. 1.
35 « L’Eglise, de par sa nature, ne cesse de réconcilier, transmettant aux autres le don qu’elle a elle-même recu, le don d’avoir été pardonnée et d’être unie à Dieu » : JEAN-PAUL II, Discours à Liverpool (30 mai 1982), n. 3 : Insegnamenti V, 2 (1982), 1992.
36 Cf. Ac 15, 2–33
37 Cf. Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 13 : AAS 68 (1976),
38 Cf JEAN-PAUL II, Exhort. ap. Catechesi tradendae, n. 24 : AAS 71 (1979), p. 1297.
39 Cf PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam : AAS 56 (1964),
40 2 Co 5, 20.
41 Cf. 1 Jn 4, 8.
42 Cf. Sg 11, 24–26 ; Gn 1, 27 ; Ps 8, 4–8.
43 Cf Sg 2, 24.
44 Cf. Gn 3, 12–13 ; 4, 1–16.
45 FP 2, 4
46 Cf. Ep 1, 10.
47 Jn 13, 34.
48 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. Il, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 38.
49 Cf. Mc 1, 15.
50 2 Co 5, 20.
51 Ep 2, 14–16.
52 Cf. S. AUGUSTIN, De Civitate Dei XXII, 17 : CCL 48 835–836 ; S. THOMAS D AQUIN, Somme thëologigae, III, q. 64, a. 2, ad tertium.
53 Cf. PAUI VI, Discours de clôture de la troisième session du Concile œcuménique Vatican II (21 novembre 1964): AAS 56 (1964), pp. 1015–1018.
54 CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dOgm. sur l’Eglise Lumen gentium, n. 39.
55 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio, n . 4.
56 1 Jn 1, 8–9.
57 1 Jn 3, 20 ; cf. mon discours à l’audience générale du 14 mars 1984, où je me suis référé à ce passage : Insegnamenti Vll,
58 Cf. 2 S 11–12
59 Ps 51 [50], 5–6
60 Lc 15, 18. 21
61 Lettere, Florence 1970, I, pp. 3–4 ; ll Dialogo della Divina Prowidenza, Rome 1980, passim.
62 Cf. Rm 3, 23–26
63 Cf. Ep 1, 18.
64 Cf. Gn 11, 1–9.
65 Cf Ps 127 [126], 1.
66 Cf. 2 Th. 2, 7
67 Cf. Rm 7, 7–25 ; Ep 2, 2 ; 6, 12.
68 La terminologie adoptée par la traduction grecque des Septante et par le Nouveau Testament au sujet du péché est significative à cet égard. Le plus souvent, il est désigné par hamartìa, avec les termes formés sur la même racine. Celle ci exprime l’idée de manquer plus ou moins gravement soit à une norme ou à une loi, soit à une personne ou même à une divinité. Mais le péché est appelé aussi adikìa, et l’idée est alors celle de pratiquer l’injustice. On parlera de paràbasis ou transgression ; d’asèbeia, impiété, et d’autres concepts encore ; tous ensemble forment l’image du péché.
69 Gn 3, 5 : «… vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal» ; cf. aussi le v. 22.
70 Cf. Gn 3, 12
71 Cf. Gn 4, 2–16
72 L’expression est due à ELISABETH LESEUR, Journal et pensées de chaque jour, Paris 1918, p. 31.
73 Cf. Mt 22, 39 ; Mc 12, 31 ; Lc 10, 27–28
74 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA Fol, Instruction sur quelques aspects de la « Théologie de la libération » Libertatis nuntias (6 août 1984), IV, 14–15 : AAS 76 (1984), pp. 885–886.
75 Cf Nb 15, 30.
76 Cf. Lv 18, 26–30.
77 Cf. Lv 19, 4.
78 Cf Lv 20, 1–7.
79 Cf. Ex 21, 17.
80 Cf Lv 4, 2ss., 5, 1 ss., Nb 15, 22–29.
81 Cf Mt 5, 28 ; 6, 23 ; 12, 31–32 ; 15, 19 : Mc 3, 28–30 ; Rm 1, 29–31 ; 13, 13, Jc 4.
82 Cf Mt 5, 17 ; 15, 1–10 ; Mc 10, 19 ; Lc 18, 20
83 Cf 1 Jn 5, 16–17.
84 In 17, 3.
85 Cf. 1 Jn 2, 22.
86 Cf. 1 Jn 5, 21.
87 Cf. 1 Jn 5, 16–21.
88 Mt 12, 31–32.
89 Cf. S. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae, q. 14, aa. 1–3.
90 Cf. 1 Jn 3, 20
91 S THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae q. 14, a. 3, ad primum.
92 Cf. Ph 2,12.
93 Cf. S. AUGUSTIN, De spiritu et littera, XXVIII : CSEL 60, 202–203 ; Enarrat. in ps. 39, 22 : CCL 38, 441 ; Enchiridion ad Laurentium de spe et spe et caritate, XIX, 71 : CCL 46, 88 ; In loannis Evangelium tractatus, 12, 3, 14 : CCL 36, 129.
94 S. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Ia-IIae q. 72, a. 5.
95 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session VI, De iustificatione, chap. II et can. 23, 25, 27 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, Bologne 19733, 671. 680–681 (DS 1573, 1575, 1577).
96 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session VI, De iustificatione, chap. XV : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 677 (DS 1544).
97 JEAN-PAUL. II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti V, 1 (1982), 861
98 Const past sur l’Eglise dans le momde de ce temps Gaudium et spes, n. 16
99 JEAN-PAUL II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti, V, 1 (1982), 860
100 PIE XII, Radiomessage au Congrès catéchistique national des Etats-Unis e Boston (26 octobre 1946): Discorsi e Radiomessaggi, VIII (1946), 288.
101 Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Redemptor hominis, n. 15 : AAS 71 (1979), pp. 286–289.
102 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 3 ; cf. 1 Jn 3, 9.
103 JEAN-PAUL II, Discours aux évêques de la région Est de la France (1er avril 1982), n. 2 : Insegnamenti V, 1 (1982), 1081.
104 1 Tm 3, 15–16
105 C’est pourquoi le texte présente une certaine difficulté de lecture car le pronom relatif qui ouvre la citation litttérale ne s’accorde pas avec le neutre « mysterion ». Quelques manuscrits tardifs ont retouché le texte pour le corriger du point de vue grammatical ; mais Paul a voulu seulement juxtaposer à son propre texte un texte vénérable qui, à ses yeux, clarifiait pleinement sa pensée.
106 La communauté chrétienne primitive exprime sa foi dans le Christ en croix, glorifié, que les anges adorent et qui est le Seigneur. Mais l’élément frappant de ce message demeure l’expression « manifesté dans la chair » : que le Fils éternel de Dieu se soit fait homme, volià le « grand mystère ».
107 1 Jn 5, 18–19
108 1 Jn 3, 9
109 1 Tm 3, 15
110 1 Jn 1, 8
111 1 Jn 5, 19
112 Cf. Ps 51 [50], 7
113 Cf. Ep 2, 4
114 CE. JEAN-PAUL II, Encycl. Dives in misericordia, nn. 8, 15 : AAS 72 (1980), pp. 1203–1207 ; 1231.
115 2 S 12, 13
116 Ps 51 [50], 5
117 Ps 51 [50], 9
118 2 S 12, 13
119 Cf. 2 Co 5, 18
120 Cf. 2 Co 5, 19
121 Const past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 92.
122 Décr. sur la charge pastorale des évêques Christus Dominus, n. 13 ; Cf. Déclar. sur l’éducation chrétienne Gravissimum educationis, n. 8 ; Décr. sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad gentes, nn. 11–12.
123 Cf. PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam, III : AAS 56 (1964),
124 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, nn. 1. 9. 13.
125 PAUL VI, Exhort. ap. Paterna cum benevolentia : AAS 67 (1975), pp. 5–23.
126 Cf. CONC. ŒCUM. VAT II, Décr. sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio, nn. 7–8.
127 Ibidem, n. 4.
128 S. AUGUSTIN, Sermo 96, 7 : PL 38, 588.
129 Cf. JEAN PAUL II, Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège (15 janvier 1983), nn. 4. 6. 11 : AAS 75 (1983), pp. 376. 378–379. 381.
130 JEAN PAUL II, Homélie de la messe pour la XVIe Journée mondiale de la paix (1er janvier 1983), n. 6 : Insegnamenti VI, 1 (1983), 7.
131 PAUL VI, Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 70 : AAS 68 (1976), PP. 59–60.
132 1 Tm 3, 15.
133 Cf. Mt 5, 23–24
134 Cf. Mt 5, 38–40
135 Cf. Mt 6, 12
136 Cf. Mt 5, 43 ss.
137 Cf. Mt 18, 21–22
138 Cf. Mt 1, 4. 14 ; Mt 3, 2 ; 4, 17 ; Lc 3, 8
139 Cf. Lc 15, 17
140 Lc 17, 3–4
141 Cf. Mt 3, 2 ; Mc 1, 2–6 ; Lc 3, 1–6
142 Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 8. 16. 19. 26. 41. 48.
143 Cf. Déclar. sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, nn. 2. 3. 4.
144 Cf., parmi tant d’autres, les discours aux audiences générales des 28 mars 1973 :
Insegnamenti XI (1973), 294 ss.; 8 août 1973 : Ibidem, 772 ss.; 7 novembre 1973 : Ibidem, 1054 ss.; 13 mars 1974 : Insegnamenti XII (1974), 230 ss.; 8 mai 1974 : Ibidem, 402 ss.; 12 février 1975 : Insegnamenti XIII (1975), 154 ss.; 9 avril 1975 : Ibidem, 290 ss.; 13 juillet 1977 : Insegnamenti XV (1977), 710 ss.
145 Cf. JEAN-PAUL II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti V, 1 (1982), 860–861.
146 Cf. JEAN-PAUL II, Discours à l’audience générale du 17 août 1983, nn. 1–3 : Insegnamenti VI, 2 (1983), 256–257.
147 He 4, 15.
148 Cf. Mt 4, 1–11 Mc 1, 12–13 ; Lc 4, 1–13.
149 Cf. 1 Co 10, 13
150 Cf Mt 6, 13 ; Lc 11, 4.
151 1 P 3, 21.
152 Cf. Rm 6, 3–4, Col 2, 12.
153 Cf. Mt 3, 11 ; Lc 3, 16 ; Jn 1, 33 ; Ac 1, 5 ; 11, 16.
154 Cf. Mt 3, 15.
155 S. AUGUSIIN, In loannis Evangelium tractatus, 26, 13 : CCL 36, 266.
156 S. CONGRÉGATION DES RITES, Instruction sur le culte du mystère eucharistique
Eucharisticum mysterium (25 mai 1967), n. 35 : AAS 59 (1967), PP. 560–561.
157 Ps 78 [77], 38–39.
158 Cf. Jn 1, 29 ; Is 53, 7. 12.
159 Cf. Jn 5, 27.
160 Cf. Mt 9, 2–7 ; Lc 5, 18–25 ; 7, 47–49 ; Mc 2, 3–12.
161 Cf. Jn 3, 17.
162 Jn 20, 22 ; Mt 18, 18 ; cf. aussi, en ce qui concerne Pierre, Mt 16, 19. Le bienheureux Isaac de l’Etoile souligne, dans un de ses discours, la pleine communion du Christ avec l’Eglise dans la rémission des péchés : « L’Eglise ne peut rien pardonner sans le Christ ; et le Christ ne veut rien pardonner sans l’Eglise. L’Eglise ne peut rien pardonner sinon à celui qui se convertit, c’est-à-dire à celui que le Christ a d’abord touché. Le Christ ne veut pas accorder son pardon à celui qui méprise l’Eglise » : Sermo 11 (In dominica III post Epiphaniam, I): PL 194, 1729.
163 Cf. Mt 12, 49–50 ; Mc 3, 33–34 ; Lc 8, 20–21, Rm 8, 29 : «… I’ainé d’une multitude de frères ».
164 Cf He 2, 17 ; 4, 15
165 Cf. Mt 18, 12–13 ; Lc 15, 4–6.
166 Cf. Lc 5, 31–32.
167 Cf. Mt 22, 16.
168 Cf. Ac 10, 42
169 Cf Jn 8, 16
170 Cf. mon discours aux pénitenciers des basiliques patriarcales de Rome et aux prêtres confesseurs, en conclusion du jubilé de la Rédemption (9 juillet 1984): L’Osservatore Romano, 9–10 juillet 1984.
171 Jn 8, 11.
172 Cf. Tt 3, 4.
173 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae, chap. I et can. 1 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 703–704, 711 (DS 1668–1670, 1701).
174 Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gentium, n. 11.
175 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae, chap. I et can. 1 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit. 703–704. 711 (DS 1668–1670. 1701).
176 Cf. Const. sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 72.
177 Cf. Rituale Romanum ex Decreto Sacrosancti Concilii Œcumenici Vaticani II instauratum, auctoritate Pauli VI promulgatum. Ordo Paenitentiae, Imprimerie Polyglotte Vaticane, 1974.
178 Le Concile de Trente emploie l’expression atténuée « ad instar actus iudicialis » (Session XIV, De sacramento Paenitentiae, chap. 6 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 707 [DS 1685]), pour souligner la différence avec les tribunaux humains. Le nouveau Rituel de la Pénitence fait allusion à cette fonction aux numéros 6 b et 10 a.
179 Cf. Lc 5, 31–32 : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades », avec la conclusion : «… je … suis venu appeler … les pécheurs à la conversion» ; Lc 9, 2 : « Il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons ». L’image du Christ médecin prend des aspects nouveaux et impressionnants si nous la comparons avec la figure du « Serviteur de Yahvé » dont le Livre d’Isaie disait, en prophétisant, que « ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé » et que « dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Is 53, 4–5).
180 S. AUGUSTIN, Sermo 82, 8 : PL 3E, 511.
181 Cf. AUGUSTIN, Sermo 352, 3, 8–9 : PL 39, 1558–1559.
182 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 6c.
183 Déjà les païens – comme Sophocle (Antigone, vv. 450460) et Aristote (Rhétor., livre I, chap. 15, 1375a‑b) – reconnaissaient l’existence de normes morales « divines » existant « depuis toujours », profondément inscrites au cœur de l’homme.
184 Sur ce rôle de la conscience, voir ce que j’ai dit au cours de l’audience générale du 14 mars 1984, n. 3 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 683.
185 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacramento Paenitentiae, chap. IV, De contritione : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 705 (DS 1676–1677). On sait que pour s’approcher du sacrement de Pénitence, il suffit d’avoir l’attrition, c’est-à-dire un repentir imparfait, suscité plus par la crainte que par l’amour ; mais dans le cadre du sacrement, sous l’action de la grâce qu’il recoit, le pénitent « ex attrito fit contritus », et donc la Pénitence agit véritablement en celui qui est bien disposé à la conversion dans l’amour ; cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, ibidem, éd. cit., 705 (DS 1678).
186 Ordo Paenitentiae, n. 6c.
187 Cf. Ps 51 [50], 14
188 J’ai eu l’occasion de parler de ces aspects de la pénitence, qui sont tous fondamentaux, au cours des audiences générales des 189 mai 1982 : Insegnamenti V, 2 (1982), 1758 ss.; 28 février 1979 : Insegnamenti II (1979), 475–478 ; 21 mars 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 720–722. Il faut rappeler par ailleurs les normes du Code de Droit canonique concernant le lieu de l’administration du sacrement et les confessionnaux (can. 964, §§ 2–3).
189 J’ai traité succinctement ce thème au cours de l’audience générale du 7 mars 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 631–633.
190 Cf. Gn 4, 7. 15.
191 Cf. 2 S 12.
192 Cf. Lc 15, 17–21.
193 Cf. CONC ŒCUM. VAT. II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum orainis, n. 18.
194 Ordo Paenitentiae, n. 7 b.
195 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 17.
196 Canons 961–963.
197 Cf. Ez 18, 23.
198 Cf. Is 42, 3, Mt 12 20.
199 Cf. Exhort. ap. Familiaris consortio, n. 84 : AAS 74 (1982), pp. 184–186.
200 Cf. 1 P1, 1. 2 ; 3, 8
201 1 P 3, 9. 13
202 1 P 3, 8. 9. 13.
203 1 P 3, 17.
204 Litanies du Sacré-Cœur ; cf. 1 Jn 2, 2 ; Ep 2, 14 ; Rm 3, 25 ; 5, 11.
205 JEAN-PAUL II, Discours à l’audience générale du 7 décembre 1983, n. 2 : Insegnamenti VI, 2 (1983), 1264.
206 Cf JEAN-PAUL II, Discours à l’audience générale du 4 janvier 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 16–18.
207 Cf. Rm 1, 5 ; 16, 26