C’est la Sainte Écriture elle-même qui exhorte à la lecture.
Le responsable de la bibliothèque du Grand Séminaire d’un diocèse vint un jour voir l’évêque. Il avait besoin de fonds pour en assurer l’entretien. Réponse du prélat : « A l’heure d’internet, les livres ne m’intéressent pas. »
Pourtant c’est Dieu lui-même qui recommande la lecture : il grave la Loi sur des tables de pierre, ordonne aux prophètes de coucher par écrit ses paroles, tout cela atteste que, même si le Dieu est esprit et vie, les hommes ont besoin d’avoir sous la main des écrits qui restent. N’est-ce pas la découverte du livre de la loi qui détermine la réforme religieuse du roi Josias ? (IV Rois 22)
Dieu exige qu’on se nourrisse de sa parole – et pas seulement de pain – lorsqu’on la lit, au point d’intimer au prophète Ézéchiel l’ordre de manger le livre qu’il lui confie (Ez 3). La lecture demande un effort d’attention qui fait honneur à l’auteur du livre, et le temps qu’elle demande facilite la maturation, la « digestion » des pensées[1]. L’opération laisse au prophète un goût de miel dans la bouche, tout comme à saint Jean – lequel devra par contre en sentir aussi l’amertume dans ses entrailles ! (Apoc 10)
Le culte juif, puis chrétien, nécessite les livres pour la lecture solennelle de la parole de Dieu, ce qui d’ailleurs contredit le poncif rationaliste selon lequel la civilisation hébraïque était principalement orale. Il est vrai que, de la sorte, les Évangiles sont censés avoir été rédigés très tard, ce qui donne aux chrétiens le temps d’inventer un Christ idéalisé. Mais il faut faire justice à cette légende : « On ne peut pas admettre que les tout premiers chrétiens aient célébré un culte sans livres, impensable pour un Juif et incompatible avec les mœurs romaines de l’époque ; ou un culte s’appuyant uniquement sur l’Ancien Testament, alors que l’essentiel de leur prédication portait sur la personne de Jésus, Christ et Seigneur[2]. »
C’est au moyen du livre de sa Parole que Dieu convertit saint Augustin, lorsqu’il entend des voix d’enfants qui chantent comme une comptine : « Prends, lis[3] ! » et qu’il ouvre par hasard l’épître aux Romains (13, 13–14).
L’Église a donc cultivé la lecture, que ce soit par la pratique de la lectio divina, lecture méditée de la Sainte Écriture, la lecture spirituelle, mais aussi l’étude en vue de la discussion théologique argumentée. Comme le remarque un biographe de saint Pie V : « Aujourd’hui, c’est triste, on se renie si on admet la valeur des arguments d’autrui. L’arme suprême est le ricanement, l’objectif est l’humiliation. L’intelligence se laisse guider uniquement par l’émotion (je me méfie de la raison, c’est mon cœur qui guide mon opinion), l’orgueil (pour rien au monde je ne veux céder, j’y perdrais ma dignité) et pire que tout… la tolérance. Concept galvaudé, qui signifie surtout le désintérêt. « Je respecte ce que tu dis, même si je ne suis pas d’accord. Ce que tu affirmes ne me dérange pas, parce qu’au fond je m’en moque. » On rêverait de pouvoir un peu plus souvent causer de l’essentiel avec passion. Mais c’est mal élevé[4]. »
Une suggestion de résolution pour l’Avent, cum grano salis : « Lis assez souvent et étudie le plus possible. Que le sommeil te surprenne un livre à la main ; qu’en tombant, ton visage rencontre l’accueil d’une page sainte[5].
- Comparer à l’étude qui atteste que le consommateur d’internet ne peut focaliser son attention que 9 secondes – une de plus que le poisson rouge – avant d’avoir besoin d’une nouvelle sollicitation ! Cf. Bruno Patino, La civilisation du poisson rouge, Grasset, 2019, c.1.[↩]
- Jean Cachia L’Évangile lu par un helléniste, Saint-Léger éditions, 2023, conclusion.[↩]
- Saint Augustin, Confessions, VIII, c.12, 29.[↩]
- Philippe Verdin, Saint Pie V, le pape intempestif, Cerf, 2018, c.2.[↩]
- Saint Jérôme, lettre XXII à Eustochium, n°17.[↩]









