Ce discours fait suite à celui du 27 janvier (ci-dessus, p. 29) :
Les vertus du foyer familial.
Soyez les bienvenus, chers jeunes époux, vous que la foi et l’espérance font accourir à Nous afin de recevoir, avec Notre bénédiction, la bénédiction du Christ sur le foyer que vous avez fondé dans l’amour. Vous le rêvez beau, ce foyer ; non pas que vous l’imaginiez à l’abri des épreuves et des larmes, car vous savez bien que ce serait une vaine attente ici-bas, mais vous le rêvez beau parce que, au milieu même des épreuves et des larmes, vous le voulez chaste, saint, aimable, attirant, rayonnant : vous le voulez tel en un mot que nous avons essayé de le décrire dans Notre dernière allocution aux jeunes mariés qui vous ont précédés ici. Mais comment réaliser, dans la mesure du possible, un si haut idéal ? Durant le temps de vos fiançailles, vous avez pris de sages résolutions et fait de fervents préparatifs pour construire, aménager et asseoir votre maison, et pour la rendre vivante et riante. C’était là un commandement de la prudence et de la prévoyance ; mais par-dessus tout, un dessein vous possédait l’un et l’autre : le dessein de vous aider l’un l’autre à vous perfectionner, à grandir dans toutes les vertus, à rivaliser dans le bien et la concorde, parce que ce sont là les éléments nécessaires à la constitution du foyer tel que le souhaite votre cœur.
Mais ces vertus, que sont-elles ? Et en particulier que sont les vertus du foyer domestique ?
Il est vraiment malheureux que ce terme si noble de vertu ait été profané, non pas tant, il est vrai, par mépris ou par moquerie que par une extension abusive de ce mot qui en a affaibli la signification jusqu’à le rendre équivoque, mesquin et malsonnant aux oreilles mêmes de personnes véritablement vertueuses. Au sens propre, le mot de vertu – du latin virtus, qui dérive de vir – signifie force [1] et désigne une force apte à produire un effet bon [2]. Ainsi par exemple, dans l’ordre purement physique, où les puissances naturelles opèrent par nécessité et selon des règles fixes, on parle des vertus de certaines plantes médicinales. Cependant, dans l’ordre humain, juridique et social, où les êtres raisonnables sont libres dans leurs actions, le supérieur commande en vertu de son autorité, tandis que l’inférieur se sent obligé en vertu de la loi divine ou humaine, naturelle ou positive ; ici, chacun peut être tenu d’accomplir un acte qu’il serait libre d’omettre s’il ne se savait lié en vertu de son serment ou de sa parole d’honneur. De même l’ordre intellectuel a ses vertus, sagesse, intelligence, science, prudence, qui guident la volonté ; notre mémoire a la vertu de conserver les connaissances acquises qui lui ont été confiées ; l’imagination a la vertu de nous rendre sensibles les formes des choses absentes, lointaines ou passées, de nous représenter les choses spirituelles ou abstraites ; l’intelligence a la vertu de nous élever au-delà des sens et aussi de nous ouvrir ce que nous percevons par eux. Mais plus communément le terme de vertu s’applique à l’ordre moral, où les vertus du cœur, de la volonté et de l’esprit font la dignité, la noblesse et la vraie valeur de la vie.
Les vertus morales donnent au foyer une beauté sans égale dans la vie naturelle.
C’est de ces vertus d’ordre moral que Nous Nous proposons de vous entretenir. Nous en parlerons en tant qu’elles sont des vertus du foyer et qu’elles ont de l’importance pour l’intimité et le rayonnement de la famille. C’est d’elles en effet que naît et découle la vraie vie d’un bon foyer domestique ; où plutôt elle naît du concours de ces vertus très variées, mais solides et charmantes, que les deux fiancés aiment à trouver l’un dans l’autre et dont ils voudraient se parer comme des joyaux les plus précieux.
Représentez-vous un de ces foyers modèles. Vous y verrez chacun plein d’ardeur dans l’accomplissement consciencieux et efficace de son propre devoir, plein d’ardeur à faire plaisir à tous, à pratiquer la justice, la franchise, la douceur, l’abnégation le sourire aux lèvres et le sourire au cœur, la patience dans le support et dans le pardon mutuels, la force à l’heure de l’épreuve ou sous le poids du travail. Vous y verrez les parents éduquer leurs enfants dans l’amour et la pratique de toutes les vertus. En un foyer pareil, Dieu est honoré et servi avec fidélité ; le prochain y est traité avec bonté. Y a‑t-il, peut-il y avoir, rien de plus beau, rien de plus édifiant ?
Mais les vertus infuses surnaturelles dépassent et élèvent la nature.
En vérité, y aura-t-il jamais rien de meilleur qu’un si beau foyer, si Dieu s’était contenté lors de la création d’enrichir l’homme des facultés destinées à acquérir, à perfectionner et à pratiquer toutes les vertus et à faire fructifier tous les dons que Nous venons de mentionner ? Mais Dieu avait des desseins bien plus hauts de bienfaisance et de générosité : il a voulu communiquer à l’homme une vie qui fît de lui son fils adoptif, une vie divine, la grâce ; et il a voulu lui infuser avec la grâce des facultés, des puissances nouvelles de caractère divin, des secours qui dépassent infiniment la nature humaine et les aptitudes de n’importe quelle nature créée. C’est pourquoi ces vertus sont appelées surnaturelles, et elles le sont en effet essentiellement. Quant aux autres vertus, les vertus naturelles et humaines d’ordre moral, si la nature n’en donne pas à l’homme la perfection, elle lui donne cependant une inclination, une disposition à ces vertus, et l’homme pourra les acquérir et les développer par ses forces personnelles [3] ; mais l’adoption divine va en surnaturaliser les actes par l’influence de la charité qui en devient l’âme, et elle leur donnera un éclat, une efficacité, une valeur de vie éternelle [4].
Ces vertus surnaturelles portent le nom de vertus infuses, parce que, unies à la grâce sanctifiante, elles sont en quelque sorte versées dans l’âme dès l’instant que l’homme est élevé à la vie divine et à la dignité de fils de Dieu.
Comme nos organes, en vertu de leurs fonctions et de leurs constitutions physiologiques, assurent la conservation, le développement, la santé de notre vie corporelle ; comme notre esprit, en vertu de sa liberté éclairée et surveillée par la conscience, affermit et dirige notre vie morale dans les sentiers de la justice, vers le bien et la félicité de notre nature humaine, ou du moins vers ce qui semble tel ; ainsi l’activité de la vie surnaturelle de la grâce, par ces facultés supérieures que sont les vertus infuses, nous dirige vers la plénitude de vigueur spirituelle ici-bas et vers la participation, un jour, à la béatitude divine dans la céleste éternité.
Celles-ci l’enfant les reçoit dès son baptême.
Les vertus infuses surnaturelles, voilà le « cadeau de baptême » du Père céleste à ses enfants.
Comment donc ? Ce petit être caché pour l’instant dans le sanctuaire du sein maternel, ce petit être que vous verrez d’ici à quelques mois répandre ses premières larmes, dans l’attente de ses premiers sourires qui ne viennent qu’après les pleurs ; le jour où fiers de votre paternité, vous le rapporterez de l’église régénéré dans les eaux du baptême, et vous irez le présenter à sa mère qui lui donnera un baiser plus tendre encore qu’à son départ de la maison ; cet enfant aurait donc déjà des vertus si hautes, si sublimes qu’elles dépassent la nature ? Oui, n’en doutez point.
N’avait-il pas, dès le moment de sa naissance, dès le premier instant de son existence, reçu de vous une empreinte où l’on pourra bientôt reconnaître facilement la marque de sa double ascendance paternelle et maternelle ? Les premiers jours, il est vrai, le petit enfant ne diffère guère des autres nouveau-nés. Mais dans la suite, avant même qu’il ne parle ou raisonne, vous découvrirez, dans ses grâces ou dans ses caprices, l’un ou. l’autre trait de votre caractère à vous, et cela, lorsque son intelligence et sa volonté s’éveilleront, ou plutôt se manifesteront, car, bien que ces facultés paraissent jusqu’alors endormies et inactives, elles recueillent déjà du dehors, par les regards inquiets et avides de l’enfant, par ses mouvements et par ses pleurs, de si nombreuses idées et convoitises des choses, et vous n’aurez pas attendu le jour où se manifesteront son intelligence et sa volonté pour la première fois, pour transmettre à votre enfant ces traits de physionomie corporelle, intellectuelle et morale.
Il en sera de même des vertus surnaturelles, dans l’ordre de la grâce. Ces facultés divines que sont les vertus de foi, d’espérance et de charité, Dieu les infuse en l’enfant par le sacrement de baptême qui le fait naître à la vie spirituelle ; par là, les germes rationnels et individuels qui porteront l’enfant aux vertus naturelles et que vous lui aurez communiqués par la génération, seront, par la puissance de la régénération, comme protégés et gardés jusqu’à l’usage de la raison.
Par l’éducation et l’exemple des parents, les vertus infuses s’unissent aux vertus naturelles.
Vous pouvez dès lors comprendre en quel sens Nous entendons parler des vertus du foyer : en ce sens que la grâce veut s’unir dans la famille aux bonnes dispositions de la nature qui portent à la vertu et en vaincre les mauvaises, celles dont il est écrit que « les pensées du cœur humain sont inclinées au mal dès l’adolescence » (Gen., viii, 21). Mais la grâce ne s’arrête pas au niveau de la nature : elle monte au-dessus de la nature, et elle exalte la nature, en donnant le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient dans le nom du Christ, à ceux « qui sont nés, non pas du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jean, i, 12–13). N’oubliez pas que nous naissons tous avec le péché originel et que, si la nouvelle famille réunit en elle-même les vertus naturelles et chrétiennes déjà cultivées dans les jeunes époux par la saine et pieuse éducation qu’ils ont reçue à leurs foyers et qui, passée en tradition, s’est maintenue et transmise de génération en génération, les jeunes époux eux-mêmes constituent par là un foyer où ils continuent à l’envi la sainte et vertueuse beauté des ancêtres et des familles qui leur ont communiqué la vie. Si le baptême fait du nouveau-né un enfant de Dieu et suffit pour en faire un ange avant l’usage de la raison et la juste connaissance du bien et du mal, néanmoins son éducation doit commencer dès l’enfance, parce que les bonnes inclinations naturelles peuvent s’égarer quand elles ne sont pas bien dirigées et développées par des actes bons qui, à force de répétition, les transforment en vertus sous la conduite de l’intelligence et de la volonté, une fois passé l’âge de l’enfance. N’est-ce pas la vigilante discipline des parents qui forme et informe le caractère des enfants ? N’est-ce pas l’exemple de leur conduite vertueuse qui marque aux enfants eux-mêmes le chemin du bien et de la vertu et qui garde en eux le trésor de la grâce et de toutes les vertus reliées à la grâce ? Seulement remarquez bien que
rade volte risurge per li rami l’umana probitate ; e questo vuole quel che la dà, perché da lui si chiami.
« il est rare que renaisse dans les rameaux l’humaine probité ; c’est ainsi que le veut Celui qui nous la donne, afin que nous sachions la lui demander »
Dante, Purgatoire, VII, 121–123.
Par conséquent, lors même que les enfants ont reçu en partage un bon naturel, il faut de grands soins pour qu’ils se développent heureusement et qu’ils tournent à l’honneur du foyer domestique, à l’honneur du nom de leurs parents.
Jeunes époux, héritiers des foyers chrétiens de vos parents et de vos aïeux, élevez donc vers Dieu vos humbles prières, afin que dans vos enfants renaissent vos vertus et qu’elles répandent sur tous ceux qui vous entourent le reflet de leur lumière et de leur chaleur. Quel magnifique exemple vous pouvez donner ! Quelle mission, et en même temps quelle auguste responsabilité ! Assumez-la, cette responsabilité, avec courage, avec joie, avec humilité, dans la sainte crainte de Dieu, car c’est la sainte crainte de Dieu qui fait les héros des vertus conjugales et qui attire du ciel l’abondance des plus précieuses grâces.
Chers jeunes époux, Nous vous donnons de grand cœur, pour qu’elle vous accompagne tous les jours de votre vie et qu’elle vous aide à parvenir à cette si haute fin religieuse du foyer chrétien, Notre Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. V, p. 21 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes époux, t. II, p. 255.