Le zèle, feu de la charité

Royal Basilica of San Francisco el Grande. Jésus chasse les marchands du temple

« Ses dis­ciples se sou­vinrent qu’il est écrit : Le zèle de Votre mai­son Me dévore ».

Armé d’un fais­ceau de cordes, dans ce brou­ha­ha de tables ren­ver­sées et des pièces de mon­naies qui rou­laient sur le dal­lage sacré, au milieu du désordre des ani­maux effrayés et des cris des hommes, le Seigneur fai­sait entendre sa voix sur le l’esplanade du Temple. Emportez cela d’ici. Ne faites pas de la Maison de mon Père, une mai­son de négoce. Il fai­sait acte d’autorité, avec cette même puis­sance qui com­man­de­ra à la tempête.

La réac­tion de Jean est assez éton­nante, elle devrait nous inter­ro­ger. Après cela, nous nous sou­vînmes, dira-​t-​il comme naï­ve­ment. Au delà de la sidé­ra­tion, une parole de l’Écriture lui revint à la mémoire : le zèle de votre mai­son me dévore. Ce à quoi il venait d’assister n’était pas une colère furieuse, mais l’exacte expres­sion d’un zèle total et abso­lu, d’un zèle reli­gieux pur et intense qui ne pou­vait n’être que divin et qui enflam­mait tout l’être de l’Agneau de Dieu. Dans un calme éton­nant, ce spec­tacle éveilla en lui un pre­mier acte de Foi, bien dif­fé­rent de la réac­tion des hommes bousculés.

Dans le sou­ve­nir de son incom­pré­hen­sion, Jean aurait pu noter que s’accomplissait la pro­phé­tie de Zacharie – il n’y aura plus désor­mais de mar­chands dans la mai­son du Dieu des armées. Mais non, Jean nous écrit la réso­nance dans les écri­tures de son impres­sion… en voyant le Christ chas­ser les ven­deurs, une seule parole lui vint, le zèle de votre mai­son me dévore. Cette impres­sion était sur­réelle, surnaturelle.

Dieu avait par­lé de nom­breuses fois, Il s’était annon­cé par la voix de tant de pro­phètes ; voi­ci qu’Il se mon­trait en per­sonne en Notre-​Seigneur. Ce n’était plus une voix, c’était la Vie qui se dévoi­lait aux yeux de Jean. Et Jean la décou­vrait comme on découvre un terre incon­nue. Le mys­tère inson­dable de l’Incarnation de Dieu, de l’humanité divine du Christ s’imposait à ses yeux sans qu’il ne puisse en sai­sir la pro­fon­deur ; il était sai­si par ce monde où seule la Foi règne et découvre l’immensité de Dieu qui se montre à celui qui croit.

Et pour l’instant, se sou­ve­nant de cette mati­née dans le Temple, c’était l’image du par­fait reli­gieux qui le fas­ci­nait. Plus tard, comme une confir­ma­tion de cette impres­sion ori­gi­nelle, il enten­dra la Voix du Père dans la nuée dire, Celui-​ci est mon Fils bien-​aimé, en qui J’ai mis toutes mes com­plai­sances… l’unique, le seul qui plait au Père.

Jean n’allait pas tar­der à com­prendre que cet évè­ne­ment dans le Temple allait main­te­nant divi­ser radi­ca­le­ment les hommes et les oppo­ser entre eux et en eux-​mêmes à mort dans un dilemme : croire ou ne pas croire que Jésus est le Fils de Dieu.

Mais pour le moment, dans son sou­ve­nir une seule phrase lui venait à l’esprit… Le Zèle de la votre Maison me dévore. Jean voyait le Christ mani­fes­ter cette four­naise ardente en Lui de Charité qui est la vie de la Sainte Trinité… un feu dévo­rant, un zèle qui embrase toute la per­sonne du Verbe pour son Père, depuis tou­jours et pour tou­jours, un feu qui allait embra­ser la terre. Il venait de voir que le Christ ne pou­vait être le Christ sans être embra­sé tota­le­ment par la Charité.

S’il avait enten­du la douce voix du Christ dans l’intimité de la pre­mière ren­contre près du Jourdain, s’il avait vu sur l’indication du Baptiste, l’Agneau de Dieu, s’il avait tou­ché cet homme excep­tion­nel qui atti­rait tout à Lui, désor­mais il com­pre­nait sans le com­prendre ce à quoi allait l’engager ce qu’il avait enten­du à Cana des lèvres de cette Mère… Faites tout ce qu’Il vous dira. Par le plus dés­in­té­res­sé des actes de Foi, cette très Sainte Mère lui avait ouvert la porte du royaume des excès de la Charité de Dieu.

Au-​delà et au-​dessus du contact de ce que ses yeux voyaient, au delà et au-​dessus du contact de ce que ses mains pou­vaient embras­ser, le regard sur­na­tu­rel de Foi et la réponse de son cœur étaient plus sûrs et plus proches que tout ce que l’œil pou­vait voir et le doigt toucher.

Dieu ne peut rien faire de plus pour aller jusqu’au bout des contacts d’amour. Il a par­lé – on L’a vu ; on L’a tou­ché. Mais pour connaître Dieu, il faut aller plus loin encore… un jour le Christ dira à Thomas, Tu as appris à croire, parce que tu m’as vu. Bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont appris à croire cependant. 

Jean apprend à croire, et la lec­ture de son évan­gile est pour nous une ini­tia­tion au monde de la Foi. Le pro­logue, très cer­tai­ne­ment reçu de celle qui contem­pla dès le pre­mier ins­tant de l’Incarnation le divin Fils, son Fils, est une pro­messe à tout ceux qui osent la dis­pa­ri­tion inté­rieure qu’exige la vie de Foi. 

À tous ceux qui L’ont reçu, Il leur a don­né la puis­sance de deve­nir des enfants de Dieu, à ceux qui sont cer­tains de la Vérité en son nom. 

Est-​il pos­sible que vous nous aimiez autant, Seigneur ? Jean le découvre et nous découvre le zèle dévo­rant de l’Amour de Dieu. Est-​il pos­sible que que soyons tant aimés et si dou­ce­ment aimés de Dieu pour qu’Il pense à nous en par­ti­cu­lier, et en toutes ces petites occur­rences par les­quelles, Il nous attire à Lui ? Abîme inson­dable de l’Amour divin qui emporte notre rai­son quand nous com­pre­nons que nous pou­vons tous dire, comme Jérémie… ô Seigneur, avant que je fusse, vous me regar­diez et m’appeliez par mon nom.

À tous et à cha­cun, en ce monde, Dieu a accor­dé au moins l’un de ces contacts : Il s’est fait entendre dans l’Écriture et par l’oreille invi­sible de l’âme atten­tive aux mur­mures de la Grâce. Il s’est fait voir par les yeux de la Foi dans ceux que l’Évangile appelle les pauvres. Il s’est fait voir dans l’Église, son Corps, qui croît en âge, en grâces et en sagesse à tra­vers les siècles.

Mais nous n’en sommes qu’aux pre­miers souffles du Corps Mystique… Jean regarde, il est témoin… il écoute et il retient pour nous mon­trer la Voie, la Vérité et la Vie. Le contact suprême, celui du tou­cher est réser­vé au petit nombre des choi­sis qui jouissent d’une com­mu­nion totale avec Lui où il y a presque inter­pré­ta­tion du Divin et de l’Humain, une étreinte d’Amour, quand l’Hôte divin vient dans le cœur humain qui l’invite. Quand une âme com­prend cela, il ne lui faut pas beau­coup de temps pour faire d’elle un saint. Il lui faut seule­ment beau­coup d’Amour, car le zèle de la Maison du Père est un feu dévorant.