Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

21 janvier 1942

Discours aux jeunes époux

Parole de Dieu : pain des familles

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 21 jan­vier 1942

Votre aimable pré­sence, chers jeunes époux, rap­pelle à Notre pen­sée et Nous remet sous les yeux en une vivante image les groupes nom­breux d’autres époux venus, comme vous-​mêmes aujourd’­hui, deman­der Notre Bénédiction apos­to­lique sur la tendre aurore et les ardentes espé­rances de leurs nou­velles familles. Au cours de ces audiences, Nous leur avons adres­sé la parole à plu­sieurs reprises, et sans doute est-​il arri­vé que Nos allo­cu­tions, parues dans les jour­naux catho­liques ou en petits volumes, vous sont aus­si tom­bées sous les yeux. Aujourd’hui tou­te­fois, outre le désir de Notre Bénédiction apos­to­lique, vous por­tez peut-​être, Nous semble-​t-​il, cachée dans vos cœurs, une ques­tion : vous aime­riez savoir pour­quoi Nous avons tant à cœur de pro­di­guer, chaque fois qu’il s’en pré­sente l’oc­ca­sion, Nos ensei­gne­ments aux chers nou­veaux mariés. Que pouvons-​Nous, que devons-​Nous vous répondre ? Vous vou­lez péné­trer dans Notre cœur, en sur­prendre les bat­te­ments, les pen­sées qui en montent et qui s’en­flamment sur les lèvres du Père uni­ver­sel de la famille chré­tienne ; d’un Père qui brûle, à l’exemple de Pierre dont il est le suc­ces­seur, de cha­ri­té pour le Christ et l’Eglise, son Epouse, de cette cha­ri­té pleine d’af­fec­tion pour les bre­bis et les agneaux ; d’un Père qui voit, dans les jeunes rameaux de la famille chré­tienne, se régé­né­rer les fils de Dieu, s’é­tendre le jar­din de la foi et de la grâce, s’é­le­ver et se mul­ti­plier les fleurs du ciel ; d’un Père qui parle à ses enfants, c’est-​à-​dire à vous-​mêmes, des choses de la famille, et qui vou­drait à ce pro­pos res­sus­ci­ter un vieux et beau sou­ve­nir de famille, un sou­ve­nir qui remonte aux temps apos­to­liques, aux ori­gines mêmes de l’Eglise, la puis­sante Mère de la famille chrétienne.

Un jour, les chefs de cette famille – c’é­taient les Douze et à leur tête ils avaient Pierre, dont Nous occu­pons, quoique indigne, la place – consta­tèrent, au milieu des fatigues de leur apos­to­lat, que, du fait du nombre sans cesse crois­sant des dis­ciples, ils n’ar­ri­ve­raient plus à sub­ve­nir aux besoins de leur trou­peau, spé­cia­le­ment dans l’as­sis­tance quo­ti­dienne des veuves et dans le ser­vice des tables. Ils convo­quèrent donc les fidèles et les invi­tèrent à choi­sir dans leur foule sept hommes de bonne répu­ta­tion, pleins de l’Esprit-​Saint et de sagesse – les diacres – afin de leur confier cet office, tan­dis que Pierre et les autres apôtres conti­nue­raient à vaquer « à la prière et au minis­tère de la parole » (Ac 6, 14). Choisis par le Christ et envoyés pour ensei­gner toutes les nations, les apôtres ne devaient-​ils pas, avant tout, rendre témoi­gnage à sa mis­sion divine et trans­mettre la bonne nou­velle ? De fait, ils ne se dis­pen­sèrent jamais de témoi­gner, soit de vive voix, soit par écrit, au milieu des périls et des per­sé­cu­tions, dans tout l’Empire romain et au-​delà, prêts à scel­ler de leur sang la parole que leur infa­ti­gable cou­rage annon­çait aux peuples.

Dix-​neuf siècles se sont écou­lés, et leur parole de voie, de véri­té et de vie a pas­sé, d’âge en âge, de pays en pays, de mon­tagne en mon­tagne, de mer en mer, de conti­nent en conti­nent, de peuple en peuple, de bouche en bouche, des terres de Palestine jus­qu’aux extré­mi­tés du monde, por­tée par les vaillants hérauts de la foi. Le petit grain de séne­vé jeté à Jérusalem a gran­di jus­qu’à deve­nir un arbre immense : ses rameaux couvrent la terre et dans sa ramure habitent près de quatre cents mil­lions de croyants.

C’est là ce royaume de Dieu dont l’o­rai­son domi­ni­cale nous fait deman­der l’a­vè­ne­ment. Royaume spi­ri­tuel, sans doute, mais qui se déve­loppe et qui tra­vaille en ce monde où nous mar­chons en pèle­rins vers une patrie située plus haut que les étoiles. Royaume immense où s’est épa­nouie, avide et sûre d’un ave­nir qui ne se ter­mi­ne­ra qu’a­vec les siècles, la petite famille des pre­mières années. Composée d’hommes unis entre eux par des liens visibles et pareille à un immense trou­peau sous un sou­ve­rain Pasteur unique, elle ne peut se pas­ser d’un orga­nisme de gou­ver­ne­ment, d’une subor­di­na­tion de per­sonnes, d’une admi­nis­tra­tion de choses, et nom­breux sont les émules des pre­miers diacres, à Rome et à tra­vers le monde, qui secondent le pape avec un zèle admi­rable dans l’ac­com­plis­se­ment de sa lourde tâche.

Mais, si les sou­cis du gou­ver­ne­ment de l’Eglise sont bien vastes et bien nom­breux, le Souverain Pontife ne sau­rait oublier pour autant le « minis­tère de la parole » que saint Pierre consi­dé­rait comme le prin­ci­pal de ses devoirs d’a­pôtre avec la prière. Le Christ ne lui avait-​il pas dit, à lui et aux autres dis­ciples : « Allez, prê­chez à toutes les nations ce que je vous ai ensei­gné » ? (cf. Matth. Mt 28, 19). Saint Paul ne s’écriait-​il pas : « Je dois ma parole aux savants et aux igno­rants » ? (cf. Rom. Rm 1, 14). N’est-​ce pas par l’ouïe que la foi entre dans les cœurs ? La parole de Dieu n’est-​elle point la voie, la véri­té et la vie ? Elle est vivante et effi­cace, plus acé­rée qu’une épée à deux tran­chants, si péné­trante qu’elle va jus­qu’à sépa­rer l’âme et l’es­prit, les join­tures et les moelles ; elle démêle les sen­ti­ments et les pen­sées du cœur (He 4, 12). Nous aimons la parole de Dieu parce qu’en elle c’est le Verbe divin qui res­plen­dit, se mani­feste et en quelque sorte s’in­carne une seconde fois pour nous.

Sans doute, c’est avant tout lorsque, dans les occa­sions solen­nelles, Nous Nous adres­sons à toute l’Eglise, aux évêques, Nos Frères dans l’é­pis­co­pat, que Nous exer­çons ce minis­tère ; cepen­dant, Nous sommes le Père de tous, même des plus humbles ; Nous sommes le Pasteur des bre­bis, mais aus­si des agneaux : com­ment donc pourrions-​Nous renon­cer au simple et saint exer­cice du minis­tère de la parole et ne point por­ter à Nos enfants direc­te­ment, de Notre propre voix, l’en­sei­gne­ment que Nous a confié le Christ Notre Maître ? Dieu n’a-​t-​il pas mis et allu­mé dans le cœur de tout prêtre, de tout évêque, par la grâce même de l’or­di­na­tion sacer­do­tale et de la consé­cra­tion épis­co­pale, la soif inex­tin­guible de ce saint minis­tère au milieu du peuple chrétien ?

Vous com­pre­nez donc, bien-​aimés fils et filles, quelle joie intime et quel pro­fond récon­fort pos­sèdent et enflamment Notre âme quand, au milieu des graves sou­cis de l’Eglise uni­ver­selle, Nous pou­vons venir par­mi vous avec la joie d’un Père heu­reux de par­ler à ses enfants, avec la joie d’un prêtre qui rompt aux audi­teurs que Dieu lui envoie le pain vivant et nour­ris­sant de la parole évan­gé­lique et qui coopère ain­si direc­te­ment à l’œuvre de la grâce pour for­ti­fier, accroître et affer­mir dans leur esprit la foi, la confiance et l’a­mour, ces ver­tus qui sanc­ti­fient pour le ciel le cours – joyeux ou triste, selon que Dieu vou­dra – de leur vie d’ici-bas.

Voilà pour­quoi, et c’est ici le fond de Notre cœur que Nous vous ouvrons, voi­là pour­quoi Nous aimons à Nous entre­te­nir avec vous et Nous ne vous lais­se­rons point par­tir aujourd’­hui sans ajou­ter quelque ensei­gne­ment pour vos âmes. A vrai dire, ces confi­dences que Nous vous avons faites ne renferment-​elles pas un ensei­gne­ment ? Ne vous montrent-​elles pas la grande valeur de la parole de Dieu ? Ne vous manifestent-​elles pas l’es­time où vous devez la tenir lors­qu’elle vous est dis­tri­buée même sous une forme des plus simples et des plus sobres et dans la plus humble de vos paroisses ? Saint Paul remer­ciait le Seigneur de ce que ses chers Thessaloniciens avaient reçu la parole de Dieu non comme parole des hommes, mais, ain­si qu’elle l’est véri­ta­ble­ment, comme une parole de Dieu qui déploie sa puis­sance en ceux qui croient (cf. I Th 2, 13).

Si, en ces temps de vie dif­fi­cile, un de vos pre­miers sou­cis lors de la fon­da­tion d’un foyer a été de connaître et de trou­ver le moyen d’as­su­rer à votre famille le pain quo­ti­dien, ne met­tez pas moins de sol­li­ci­tude à pro­cu­rer aus­si à vos âmes l’as­su­rance du pain spi­ri­tuel. Le plus grave des châ­ti­ments dont Dieu mena­çait le peuple d’Israël, par la bouche du pro­phète Amos, était d’en­voyer la famine sur la terre : « Non une faim de pain, non une soif d’eau, mais d’en­tendre les paroles de Dieu… Ils iront de côté et d’autre pour cher­cher la parole de Dieu, et ne la trou­ve­ront pas » (Am 8, 11–12). Plus encore que toutes les dif­fi­cul­tés d’ap­pro­vi­sion­ne­ment maté­riel aux­quelles les cir­cons­tances actuelles peuvent vous expo­ser, crai­gnez, bien-​aimés fils et filles, crai­gnez par-​dessus tout la faim, la disette de la parole de Dieu. Aimez, recher­chez le pain de vos âmes, la parole de la foi, la connais­sance de la véri­té néces­saire au salut de l’homme, afin que votre intel­li­gence ne se laisse point obs­cur­cir par les erreurs et l’i­gno­rance des fabri­cants de sophismes et d’im­mo­ra­li­té. Que vos âmes, que les âmes de vos fils et de vos filles, ne défaillent point sur le che­min de la ver­tu, du devoir et du bien, faute de s’être suf­fi­sam­ment nour­ris de la parole de Dieu, de cette nour­ri­ture super­sub­stan­tielle qui donne force et vigueur sur le sen­tier de cette vie et nous per­met ain­si de gagner la cité bien­heu­reuse où les élus « n’au­ront plus ni faim ni soif » (Ap 7, 16).

Ne vous mon­trez point à l’é­gard de la parole de Dieu négli­gents, pares­seux ou sourds. L’heure dou­lou­reuse que nous vivons est l’heure où Dieu parle sur les ter­rains san­glants de ce cruel conflit et dans la déso­la­tion des cités plus que dans les pieux tres­saille­ments de la joie. Dieu est maître des nuages et des tem­pêtes, et il les gou­verne par sa parole. Dans les nuages, les éclairs et les ton­nerres, il par­la un jour sur le Sinaï pour pro­mul­guer le Décalogue de sa loi que les hommes, par la suite, ont gra­ve­ment vio­lée. Aujourd’hui, il donne la parole aux vents et aux tem­pêtes ; il semble se taire alors qu’il passe sur les flots mou­vants des mers et des océans, et que grondent les tem­pêtes, secouant les nacelles que la main des hommes a construites dans leurs arse­naux ter­restres. Adorons son pas­sage et son silence. Cette heure de tem­pête est l’heure du retour à Dieu et du sou­ve­nir de Dieu (cf. Ps., lxx­vii, 34–35) ; c’est l’heure de la prière, l’heure d’in­vo­quer le Très-​Haut ; c’est l’heure où, réa­li­sant une parole de véri­té, le Seigneur « ren­verse les des­seins des nations et réduit à néant les pen­sées des peuples » (Ps 32, 12). Il tient et manœuvre le gou­ver­nail de chaque navire pour le gui­der à tra­vers les flots vers le bien qu’il a choisi.

En ces moments de graves épreuves, la parole de Dieu accueillie dans l’hu­mi­li­té et médi­tée dans la fer­veur de la prière, est la seule voix qui pénètre le cœur pour en apai­ser les craintes et les angoisses et pour l’a­ni­mer à la confiance et à la rési­gna­tion. C’est la seule voix qui éclaire l’es­prit sur les mys­tères des inson­dables des­seins de Dieu ; c’est l’u­nique parole qui récon­forte, sou­tienne et réchauffe vos âmes, chers enfants, l’u­nique parole qui conserve et sti­mule la foi, l’es­pé­rance et l’a­mour. Ecoutez-​la donc, recueillez-​la avi­de­ment et doci­le­ment des lèvres de vos pas­teurs. Afin qu’elle trouve en vous des cœurs bien dis­po­sés et qu’elle y pro­duise, selon la para­bole de Notre-​Seigneur (Mt 13, 8, 23), des fruits en abon­dance, du trente, du soixante, du cent pour un, Nous deman­dons au divin Maître que la richesse de sa grâce féconde en vous la bonne semence et Nous vous en don­nons le gage, de tout cœur, dans Notre Bénédiction apostolique.

PIE XII, Pape.

19 août 1942
Les responsabilités réciproques des patrons et domestiques ont des conséquences sur le devenir des sociétés
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