Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

2 décembre 1984

Exhortation apostolique Reconcilio et Paenitentia

Sur la réconciliation et la pénitence dans la mission de l'Eglise aujourd'hui

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 2 décembre 1984,
premier dimanche de l’Avent, en la septième année de mon pontificat.

À L’ÉPISCOPAT, AU CLERGÉ ET AUX FIDÈLES

PRÉAMBULE – ORIGINE ET SENS DU DOCUMENT

1. Parler de RÉCONCILIATION et de PÉNITENCE, pour les hommes et les femmes de notre temps, c’est invi­ter à retrou­ver, tra­duites dans leur lan­gage, les paroles mêmes par les­quelles notre Sauveur et Maître Jésus Christ a vou­lu inau­gu­rer sa pré­di­ca­tion : « Convertissez-​vous et croyez à l’Evangile»(1), c’est-​à-​dire accueillez la joyeuse nou­velle de l’a­mour, de votre adop­tion comme fils de Dieu, et donc de la fraternité.

Pourquoi l’Eglise reprend-​elle ce thème et cette invitation ?

La soif de mieux connaître et de com­prendre l’homme d’au­jourd’­hui et le monde contem­po­rain, de déchif­frer leur énigme et de dévoi­ler leur mys­tère, d’y dis­cer­ner la fer­men­ta­tion du bien et du mal, entraîne bien des gens, et depuis long­temps, à por­ter sur cet homme et sur ce monde un regard inter­ro­ga­teur : regard de l’his­to­rien et du socio­logue, du phi­lo­sophe et du théo­lo­gien, du psy­cho­logue et de l’hu­ma­niste, du poète et du mys­tique, et sur­tout regard sou­cieux, mais char­gé d’es­pé­rance, du pasteur.

Ce regard se révèle de manière exem­plaire dans chaque page de l’im­por­tante consti­tu­tion pas­to­rale du deuxième Concile du Vatican Gaudium et spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps, par­ti­cu­liè­re­ment dans son ample et péné­trante intro­duc­tion. Il se révèle aus­si dans cer­tains docu­ments publiés par la sagesse et la cha­ri­té pas­to­rale de mes véné­rés pré­dé­ces­seurs, dont les illustres pon­ti­fi­cats ont été mar­qués par l’é­vé­ne­ment his­to­rique et pro­phé­tique que fut ce Concile œcuménique.

Le regard du pas­teur, comme les autres, découvre mal­heu­reu­se­ment, par­mi les carac­té­ris­tiques du monde et de l’hu­ma­ni­té de notre époque, l’exis­tence de divi­sions nom­breuses, pro­fondes, douloureuses.

Un monde éclaté

2. Ces divi­sions se mani­festent dans les rap­ports entre les per­sonnes et entre les groupes, mais aus­si au niveau des col­lec­ti­vi­tés les plus vastes : nations contre nations, blocs de pays oppo­sés et ten­dus dans la recherche de l’hé­gé­mo­nie. A la racine des rup­tures, il n’est pas dif­fi­cile d’i­den­ti­fier des conflits qui, au lieu de se résoudre par le dia­logue, s’exa­cerbent dans l’af­fron­te­ment et dans l’opposition.

Un obser­va­teur atten­tif qui part à la décou­verte des élé­ments géné­ra­teurs de divi­sion constate la plus grande varié­té, de l’i­né­ga­li­té crois­sante entre les groupes, les classes sociales et les pays, aux anta­go­nismes idéo­lo­giques qui sont loin d’être éteints ; de l’op­po­si­tion des inté­rêts éco­no­miques aux pola­ri­sa­tions poli­tiques ; des diver­gences tri­bales aux dis­cri­mi­na­tions pour des motifs socio-​religieux. Certaines réa­li­tés que nous avons tous sous les yeux font du reste appa­raître, en quelque sorte, le visage mal­heu­reux de la divi­sion dont elles sont le fruit, et font res­sor­tir sa gra­vi­té indé­niable dans la réa­li­té. Parmi tant d’autres phé­no­mènes sociaux dou­lou­reux de notre temps, on peut rap­pe­ler : le fait de fou­ler aux pieds les droits fon­da­men­taux de la per­sonne humaine, à com­men­cer par le droit à la vie et à une digne qua­li­té de vie, ce qui est d’au­tant plus scan­da­leux que l’on n’a jamais fait autant de dis­cours sur ces mêmes droits ; les pièges ten­dus et les pres­sions exer­cées contre la liber­té des indi­vi­dus et des groupes, sans oublier la liber­té, plus atteinte même et plus mena­cée que d’autres, d’a­voir sa propre foi, de la pro­fes­ser et de la pra­ti­quer ; les diverses formes de dis­cri­mi­na­tion : raciale, cultu­relle, reli­gieuse, etc.; la vio­lence et le ter­ro­risme ; l’u­sage de la tor­ture et les formes injustes et illé­gi­times de répres­sion ; l’ac­cu­mu­la­tion des armes conven­tion­nelles ou ato­miques, la course aux arme­ments entraî­nant des dépenses de guerre qui pour­raient ser­vir à sou­la­ger la misère non méri­tée de peuples socia­le­ment et éco­no­mi­que­ment sous-​développés ; la répar­ti­tion injuste des res­sources du monde et des biens de la civi­li­sa­tion, qui atteint son som­met dans un type d’or­ga­ni­sa­tion sociale où la dis­tance entre les condi­tions humaines des riches et celles des pauvres s’ac­croît tou­jours davantage(2). La puis­sance irré­sis­tible de cette divi­sion fait du monde où nous vivons un monde éclaté(3) jus­qu’en ses fondements.
D’autre part, l’Eglise, sans s’i­den­ti­fier au monde ni être du monde, est insé­rée dans le monde et est en dia­logue avec lui(4). Il ne faut donc pas s’é­ton­ner de voir en son sein des réper­cus­sions et des signes de la divi­sion qui atteint la socié­té humaine. En plus des scis­sions entre les Communautés chré­tiennes qui l’af­fligent depuis des siècles, l’Eglise expé­ri­mente aujourd’­hui en son sein, ici ou là, des divi­sions entre les élé­ments qui la com­posent, divi­sions cau­sées par les diver­gences de vue et par les dif­fé­rents choix dans le domaine doc­tri­nal et pastoral(5). Ces divi­sions peuvent par­fois sem­bler, elles aus­si, inguérissables.

Bien que ces déchi­rures appa­raissent déjà fort impres­sion­nantes à pre­mière vue, seule une obser­va­tion en pro­fon­deur per­met d’i­den­ti­fier leur racine : celle-​ci se trouve dans une bles­sure au cœur même de l’homme. A la lumière de la foi, nous l’ap­pe­lons le péché, à com­men­cer par le péché ori­gi­nel que cha­cun porte en soi depuis sa nais­sance comme un héri­tage reçu de nos pre­miers parents, jus­qu’au péché que cha­cun com­met en usant de sa propre liberté.

Nostalgie de réconciliation

3. Et pour­tant, le même regard, s’il conduit ses inves­ti­ga­tions avec assez d’a­cui­té, sai­sit au plus vif de la divi­sion un désir incom­pa­rable, res­sen­ti par les hommes de bonne volon­té et par les vrais chré­tiens, de réduire les frac­tures, de cica­tri­ser les déchi­rures, d’ins­tau­rer à tous les niveaux une uni­té essen­tielle. Chez beau­coup, ce désir com­porte une véri­table nos­tal­gie de récon­ci­lia­tion, même si on n’emploie pas ce terme. Pour cer­tains, il s’a­git d’une uto­pie qui pour­rait deve­nir le levier idéal pour un véri­table chan­ge­ment de la socié­té ; pour d’autres, au contraire, c’est l’ob­jet d’une dif­fi­cile conquête et donc un objec­tif à atteindre grâce à un sérieux effort de réflexion et d’ac­tion. Dans tous les cas, l’as­pi­ra­tion à une récon­ci­lia­tion sin­cère et pro­fonde est, sans l’ombre d’un doute, un mobile fon­da­men­tal de notre socié­té, et comme le reflet d’une incoer­cible volon­té de paix ; en dépit du para­doxe, elle l’est aus­si for­te­ment que sont dan­ge­reux les fac­teurs de division.

Toutefois, la récon­ci­lia­tion ne peut être moins pro­fonde que la divi­sion. La nos­tal­gie de la récon­ci­lia­tion et la récon­ci­lia­tion elle-​même seront totales et effi­caces dans la mesure où elles attein­dront – pour le gué­rir – le déchi­re­ment pri­mor­dial qui est la racine de tous les autres, à savoir le péché.

Le regard du Synode

4. Toute ins­ti­tu­tion ou orga­ni­sa­tion des­ti­née à ser­vir l’homme et dési­reuse de le sau­ver dans ses dimen­sions fon­da­men­tales doit donc tour­ner son regard de façon péné­trante vers la récon­ci­lia­tion afin d’en appro­fon­dir la signi­fi­ca­tion et la por­tée pro­fonde, et d’en tirer les consé­quences néces­saires pour l’action.

L’Eglise de Jésus Christ ne pou­vait renon­cer à ce regard. Avec son dévoue­ment de Mère et son intel­li­gence de Maîtresse, elle s’ap­plique, empres­sée et atten­tive, à décou­vrir dans la socié­té, en même temps que les signes de la divi­sion, les signes non moins élo­quents et per­ti­nents de la recherche d’une récon­ci­lia­tion. Elle sait en effet qu’il lui a été spé­cia­le­ment don­né la pos­si­bi­li­té et confié la mis­sion de faire connaître le sens véri­table, pro­fon­dé­ment reli­gieux, et les dimen­sions inté­grales de la récon­ci­lia­tion, contri­buant, déjà par ce seul fait, à éclai­rer les termes essen­tiels de la ques­tion de l’u­ni­té et de la paix.

Mes pré­dé­ces­seurs n’ont ces­sé de prê­cher la récon­ci­lia­tion, d’in­vi­ter à la récon­ci­lia­tion l’hu­ma­ni­té entière comme aus­si tout grou­pe­ment et toute por­tion de la com­mu­nau­té humaine qu’ils voyaient déchi­rée et divisée(6). Moi-​même, mû par une impul­sion inté­rieure qui obéis­sait à la fois – j’en suis sûr – à l’ins­pi­ra­tion d’en haut et aux appels de l’hu­ma­ni­té, de deux façons dif­fé­rentes, toutes deux solen­nelles et impor­tantes, j’ai vou­lu mettre en lumière le thème de la récon­ci­lia­tion : d’a­bord en convo­quant la VIe Assemblée géné­rale du Synode des évêques, puis en met­tant la récon­ci­lia­tion au centre de l’Année jubi­laire décré­tée pour célé­brer le 1950e anni­ver­saire de la Rédemption(7). Devant assi­gner un thème au Synode, je me suis trou­vé plei­ne­ment d’ac­cord avec celui qui était sug­gé­ré par nombre de mes frères dans l’é­pis­co­pat, celui, si fécond, de la récon­ci­lia­tion, étroi­te­ment lié à celui de la péni­tence(8).

Le terme de péni­tence et le concept lui-​même sont assez com­plexes. Si nous la relions à la metá­noia à laquelle se réfèrent les Evangiles synop­tiques, la péni­tence signi­fie le chan­ge­ment qui s’o­père au plus pro­fond du cœur sous l’in­fluence de la Parole de Dieu et dans la pers­pec­tive du Royaume(9). Mais péni­tence veut dire aus­si chan­ger la vie en même temps que le cœur, et en ce sens l’ac­tion de faire péni­tence se com­plète par celle de pro­duire des fruits qui témoignent de la péni­tence(10): c’est toute l’exis­tence qui devient péni­ten­tielle, c’est-​à-​dire ten­due dans une pro­gres­sion conti­nuelle vers le mieux. Cependant, faire péni­tence n’est quelque chose d’au­then­tique et d’ef­fi­cace que si cela se tra­duit en actes et en gestes de péni­tence. A ce point de vue, péni­tence signi­fie, dans le voca­bu­laire chré­tien théo­lo­gique et spi­ri­tuel, l’as­cèse, autre­ment dit l’ef­fort concret et quo­ti­dien de l’homme, sou­te­nu par la grâce de Dieu, en vue de perdre sa vie pour le Christ, unique moyen de la gagner(11); pour se dépouiller du vieil homme et revê­tir l’homme nou­veau(12); pour sur­mon­ter en soi ce qui est char­nel afin que pré­vale ce qui est spi­ri­tuel(13); pour s’é­le­ver conti­nuel­le­ment des réa­li­tés d’ici-​bas à celles d’en haut, là où se trouve le Christ(14). La péni­tence est donc la conver­sion qui passe du cœur aux œuvres et par consé­quent à toute la vie du chrétien.

En cha­cune de ces accep­tions, la péni­tence est étroi­te­ment liée à la récon­ci­lia­tion, car se récon­ci­lier avec Dieu, avec soi-​même et avec les autres sup­pose que l’on rem­porte la vic­toire sur la rup­ture radi­cale qu’est le péché, ce qui se réa­lise seule­ment à tra­vers la trans­for­ma­tion inté­rieure ou conver­sion, qui porte des fruits dans la vie grâce aux actes de pénitence.

Le docu­ment anté­pré­pa­ra­toire du Synode (appe­lé aus­si Lineamenta), éla­bo­ré dans le seul but de pré­sen­ter le thème en accen­tuant cer­tains aspects fon­da­men­taux, a per­mis aux com­mu­nau­tés ecclé­siales, où qu’elles se trouvent dans le monde, de réflé­chir pen­dant presque deux ans sur ces aspects d’une ques­tion – celle de la conver­sion et de la récon­ci­lia­tion – qui inté­resse tous et cha­cun, afin de sus­ci­ter un élan renou­ve­lé pour la vie chré­tienne et l’a­pos­to­lat. La réflexion s’est ensuite appro­fon­die lors de la pré­pa­ra­tion plus immé­diate aux tra­vaux du Synode, grâce au Document de tra­vail envoyé en temps vou­lu aux évêques et à leurs col­la­bo­ra­teurs. Enfin, pen­dant un mois entier, les Pères syno­daux, assis­tés par tous ceux qui avaient été appe­lés à la réunion pro­pre­ment dite, ont trai­té, avec un grand sens de la res­pon­sa­bi­li­té, le thème lui-​même et les nom­breuses et diverses ques­tions qui lui étaient liées. Du débat, de l’é­tude faite en com­mun, de la recherche assi­due et conscien­cieuse, est sor­ti un vaste et pré­cieux tré­sor que les Propositions finales résument de façon substantielle.

Le regard du Synode n’i­gnore pas les actes de récon­ci­lia­tion (dont cer­tains passent presque inaper­çus dans la vie quo­ti­dienne) qui, à des degrés divers, servent à résoudre les mul­tiples ten­sions, à sur­mon­ter les nom­breux conflits et à vaincre les petites et les grandes divi­sions pour refaire l’u­ni­té. Mais la pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale du Synode était de trou­ver, au cœur de ces actes dis­per­sés, la racine cachée, une récon­ci­lia­tion pre­mière, source de toutes les autres, pour ain­si dire, celle qui agit dans le cœur et la conscience de l’homme.

Le cha­risme et en même temps l’o­ri­gi­na­li­té de l’Eglise, en ce qui concerne la récon­ci­lia­tion, résident dans le fait que celle-​ci, à quelque niveau qu’elle doive être réa­li­sée, remonte tou­jours à cette récon­ci­lia­tion pre­mière. En effet, en ver­tu de sa mis­sion essen­tielle, l’Eglise se sent le devoir d’al­ler jus­qu’aux racines du déchi­re­ment pri­mor­dial du péché pour y opé­rer la gué­ri­son et y réta­blir, pour ain­si dire, une récon­ci­lia­tion pri­mor­diale elle aus­si, qui soit le prin­cipe déci­sif de toute vraie récon­ci­lia­tion. C’est ce que l’Eglise a eu en vue et a pro­po­sé par le moyen du Synode.

Cette récon­ci­lia­tion, la Sainte Ecriture en parle, nous invi­tant à faire pour elle tous les efforts possibles(15); mais elle nous dit aus­si que c’est avant tout un don misé­ri­cor­dieux de Dieu à l’homme(16). L’histoire du salut – celle de l’hu­ma­ni­té entière comme celle de chaque être humain de tous les temps – est l’his­toire admi­rable d’une récon­ci­lia­tion : Dieu, qui est Père, se récon­ci­lie le monde par le Sang et par la Croix de son Fils fait homme, et fait naître ain­si une nou­velle famille de réconciliés.

La récon­ci­lia­tion est deve­nue néces­saire parce qu’il y a eu la rup­ture du péché, d’où ont décou­lé toutes les autres formes de rup­ture au cœur de l’homme et autour de lui. La récon­ci­lia­tion, pour être totale, exige donc néces­sai­re­ment la libé­ra­tion par rap­port au péché, celui-​ci étant refu­sé jus­qu’en ses racines les plus pro­fondes. C’est pour­quoi un lien interne étroit unit conver­sion et récon­ci­lia­tion : il est impos­sible de sepa­rer ces deux réa­li­tés, ou de par­ler de l’une sans l’autre.

Le Synode a par­lé à la fois de la récon­ci­lia­tion de toute la famille humaine et de la conver­sion du cœur de chaque per­sonne, de son retour à Dieu, vou­lant ain­si recon­naître et pro­cla­mer que l’u­nion des hommes ne peut se réa­li­ser sans un chan­ge­ment inté­rieur de cha­cun. La conver­sion per­son­nelle est la voie néces­saire pour abou­tir à la concorde entre les per­sonnes(17). Lorsque l’Eglise pro­clame la joyeuse nou­velle de la récon­ci­lia­tion, ou pro­pose de la réa­li­ser grâce aux sacre­ments, elle exerce un véri­table rôle pro­phé­tique : elle dénonce les maux de l’homme dans leur source conta­mi­née, elle montre la racine des divi­sions et elle sus­cite l’es­pé­rance de pou­voir sur­mon­ter les ten­sions et les conflits pour atteindre la fra­ter­ni­té, la concorde et la paix a tous les niveaux et dans tous les grou­pe­ments de la socié­té humaine. Elle change une situa­tion his­to­rique de haine et de vio­lence en une civi­li­sa­tion d’a­mour. Elle offre à tous le prin­cipe évan­gé­lique et sacra­men­tel de cette récon­ci­lia­tion pre­mière d’où découle tout autre geste ou acte de récon­ci­lia­tion, même sur le plan social.

C’est d’une telle récon­ci­lia­tion, fruit de la conver­sion, que traite la pré­sente exhor­ta­tion apos­to­lique. Car, comme cela s’é­tait pro­duit au terme des trois pré­cé­dentes Assemblées du Synode, les Pères eux-​mêmes ont vou­lu, cette fois encore, remettre à l’Evêque de Rome, Pasteur uni­ver­sel de l’Eglise et Chef du Collège épis­co­pal, en sa qua­li­té de Président du Synode, les conclu­sions de leur tra­vail. J’ai accep­té avec gra­ti­tude comme un grave devoir de mon minis­tère la tâche de pui­ser dans l’im­mense richesse du Synode pour pré­sen­ter au Peuple de Dieu, comme fruit du Synode lui-​même, un mes­sage doc­tri­nal et pas­to­ral sur le thème de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion. Je trai­te­rai donc, dans la pre­mière par­tie, de l’Eglise dans l’ac­com­plis­se­ment de sa mis­sion de récon­ci­lia­tion, dans l’œuvre de conver­sion des cœurs en vue de l’é­treinte renou­ve­lée entre l’homme et Dieu, entre l’homme et son frère, entre l’homme et toute la créa­tion. Dans la deuxième par­tie sera indi­quée la cause radi­cale de toute déchi­rure ou divi­sion entre les hommes et, avant tout, à l’é­gard de Dieu : le péché. Enfin, je vou­drais signa­ler les moyens qui per­mettent à l’Eglise de pro­mou­voir et de sus­ci­ter la pleine récon­ci­lia­tion des hommes avec Dieu et, par consé­quent, des hommes entre eux.

Le docu­ment que je livre aux fils de l’Eglise, mais aus­si a tous ceux, croyants ou non, qui se tournent vers elle avec inté­rêt et avec sin­cé­ri­té, veut être la réponse que je dois à ce que le Synode m’a deman­dé. Il veut être éga­le­ment – je tiens à le décla­rer car c’est une dette de véri­té et de jus­tice – une œuvre de ce même Synode. Le conte­nu de ces pages vient en effet de lui, de sa pré­pa­ra­tion loin­taine ou proche, de l’Instrument de tra­vail, des inter­ven­tions dans la salle syno­dale ou dans les com­mis­sions (cir­cu­li minores), et sur­tout des soixante-​trois Propositions. On trouve ici le fruit du tra­vail d’en­semble des Pères, par­mi les­quels ne man­quaient pas les repré­sen­tants des Eglises orien­tales, dont le patri­moine théo­lo­gique, spi­ri­tuel et litur­gique est si riche et véné­rable, notam­ment en ce qui touche à la matière qui nous inté­resse ici. De plus, c’est le Conseil du Synode qui, en deux ses­sions impor­tantes, a éva­lué les résul­tats et les orien­ta­tions de la réunion syno­dale à peine ter­mi­née, qui a mis en évi­dence les points forts des Propositions, puis tra­cé les grandes lignes, jugées les plus adap­tées, pour la rédac­tion du pré­sent docu­ment. Je suis recon­nais­sant à tous ceux qui ont accom­pli ce tra­vail et, fidèle à ma mis­sion, ie veux trans­mettre ici ce qui, dans le tré­sor doc­tri­nal et pas­to­ral du Synode, me paraît pro­vi­den­tiel pour la vie de tant de per­sonnes en cette heure magni­fique et dif­fi­cile de l’histoire.

Il me plaît de le faire – et cela est d’au­tant plus signi­fi­ca­tif – alors qu’est encore vivant le sou­ve­nir de l’Année sainte, vécue entiè­re­ment sous le signe de la péni­tence, de la conver­sion et de la récon­ci­lia­tion. Puisse cette exhor­ta­tion, confiée à mes frères dans l’é­pis­co­pat et à leurs col­la­bo­ra­teurs prêtres et diacres, aux reli­gieux et reli­gieuses, à tous les fidèles, aux hommes et aux femmes à la conscience droite, être non seule­ment un ins­tru­ment de puri­fi­ca­tion, d’en­ri­chis­se­ment et d’ap­pro­fon­dis­se­ment de leur foi per­son­nelle mais aus­si un levain capable de faire croître au cœur du monde la paix et la fra­ter­ni­té, l’es­pé­rance et la joie, valeurs qui naissent de l’Evangile accueilli, médi­té et vécu au jour le jour à l’exemple de Marie, Mère de notre Seigneur Jésus Christ par qui il a plu à Dieu de se récon­ci­lier tous les êtres(18).

PREMIÈRE PARTIE – CONVERSION ET RÉCONCILIATION : TÂCHE ET ENGAGEMENT DE L’ÉGLISE

CHAPITRE IUNE PARABOLE DE LA RÉCONCILIATION

5. Au début de cette exhor­ta­tion apos­to­lique se pré­sente à mon esprit la page extra­or­di­naire de saint Luc que j’ai déjà cher­ché à mettre en lumière dans un pré­cé­dent document(19). Je veux par­ler de la para­bole du fils prodigue(20).

Du frère qui était perdu…

« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-​moi la part de for­tune qui me revient »», raconte Jésus en décri­vant la dra­ma­tique his­toire de ce jeune : le départ de la mai­son pater­nelle vers l’a­ven­ture, le gas­pillage de tous ses biens dans une vie dis­so­lue et vide, les jours sombres de l’é­loi­gne­ment et de la faim, mais plus encore de la digni­té per­due, de l’hu­mi­lia­tion et de la honte, et enfin la nos­tal­gie de sa mai­son, le cou­rage d’y reve­nir, l’ac­cueil du père. Celui-​ci n’a­vait certes pas oublié son fils, il lui avait même conser­vé intactes son affec­tion et son estime. Aussi l’avait-​il tou­jours atten­du, et main­te­nant il l’embrasse, tout en don­nant le signal de la grande fête du retour de « celui qui était mort et qui est reve­nu à la vie, qui était per­du et qui a été retrouvé ».

L’homme – tout homme – est ce fils pro­digue : séduit par la ten­ta­tion de se sépa­rer de son Père pour vivre dans l’in­dé­pen­dance sa propre exis­tence ; tom­bé dans la ten­ta­tion ; déçu par le vide qui, comme un mirage, l’a­vait fas­ci­né ; seul, désho­no­ré, exploi­té alors qu’il cherche à se bâtir un monde entiè­re­ment à soi ; tra­vaillé, même au fond de sa misère, par le désir de reve­nir à la com­mu­nion avec son Père. Comme le père de la para­bole, Dieu guette le retour du fils, l’embrasse à son arri­vée et pré­pare la table pour le ban­quet des retrou­vailles où le Père et les frères célèbrent a reconciliation.

Ce qui frappe le plus dans la para­bole, c’est l’ac­cueil de fête et d’a­mour du père à son fils qui revient, signe de la misé­ri­corde de Dieu, tou­jours prêt à par­don­ner. Disons-​le tout de suite : la récon­ci­lia­tion est prin­ci­pa­le­ment un don du Père céleste.

… au frère res­té à la maison

6. Mais la para­bole met aus­si en scène le frère aîné qui refuse de prendre sa place au ban­quet. Il reproche à son jeune frère ses éga­re­ments, et à son père l’ac­cueil qu’il lui a réser­vé alors qu’à lui-​même, sobre et tra­vailleur, fidèle à son père et à sa mai­son, jamais il n’a été accor­dé – dit-​il – de fes­toyer avec ses amis. C’est là un signe qu’il ne com­prend pas la bon­té de son père. Tant que ce frère, trop sûr de lui-​même et de ses mérites, jaloux et mépri­sant, rem­pli d’a­mer­tume et de colère, ne s’est pas conver­ti et récon­ci­lié avec son père et son frère, le ban­quet n’est pas encore plei­ne­ment la fête de la ren­contre et des retrouvailles.

L’homme – tout homme – est aus­si ce frère aîné. L’égoïsme le rend jaloux, endur­cit son cœur, l’a­veugle et le ferme aux autres et à Dieu. La bon­té et la misé­ri­corde du père l’ir­ritent et le contra­rient ; le bon­heur du frère retrou­vé a pour lui un goût amer(21). C’est aus­si de ce point de vue qu’il a besoin de se conver­tir pour se réconcilier.

La para­bole du fils pro­digue est avant tout l’his­toire inef­fable du grand amour d’un Père – Dieu – qui offre à son fils, reve­nu à lui, le don de la pleine récon­ci­lia­tion. Mais en évo­quant, sous la figure du frère aîné, l’é­goïsme qui divise les frères entre eux, elle devient aus­si l’his­toire de la famille humaine ; elle décrit notre situa­tion et montre le che­min à par­cou­rir. Le fils pro­digue, dans son ardent désir de conver­sion, de retour dans les bras de son père et de par­don, repré­sente ceux qui res­sentent au fond de leur conscience la nos­tal­gie d’une récon­ci­lia­tion à tous les niveaux et sans réserve, et qui sont inti­me­ment per­sua­dés qu’elle n’est pos­sible que si elle découle d’une récon­ci­lia­tion pre­mière et fon­da­men­tale, celle qui, de l’é­loi­gne­ment où il se trouve, amène l’homme à l’a­mi­tié filiale avec Dieu dont il recon­naît la misé­ri­corde infi­nie. Mais, lue dans la pers­pec­tive de l’autre fils, la para­bole peint la situa­tion de la famille humaine divi­sée par les égoïsmes, elle met en lumière la dif­fi­cul­té de satis­faire le désir et la nos­tal­gie d’être d’une même famille récon­ci­liée et unie, et elle rap­pelle donc la néces­si­té d’une pro­fonde trans­for­ma­tion des cœurs pour redé­cou­vrir la misé­ri­corde du Père et pour vaincre l’in­com­pré­hen­sion et l’hos­ti­li­té entre frères.

A la lumière de cette inépui­sable para­bole de la misé­ri­corde qui efface le péché, l’Eglise, accueillant l’ap­pel qu’elle contient, com­prend sa mis­sion d’œu­vrer, à la suite du Seigneur, pour la conver­sion des cœurs et la récon­ci­lia­tion des hommes avec Dieu et entre eux, ces deux réa­li­tés étant inti­me­ment liées.

CHAPITRE IIAUX SOURCES DE LA RÉCONCILIATION

Dans la lumière du Christ réconciliateur

7. Comme il résulte de la para­bole du fils pro­digue, la récon­ci­lia­tion est un don de Dieu, une ini­tia­tive de Dieu. Or notre foi nous en seigne que cette ini­tia­tive se concré­tise dans le mys­tère du Christ rédemp­teur, récon­ci­lia­teur, du Christ qui libère l’homme du péché sous toutes ses formes. Le même saint Paul n’hé­site pas à syn­thé­ti­ser dans cette tâche et dans cette fonc­tion la mis­sion incom­pa­rable de Jésus de Nazareth, Verbe et Fils de Dieu fait homme.

Nous aus­si, nous pou­vons par­tir de ce mys­tère cen­tral de l’é­co­no­mie du salut, point clé de la chris­to­lo­gie de l’Apôtre. « Si, étant enne­mis, nous fûmes récon­ci­liés à Dieu par la mort de son Fils – écrit-​il aux Romains – , com­bien plus, une fois récon­ci­liés, serons-​nous sau­vés par sa vie, et pas seule­ment cela, mais nous nous glo­ri­fions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à pré­sent nous avons obte­nu la réconciliation»(22). Puisque donc « Dieu … nous a récon­ci­liés avec Lui par le Christ », Paul se sent pous­sé à exhor­ter les chré­tiens de Corinthe : « Laissez-​vous récon­ci­lier avec Dieu»(23).

Cette mis­sion de récon­ci­lia­tion par la mort sur la Croix, l’é­van­gé­liste Jean en par­lait, en d’autres termes, en obser­vant que le Christ devait mou­rir « afin de ras­sem­bler dans l’u­ni­té les enfants de Dieu dispersés»(24).

Saint Paul encore nous per­met d’é­lar­gir à des dimen­sions cos­miques notre vision de l’œuvre du Christ lors­qu’il écrit qu’en lui le Père s’est récon­ci­lié toutes les créa­tures, celles du ciel et celles de la terre(25). On peut vrai­ment dire du Christ Rédempteur que, « au temps de la colère, il a été fait réconciliation»(26) et que, s’il est « notre paix»(27), il est aus­si notre réconciliation.

C’est à juste titre que sa pas­sion et sa mort, sacra­men­tel­le­ment renou­ve­lées dans l’Eucharistie, sont appe­lées par la litur­gie « sacri­fice qui réconcilie»(28): qui récon­ci­lie avec Dieu et avec les frères, puisque Jésus lui-​même enseigne que la récon­ci­lia­tion fra­ter­nelle doit s’ef­fec­tuer avant le sacrifice(29).

Il est, par consé­quent, légi­time, en par­tant de ces textes néo-​testamentaires et de bien d’autres encore qui sont signi­fi­ca­tifs, de cen­trer sur sa mis­sion de récon­ci­lia­teur la réflexion concer­nant tout le mys­tère du Christ. Et il faut pro­cla­mer une fois encore la foi de l’Eglise dans l’acte rédemp­teur du Christ, dans le mys­tère pas­cal de sa mort et de sa résur­rec­tion comme cause de la récon­ci­lia­tion de l’homme, dans son double aspect de libé­ra­tion par rap­port au péché et de com­mu­nion de grâce avec Dieu.

Face au tableau dou­lou­reux des divi­sions et des dif­fi­cul­tés de la récon­ci­lia­tion entre les hommes, j’in­vite jus­te­ment à regar­der le mys­tère de la Croix comme le plus haut drame dans lequel le Christ per­çoit en pro­fon­deur – et en éprouve la souf­france – la tra­gé­die même de l’homme sépa­ré de Dieu, au point de s’é­crier avec les paroles du psal­miste : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-​tu abandonné?»(30), et réa­lise en même temps notre récon­ci­lia­tion. Le regard fixé sur le mys­tère du Golgotha doit nous rap­pe­ler sans cesse la dimen­sion « ver­ti­cale » de la divi­sion et de la récon­ci­lia­tion dans le rap­port homme-​Dieu qui, dans une vision de foi, l’emporte tou­jours sur la dimen­sion « hori­zon­tale », c’est-​à-​dire sur la réa­li­té de la divi­sion et sur la néces­si­té de la récon­ci­lia­tion entre les hommes. Nous savons en effet qu’une telle récon­ci­lia­tion entre eux n’est et ne peut être que le fruit de l’acte rédemp­teur du Christ, mort et res­sus­ci­té pour vaincre le règne du péché, réta­blir l’al­liance avec Dieu et abattre ain­si le « mur de séparation»(31) que le péché avait éle­vé entre les hommes.

L’Eglise récon­ci­lia­trice

8. Mais – comme le disait saint Léon le Grand en par­lant de la pas­sion du Christ – « tout ce que le Fils de Dieu a fait et ensei­gné pour la récon­ci­lia­tion du monde, nous ne le connais­sons pas seule­ment par l’his­toire du pas­sé, mais encore nous en éprou­vons l’ef­fi­ca­ci­té par ses œuvres présentes»(32). La récon­ci­lia­tion, réa­li­sée dans son huma­ni­té, nous la sen­tons dans l’ef­fi­ca­ci­té des mys­tères sacrés célé­brés par son Eglise, pour laquelle il s’est livré lui-​même et qu’il a éta­blie comme signe et en même temps ins­tru­ment de salut.

C’est ce qu’af­firme saint Paul quand il écrit que Dieu a fait par­ti­ci­per les Apôtres du Christ à son œuvre de récon­ci­lia­tion. « Dieu – dit-​il – nous a confié le minis­tère de la récon­ci­lia­tion… et la parole de réconciliation»(33).

Dans les mains et sur la bouche des Apôtres, ses mes­sa­gers, le Père, dans sa misé­ri­corde, a pla­cé un minis­tère de récon­ci­lia­tion, qu’ils accom­plissent d’une manière sin­gu­lière, en ver­tu du pou­voir d’a­gir au nom du Christ, in per­so­na Christi. Mais c’est aus­si à toute la com­mu­nau­té des croyants, à l’en­semble de l’Eglise qu’est confiée la parole de récon­ci­lia­tion, c’est-​à-​dire la tâche de faire tout ce qui est pos­sible pour témoi­gner de la récon­ci­lia­tion et pour la réa­li­ser dans le monde.

On peut dire qu’en défi­nis­sant l’Eglise comme « le sacre­ment, c’est-​à-​dire à la fois le signe et le moyen de l’u­nion intime avec Dieu et de l’u­ni­té de tout le genre humain » et en signa­lant comme sa fonc­tion propre celle d’ob­te­nir la « pleine uni­té dans le Christ » pour tous les « hommes, désor­mais plus étroi­te­ment unis entre eux par divers liens …»(34), le Concile Vatican II recon­nais­sait lui aus­si que l’Eglise doit sur­tout tendre à rame­ner les hommes à la pleine réconciliation.

En lien étroit avec la mis­sion du Christ, on peut donc syn­thé­ti­ser la mis­sion, riche et com­plexe, de l’Eglise dans la tâche, pour elle cen­trale, de la récon­ci­lia­tion de l’homme avec Dieu, avec lui-​même, avec ses frères, avec toute la créa­tion ; et cela, d’une façon per­ma­nente car – comme je l’ai dit ailleurs – « l’Eglise est par nature tou­jours réconciliatrice»(35).

L’Eglise est récon­ci­lia­trice parce qu’elle pro­clame le mes­sage de la récon­ci­lia­tion, comme elle l’a tou­jours fait au cours de son his­toire depuis le Concile apos­to­lique de Jérusalem(36) jus­qu’au der­nier Synode des évêques et au récent Jubilé de la Rédemption. L’originalité de cette pro­cla­ma­tion réside dans le fait que, pour l’Eglise, la récon­ci­lia­tion est étroi­te­ment liée à la conver­sion du cœur : c’est là le che­min néces­saire vers l’en­tente entre les êtres humains.

L’Eglise est aus­si récon­ci­lia­trice parce qu’elle montre à l’homme les che­mins et lui offre les moyens pour atteindre la qua­druple récon­ci­lia­tion sus­dite. Les che­mins sont jus­te­ment la conver­sion du cœur et la vic­toire sur le péché, que ce soit l’é­goïsme ou l’in­jus­tice, la domi­na­tion orgueilleuse ou l’ex­ploi­ta­tion d’au­trui, l’at­ta­che­ment aux biens maté­riels ou la recherche effré­née du plai­sir. Les moyens sont l’é­coute fidèle et atten­tive de la Parole de Dieu, la prière per­son­nelle et com­mu­nau­taire, et sur­tout les sacre­ments, véri­tables signes et ins­tru­ments de récon­ci­lia­tion, par­mi les­quels se dis­tingue à cet égard celui qu’à juste titre nous appe­lons le sacre­ment de la Réconciliation, ou de la Pénitence, sur lequel je revien­drai par la suite.

L’Eglise récon­ci­liée

9. Mon véné­ré pré­dé­ces­seur Paul VI a eu le mérite de faire clai­re­ment com­prendre que, pour être évan­gé­li­sa­trice, l’Eglise doit com­men­cer par se mon­trer elle-​même évan­gé­li­sée, c’est-​à-​dire ouverte au mes­sage inté­gral et plé­nier de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ pour l’é­cou­ter et la mettre en pratique(37). Moi-​même, repre­nant et ordon­nant dans un docu­ment les réflexions de la qua­trième Assemblée géné­rale du Synode des évêques, j’ai par­lé d’une Eglise qui se caté­chise dans la mesure où elle fait elle-​même la catéchèse(38).

Je n’hé­site pas à reprendre ici le paral­lèle, pour autant qu’il s’ap­plique à notre sujet, afin d’af­fir­mer que l’Eglise, pour être récon­ci­lia­trice, doit com­men­cer par être une Eglise récon­ci­liée. Il y a, sous-​jacente à cette affir­ma­tion simple et linéaire, la convic­tion que l’Eglise, pour annon­cer la récon­ci­lia­tion au monde et la lui pro­po­ser tou­jours plus effi­ca­ce­ment, doit deve­nir tou­jours davan­tage une com­mu­nau­té (fût-​ce le « petit trou­peau » des pre­miers temps) de dis­ciples du Christ, unis dans l’ef­fort pour se conver­tir conti­nuel­le­ment au Seigneur et vivre comme des hommes nou­veaux dans l’es­prit et la pra­tique de la réconciliation.

Face à nos contem­po­rains si sen­sibles à ce que démontrent les témoi­gnages concrets de vie, l’Eglise est appe­lée à don­ner l’exemple de la récon­ci­lia­tion d’a­bord en son sein ; et à cette fin, nous devons tous œuvrer pour paci­fier les esprits, modé­rer les ten­sions, sur­mon­ter les divi­sions, soi­gner les bles­sures éven­tuel­le­ment pro­vo­quées entre frères lorsque s’ac­cen­tuent les diver­gences de choix dans le domaine de la simple opi­nion, et essayer au contraire d’être unis dans ce qui est essen­tiel pour la foi et la vie chré­tienne, selon le vieil adage : In dubiis liber­tas, in neces­sa­riis uni­tas, in omni­bus cari­tas.

Selon ce cri­tère, l’Eglise doit éga­le­ment rendre réelle sa dimen­sion œcu­mé­nique. En effet, pour être entiè­re­ment récon­ci­liée, elle sait qu’il lui faut avan­cer dans la recherche de l’u­ni­té entre ceux qui s’ho­norent de s’ap­pe­ler chré­tiens mais sont sépa­rés entre eux, même au niveau des Eglises ou des Communions, et sépa­rés de l’Eglise de Rome. Celle-​ci recherche une uni­té qui, pour être le fruit et l’ex­pres­sion d’une véri­table récon­ci­lia­tion, n’en­tend se fon­der ni sur la dis­si­mu­la­tion des points qui divisent ni sur des com­pro­mis d’au­tant plus faciles qu’ils sont super­fi­ciels et fra­giles. L’unité doit être le résul­tat d’une vraie conver­sion de tous, du par­don réci­proque, du dia­logue théo­lo­gique et des rela­tions fra­ter­nelles, de la prière, de la pleine doci­li­té à l’ac­tion de l’Esprit Saint, qui est aus­si Esprit de récon­ci­lia­tion.

Enfin, l’Eglise, pour se dire plei­ne­ment récon­ci­liée, sent qu’elle doit s’ef­for­cer tou­jours davan­tage de por­ter l’Evangile à tous les peuples, sus­ci­tant le « dia­logue du salut»(39), aux vastes sec­teurs de l’hu­ma­ni­té contem­po­raine qui ne par­tagent pas sa foi et qui même, en rai­son d’un sécu­la­risme crois­sant, prennent leurs dis­tances avec elle et lui opposent une froide indif­fé­rence, quand ils ne vont pas jus­qu’à lui faire obs­tacle ou la per­sé­cu­ter. A tous, l’Eglise se sent le devoir de répé­ter avec saint Paul : « Laissez-​vous récon­ci­lier avec Dieu»(40).
Dans tous les cas, l’Eglise pro­meut une récon­ci­lia­tion dans la véri­té, sachant bien qu’il n’y a pas de récon­ci­lia­tion ni d’u­ni­té pos­sibles en dehors de la véri­té ou contre elle.

CHAPITRE IIIL’INITIATIVE DE DIEU ET LE MINISTÈRE DE L’ÉGLISE

10. Communauté récon­ci­liée et récon­ci­lia­trice, l’Eglise ne peut oublier qu’à l’o­ri­gine de son don et de sa mis­sion se trouve l’i­ni­tia­tive, rem­plie d’a­mour com­pa­tis­sant et de misé­ri­corde, du Dieu qui est Amour(41) et qui par amour a créé les hommes(42): il les a créés pour qu’ils vivent dans son ami­tié et en com­mu­nion entre eux.

La récon­ci­lia­tion vient de Dieu

Dieu est fidèle à son des­sein éter­nel même quand l’homme, pous­sé par le Mauvais(43) et entraî­né par son orgueil, abuse de la liber­té qui lui a été don­née pour aimer et recher­cher géné­reu­se­ment le bien, refu­sant ain­si d’o­béir à son Seigneur et Père ; et aus­si quand l’homme, au lieu de répondre par l’a­mour à l’a­mour de Dieu, s’op­pose à lui comme à un rival, se leur­rant lui-​même et pré­su­mant de ses forces, pour en arri­ver à la rup­ture des rap­ports avec celui qui l’a créé. Malgré cette pré­va­ri­ca­tion de l’homme, Dieu reste fidèle dans l’a­mour. Certes, le récit du para­dis ter­restre nous fait médi­ter sur les funestes consé­quences du rejet du Père, qui se tra­duit par le désordre interne de l’homme et par la rup­ture de l’har­mo­nie entre l’homme et la femme, entre un frère et l’autre(44). La para­bole évan­gé­lique des deux fils qui, d’une manière dif­fé­rente, s’é­loignent de leur père, creu­sant un abîme entre eux, est elle aus­si signi­fi­ca­tive. Le refus de l’a­mour pater­nel de Dieu et de ses dons d’a­mour est tou­jours à la racine des divi­sions de l’humanité.

Mais nous savons que Dieu, « riche en miséricorde»(45), telle père de la para­bole, ne ferme son cœur à aucun de ses enfants. Il les attend, les cherche, les rejoint là où le refus de la com­mu­nion les enferme dans l’i­so­le­ment et la divi­sion, les appelle à se regrou­per autour de sa table, dans la joie de la fête du par­don et de la réconciliation.

Cette ini­tia­tive de Dieu se concré­tise et se mani­feste dans l’acte rédemp­teur du Christ, qui rayonne dans le monde grâce au minis­tère de l’Eglise.

En eflet, selon notre foi, le Verbe de Dieu s’est fait chair et est venu habi­ter la terre des hommes : il est entré dans l’his­toire du monde, l’as­su­mant et la réca­pi­tu­lant en lui-même(46). Il nous a révé­lé que Dieu est amour et il nous a don­né le « com­man­de­ment nouveau»(47) de l’a­mour, nous com­mu­ni­quant en même temps la cer­ti­tude que le che­min de l’a­mour s’ouvre à tous les hommes, que n’est donc pas vain l’ef­fort ten­dant à ins­tau­rer la fra­ter­ni­té universelle(48). Ayant vain­cu, par sa mort sur la croix, le mal et la puis­sance du péché, par son obéis­sance pleine d’a­mour il a appor­té le salut à tous et il est deve­nu pour tous « récon­ci­lia­tion ». En lui, Dieu s’est récon­ci­lié l’homme.

L’Eglise, pour­sui­vant l’an­nonce de la récon­ci­lia­tion pro­cla­mée par le Christ dans les vil­lages de Galilée et de toute la Palestine(49), ne cesse d’in­vi­ter l’hu­ma­ni­té entière à se conver­tir et à croire à la Bonne Nouvelle. Elle parle au nom du Christ, fai­sant sien l’ap­pel de l’Apôtre Paul que nous avons déjà rap­pe­lé : « Nous sommes … en ambas­sade pour le Christ ; c’est comme si Dieu exhor­tait par nous. Nous vous en sup­plions au nom du Christ : laissez-​vous récon­ci­lier avec Dieu»(50).

Celui qui accepte cet appel entre dans l’é­co­no­mie de la récon­ci­lia­tion et fait l’ex­pé­rience de la véri­té conte­nue dans cette autre annonce de saint Paul selon laquelle le Christ « est notre paix, lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un, détrui­sant la bar­rière qui les sépa­rait, la haine .… pour faire la paix et les récon­ci­lier tous les deux avec Dieu»(51). Si ce texte concerne direc­te­ment le dépas­se­ment de la divi­sion reli­gieuse entre Israël, en tant que peuple élu de l’Ancien Testament, et les autres peuples, tous appe­lés à faire par­tie de la Nouvelle Alliance, il contient néan­moins l’af­fir­ma­tion de la nou­velle uni­ver­sa­li­té spi­ri­tuelle, vou­lue par Dieu et réa­li­sée par lui grâce au sacri­fice de son Fils, le Verbe fait homme, sans limite ni exclu­sion d’au­cune sorte, pour tous ceux qui se conver­tissent et croient au Christ. Nous sommes donc tous appe­lés à béné­fi­cier des fruits de cette récon­ci­lia­tion vou­lue par Dieu : tous les hommes, tous les peuples.

L’Eglise, grand sacre­ment de réconciliation

11. L’Eglise a la mis­sion d’an­non­cer cette récon­ci­lia­tion et d’en être le sacre­ment dans le monde. Sacrement, c’est-​à-​dire signe et ins­tru­ment de récon­ci­lia­tion, l’Eglise l’est à divers titres, qui n’ont pas tous la même valeur mais qui, tous, convergent vers l’ob­ten­tion de ce que l’i­ni­tia­tive divine de misé­ri­corde veut accor­der aux hommes.

Elle l’est avant tout par son exis­tence même de com­mu­nau­té récon­ci­liée, qui témoigne dans le monde de l’œuvre du Christ et la représente.
Elle l’est par son ser­vice de gar­dienne et d’in­ter­prète de la Sainte Ecriture, qui est la joyeuse nou­velle de la récon­ci­lia­tion car elle fait connaître de géné­ra­tion en géné­ra­tion le des­sein d’a­mour de Dieu et elle indique à cha­cun les voies de la récon­ci­lia­tion uni­ver­selle dans le Christ.

Elle l’est enfin par les sept sacre­ments qui, cha­cun à sa manière, « font l’Eglise»(52). Puisqu’ils com­mé­morent, en effet, et renou­vellent le mys­tère de la Pâque du Christ, tous les sacre­ments sont sources de vie pour l’Eglise et, entre ses mains, ins­tru­ments de conver­sion à Dieu et de récon­ci­lia­tion des hommes.

Autres che­mins de réconciliation

12. La mis­sion récon­ci­lia­trice est propre à toute l’Eglise, y com­pris et sur­tout celle qui est déjà admise à par­ti­ci­per plei­ne­ment de la gloire divine avec la Vierge Marie, avec les anges et les saints qui contemplent et adorent le Dieu trois fois saint. L’Eglise du ciel, l’Eglise de la terre, l’Eglise du pur­ga­toire sont mys­té­rieu­se­ment unies dans cette coopé­ra­tion avec le Christ pour récon­ci­lier le monde avec Dieu.
Le pre­mier che­min de cette action sal­va­trice est celui de la prière. Il n’y a pas de doute que la Vierge, Mère du Christ et de l’Eglise(53), et les saints, arri­vés au bout de leur che­mi­ne­ment ter­restre et en pos­ses­sion de la gloire de Dieu, sou­tiennent de leur inter­ces­sion leurs frères pèle­rins en ce monde, dans leurs efforts de conver­sion, de foi, de reprise après chaque chute, d’ac­tion pour faire croître la com­mu­nion et la paix dans l’Eglise et dans le monde. Dans le mys­tère de la com­mu­nion des saints, la récon­ci­lia­tion uni­ver­selle se réa­lise dans sa forme la plus pro­fonde et la plus fruc­tueuse pour le salut de tous.

Il y a aus­si un autre che­min, celui de la pré­di­ca­tion. Disciple de l’u­nique Maître Jésus Christ, l’Eglise, à son tour, comme mère et maî­tresse, ne se lasse pas de pro­po­ser aux hommes la récon­ci­lia­tion, et elle n’hé­site pas à dénon­cer la malice du péché, à pro­cla­mer la néces­si­té de la conver­sion, à invi­ter les hommes à « se lais­ser récon­ci­lier » et à le leur deman­der. En réa­li­té, c’est bien là sa mis­sion pro­phé­tique dans le monde d’au­jourd’­hui comme dans celui d’hier : c’est la mis­sion même de son Maître et Chef, Jésus. Comme lui, l’Eglise accom­pli­ra tou­jours cette mis­sion avec des sen­ti­ments d’a­mour misé­ri­cor­dieux, et elle por­te­ra à tous les paroles du par­don et l’in­vi­ta­tion à l’es­pé­rance, qui viennent de la Croix.

Il y a encore le che­min sou­vent si dif­fi­cile et ardu de l’ac­tion pas­to­rale pour rame­ner chaque homme – quel qu’il soit et où qu’il se trouve – sur la route, par­fois longue, du retour vers le Père dans la com­mu­nion avec tous les frères.

Il y a enfin le che­min du témoi­gnage, presque tou­jours silen­cieux, qui naît d’une double conscience de l’Eglise : la conscience d’être en elle-​même « indé­fec­ti­ble­ment sainte»(54), mais aus­si d’a­voir besoin de « se puri­fier … de jour en jour, jus­qu’à ce que le Christ se la pré­sente à lui-​même, glo­rieuse, sans tache ni ride », étant don­né que par­fois, à cause de nos péchés, son visage « res­plen­dit moins » aux yeux de ceux qui la regardent(55). Ce témoi­gnage ne peut pas ne pas revê­tir deux aspects fon­da­men­taux : être le signe de la cha­ri­té uni­ver­selle que Jésus Christ a lais­sée en héri­tage à ses dis­ciples comme preuve de l’ap­par­te­nance à son règne ; se tra­duire en actes tou­jours nou­veaux de conver­sion et de récon­ci­lia­tion à l’in­té­rieur et à l’ex­té­rieur de l’Eglise, par le dépas­se­ment des ten­sions, le par­don réci­proque, la crois­sance dans l’es­prit de fra­ter­ni­té et de paix à étendre au monde entier. Au long de ce che­min, l’Eglise pour­ra agir uti­le­ment pour faire naître ce que mon pré­dé­ces­seur Paul VI appe­lait la « civi­li­sa­tion de l’amour ».

DEUXIÈME PARTIE – L’AMOUR PLUS GRAND QUE LE PÉCHÉ

Le drame de l’homme

13. Comme l’é­crit l’Apôtre saint Jean, « si nous disons : « Nous n’a­vons pas de péché », nous nous abu­sons, la véri­té n’est pas en nous. Si nous confes­sons nos péchés, lui, fidèle et juste, par­don­ne­ra nos péchés»(56). Ces paroles ins­pi­rées, écrites à l’aube de la vie de l’Eglise, intro­duisent mieux que toute autre expres­sion humaine cet expo­sé sur le péché, qui est étroi­te­ment lié à celui sur la récon­ci­lia­tion. Elles sai­sissent le pro­blème du péché dans sa pers­pec­tive anthro­po­lo­gique, en tant que par­tie inté­grante de la véri­té sur l’homme, mais elles l’ins­crivent aus­si­tôt dans la pers­pec­tive divine où le péché est confron­té avec la véri­té de l’a­mour divin, juste, géné­reux et fidèle, qui se mani­feste sur­tout par le par­don et la rédemp­tion. Aussi le même saint Jean écrit-​il un peu plus loin que, « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur»(57).

Reconnaître son péché, et même – en appro­fon­dis­sant la réflexion sur sa propre per­son­na­li­té – se recon­naître pécheur, capable de péché et por­té au péché, est le prin­cipe indis­pen­sable du retour à Dieu. C’est l’ex­pé­rience exem­plaire de David qui, « après avoir fait ce qui est mal aux yeux du Seigneur », répri­man­dé par le pro­phète Nathan(58), s’é­crie : « Oui, je connais mon péché, ma faute est tou­jours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait»(59). Du reste, Jésus met sur les lèvres et dans le cœur du fils pro­digue ces paroles signi­fi­ca­tives : « Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi»(60).

En réa­li­té, se récon­ci­lier avec Dieu sup­pose et inclut que l’on se détache avec luci­di­té et déter­mi­na­tion du péché où l’on est tom­bé. Cela sup­pose donc et inclut que l’on fait péni­tence au sens le plus com­plet du terme : se repen­tir, mani­fes­ter son regret, prendre l’at­ti­tude concrète du repen­ti, celle de qui­conque se met sur le che­min du retour au Père. C’est là une loi géné­rale que cha­cun doit suivre dans la situa­tion par­ti­cu­lière où il se trouve. On ne peut en effet par­ler seule­ment en termes abs­traits du péché et de la conversion.

Dans la situa­tion concrète de l’homme pécheur, où il ne peut y avoir de conver­sion sans recon­nais­sance de son péché, le minis­tère de récon­ci­lia­tion de l’Eglise inter­vient en toute hypo­thèse avec une fina­li­té ouver­te­ment péni­ten­tielle, c’est-​à-​dire visant à rame­ner l’homme à la « connais­sance de soi » dont parle sainte Catherine de Sienne(61), au renon­ce­ment au mal, au réta­blis­se­ment de l’a­mi­tié avec Dieu, à la remise en ordre inté­rieure, à la nou­velle conver­sion ecclé­siale. Ajoutons qu’au-​delà du cadre de l’Eglise et des croyants, le mes­sage et le minis­tère de la péni­tence sont adres­sés à tous les hommes, car tous ont besoin de conver­sion et de réconciliation(62).

Pour accom­plir comme il convient ce minis­tère péni­ten­tiel, il faut aus­si éva­luer, avec les « yeux illuminés»(63) de la foi, les consé­quences du péché, qui sont cause de divi­sion et de rup­ture non seule­ment à l’in­té­rieur de chaque homme mais aus­si dans les dif­fé­rentes sphères de son exis­tence : famille, milieu, pro­fes­sion, socié­té, comme on peut si sou­vent le consta­ter par l’ex­pé­rience, en confir­ma­tion de la page biblique concer­nant la ville de Babel et sa tour(64). Visant à construire ce qui devait être à la fois un sym­bole et un foyer d’u­ni­té, ces hommes se retrou­vèrent plus dis­per­sés qu’a­vant, en pleine confu­sion des langues, divi­sés entre eux, inca­pables d’ac­cord ou de convergence.

Pourquoi l’am­bi­tieux pro­jet a‑t-​il échoué ? Pourquoi « les bâtis­seurs ont-​ils pei­né en vain »?(65) Parce que les hommes s’é­taient fon­dés seule­ment sur une œuvre de leurs mains pour signi­fier et garan­tir l’u­ni­té qu’ils vou­laient oubliant l’ac­tion du Seigneur. Ils avaient misé sur la seule dimen­sion hori­zon­tale du tra­vail et de la vie sociale, sans se pré­oc­cu­per de la dimen­sion ver­ti­cale, grâce à laquelle ils se seraient trou­vés enra­ci­nés en Dieu, leur Créateur et Seigneur, et ils auraient ten­du vers lui comme but ultime de leur chemin.
On peut dire que le drame de l’homme d’au­jourd’­hui, comme celui de l’homme de tous les temps, consiste pré­ci­sé­ment dans son carac­tère « babélique ».

CHAPITRE ILE MYSTÈRE DU PÉCHÉ

14. Si nous lisons dans la Bible la page sur la ville et la tour de Babel à la lumière nou­velle de l’Evangile, et si nous la confron­tons avec le récit de la chute des pre­miers parents, nous pou­vons y trou­ver des élé­ments pré­cieux pour prendre conscience du mys­tère du péché. Cette expres­sion, qui fait écho à ce qu’é­cri­vait saint Paul sur le mys­tère d’i­ni­qui­té(66), tend à nous faire per­ce­voir ce qui se cache d’obs­cur et d’in­sai­sis­sable dans le péché. Sans aucun doute, le péché est l’œuvre de l’homme ; mais dans la den­si­té même de cette expé­rience humaine, inter­viennent des fac­teurs qui le situent au-​delà de l’hu­main, dans cette zone limite où la conscience, la volon­té et la sen­si­bi­li­té de l’homme sont au contact des forces obs­cures qui, selon saint Paul, agissent dans le monde au point de par­ve­nir presque à s’en rendre maîtres(67).

La déso­béis­sance à Dieu

Dans le récit biblique sur la construc­tion de la tour de Babel res­sort un pre­mier élé­ment qui nous aide à com­prendre le péché : les hommes ont pré­ten­du bâtir une cité, for­mer une socié­té, être forts et puis­sants sans Dieu, même si ce n’é­tait pas à pro­pre­ment par­ler contre Dieu(68). Dans ce sens, le récit du pre­mier péché dans le para­dis ter­restre et le récit de Babel, mal­gré les dif­fé­rences notables de leurs conte­nus et de leurs formes, pré­sentent une conver­gence sur un point : dans l’un et l’autre, nous nous trou­vons en face d’une exclu­sion de Dieu, par le refus expli­cite de l’un de ses com­man­de­ments, par un geste qui mani­feste une riva­li­té face à lui, par la pré­ten­tion illu­soire d’être « comme lui»(69). Dans le récit de Babel, l’ex­clu­sion de Dieu n’ap­pa­raît pas tel­le­ment sur le mode d’une confron­ta­tion avec lui, mais comme l’ou­bli et l’in­dif­fé­rence à son égard, comme si Dieu ne pré­sen­tait aucun inté­rêt dans le cadre du pro­jet humain de bâtir et de s’u­nir. Mais, dans les deux cas, c’est avec vio­lence que se trouve rom­pu le rap­port avec Dieu. Dans la scène du para­dis ter­restre appa­raît toute la gra­vi­té dra­ma­tique de ce qui consti­tue l’es­sence la plus intime et la plus obs­cure du péché : la déso­béis­sance à Dieu, à sa loi, à la norme morale qu’il a don­née à l’homme et ins­crite dans son cœur, la confir­mant et l’a­che­vant par la révélation.

Exclusion de Dieu, rup­ture avec Dieu, déso­béis­sance à Dieu : c’est ce qu’a été et ce qu’est le péché tout au long de l’his­toire humaine, sous des formes diverses qui peuvent aller jus­qu’à la néga­tion de Dieu et de son exis­tence : c’est le phé­no­mène de l’a­théisme.

La déso­béis­sance de l’homme qui – par un acte de sa liber­té – ne recon­naît pas la pré­do­mi­nance de Dieu dans sa vie, au moins au moment pré­cis où il viole sa loi.

La divi­sion entre les frères

15. Dans les récits bibliques rap­pe­lés plus haut, la rup­ture avec Dieu abou­tit d’une manière dra­ma­tique à la divi­sion entre les frères.
Dans la des­crip­tion du « pre­mier péché », la rup­ture avec Yahvé tranche en même temps le lien d’a­mi­tié qui unis­sait la famille humaine, à tel point que les pages sui­vantes de la Genèse nous montrent l’homme et la femme qui, pour ain­si dire, tendent l’un vers l’autre un doigt accusateur(70); puis un frère qui, hos­tile à son frère, finit par lui enle­ver la vie(71).

Suivant le récit des évé­ne­ments de Babel, la consé­quence du péché est l’é­cla­te­ment de la famille humaine, déjà com­men­cé lors du pre­mier péché, désor­mais arri­vé au pire en pre­nant une dimen­sion sociale.

Pour qui veut cher­cher à péné­trer le mys­tère du péché, il est impos­sible de ne pas prendre en compte cet enchaî­ne­ment de cause à effet. En tant que rup­ture avec Dieu, le péché est l’acte de déso­béis­sance d’une créa­ture qui rejette, au moins impli­ci­te­ment, celui qui est à son ori­gine et qui la main­tient en vie ; c’est donc un acte sui­ci­daire. Du fait que par le péché l’homme refuse de se sou­mettre à Dieu, son équi­libre inté­rieur est détruit et c’est au fond même de son être qu’é­clatent les contra­dic­tions et les conflits. Ainsi déchi­ré, l’homme pro­voque de manière presque inévi­table un déchi­re­ment dans la trame de ses rap­ports avec les autres hommes et le monde créé. C’est là une loi et un fait objec­tif, véri­fiés par de mul­tiples expé­riences de la psy­cho­lo­gie humaine et de la vie spi­ri­tuelle, et aus­si dans la réa­li­té de la vie sociale : il est facile d’y obser­ver les réper­cus­sions et les signes du désordre intérieur.

Le mys­tère du péché com­prend cette double bles­sure que le pécheur ouvre en lui-​même et aus­si dans ses rap­ports avec son pro­chain. C’est pour­quoi on peut par­ler de péché per­son­nel et social : tout péché est per­son­nel d’un cer­tain point de vue, et d’un autre point de vue, tout péché est social en ce que, et parce que, il a aus­si des conse­quences sociales.

Péché per­son­nel et péché social

16. Le péché, au sens propre et pré­cis du terme, est tou­jours un acte de la per­sonne, car il est l’acte de liber­té d’un homme par­ti­cu­lier et non pas, à pro­pre­ment par­ler, celui d’un groupe ou d’une com­mu­nau­té. Cet homme peut se trou­ver condi­tion­né, oppri­mé, pous­sé par des fac­teurs externes nom­breux et puis­sants ; il peut aus­si être sujet à des ten­dances, à une héré­di­té, à des habi­tudes liées à sa condi­tion per­son­nelle. Dans bien des cas, de tels fac­teurs externes et internes peuvent, dans une mesure plus ou moins grande, atté­nuer sa liber­té et, par là, sa res­pon­sa­bi­li­té et sa culpa­bi­li­té. Mais c’est une véri­té de foi, confir­mée éga­le­ment par notre expé­rience et notre rai­son, que la per­sonne humaine est libre. On ne peut igno­rer cette véri­té en impu­tant le péché des indi­vi­dus à des réa­li­tés exté­rieures : les struc­tures, les sys­tèmes, les autres. Ce serait sur­tout nier la digni­té et la liber­té de la per­sonne qui s’ex­priment – même de manière néga­tive et mal­heu­reuse – jusque dans cette res­pon­sa­bi­li­té de com­mettre le péché. C’est pour­quoi, en tout homme il n’y a rien d’aus­si per­son­nel et incom­mu­ni­cable que le mérite de la ver­tu ou la res­pon­sa­bi­li­té de la faute.

Les consé­quences pre­mières, et les plus impor­tantes, du péché, acte de la per­sonne, portent sur le pécheur lui-​même : c’est-​à-​dire sur sa rela­tion avec Dieu, fon­de­ment même de la vie humaine ; sur son esprit, affai­blis­sant sa volon­té et obs­cur­cis­sant son intelligence.

Parvenus à ce stade de la réflexion, il faut nous deman­der à quelle réa­li­té se réfé­raient ceux qui ont men­tion­né fré­quem­ment le péché social, au cours de la pré­pa­ra­tion et des tra­vaux du Synode. L’expression et le concept sous-​jacent ont à vrai dire plu­sieurs sens différents.

Parler de péché social veut dire, avant tout, recon­naître que, en ver­tu d’une soli­da­ri­té humaine aus­si mys­té­rieuse et imper­cep­tible que réelle et concrète, le péché de cha­cun se réper­cute d’une cer­taine manière sur les autres. C’est là le revers de cette soli­da­ri­té qui, du point de vue reli­gieux, se déve­loppe dans le mys­tère pro­fond et admi­rable de la com­mu­nion des saints, grâce à laquelle on a pu dire que « toute âme qui s’é­lève, élève le monde»(72). A cette loi de l’é­lé­va­tion cor­res­pond, mal­heu­reu­se­ment, la loi de la chute, à tel point qu’on peut par­ler d’une com­mu­nion dans le péché, par laquelle une âme qui s’a­baisse par le péché abaisse avec elle l’Eglise et, d’une cer­taine façon, le monde entier. En d’autres termes, il n’y a pas de péché, même le plus intime et le plus secret, le plus stric­te­ment indi­vi­duel, qui concerne exclu­si­ve­ment celui qui le com­met. Tout péché a une réper­cus­sion, plus ou moins forte, plus ou moins dom­ma­geable, sur toute la com­mu­nau­té ecclé­siale et sur toute la famille humaine. Selon ce pre­mier sens, on peut attri­buer indis­cu­ta­ble­ment à tout péché le carac­tère de péché social.

Certains péchés, cepen­dant, consti­tuent, par leur objet même, une agres­sion directe envers le pro­chain et – plus exac­te­ment, si l’on recourt au lan­gage évan­gé­lique – envers les frères. Ces péchés offensent Dieu, parce qu’ils offensent le pro­chain. On désigne habi­tuel­le­ment de tels péchés par l’é­pi­thète « sociaux » et c’est là la seconde signi­fi­ca­tion du terme. En ce sens, est social le péché contre l’a­mour du pro­chain ; selon la loi du Christ, il est d’au­tant plus grave qu’il met en cause le second com­man­de­ment qui est « sem­blable au premier»(73). Est éga­le­ment social tout péché com­mis contre la jus­tice dans les rap­ports soit de per­sonne à per­sonne, soit de la per­sonne avec la com­mu­nau­té, soit encore de la com­mu­nau­té avec la per­sonne. Est social tout péché contre les droits de la per­sonne humaine, à com­men­cer par le droit à la vie, sans exclure le droit de naître, ou contre l’in­té­gri­té phy­sique de quel­qu’un ; tout péché contre la liber­té d’au­trui, spé­cia­le­ment contre la liber­té suprême de croire en Dieu et de l’a­do­rer ; tout péché contre la digni­té et l’hon­neur du pro­chain. Est social tout péché contre le bien com­mun et ses exi­gences, dans tout l’ample domaine des droits et des devoirs des citoyens. Peut être social le péché par action ou par omis­sion, de la part de diri­geants poli­tiques, éco­no­miques et syn­di­caux qui, bien que dis­po­sant de l’au­to­ri­té néces­saire, ne se consacrent pas avec sagesse à l’a­mé­lio­ra­tion ou à la trans­for­ma­tion de la socié­té sui­vant les exi­gences et les pos­si­bi­li­tés qu’offre ce moment de l’his­toire ; de même, de la part des tra­vailleurs qui man­que­raient au devoir de pré­sence et de col­la­bo­ra­tion qui est le leur pour que les entre­prises puissent conti­nuer à assu­rer leur bien-​être, celui de leurs familles et de la socié­té entière.

Le troi­sième sens du péché social concerne les rap­ports entre les diverses com­mu­nau­tés humaines. Ces rap­ports ne sont pas tou­jours en har­mo­nie avec le des­sein de Dieu qui veut dans le monde la jus­tice, la liber­té et la paix entre les indi­vi­dus, les groupes, les peuples. Ainsi la lutte des classes, quel qu’en soit le res­pon­sable et par­fois celui qui l’é­rige en sys­tème, est un mal social. Ainsi les oppo­si­tions tenaces entre des blocs de nations, d’une nation contre une autre, de groupes contre d’autres groupes au sein de la même nation, consti­tuent en véri­té un mal social. Dans tous ces cas, il fau­drait se deman­der si l’on peut attri­buer à quel­qu’un la res­pon­sa­bi­li­té morale de tels maux et, par consé­quent, le péché. On doit bien recon­naître que les réa­li­tés et les situa­tions comme celles qu’on vient d’in­di­quer, dans la mesure où elles se géné­ra­lisent et se déve­loppent énor­mé­ment comme faits de socié­té, deviennent presque tou­jours ano­nymes, leurs causes étant par ailleurs com­plexes et pas tou­jours iden­ti­fiables. C’est pour­quoi, si l’on parle de péché social, l’ex­pres­sion prend ici une signi­fi­ca­tion évi­dem­ment ana­lo­gique. Quoi qu’il en soit, par­ler de péché social, même au sens ana­lo­gique, ne doit ame­ner per­sonne à sous-​estimer la res­pon­sa­bi­li­té des indi­vi­dus, mais cela revient à adres­ser un appel à la conscience de tous, afin que cha­cun assume sa propre res­pon­sa­bi­li­té pour chan­ger sérieu­se­ment et avec cou­rage ces réa­li­tés néfastes et ces situa­tions intolérables.

Cela dit de la manière la plus claire et sans équi­voque, il convient d’a­jou­ter aus­si­tôt qu’il est une concep­tion du péché social qui n’est ni légi­time ni admis­sible, bien qu’elle revienne sou­vent à notre époque dans cer­tains milieux(74): cette concep­tion, en oppo­sant, non sans ambi­guï­té, le péché social au péché per­son­nel, conduit, de façon plus ou moins incons­ciente, à atté­nuer et presque à effa­cer ce qui est per­son­nel pour ne recon­naître que les fautes et les res­pon­sa­bi­li­tés sociales. Selon une telle concep­tion, qui mani­feste assez clai­re­ment sa dépen­dance d’i­déo­lo­gies et de sys­tèmes non chré­tiens – par­fois aban­don­nés aujourd’­hui par ceux-​là mêmes qui en ont été les pro­mo­teurs offi­ciels dans le pas­sé – , pra­ti­que­ment tout péché serait social, au sens où il serait impu­table moins à la conscience morale d’une per­sonne qu’à une vague enti­té ou col­lec­ti­vi­té ano­nyme telle que la situa­tion, le sys­tème, la socié­té, les struc­tures, l’ins­ti­tu­tion, etc.

Or, quand elle parle de situa­tions de péché ou quand elle dénonce comme péchés sociaux cer­taines situa­tions ou cer­tains com­por­te­ments col­lec­tifs de groupes sociaux plus ou moins éten­dus, ou même l’at­ti­tude de nations entières et de blocs de nations, l’Eglise sait et pro­clame que ces cas de péché social sont le fruit, l’ac­cu­mu­la­tion et la concen­tra­tion de nom­breux péchés per­son­nels. Il s’a­git de péchés tout à fait per­son­nels de la part de ceux qui sus­citent ou favo­risent l’i­ni­qui­té, voire l’ex­ploitent ; de la part de ceux qui, bien que dis­po­sant du pou­voir de faire quelque chose pour évi­ter, éli­mi­ner ou au moins limi­ter cer­tains maux sociaux, omettent de le faire par incu­rie, par peur et com­plai­sance devant la loi du silence, par com­pli­ci­té mas­quée ou par indif­fé­rence ; de la part de ceux qui cherchent refuge dans la pré­ten­due impos­si­bi­li­té de chan­ger le monde ; et aus­si de la part de ceux qui veulent s’é­par­gner l’ef­fort ou le sacri­fice en pre­nant pré­texte de motifs d’ordre supé­rieur. Les vraies res­pon­sa­bi­li­tés sont donc celles des personnes.

Une situa­tion – et de même une ins­ti­tu­tion, une struc­ture, une socié­té – n’est pas, par elle-​même, sujet d’actes moraux ; c’est pour­quoi elle ne peut être, par elle-​même, bonne ou mauvaise.

A l’o­ri­gine de toute situa­tion de péché se trouvent tou­jours des hommes pécheurs. C’est si vrai que, si une telle situa­tion peut être modi­fiée dans ses aspects struc­tu­rels et ins­ti­tu­tion­nels par la force de la loi ou, comme il arrive mal­heu­reu­se­ment trop sou­vent, par la loi de la force, en réa­li­té le chan­ge­ment se révèle incom­plet, peu durable et, en défi­ni­tive, vain et inef­fi­cace – pour ne pas dire qu’il pro­duit un effet contraire – si les per­sonnes direc­te­ment ou indi­rec­te­ment res­pon­sables d’une telle situa­tion ne se conver­tissent pas.

Péché mor­tel, péché véniel

17. Mais voi­ci, dans le mys­tère du péché, une autre dimen­sion sur laquelle l’in­tel­li­gence de l’homme n’a jamais ces­sé de médi­ter : celle de sa gra­vi­té. C’est une ques­tion inévi­table, à laquelle la conscience chré­tienne n’a jamais renon­cé à répondre : pour­quoi et dans quelle mesure le péché est-​il grave en tant qu’of­fense faite à Dieu et en rai­son de sa réper­cus­sion sur l’homme ? L’Eglise a une doc­trine propre à ce sujet, et elle la réaf­firme en ses élé­ments essen­tiels tout en sachant qu’il n’est pas tou­jours facile, dans les situa­tions concrètes, de déli­mi­ter net­te­ment les frontières.

Déjà dans l’Ancien Testament il était dit, à pro­pos de nom­breux péchés – ceux qui étaient com­mis délibérément(75), les diverses formes de luxure(76), d’idolâtrie(77), de culte des faux dieux(78) – que le cou­pable devait être « éli­mi­né de son peuple », ce qui pou­vait aus­si signi­fier condam­né à mort(79). Par contre d’autres péchés, sur­tout ceux com­mis par igno­rance, pou­vaient être par­don­nés grâce à un sacrifice(80).

C’est aus­si en se réfé­rant à ces textes que l’Eglise parle constam­ment, depuis des siècles, de péché mor­tel et de péché véniel. Mais cette dis­tinc­tion et ces termes s’é­clairent sur­tout dans le Nouveau Testament, où se trouvent des textes nom­breux qui énu­mèrent et réprouvent en des termes vigou­reux les péchés qui méritent par­ti­cu­liè­re­ment d’être condamnés(81), sans par­ler de la confir­ma­tion du déca­logue que Jésus donne lui-même(82). Ici, je vou­drais me repor­ter par­ti­cu­liè­re­ment à deux pages signi­fi­ca­tives et impressionnantes.

Dans un pas­sage de sa pre­mière Lettre, saint Jean parle d’un péché qui conduit à la mort (prós thá­na­ton) et l’op­pose à un péché qui ne conduit pas à la mort (mè prós thánaton)(83). Il est évident que le concept de mort est ici spi­ri­tuel : il s’a­git de perdre la vie véri­table ou « vie éter­nelle » qui, pour Jean, est la connais­sance du Père et du Fils(84), la com­mu­nion et l’in­ti­mi­té avec eux. Le péché qui conduit à la mort semble, dans le pas­sage cité de la pre­mière Lettre de saint Jean, être le rejet du Fils(85), ou le culte des faux dieux(86). Quoi qu’il en soit, par cette dis­tinc­tion des concepts, Jean semble vou­loir sou­li­gner la gra­vi­té incal­cu­lable de ce qui est l’es­sence du péché, le refus de Dieu, accom­pli sur­tout dans l’a­po­sta­sie et l’i­do­lâ­trie, c’est-​à-​dire l’acte de reje­ter la foi en la véri­té révé­lée, de mettre au même rang que Dieu cer­taines réa­li­tés créées et d’en faire des idoles ou de faux dieux(87). Mais l’Apôtre, dans cette page, entend aus­si mettre en lumière la cer­ti­tude don­née au chré­tien du fait qu’il est « né de Dieu » grâce à la « venue du Fils » : il y a en lui une force qui le pré­serve de la chute dans le péché ; Dieu le garde, et « le Mauvais n’a pas de prise sur lui ». Car s’il pèche par fai­blesse ou par igno­rance, il a en lui l’es­pé­rance de la rémis­sion, étant d’ailleurs sou­te­nu par la prière com­mune de ses frères.

Dans une autre page du Nouveau Testament, plus pré­ci­sé­ment dans l’Evangile de Matthieu(88), Jésus lui-​même parle d’un « blas­phème contre l’Esprit Saint » qui « ne sera pas remis », parce qu’il consiste, dans ses diverses mani­fes­ta­tions, à refu­ser avec obs­ti­na­tion la conver­sion à l’a­mour du Père des miséricordes.

Il s’a­git, bien enten­du, d’ex­pres­sions extrêmes et radi­cales : le refus de Dieu, le refus de sa grâce et, par consé­quent, l’op­po­si­tion au prin­cipe même du salut(89); par là l’homme semble volon­tai­re­ment s’in­ter­dire la voie de la rémis­sion. Il faut espé­rer que très peu d’hommes aient la volon­té de s’obs­ti­ner jus­qu’à la fin dans cette atti­tude de révolte ou de défi ouvert contre Dieu, lequel, par ailleurs, comme nous l’en­seigne encore saint Jean(90), « est plus grand que notre cœur » dans son amour misé­ri­cor­dieux et peut vaincre toutes nos résis­tances psy­cho­lo­giques et spi­ri­tuelles, si bien que, comme l’é­crit saint Thomas d’Aquin, « il ne faut déses­pé­rer du salut de per­sonne en cette vie, en rai­son de la toute-​puissance et de la misé­ri­corde de Dieu»(91).

Mais, face à ce pro­blème de la ren­contre d’une volon­té rebelle avec Dieu infi­ni­ment juste, on ne peut pas ne pas nour­rir des sen­ti­ments de « crainte et trem­ble­ment » salu­taires, comme le sug­gère saint Paul(92); tan­dis que l’a­ver­tis­se­ment de Jésus à pro­pos du péché « qui ne peut être remis » confirme l’exis­tence de fautes qui peuvent atti­rer sur le pécheur la peine de la « mort éternelle ».

A la lumière de ces textes de la sainte Ecriture et d’autres, les doc­teurs et les théo­lo­giens les maîtres spi­ri­tuels et les pas­teurs ont dis­tin­gué entre les péchés mor­tels et les péchés véniels. Saint Augustin, notam­ment, par­lait de leta­lia ou de mor­ti­fe­ra cri­mi­na, les oppo­sant à venia­lia, levia ou quo­ti­dia­na(93). Le sens qu’il a don­né à ces qua­li­fi­ca­tifs influen­ce­ra ulté­rieu­re­ment le Magistère de l’Eglise. Après lui, saint Thomas d’Aquin for­mu­le­ra dans les termes les plus clairs pos­sible la doc­trine deve­nue constante dans l’Eglise.

En éta­blis­sant cette dis­tinc­tion entre les péchés mor­tels et les péchés véniels, et en les défi­nis­sant, la théo­lo­gie du péché de saint Thomas et de ceux qui la conti­nuent ne pou­vait igno­rer la réfé­rence biblique et, par consé­quent, le concept de mort spi­ri­tuelle. Selon le Docteur angé­lique, pour vivre selon l’Esprit, l’homme doit res­ter en com­mu­nion avec le prin­cipe suprême de la vie, Dieu même, en tant que fin ultime de tout son être et de tout son agir. Or le péché est un désordre pro­vo­qué par l’homme contre ce prin­cipe vital. Et quand, « par le péché, l’âme pro­voque un désordre qui va jus­qu’à la sépa­ra­tion d’a­vec la fin ultime – Dieu – à laquelle elle est liée par la cha­ri­té, il y a alors un péché mor­tel ; au contraire, toutes les fois que le désordre reste en-​deçà de la sépa­ra­tion d’a­vec Dieu, le péché est véniel»(94). Pour cette rai­son, le péché véniel ne prive pas de la grâce sanc­ti­fiante, de l’a­mi­tié avec Dieu, de la cha­ri­té, ni par consé­quent de la béa­ti­tude éter­nelle, tan­dis qu’une telle pri­va­tion est pré­ci­sé­ment la consé­quence du péché mortel.

En outre, consi­dé­rant le péché sous l’as­pect de la peine qu’il entraîne, saint Thomas avec d’autres doc­teurs appelle mor­tel le péché qui, s’il n’est pas remis, fait contrac­ter une peine éter­nelle ; véniel, le péché qui mérite une peine sim­ple­ment tem­po­relle (c’est-​à-​dire par­tielle et qui peut être expiée sur terre ou au purgatoire).

Si l’on consi­dère ensuite la matière du péché, les idées de mort, de rup­ture radi­cale avec Dieu, bien suprême, de dévia­tion par rap­port à la route qui conduit à Dieu ou d’in­ter­rup­tion du che­mi­ne­ment vers lui (toutes manières de défi­nir le péché mor­tel), se conjuguent avec l’i­dée de gra­vi­té impli­quée dans le conte­nu objec­tif : c’est pour­quoi le péché grave s’i­den­ti­fie pra­ti­que­ment, dans la doc­trine et l’ac­tion pas­to­rale de l’Eglise, avec le péché mor­tel.

Nous recueillons ici le noyau de l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Eglise, repris sou­vent et avec force au cours du récent Synode. Celui-​ci, en effet, a non seule­ment réaf­fir­mé ce qui avait été pro­cla­mé par le Concile de Trente sur l’exis­tence et la nature des péchés mor­tels et véniels(95), mais il a vou­lu rap­pe­ler qu’est péché mor­tel tout péché qui a pour objet une matière grave et qui, de plus, est com­mis en pleine conscience et de consen­te­ment déli­bé­ré. On doit ajou­ter, comme cela a été fait éga­le­ment au Synode, que cer­tains péchés sont intrin­sè­que­ment graves et mor­tels quant à leur matière. C’est-​à-​dire qu’il y a des actes qui, par eux-​mêmes et en eux-​mêmes, indé­pen­dam­ment des cir­cons­tances, sont tou­jours gra­ve­ment illi­cites, en rai­son de leur objet. Ces actes, s’ils sont accom­plis avec une conscience claire et une liber­té suf­fi­sante, sont tou­jours des fautes graves(96).

Cette doc­trine, fon­dée sur le Décalogue et sur la pré­di­ca­tion de l’Ancien Testament, reprise dans le kérygme des Apôtres, appar­te­nant à l’en­sei­gne­ment le plus ancien de l’Eglise qui la répete jus­qu’à aujourd’­hui, trouve dans l’ex­pé­rience humaine de tous les temps une exacte véri­fi­ca­tion. L’homme sait bien, par expé­rience, que, sur le che­min de la foi et de la jus­tice qui le conduit à la connais­sance et à l’a­mour de Dieu dans cette vie et à l’u­nion par­faite avec lui dans l’é­ter­ni­té, il peut s’ar­rê­ter ou s’é­car­ter, sans pour autant aban­don­ner la voie de Dieu : dans ce cas il y a péché véniel ; tou­te­fois celui-​ci ne devra pas être vidé de son sens, comme s’il était auto­ma­ti­que­ment chose négli­geable, ou un « péché qui compte peu ». A vrai dire l’homme sait aus­si, par sa dou­lou­reuse expé­rience, qu’il peut inver­ser sa marche par un acte conscient et libre de sa volon­té, et che­mi­ner dans le sens oppo­sé à la volon­té de Dieu, et ain­si s’é­loi­gner de lui (aver­sio a Deo), refu­sant la com­mu­nion d’a­mour avec lui, se déta­chant du prin­cipe de vie qu’est Dieu, choi­sis­sant ain­si la mort.

Avec toute la tra­di­tion de l’Eglise, nous appe­lons péché mor­tel l’acte par lequel un homme, libre­ment et consciem­ment, refuse Dieu, sa loi, l’al­liance d’a­mour que Dieu lui pro­pose, pré­fé­rant se tour­ner vers lui-​même, vers quelque réa­li­té créée et finie, vers quelque chose de contraire à la volon­té de Dieu (conver­sio ad crea­tu­ram). Cela peut se pro­duire d’une manière directe et for­melle, comme dans les péchés d’i­do­lâ­trie, d’a­po­sta­sie, d’a­théisme ; ou d’une manière qui revient au même comme dans toutes les déso­béis­sances aux com­man­de­ments de Dieu en matière grave. L’homme sent bien que cette déso­béis­sance à Dieu brise ses liens avec son prin­cipe vital : c’est un péché mor­tel, c’est-​à-​dire un acte qui offense Dieu gra­ve­ment et fina­le­ment se retourne contre l’homme lui-​même avec une force puis­sante et obs­cure de destruction.

Au cours de l’as­sem­blée syno­dale, cer­tains Pères ont pro­po­sé une dis­tinc­tion tri­par­tite des péchés : il convien­drait de les clas­ser en péchés véniels, graves et mor­tels. Cette dis­tinc­tion tri­par­tite pour­rait mettre en lumière le fait que, par­mi les péchés graves, il existe une gra­da­tion. Mais il reste tou­jours vrai que la dis­tinc­tion essen­tielle et déci­sive est celle entre le péché qui détruit la cha­ri­té et le péché qui ne tue pas la vie sur­na­tu­relle : entre la vie et la mort il n’y a pas de place pour un moyen terme.

De même on devra évi­ter de réduire le péché mor­tel à l’acte qui exprime une « option fon­da­men­tale » contre Dieu, sui­vant l’ex­pres­sion cou­rante actuel­le­ment, en enten­dant par là un mépris for­mel et expli­cite de Dieu ou du pro­chain. Il y a, en fait, péché mor­tel éga­le­ment quand l’homme choi­sit, consciem­ment et volon­tai­re­ment, pour quelque rai­son que ce soit, quelque chose de gra­ve­ment désor­don­né. En effet, un tel choix com­prend par lui-​même un mépris de la loi divine, un refus de l’a­mour de Dieu pour l’hu­ma­ni­té et toute la créa­tion : l’homme s’é­loigne de Dieu et perd la cha­ri­té. L’orientation fon­da­men­tale peut donc être radi­ca­le­ment modi­fiée par des actes par­ti­cu­liers. Sans aucun doute il peut y avoir des situa­tions très com­plexes et obs­cures sur le plan psy­cho­lo­gique, qui ont une inci­dence sur la res­pon­sa­bi­li­té sub­jec­tive du pécheur. Mais de consi­dé­ra­tions d’ordre psy­cho­lo­gique, on ne peut pas­ser à la consti­tu­tion d’une nou­velle caté­go­rie théo­lo­gique, comme le serait pré­ci­sé­ment l”«option fon­da­men­tale », enten­due de telle manière que, sur le plan objec­tif, elle chan­ge­rait ou met­trait en doute la concep­tion tra­di­tion­nelle du péché mortel.

S’il convient d’ap­pré­cier toute ten­ta­tive sin­cère et pru­dente de cla­ri­fier le mys­tère psy­cho­lo­gique et théo­lo­gique du péché, l’Eglise a cepen­dant le devoir de rap­pe­ler à tous ceux qui étu­dient ces matières la néces­si­té d’une part d’être fidèles à la Parole de Dieu qui nous ins­truit aus­si sur le péché, et d’autre part le risque que l’on court de contri­buer à atté­nuer encore plus dans le monde contem­po­rain le sens du péché.

Perte du sens du péché

18. Par la lec­ture de l’Evangile faite dans la com­mu­nion ecclé­siale, la conscience chré­tienne a acquis au long des géné­ra­tions une fine sen­si­bi­li­té et une capa­ci­té aiguë de per­ce­voir lesfer­ments de mort que contient le péché. Une sen­si­bi­li­té et une capa­ci­té de per­cep­tion qui per­mettent aus­si de déce­ler ces fer­ments dans les mille formes que revêt le péché, dans les mille visages sous les­quels il se pré­sente. Et c’est ce qu’on a cou­tume d’ap­pe­ler le sens du péché.

Ce sens du péché a sa racine dans la conscience de l’homme et en est comme l’ins­tru­ment de mesure. Il est lié au sens de Dieu, puis­qu’il pro­vient du rap­port conscient de l’homme avec Dieu comme son Créateur, son Seigneur et Père. C’est pour­quoi, de même que l’on ne peut effa­cer com­plè­te­ment le sens de Dieu ni éteindre la conscience, de même le sens du péché n’est jamais com­plè­te­ment effacé.

Pourtant, il n’est pas rare dans l’his­toire, en des périodes plus ou moins longues et sous l’in­fluence de fac­teurs mul­tiples, que la conscience morale se trouve gra­ve­ment obs­cur­cie en beau­coup d’hommes. « Avons-​nous une idée juste de la conscience ? », demandais-​je il a deux ans au cours d’un entre­tien avec les fidèles : « L’homme contem­po­rain ne vit-​il pas sous la menace d’une éclipse de la conscience, d’une défor­ma­tion de la conscience, d’un engour­dis­se­ment ou d’une « anes­thé­sie » des consciences?»(97). Trop de signes indiquent qu’à notre époque se pro­duit une telle éclipse, ce qui est d’au­tant plus inquié­tant que cette conscience, défi­nie par le Concile comme « le centre le plus secret et le sanc­tuaire de l’homme»(98), est « étroi­te­ment liée à la liber­té de l’homme… C’est pour cela que la conscience consti­tue un élé­ment essen­tiel qui fonde la digni­té inté­rieure de l’homme et, en même temps, son rap­port avec Dieu»(99). Il est donc inévi­table dans cette situa­tion que le sens du péché soit lui aus­si obnu­bi­lé, car il est étroi­te­ment lié à la conscience morale, à la recherche de la véri­té, à la volon­té de faire un usage res­pon­sable de sa liber­té. Avec la conscience, le sens de Dieu lui aus­si se trouve obs­cur­ci, et alors, si cette réfé­rence inté­rieure déci­sive est per­due, le sens du péché dis­pa­raît. Voilà pour­quoi mon pré­dé­ces­seur Pie XII a pu décla­rer un jour, dans une expres­sion deve­nue presque pro­ver­biale, que « le péché de ce siècle est la perte du sens du péché»(100).

Pourquoi ce phé­no­mène en notre temps ? Un regard sur cer­taines com­po­santes de la culture contem­po­raine peut nous aider à com­prendre l’at­té­nua­tion pro­gres­sive du sens du péché, pré­ci­sé­ment à cause de la crise de la conscience et du sens de Dieu déjà sou­li­gnée ci-dessus.

Le « sécu­la­risme » est en soi et par défi­ni­tion un mou­ve­ment d’i­dées et de mœurs qui impose un huma­nisme qui fait tota­le­ment abs­trac­tion de Dieu, concen­tré uni­que­ment sur le culte de l’a­gir et de la pro­duc­tion, empor­té par l’i­vresse de la consom­ma­tion et du plai­sir, sans se pré­oc­cu­per du dan­ger de « perdre son âme» ; il ne peut qu’a­moin­drir le sens du péché. Ce der­nier se réduit, tout au plus, à ce qui offense l’homme. Mais pré­ci­sé­ment ici s’im­pose l’a­mère expé­rience à laquelle j’ai déjà fait allu­sion dans ma pre­mière ency­clique : l’homme peut construire un monde sans Dieu, mais ce monde fini­ra par se retour­ner contre l’homme(101). En réa­li­té, Dieu est l’o­ri­gine et la fin suprême de l’homme, et celui-​ci porte en lui un germe divin(102). C’est pour­quoi, c’est le mys­tère de Dieu qui dévoile et éclaire le mys­tère de l’homme. Il est donc vain d’es­pé­rer qu’un sens du péché puisse prendre consis­tance par rap­port à l’homme et aux valeurs humaines si fait défaut le sens de l’of­fense com­mise contre Dieu, c’est-​à-​dire le véri­table sens du péché.

Ce sens du péché dis­pa­raît éga­le­ment dans la socié­té contem­po­raine à cause des équi­voques ou l’on tombe en accueillant cer­tains résul­tats des sciences humaines. Ainsi, en par­tant de quelques-​unes des affir­ma­tions de la psy­cho­lo­gie, la pré­oc­cu­pa­tion de ne pas culpa­bi­li­ser ou de ne pas mettre un frein à la liber­té porte à ne jamais recon­naître aucun man­que­ment. A cause d’une extra­po­la­tion indue des cri­tères de la science socio­lo­gique, on en vient, comme j’y ai déjà fait allu­sion, à repor­ter sur la socié­té toutes les fautes dont l’in­di­vi­du est décla­ré inno­cent. Egalement, une cer­taine anthro­po­lo­gie cultu­relle, à son tour, a force de gros­sir les condi­tion­ne­ments indé­niables et l’in­fluence du milieu et des condi­tions his­to­riques sur l’homme, limite sa res­pon­sa­bi­li­té au point de ne pas lui recon­naître la capa­ci­té d’ac­com­plir de véri­tables actes humains et, par consé­quent, la pos­si­bi­li­té de pécher.

Le sens du péché dis­pa­raît faci­le­ment aus­si sous l’in­fluence d’une éthique déri­vée d’un cer­tain rela­ti­visme his­to­rique. Il peut s’a­gir de l’é­thique qui rela­ti­vise la norme morale, niant sa valeur abso­lue et incon­di­tion­nelle, et niant par consé­quent qu’il puisse exis­ter des actes intrin­sè­que­ment illi­cites, indé­pen­dam­ment des cir­cons­tances où ils sont posés par le sujet. Il s’a­git d’un véri­table « ébran­le­ment et (d’une) baisse des valeurs morales », et le pro­blème, « ce n’est pas tel­le­ment l’i­gno­rance de l’é­thique chré­tienne », mais « plu­tôt celui du sens, des fon­de­ments et des cri­tères de l’at­ti­tude morale»(103). L’effet de cet ébran­le­ment éthique est tou­jours aus­si d’é­touf­fer à ce point la notion du péché qu’on finit presque par affir­mer que le péché existe mais qu’on ne sait pas qui le commet.

Enfin le sens du péché dis­pa­raît quand – comme cela peut se pro­duire dans l’en­sei­gne­ment don­né aux jeunes, dans les médias, dans l’é­du­ca­tion fami­liale elle-​même – il se trouve iden­ti­fié par erreur avec le sen­ti­ment mor­bide de la culpa­bi­li­té ou avec la simple trans­gres­sion des normes et des pré­ceptes de la loi.

La perte du sens du péché est donc une forme ou un résul­tat de la néga­tion de Dieu : non seule­ment celle de l’a­théisme, mais aus­si celle de la sécu­la­ri­sa­tion. Si le péché est la rup­ture du rap­port filial avec Dieu pour mener sa vie en dehors de l’o­béis­sance qu’on lui doit, alors pécher ce n’est pas seule­ment nier Dieu ; pécher, c’est aus­si vivre comme s’il n’exis­tait pas, c’est l’ef­fa­cer de sa vie quo­ti­dienne. Un modèle de socié­té muti­lé ou dés­équi­li­bré dans l’un ou l’autre sens, sou­vent pré­sen­té par les moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale, favo­rise consi­dé­ra­ble­ment la perte pro­gres­sive du sens du péché. Dans une telle situa­tion, l’obs­cur­cis­se­ment ou l’af­fai­blis­se­ment du sens du péché découle du refus de toute réfé­rence à la trans­cen­dance, au nom de l’as­pi­ra­tion à l’au­to­no­mie per­son­nelle ; de l’as­su­jet­tis­se­ment à des modèles éthiques impo­sés par un consen­sus et une atti­tude géné­rale, même si la conscience indi­vi­duelle les condamne ; des condi­tions socio-​économiques dra­ma­tiques qui oppriment une très grande part de l’hu­ma­ni­té, fai­sant naître la ten­dance à ne voir les erreurs et les fautes que dans le domaine social ; enfin et sur­tout de l’ef­fa­ce­ment de l’i­dée de la pater­ni­té de Dieu et de sa sei­gneu­rie sur l’homme.

Et même dans le domaine de la pen­sée et de la vie ecclé­siales, il y a des ten­dances qui favo­risent inévi­ta­ble­ment le déclin du sens du péché. Certains, par exemple, tendent à rem­pla­cer des atti­tudes exces­sives du pas­sé par d’autres excès : au lieu de voir le péché par­tout, on ne le dis­tingue plus nulle part ; au lieu de trop mettre l’ac­cent sur la peur des peines éter­nelles, on prêche un amour de Dieu qui exclue­rait toute peine méri­tée par le péché ; au lieu de la sévé­ri­té avec laquelle on s’ef­force de cor­ri­ger les consciences erro­nées, on prône un tel res­pect de la conscience qu’il sup­prime le devoir de dire la véri­té. Et pour­quoi ne pas ajou­ter que la confu­sion créée dans la conscience de nom­breux fidèles par les diver­gences d’o­pi­nions et d’en­sei­gne­ments dans la théo­lo­gie, dans la pré­di­ca­tion, dans la caté­chèse, dans la direc­tion spi­ri­tuelle au sujet de ques­tions graves et déli­cates de la morale chré­tienne, finit par amoin­drir, presque au point de l’ef­fa­cer, le véri­table sens du péché ? Et il ne faut pas taire cer­tains défauts dans la pra­tique de la Pénitence sacra­men­telle : ain­si la ten­dance à obs­cur­cir le sens ecclé­sial du péché et de la conver­sion, en les rédui­sant à des réa­li­tés seule­ment indi­vi­duelles, ou, inver­se­ment, la ten­dance à sup­pri­mer la valeur per­son­nelle du bien et du mal pour en consi­dé­rer exclu­si­ve­ment la dimen­sion com­mu­nau­taire ; ou encore le dan­ger, pas encore entiè­re­ment conju­ré, du ritua­lisme rou­ti­nier qui enlève au sacre­ment son plein sens et son effi­ca­ci­té éducative.

Rétablir un juste sens du péché, c’est la pre­mière façon d’af­fron­ter la grave crise spi­ri­tuelle qui pèse sur l’homme de notre temps. Mais le sens du péché ne se réta­bli­ra que par un recours clair aux prin­cipes inalié­nables de la rai­son et de la foi que la doc­trine morale de l’Eglise a tou­jours soutenus.

Il est per­mis d’es­pé­rer que sera ravi­vé, sur­tout dans le monde chré­tien et ecclé­sial, un sens salu­taire du péché. A cela contri­bue­ront une bonne caté­chèse, éclai­rée par la théo­lo­gie biblique de l’Alliance, une écoute atten­tive et un accueil confiant du Magistère de l’Eglise qui ne cesse d’é­clai­rer les consciences, et une pra­tique tou­jours plus sérieuse du sacre­ment de la Pénitence.

CHAPITRE II« MYSTERIUM PIETATIS »

19. Pour connaître le péché, il était néces­saire de regar­der atten­ti­ve­ment sa nature, telle que la révé­la­tion du des­sein du salut nous l’a fait connaître : il s’a­git du mys­te­rium ini­qui­ta­tis. Mais dans ce plan du salut, le péché n’est pas agent prin­ci­pal, et encore moins vain­queur. Il est en oppo­si­tion avec un autre prin­cipe agis­sant que nous pou­vons appe­ler le mys­te­rium, ou le sacra­men­tum pie­ta­tis, selon une expres­sion de saint Paul, belle et sug­ges­tive. Le péché de l’homme aurait le des­sus et fina­le­ment il serait des­truc­teur, le des­sein sal­vi­fique de Dieu demeu­re­rait sans accom­plis­se­ment ou même se ter­mi­ne­rait en défaite, si ce mys­te­rium pie­ta­tis n’é­tait pas insé­ré dans le dyna­misme de l’his­toire pour vaincre le péché de l’homme.

Nous trou­vons cette expres­sion dans une des Lettres pas­to­rales de saint Paul, la pre­mière à Timothée. Elle sur­git à l’im­pro­viste comme par une ins­pi­ra­tion jaillis­sante. En effet l’Apôtre, qui, aupa­ra­vant, a consa­cré de longs para­graphes de son mes­sage au dis­ciple bien-​aimé pour expli­quer le sens de l’or­ga­ni­sa­tion de la com­mu­nau­té (la vie litur­gique, et, en lien avec elle, la struc­ture hié­rar­chique), a ensuite par­lé du rôle des chefs de la com­mu­nau­té, pour évo­quer fina­le­ment le com­por­te­ment de Timothée lui-​même dans « l’Eglise du Dieu vivant, colonne et sup­port de la véri­té ». A la fin il évoque donc sou­dain, non sans une inten­tion pro­fonde, ce qui donne son sens à tout ce qu’il a écrit : « C’est incon­tes­ta­ble­ment un grand mys­tère que celui de la pié­té…»(104).

Sans tra­hir le moins du monde le sens lit­té­ral du texte, nous pou­vons élar­gir cette magni­fique intui­tion théo­lo­gique de l’Apôtre à une vision plus com­plète du rôle que tient dans l’é­co­no­mie du salut la véri­té qu’il annonce. « Il est vrai­ment grand, répétons-​le avec lui, le mys­tère de la pié­té », parce qu’il est vain­queur du péché.

Mais cette « pié­té », qu’est-​elle au juste dans la concep­tion paulinienne ?

Il s’a­git du Christ lui-même

20. Il est pro­fon­dé­ment signi­fi­ca­tif que, pour pré­sen­ter ce mys­te­rium pie­ta­tis, Paul trans­crit sim­ple­ment, sans éta­blir un lien gram­ma­ti­cal avec le texte précédent(105), trois lignes d’une hymne chris­to­lo­gique qui, de l’a­vis de plu­sieurs spé­cia­listes auto­ri­sés, était en usage dans les com­mu­nau­tés chré­tiennes hellénistiques.

Par les paroles de cette hymne, denses de conte­nu théo­lo­gique et d’un style noble et beau, ces croyants du pre­mier siècle pro­fes­saient leur foi dans le mys­tère du Christ, à savoir qu e : il s’est mani­fes­té dans la réa­li­té de la chair humaine et il a été consti­tué le Juste par l’Esprit Saint, lui qui s’offre pour les injustes ; il est appa­ru aux anges, deve­nu plus grand qu’eux, et il a été pro­cla­mé chez les païens, comme por­teur de salut ; il a été accueilli dans le monde par la foi, comme envoyé du Père, et éle­vé au ciel par le même Père, comme Seigneur(106).

Le mys­tère ou le sacre­ment de la pié­té est donc le mys­tère même du Christ. Il est, dans une syn­thèse très expres­sive, le mys­tère de l’Incarnation et de la Rédemption, de la Pâque plé­nière de Jésus, Fils de Dieu et Fils de Marie : mys­tère de sa pas­sion et de sa mort, de sa résur­rec­tion et de sa glo­ri­fi­ca­tion. Saint Paul, en repre­nant les phrases de l’hymne, a vou­lu rap­pe­ler que ce mys­tère est le prin­cipe vital secret fai­sant de l’Eglise la mai­son de Dieu, la colonne et le sup­port de la véri­té. Dans le sillage de l’en­sei­gne­ment de Paul, nous pou­vons affir­mer que ce mys­tère de l’in­fi­nie pié­té de Dieu envers nous est capable de péné­trer jus­qu’aux racines cachées de notre ini­qui­té, pour sus­ci­ter dans l’âme un mou­ve­ment de conver­sion, pour la rache­ter et déployer ses voiles vers la réconciliation.

En se réfé­rant sans aucun doute à ce mys­tère, saint Jean lui aus­si, dans son lan­gage carac­té­ris­tique, dif­fé­rent de celui de saint Paul, pou­vait écrire que « qui­conque est né de Dieu ne pèche pas » : le Fils de Dieu le garde, « et le Mauvais n’a pas prise sur lui»(107). Dans cette affir­ma­tion de saint Jean, il y a une indi­ca­tion d’es­pé­rance, fon­dée sur les pro­messes divines : le chré­tien a été assu­ré de rece­voir les forces néces­saires pour ne pas pécher. Il ne s’a­git donc pas d’une impec­ca­bi­li­té acquise par sa propre ver­tu ou, à plus forte rai­son, innée dans l’homme, comme le pen­saient les Gnostiques. C’est un résul­tat de l’ac­tion de Dieu. Pour ne pas pécher, le chré­tien dis­pose de la connais­sance de Dieu, comme saint Jean le rap­pelle dans le même pas­sage. Mais un peu aupa­ra­vant, il avait écrit : « Quiconque est né de Dieu ne com­met pas le péché, parce que la semence divine demeure en lui»(108). Si, par « semence de Dieu » nous enten­dons, comme le pro­posent cer­tains com­men­ta­teurs, Jésus, le Fils de Dieu, alors nous pou­vons dire que, pour ne pas pécher – ou pour se libé­rer du péché – le chré­tien dis­pose de la pré­sence en soi du Christ lui-​même et du mys­tère du Christ, qui est le mys­tère de piété.

L’effort du chrétlen

21. Mais dans le mys­te­rium pie­ta­tis, il y a une autre face : à la pié­té de Dieu envers le chré­tien doit cor­res­pondre la pié­té du chré­tien envers Dieu. Dans cette seconde accep­tion, la pié­té (eusé­beia) signi­fie pré­ci­sé­ment le com­por­te­ment du chré­tien qui répond à la pié­té pater­nelle de Dieu par sa pié­té filiale.

En ce sens encore nous pou­vons affir­mer avec saint Paul qu” « il est grand le mys­tère de la pié­té ». Dans ce sens aus­si, la pié­té, comme force de conver­sion et de récon­ci­lia­tion, affronte l’i­ni­qui­té et le péché. Dans ce cas éga­le­ment les aspects essen­tiels du mys­tère du Christ sont objets de la pié­té, c’est-​à-​dire que le chré­tien accueille le mys­tère, le contemple, en tire la force spi­ri­tuelle néces­saire pour mener sa vie selon l’Evangile. Ici encore, on doit dire que « celui qui est né de Dieu ne com­met pas le péché» ; mais l’ex­pres­sion a un sens impé­ra­tif : sou­te­nu par le mys­tère et par les mys­tères du Christ, comme par une source inté­rieure d’éner­gie spi­ri­tuelle, le chré­tien est mis en garde contre le péché et, plus encore, il reçoit le com­man­de­ment de ne pas pécher en se com­por­tant digne­ment « dans la mai­son de Dieu, c’est-​à-​dire dans l’Eglise du Dieu vivant»(109), étant un fils de Dieu.

Vers une vie réconciliée

22. Ainsi la Parole de l’Ecriture, en nous révé­lant le mys­tère de la pié­té, ouvre l’in­tel­li­gence humaine à la conver­sion et à la récon­ci­lia­tion, enten­dues non comme de hautes abs­trac­tions, mais comme des valeurs chré­tiennes concrètes à acqué­rir dans la vie quotidienne.

Les hommes d’au­jourd’­hui, comme pris au piège par la perte du sens du péché, ten­tés par­fois par quelque illu­sion bien peu chré­tienne d’im­pec­ca­bi­li­té, ont besoin eux aus­si de réen­tendre, comme adres­sé à cha­cun d’eux per­son­nel­le­ment, l’a­ver­tis­se­ment de saint Jean : « Si nous disons : « Nous n’a­vons pas de péché », nous nous abu­sons, la véri­té n’est pas en nous » (110). Et encore : « Le monde entier gît au pou­voir du Mauvais»(111). Chacun est donc invi­té par la voix de la Vérité divine à lire dans sa conscience avec réa­lisme et à confes­ser qu’il a été engen­dré dans l’i­ni­qui­té, comme nous le disons dans le psaume Miserere(112).

Cependant, mena­cés par la peur et par le déses­poir, les hommes d’au­jourd’­hui peuvent se sen­tir récon­for­tés par la pro­messe divine qui les ouvre à l’es­pé­rance de la pleine réconciliation.

Le mys­tère de la pié­té, de la part de Dieu, est la misé­ri­corde dont le Seigneur notre Père – je le répète encore – est infi­ni­ment riche(113). Comme je l’ai dit dans l’en­cy­clique consa­crée au thème de la misé­ri­corde divine(114), celle-​ci est un amour plus puis­sant que le péché, plus fort que la mort. Quand nous nous aper­ce­vons que l’a­mour que Dieu a pour nous ne se laisse pas arrê­ter par notre péché, ne recule pas devant nos offenses, mais se fait encore plus pres­sant et plus géné­reux ; quand nous nous ren­dons compte que cet amour est allé jus­qu’à cau­ser la pas­sion et la mort du Verbe fait chair, qui a accep­té de nous rache­ter en payant de son Sang, alors nous débor­dons de recon­nais­sance : « Oui, le Seigneur est riche en misé­ri­corde », et nous allons jus­qu’à dire : « Le Seigneur est miséricorde ».

Le mys­tère de la pié­té est la voie ouverte par la misé­ri­corde divine à la vie réconciliée.

TROISIÈME PARTIE – LA PASTORALE DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION

Promotion de la péni­tence et de la réconciliation

23. Susciter dans le cœur de l’homme la conver­sion et la péni­tence, et lui offrir le don de la récon­ci­lia­tion, consti­tue la mis­sion natu­relle de l’Eglise qui conti­nue ain­si l’œuvre rédemp­trice de son divin Fondateur. Cette mis­sion ne se limite pas à quelques affir­ma­tions théo­riques ni à pro­po­ser un idéal éthique sans l’ac­com­pa­gner des forces néces­saires à sa réa­li­sa­tion ; elle tend à s’ex­pri­mer dans des fonc­tions pré­cises du minis­tère, ordon­nées à une pra­tique concrète de la péni­tence et de la réconciliation.

Ce minis­tère, fon­dé et éclai­ré par les prin­cipes de foi expo­sés ci-​dessus, orien­té vers des objec­tifs pré­cis et sou­te­nu par des moyens adé­quats, nous pou­vons l’ap­pe­ler pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion. Son point de départ est la convic­tion de l’Eglise que l’homme auquel s’a­dresse toute forme de pas­to­rale, mais sur­tout la pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion, est l’homme mar­qué par le péché dont David nous four­nit un exemple signi­fi­ca­tif. Recevant les reproches du pro­phète Nathan, il accepte d’être confron­té avec ses propres crimes et il avoue : « J’ai péché contre le Seigneur»(115). Il pro­clame : « Oui, je connais mon péché, ma faute est tou­jours devant moi»(116). Mais aus­si il prie : « Purifie-​moi avec l’hy­sope, et je serai pur ; lave-​moi et je serai blanc, plus que la neige»(117). Et il reçoit la réponse du Dieu misé­ri­cor­dieux : « Le Seigneur a par­don­né ton péché : tu ne mour­ras pas»(118).

L’Eglise se trouve donc en face de l’homme – en face de tout un monde humain – bles­sé par le péché, atteint par lui au plus intime dans la pro­fon­deur de son être, mais en même temps pous­sé par le désir incoer­cible d’être libé­ré du péché et, spé­cia­le­ment s’il est chré­tien, conscient que le mys­tère de pié­té, le Christ Seigneur, agit en lui et dans le monde par la force de la Rédemption.

La fonc­tion récon­ci­lia­trice de l’Eglise doit ain­si se déployer en fonc­tion du lien intime qui rat­tache étroi­te­ment le par­don et la rémis­sion du péché de chaque homme à la récon­ci­lia­tion fon­da­men­tale et plé­nière de l’hu­ma­ni­té, réa­li­sée par la Rédemption. Ce lien nous fait com­prendre que, le péché étant le prin­cipe actif de la divi­sion – divi­sion entre l’homme et son Créateur, divi­sion dans le cœur et dans l’es­prit de l’homme, divi­sion entre les indi­vi­dus et entre les groupes humains, divi­sion entre l’homme et la nature créée par Dieu – , seule la conver­sion qui détourne du péché est capable de réa­li­ser une récon­ci­lia­tion pro­fonde et durable par­tout où la divi­sion a pénétré.

Il n’est point besoin de répé­ter ici ce que j’ai déjà dit sur l’im­por­tance de ce « minis­tère de la réconciliation»(119) et de la pas­to­rale cor­res­pon­dante qui le met en œuvre dans la conscience et dans la vie de l’Eglise. Celle-​ci failli­rait à un aspect de sa nature et négli­ge­rait l’une de ses fonc­tions indis­pen­sables si elle ne pro­cla­mait pas avec clar­té et fer­me­té, à temps et à contre­temps, « la parole de la réconciliation»(120) et si elle n’of­frait pas au monde le don de la récon­ci­lia­tion. Mais, il convient de le répé­ter, il importe que ce ser­vice ecclé­sial de récon­ci­lia­tion s’é­tende, au-​delà des fron­tières de l’Eglise, au monde entier.

Parler de pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion signi­fie donc que l’on envi­sage l’en­semble des tâches qui incombent à l’Eglise, sur tous les plans, pour les pro­mou­voir. Plus concrè­te­ment, par­ler de cette pas­to­rale veut dire évo­quer toutes les acti­vi­tés par les­quelles l’Eglise, grâce à l’en­semble et à cha­cun de ceux qui la com­posent – Pasteurs et fidèles à tous les niveaux et dans tous les milieux et avec tous les moyens à sa dis­po­si­tion – en paroles et en actes, par l’en­sei­gne­ment et par la prière – conduit les hommes, indi­vi­duel­le­ment ou en groupe, à la vraie péni­tence et les intro­duit ain­si sur le che­min de la pleine réconciliation.

Les Pères du Synode – en tant que repré­sen­tants de leurs confrères évêques, guides du peuple qui leur est confié – ont tra­vaillé sur cette pas­to­rale dans ses élé­ments les plus pra­tiques et les plus concrets. Et je suis heu­reux de leur faire écho, en m’as­so­ciant à leurs pré­oc­cu­pa­tions et à leurs espé­rances, en accueillant les fruits de leurs recherches et de leurs expé­riences, en les encou­ra­geant dans leurs pro­jets et leurs réa­li­sa­tions. Puissent-​ils retrou­ver dans cette par­tie de l’ex­hor­ta­tion apos­to­lique ce qu’ils ont appor­té eux-​mêmes au Synode, apport dont je vou­drais faire béné­fi­cier aus­si, dans les pages qui suivent, l’Eglise entière.

Je juge donc oppor­tun de mettre en lumière l’es­sen­tiel de la pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion, en expo­sant les deux points suivants :

Les moyens uti­li­sés et les voies sui­vies par l’Eglise pour pro­mou­voir la péni­tence et la réconciliation ;

Le sacre­ment par excel­lence de la Pénitence et de la Réconciliation.

CHAPITRE ILA PROMOTION DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION : MOYENS ET VOIES

24. Pour pro­mou­voir la péni­tence et la récon­ci­lia­tion, l’Eglise a à sa dis­po­si­tion sur­tout deux moyens qui lui ont été confiés par son Fondateur même : la caté­chèse et les sacre­ments. L’Eglise les met en œuvre d’une façon qu’elle consi­dère tou­jours plei­ne­ment adap­tée aux exi­gences de sa mis­sion sal­vi­fique et répon­dant en même temps aux exi­gences et aux besoins spi­ri­tuels des hommes de tous les temps, et cela sous des formes et des manières anciennes et nou­velles. Parmi celles-​ci, il sera bon de rap­pe­ler spé­cia­le­ment ce que nous pou­vons nom­mer la méthode du dia­logue, à la suite de mon pré­dé­ces­seur Paul VI.

Le dia­logue

25. Le dia­logue, pour l’Eglise, est en un sens un moyen et sur­tout une manière d’exer­cer son action dans le monde contem­po­rain. Le Concile Vatican II, en effet, pro­clame d’a­bord que « l’Eglise, en ver­tu de la mis­sion qui est la sienne d’é­clai­rer l’u­ni­vers entier par le mes­sage évan­gé­lique et de réunir en un seul Esprit tous les hommes…, appa­raît comme le signe de cette fra­ter­ni­té qui rend pos­sible un dia­logue loyal et qui le ren­force ». Puis il ajoute qu’elle doit être capable « d’é­ta­blir un dia­logue sans cesse plus fécond entre tous ceux qui consti­tuent l’u­nique peuple de Dieu»(121), comme aus­si d”«établir un dia­logue avec la socié­té humaine»(122).

Mon pré­dé­ces­seur Paul VI a consa­cré au dia­logue une par­tie notable de sa pre­mière ency­clique Ecclesiam suam, où il le décrit et le carac­té­rise de façon signi­fi­ca­tive comme un dia­logue du salut(123).

L’Eglise en effet uti­lise la méthode du dia­logue pour mieux ame­ner les hommes – ceux qui, par le bap­tême et la pro­fes­sion de foi, se recon­naissent membres de la com­mu­nau­té chré­tienne, et ceux qui lui sont étran­gers – à la conver­sion et à la péni­tence, sur la voie d’un pro­fond renou­veau de leur conscience et de leur vie, à la lumière du mys­tère de la rédemp­tion et du salut réa­li­sés par le Christ et confiés au minis­tère de son Eglise. L’authentique dia­logue vise donc avant tout la régé­né­ra­tion de cha­cun, par la conver­sion inté­rieure et la péni­tence, tout en res­pec­tant pro­fon­dé­ment les consciences dans les démarches patientes et pro­gres­sives que requièrent les condi­tions des hommes de notre temps.

Le dia­logue pas­to­ral en vue de la récon­ci­lia­tion demeure aujourd’­hui un enga­ge­ment fon­da­men­tal de l’Eglise en divers domaines et à dif­fé­rents niveaux.

L’Eglise met en œuvre avant tout un dia­logue œcu­mé­nique, c’est-​à-​dire avec les Eglises et les Communautés ecclé­siales qui se réclament de la foi dans le Christ, Fils de Dieu et unique Sauveur, et un dia­logue avec les autres com­mu­nau­tés d’hommes qui cherchent Dieu et veulent avoir un rap­port de com­mu­nion avec lui.

A la base d’un tel dia­logue avec les autres Eglises et Communautés ecclé­siales, et avec les autres reli­gions – et c’est aus­si la condi­tion de sa cré­di­bi­li­té et de son effi­ca­ci­té – , il doit y avoir un effort sin­cère de dia­logue per­ma­nent et renou­ve­lé à l’in­té­rieur de l’Eglise catho­lique elle-​même. Cette Eglise a conscience d’être, par sa nature, sacre­ment de la com­mu­nion uni­ver­selle de cha­ri­té(124); mais elle a conscience éga­le­ment des ten­sions qui existent en son sein et qui risquent de deve­nir des fac­teurs de division.

L’appel attris­té et ferme, déjà adres­sé par mon pré­dé­ces­seur en vue de l’Année sainte 1975(125), est encore valable actuel­le­ment. Pour par­ve­nir à sur­mon­ter les conflits et évi­ter que les ten­sions nor­males ne nuisent à l’u­ni­té de l’Eglise, il faut que nous nous met­tions tous en face de la Parole de Dieu et que, aban­don­nant nos vues sub­jec­tives, nous cher­chions la véri­té là où elle se trouve, c’est-​à-​dire dans la Parole divine et dans l’in­ter­pré­ta­tion authen­tique qu’en donne le Magistère de l’Eglise. Sous cette lumière, l’é­coute réci­proque, le res­pect et l’abs­ten­tion de tout juge­ment hâtif, la patience, la capa­ci­té d’é­vi­ter que la foi, qui unit, soit subor­don­née aux opi­nions, aux modes et aux choix idéo­lo­giques qui divisent, consti­tuent autant de qua­li­tés d’un dia­logue qui, à l’in­té­rieur de l’Eglise, doit être pour­sui­vi avec assi­dui­té, volon­té, sin­cé­ri­té. Il est clair que le dia­logue ne serait pas tout cela et qu’il ne devien­drait pas un fac­teur de récon­ci­lia­tion si on ne prê­tait pas atten­tion au Magistère et si on ne l’ac­cep­tait pas.

Effectivement enga­gée dans la recherche de sa propre com­mu­nion interne, l’Eglise catho­lique peut adres­ser l’ap­pel à la récon­ci­lia­tion, comme elle l’a déjà fait depuis long­temps, aux autres Eglises avec les­quelles il n’y a pas une pleine com­mu­nion, et aus­si aux autres reli­gions et même à tous ceux qui cherchent Dieu d’un cœur sincère.

A la lumière du Concile et du magis­tère de mes pré­dé­ces­seurs, dont j’ai reçu le pré­cieux héri­tage que je m’ef­force de conser­ver et de mettre en pra­tique, je puis affir­mer que l’Eglise catho­lique, dans toutes ses com­mu­nau­tés, s’en­gage avec loyau­té dans le dia­logue œcu­mé­nique, en évi­tant les opti­mismes faciles, mais aus­si sans méfiance, sans hési­ta­tion ou sans délai. Les règles fon­da­men­tales qu’elle cherche à suivre dans ce dia­logue sont, d’une part, l’as­su­rance que seul un œcu­mé­nisme spi­ri­tuel – fon­dé sur la prière com­mune et sur la doci­li­té com­mune à l’u­nique Seigneur – per­met de répondre sin­cè­re­ment et sérieu­se­ment aux autres exi­gences de l’ac­tion œcuménique(126); d’autre part, la convic­tion qu’un cer­tain iré­nisme facile en matière doc­tri­nale et sur­tout dog­ma­tique pour­rait peut-​être mener à une forme de « convi­via­li­té » super­fi­cielle et pas­sa­gère, mais non pas à la com­mu­nion pro­fonde et stable que nous sou­hai­tons tous. A cette com­mu­nion on par­vien­dra à l’heure vou­lue par la divine Providence, mais pour y arri­ver, l’Eglise catho­lique, en ce qui la concerne, sait qu’elle doit être ouverte et sen­sible à toutes « les valeurs réel­le­ment chré­tiennes qui ont leur source au com­mun patri­moine et qui se trouvent chez nos frères séparés»(127), mais qu’elle doit pareille­ment poser à la base d’un dia­logue loyal et construc­tif la clar­té des posi­tions, la fidé­li­té et la cohé­rence avec la foi trans­mise et défi­nie dans la conti­nui­té de la tra­di­tion chré­tienne par son Magistère. Par ailleurs, mal­gré la menace d’un cer­tain défai­tisme et mal­gré les inévi­tables len­teurs qui ne sau­raient être cor­ri­gées par une manière incon­si­dé­rée d’a­gir, l’Eglise catho­lique conti­nue à cher­cher avec tous les autres frères chré­tiens les voies de l’u­ni­té et, avec les dis­ciples des autres reli­gions, un dia­logue sin­cère. Puisse ce dia­logue inter-​religieux conduire au dépas­se­ment de toute atti­tude d’hos­ti­li­té, de défiance, de condam­na­tion mutuelle et même de mutuelles invec­tives ! C’est là une condi­tion pré­li­mi­naire pour que nous puis­sions nous ren­con­trer au moins dans la foi en un Dieu unique et dans la cer­ti­tude de la vie éter­nelle pour l’âme immor­telle. Et, en par­ti­cu­lier, fasse le Seigneur que le dia­logue œcu­mé­nique mène à une sin­cère récon­ci­lia­tion dans le cadre de tout ce que nous pou­vons déjà avoir en com­mun avec les autres Eglises chré­tiennes : la foi en Jésus Christ, Fils de Dieu fait homme, Sauveur et Seigneur, l’é­coute de la Parole, l’é­tude de la Révélation, le sacre­ment du baptême.

Dans la mesure où l’Eglise est capable de sus­ci­ter la concorde active – l’u­ni­té dans la diver­si­té – en son propre sein, et de s’of­frir comme témoin et humble agent de récon­ci­lia­tion à l’é­gard des autres Eglises et Communautés ecclé­siales et des autres reli­gions, elle devient, selon la défi­ni­tion expres­sive de saint Augustin, « monde récon­ci­lié»(128). Alors elle pour­ra être un signe de récon­ci­lia­tion dans le monde et pour le monde.

Ayant conscience de l’im­mense gra­vi­té de la situa­tion créée par les forces de divi­sion et de guerre, situa­tion qui consti­tue aujourd’­hui une menace pesante non seule­ment pour l’é­qui­libre et l’har­mo­nie des nations, mais pour la sur­vie même de l’hu­ma­ni­té, l’Eglise res­sent le devoir d’of­frir et de pro­po­ser sa col­la­bo­ra­tion spé­ci­fique pour sur­mon­ter les conflits et réta­blir la concorde.

Il s’a­git là d’un dia­logue com­plexe et déli­cat de récon­ci­lia­tion. L’Eglise s’y engage avant tout par l’ac­tion du Saint-​Siège et de ses divers Organismes. On peut affir­mer que le Saint-​Siège s’ef­force d’in­ter­ve­nir auprès des Gouvernants des nations et des res­pon­sables des diverses ins­tances inter­na­tio­nales, ou de se joindre à eux, en dia­lo­guant avec eux ou en les sti­mu­lant à dia­lo­guer entre eux, au béné­fice de la récon­ci­lia­tion au cœur de nom­breux conflits. L’Eglise le fait, non pour des motifs seconds ou pour des inté­rêts occultes, car elle n’en a pas, mais « par pré­oc­cu­pa­tion humanitaire»(129), met­tant sa struc­ture ins­ti­tu­tion­nelle et son auto­ri­té morale, tout à fait sin­gu­lières, au ser­vice de la concorde et de la paix. Elle le fait dans la convic­tion que, de même que « dans une guerre, deux par­ties se lèvent l’une contre l’autre », de même « dans la ques­tion de la paix, ce sont tou­jours et néces­sai­re­ment deux par­ties qui doivent savoir s’en­ga­ger », et c’est ain­si que « l’on trouve le véri­table sens du dia­logue pour la paix»(130).

Dans le dia­logue pour la récon­ci­lia­tion, l’Eglise s’en­gage aus­si par les évêques, selon la com­pé­tence et la res­pon­sa­bi­li­té qui leur sont propres, soit indi­vi­duel­le­ment en diri­geant leurs Eglises par­ti­cu­lières, soit réunis dans leurs Conférences épis­co­pales, avec la col­la­bo­ra­tion des prêtres et de tous les membres des com­mu­nau­tés chré­tiennes. Ils accom­plissent fidè­le­ment leur devoir quand ils pro­meuvent cet indis­pen­sable dia­logue et lors­qu’ils pro­clament les exi­gences humaines et chré­tiennes de récon­ci­lia­tion et de paix. En com­mu­nion avec leurs Pasteurs, les laïcs, dont le « champ propre de (l”)activité évan­gé­li­sa­trice est le monde vaste et com­pli­qué de la poli­tique, du social, de l’é­co­no­mie…, de la vie internationale»(131), sont appe­lés à s’en­ga­ger direc­te­ment dans le dia­logue ou en faveur du dia­logue pour la récon­ci­lia­tion. Par leur entre­mise, c’est encore l’Eglise qui accom­plit son action réconciliatrice.

La régé­né­ra­tion des cœurs par la conver­sion et la péni­tence est donc le pré­sup­po­sé fon­da­men­tal et la base sûre de tout renou­veau social durable et de la paix entre les nations.

Il reste à rap­pe­ler que, de la part de l’Eglise et de ses membres, le dia­logue, sous quelque forme qu’il se déroule – ces formes sont et peuvent être très diverses, si bien que le concept de dia­logue a une valeur ana­lo­gique – , ne pour­ra jamais par­tir d’une atti­tude d’in­dif­fé­rence envers la véri­té, mais il en sera plu­tôt une pré­sen­ta­tion faite sous un mode serein, res­pec­tueux de l’in­tel­li­gence et de la conscience des autres. Le dia­logue de la récon­ci­lia­tion ne pour­ra jamais rem­pla­cer ou atté­nuer l’an­nonce de la véri­té évan­gé­lique, qui a comme but pré­cis la conver­sion du pécheur et la com­mu­nion avec le Christ et avec l’Eglise, mais il devra ser­vir à la trans­mis­sion de cette véri­té et à sa réa­li­sa­tion à tra­vers les moyens lais­sés par le Christ à son Eglise pour la pas­to­rale de la récon­ci­lia­tion : la caté­chèse et la pénitence.

La caté­chèse

26. Dans le vaste domaine où l’Eglise a la mis­sion d’œu­vrer selon la méthode du dia­logue, la pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion s’a­dresse aux membres du corps de l’Eglise, avant tout par une caté­chèse appro­priée concer­nant les deux réa­li­tés dis­tinctes et com­plé­men­taires aux­quelles les Pères du Synode ont don­né une par­ti­cu­lière impor­tance et qu’ils ont mises en relief dans plu­sieurs des Propositions qui concluaient leur tra­vail, pré­ci­sé­ment la péni­tence et la récon­ci­lia­tion. La caté­chèse est donc le pre­mier moyen à employer.

A la base de la recom­man­da­tion si oppor­tune du Synode, on trouve un pré­sup­po­sé fon­da­men­tal : ce qui est pas­to­ral ne s’op­pose pas à doc­tri­nal, et l’ac­tion pas­to­rale ne peut faire abs­trac­tion du conte­nu doc­tri­nal, bien plus, elle tire de lui sa sub­stance et sa valeur réelle. Or, si l’Eglise est « colonne et sup­port de la vérité»(132), et si elle est éta­blie dans le monde comme Mère et Maîtresse, com­ment pourrait-​elle négli­ger le devoir d’en­sei­gner la véri­té qui consti­tue un che­min de vie ?

Des Pasteurs de l’Eglise, on attend avant tout une caté­chèse sur la récon­ci­lia­tion. Celle-​ci ne peut man­quer de se fon­der sur l’en­sei­gne­ment biblique, spé­cia­le­ment sur celui du Nouveau Testament, tou­chant la néces­si­té de recons­ti­tuer l’al­liance avec Dieu dans le Christ rédemp­teur et récon­ci­lia­teur et, à la lumière de cette nou­velle com­mu­nion et de cette nou­velle ami­tié, et dans leur pro­lon­ge­ment, la néces­si­té de se récon­ci­lier avec son frère, quitte à lais­ser pour un temps l’of­frande du sacrifice(133). Jésus insiste beau­coup sur ce thème de la récon­ci­lia­tion fra­ter­nelle : par exemple lors­qu’il invite à tendre l’autre joue à celui qui nous a frap­pés, et à lais­ser même notre man­teau à celui qui a pris notre tunique(134), ou lors­qu’il enseigne la loi du par­don, un par­don que cha­cun reçoit dans la mesure où il sait pardonner(135), un par­don à offrir même à nos ennemis(136), un par­don à accor­der soixante-​dix fois sept fois(137), c’est-​à-​dire, en pra­tique, sans aucune limi­ta­tion. C’est à ces condi­tions, réa­li­sables seule­ment dans un cli­mat authen­ti­que­ment évan­gé­lique, qu’est pos­sible une véri­table récon­ci­lia­tion entre les indi­vi­dus, entre les familles, les com­mu­nau­tés, les nations et les peuples. De ces don­nées bibliques sur la récon­ci­lia­tion décou­le­ra natu­rel­le­ment une caté­chèse théo­lo­gique, qui inté­gre­ra aus­si dans sa syn­thèse les élé­ments de la psy­cho­lo­gie, de la socio­lo­gie et des autres sciences humaines, celles-​ci pou­vant ser­vir à cla­ri­fier les situa­tions, bien poser les pro­blèmes, convaincre les audi­teurs ou les lec­teurs de prendre des réso­lu­tions concrètes.

Des Pasteurs de l’Eglise, on attend éga­le­ment une caté­chèse sur la péni­tence. Là encore la richesse du mes­sage biblique doit en être la source. Ce mes­sage sou­ligne avant tout, en ce qui concerne la péni­tence, sa valeur de conver­sion, terme par lequel on cherche à tra­duire le mot du texte grec metá­noia(138), qui signi­fie lit­té­ra­le­ment lais­ser s’o­pé­rer un retour­ne­ment de l’es­prit pour qu’il se tourne vers Dieu. Voici du reste les deux élé­ments fon­da­men­taux qui res­sortent de la para­bole du fils per­du et retrou­vé : le fait de « ren­trer en soi-même»(139) et la déci­sion de retour­ner vers son père. Il ne sau­rait y avoir de récon­ci­lia­tion sans ces atti­tudes pri­mor­diales de la conver­sion, et la caté­chèse doit les expli­quer par des concepts et des termes adap­tés aux dif­fé­rents âges, aux diverses condi­tions cultu­relles, morales et sociales.

C’est une pre­mière valeur de la péni­tence qui se pro­longe dans la deuxième valeur : la péni­tence signi­fie aus­si repen­tir. Les deux sens de la metá­noia appa­raissent dans la consigne signi­fi­ca­tive don­née par Jésus : « Si ton frère se repent, remets-​lui. Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi en disant : « Je me repens », tu lui remettras»(140). Une bonne caté­chèse mon­tre­ra com­ment le repen­tir, tout comme la conver­sion, loin d’être un sen­ti­ment super­fi­ciel, est un vrai retour­ne­ment de l’âme.

Une troi­sième valeur est conte­nue dans la péni­tence : c’est le mou­ve­ment par lequel les atti­tudes de conver­sion et de repen­tir dont on vient de par­ler se mani­festent à l’ex­té­rieur : c’est ce qu’on appelle faire péni­tence. Ce sens est bien per­cep­tible dans le terme metá­noia tel qu’il est employé par le Précurseur selon le texte des synoptiques(141). Faire péni­tence veut dire, fina­le­ment, réta­blir l’é­qui­libre et l’har­mo­nie rom­pus par le péché, chan­ger de direc­tion même au prix de sacrifices.

En somme, on ne sau­rait se pas­ser d’une caté­chèse sur la péni­tence, la plus com­plète et la plus adé­quate pos­sible, en un temps comme le nôtre où les atti­tudes domi­nantes dans la psy­cho­lo­gie et dans les com­por­te­ments sociaux sont en oppo­si­tion avec la triple valeur déjà expo­see : l’homme d’au­jourd’­hui semble avoir plus de peine que jamais à recon­naître ses propres erreurs et à déci­der de reve­nir sur ses pas pour reprendre le che­min après avoir rec­ti­fié sa marche ; il semble très réti­cent à dire : « Je me repens » ou « je regrette» ; il semble refu­ser ins­tinc­ti­ve­ment, et sou­vent de manière irré­sis­tible, tout ce qui est péni­tence au sens du sacri­fice accep­té et pra­ti­qué pour se cor­ri­ger du péché. A cet égard, je vou­drais sou­li­gner que, même si elle est adou­cie depuis quelque temps, la dis­ci­pline péni­ten­tielle de l’Eglise ne peut être aban­don­née sans grave dom­mage pour la vie inté­rieure des chré­tiens et de la com­mu­nau­té ecclé­siale, comme pour leur capa­ci­té de rayon­ne­ment mis­sion­naire. Il n’est pas rare que des non-​chrétiens soient sur­pris par la rare­té du témoi­gnage de vraie péni­tence de la part des dis­ciples du Christ. Il est clair, par ailleurs, que la péni­tence chré­tienne sera authen­tique dans la mesure où elle sera ins­pi­rée par l’a­mour, et non pas par la seule crainte, où elle consis­te­ra en un sérieux effort pour cru­ci­fier le « vieil homme » afin que puisse renaître « l’homme nou­veau », grâce au Christ ; où elle sui­vra comme modèle le Christ qui, bien qu’in­no­cent, choi­sit la voie de la pau­vre­té de la patience, de l’aus­té­ri­té et, on peut le dire, de la vie pénitente.

Des Pasteurs de l’Eglise, on attend encore, comme l’a rap­pe­lé le Synode, une caté­chèse sur la conscience et sur sa for­ma­tion. Il y a là encore un thème de grande actua­li­té étant don­né que, dans les sou­bre­sauts qui affectent la culture de notre temps, ce sanc­tuaire inté­rieur de l’homme, c’est-​à-​dire ce moi le plus intime de l’homme, sa conscience, se trouve trop sou­vent agres­sé, mis à l’é­preuve, bou­le­ver­sé, obs­cur­ci. Pour une caté­chèse sérieuse sur la conscience, on peut trou­ver des indi­ca­tions pré­cieuses aus­si bien chez les Docteurs de l’Eglise que dans la théo­lo­gie du Concile Vatican II et spé­cia­le­ment dans ses docu­ments sur l’Eglise dans le monde contemporain(142) et sur la liber­té religieuse(143). C’est dans cette ligne que le Pape Paul VI inter­vint sou­vent pour rap­pe­ler la nature et le rôle de la conscience dans notre vie(144). Pour ma part, en sui­vant ses traces, je ne laisse pas­ser aucune occa­sion de faire la lumière sur ce qui fait par­tie au plus haut degré de la gran­deur et de la digni­té de l’homme(145), sur cette « sorte de sens moral qui nous amène à dis­cer­ner ce qui est bien et ce qui est mal… comme un oeil inté­rieur, une facul­té visuelle de l’es­prit, capable de gui­der nos pas sur la voie du bien» ; j’ai rap­pe­lé éga­le­ment la néces­si­té de for­mer de façon chré­tienne sa propre conscience afin qu’elle ne devienne pas « une force des­truc­trice de sa véri­table huma­ni­té (de la per­sonne), mais soit le saint lieu où Dieu lui révèle son vrai bien»(146).

C’est aus­si sur d’autres points impor­tants pour la récon­ci­lia­tion que l’on attend la caté­chèse des Pasteurs de l’Eglise :
Sur le sens du péché qui, comme je l’ai dit, s’est pas­sa­ble­ment atté­nué dans notre monde.

Sur la ten­ta­tion et sur les ten­ta­tions : le Seigneur Jésus lui-​même, le Fils de Dieu, « éprou­vé en tout, d’une manière sem­blable à nous, a l’ex­cep­tion du péché»(147), vou­lut être ten­té par le Mauvais(148), pour nous indi­quer que, comme lui, les siens seraient eux aus­si sou­mis à la ten­ta­tion, et de même pour nous mon­trer com­ment il faut se com­por­ter quand nous sommes ten­tés. Pour celui qui sup­plie le Père de ne pas être ten­té au-​delà de ses forces(149) et de ne pas suc­com­ber à la tentation(150), pour celui qui ne s’ex­pose pas aux occa­sions de péché, le fait d’être sou­mis à la ten­ta­tion ne signi­fie pas avoir péché, mais c’est plu­tôt une occa­sion de gran­dir dans la fidé­li­té et dans la cohé­rence à tra­vers l’hu­mi­li­té et la vigilance.

Sur le jeûne : il peut être pra­ti­qué sous des formes anciennes ou nou­velles, comme signe de conver­sion, de repen­tir et de mor­ti­fi­ca­tion per­son­nelle et, en même temps, d’u­nion avec le Christ cru­ci­fié et de soli­da­ri­té avec ceux qui ont faim et ceux qui souffrent.
Sur l’au­mône : elle est un moyen de concré­ti­ser la cha­ri­té, en par­ta­geant ce dont on dis­pose avec celui qui éprouve les consé­quences de la pauvreté.

Sur le lien étroit qui existe entre le dépas­se­ment des divi­sions dans le monde et la pleine com­mu­nion avec Dieu et entre les hommes, fin escha­to­lo­gique de l’Eglise.

Sur les cir­cons­tances concrètes dans les­quelles doit se réa­li­ser la récon­ci­lia­tion (dans la famille, dans la com­mu­nau­té civile, dans les struc­tures sociales) et, en par­ti­cu­lier, sur les quatre récon­ci­lia­tions qui réparent les quatre rup­tures fon­da­men­tales : récon­ci­lia­tion de l’homme avec Dieu, avec lui-​même, avec ses frères, avec toute la création.

L’Eglise ne peut omettre, sans une grave muti­la­tion de son mes­sage essen­tiel, par­ti­cu­lier et uni­ver­sel, une caté­chèse constante sur ce que le lan­gage chré­tien tra­di­tion­nel désigne comme les quatre fins der­nières de l’homme : la mort, le juge­ment (par­ti­cu­lier et uni­ver­sel), l’en­fer et le para­dis ; dans un contexte cultu­rel qui tend à enfer­mer l’homme dans le cadre de sa vie ter­restre plus ou moins réus­sie, on demande aux Pasteurs de l’Eglise une caté­chèse qui ouvre et éclaire avec les cer­ti­tudes de la foi l’au-​delà de la vie pré­sente ; der­rière les mys­té­rieuses portes de la mort se pro­file une éter­ni­té de joie dans la com­mu­nion avec Dieu ou de peine dans l’é­loi­gne­ment de Dieu. C’est seule­ment dans cette vision escha­to­lo­gique que l’on peut avoir la mesure exacte du péché et se sen­tir pous­sé de façon déci­sive à la péni­tence et à la réconciliation.

Les Pasteurs zélés et inven­tifs ne man­que­ront jamais de trou­ver les occa­sions de don­ner cette caté­chèse dans son exten­sion et sa varié­té, en tenant compte de la diver­si­té de culture et de for­ma­tion reli­gieuse de ceux aux­quels ils s’a­dressent. Les lec­tures bibliques et les rites de la messe et des autres sacre­ments en donnent sou­vent la pos­si­bi­li­té, ain­si que les cir­cons­tances mêmes qui appellent leur célé­bra­tion. De mul­tiples ini­tia­tives peuvent être prises dans le même but, telles que les pré­di­ca­tions, les confé­rences, les débats, les ses­sions et les cours de culture reli­gieuse, etc., comme cela se fait en beau­coup d’en­droits. Je désire signa­ler en par­ti­cu­lier l’im­por­tance et l’ef­fi­ca­ci­té des anciennes mis­sions popu­laires, tou­jours pour cette même caté­chèse. Si elles sont adap­tées aux exi­gences par­ti­cu­lières de notre temps, elles peuvent être, aujourd’­hui comme hier, un ins­tru­ment valable d’é­du­ca­tion dans la foi, notam­ment pour tout ce qui concerne la péni­tence et la réconciliation.

Etant don­né la grande impor­tance de la récon­ci­lia­tion, fon­dée sur la conver­sion, dans le domaine déli­cat des rap­ports humains et de la vie sociale à tous les niveaux, y com­pris sur le plan inter­na­tio­nal, la caté­chèse ne peut négli­ger l’ap­port pré­cieux de la doc­trine sociale de l’Eglise. L’enseignement cir­cons­tan­cié et pré­cis de mes pré­dé­ces­seurs, depuis le Pape Léon XIII, auquel est venu s’ad­joindre l’ap­port sub­stan­tiel de la consti­tu­tion pas­to­rale Gaudium et spes du Concile Vatican II et celui des divers épis­co­pats sol­li­ci­tés d’in­ter­ve­nir en diverses cir­cons­tances connues par leurs pays, tout cela a consti­tué un corps de doc­trine ample et solide tou­chant les mul­tiples exi­gences inhé­rentes à la vie de la com­mu­nau­té humaine, aux rap­ports entre les indi­vi­dus, les familles et les groupes qui la com­posent, et a la consti­tu­tion d’une socié­té qui cherche à être cohé­rente avec la loi morale, fon­de­ment de la civilisation.

A la base de cet ensei­gne­ment social de l’Eglise se trouve évi­dem­ment la vision qu’elle tire de la Parole de Dieu sur les droits et les devoirs des indi­vi­dus, de la famille et de la com­mu­nau­té ; sur la valeur de la liber­té et les dimen­sions de la jus­tice ; sur le pri­mat de la cha­ri­té ; sur la digni­té de la per­sonne humaine et les exi­gences du bien com­mun que doivent cher­cher à réa­li­ser la poli­tique et l’é­co­no­mie elle-​même. C’est sur ces prin­cipes fon­da­men­taux du magis­tere social, qui confirment et pro­posent à nou­veau les lois uni­ver­selles de la rai­son et de la conscience des peuples, que s’ap­puie en grande par­tie l’es­pé­rance d’une solu­tion paci­fique de mul­tiples conflits sociaux et, en défi­ni­tive, de la reconc­flia­tion universelle.

Les sacre­ments

27. Le second moyen d’ins­ti­tu­tion divine, que l’Eglise met à la dis­po­si­tion de la pas­to­rale de la péni­tence et de la récon­ci­lia­tion, est consti­tué par les sacre­ments.

Dans le dyna­misme mys­té­rieux des sacre­ments, si riches de sym­bo­lismes et de conte­nu, il est pos­sible de per­ce­voir un aspect qui n’est pas tou­jours mis en lumière : cha­cun d’eux est signe, non seule­ment de sa grâce propre, mais aus­si de péni­tence et de récon­ci­lia­tion, et il est donc pos­sible de revivre en cha­cun d’eux ces dimen­sions spirituelles.

Il est cer­tain que le bap­tême est un bain de salut : comme le dit saint Pierre, il a sa valeur, « non pas (comme) l’en­lè­ve­ment d’une souillure char­nelle, mais (comme) l’en­ga­ge­ment envers Dieu d’une bonne conscience»(151). Il est à la fois mort, ense­ve­lis­se­ment et résur­rec­tion avec le Christ mort, ense­ve­li et ressuscité(152). Il est don de l’Esprit Saint à tra­vers le Christ(153). Toutefois cet élé­ment consti­tu­tif essen­tiel et ori­gi­nal du bap­tême chré­tien n’é­li­mine pas, mais au contraire enri­chit l’as­pect péni­ten­tiel déjà pré­sent dans le bap­tême que Jésus lui-​même reçut de Jean « pour accom­plir toute justice»(154); autre­ment dit, il s’a­git d’une conver­sion et d’une réin­té­gra­tion dans de justes rap­ports avec Dieu, de récon­ci­lia­tion avec Dieu, avec l’ef­fa­ce­ment de la tache ori­gi­nelle et l’in­ser­tion qui s’en­suit dans la grande famille des réconciliés.

De même, la confir­ma­tion, en tant d’ailleurs qu’a­chè­ve­ment du bap­tême et, avec lui, sacre­ment de l’i­ni­tia­tion, en confé­rant la plé­ni­tude de l’Esprit Saint et en ame­nant la vie chré­tienne à l’âge adulte, signi­fie et réa­lise par là même une conver­sion plus grande du cœur et une appar­te­nance plus intime et plus effec­tive à la même assem­blée de récon­ci­liés qu’est l’Eglise du Christ.

La défi­ni­tion que saint Augustin donne de l’Eucharistie comme « sacre­ment de la sanc­ti­fi­ca­tion, signe d’u­ni­té, lien de cha­ri­té » (« sacra­men­tum pie­ta­tis, signum uni­ta­tis, vin­cu­lum cari­ta­tis »)(155) met clai­re­ment en lumière les effets de sanc­ti­fi­ca­tion per­son­nelle (pie­tas) et de récon­ci­lia­tion com­mu­nau­taire (uni­tas et cari­tas) qui découlent de l’es­sence même du mys­tère eucha­ris­tique en tant que renou­vel­le­ment non san­glant du sacri­fice de la croix, source de salut et de récon­ci­lia­tion pour tous les hommes. Il est cepen­dant néces­saire de rap­pe­ler que l’Eglise, gui­dée par la foi dans cet auguste sacre­ment, enseigne qu’au­cun chré­tien, conscient d’a­voir com­mis un péché grave, ne peut rece­voir l’Eucharistie avant d’a­voir obte­nu le par­don de Dieu. Comme on le lit dans l’ins­truc­tion Eucharisticum mys­te­rium, qui, dûment approu­vée par Paul VI, confirme plei­ne­ment l’en­sei­gne­ment du Concile de Trente : « On pré­sen­te­ra aux fidèles l’Eucharistie comme “l’an­ti­dote qui nous libère de nos fautes quo­ti­diennes et nous pré­serve des péchés mor­tels”, et on leur indi­que­ra la façon conve­nable d’u­ser des par­ties péni­ten­tielles de la litur­gie de la messe. “On doit rap­pe­ler à qui veut com­mu­nier le pré­cepte : Que l’homme s’é­prouve lui-​même (1 Co 11, 28). La cou­tume de l’Eglise montre que cette épreuve est néces­saire, afin que tout homme, s’il a conscience d’un péché mor­tel, si contrit qu’il s’es­time, ne s’ap­proche pas de la sainte Eucharistie sans une confes­sion sacra­men­telle préa­lable”; s’il se trouve en cas de néces­si­té et qu’il ne lui est pas pos­sible de se confes­ser, qu’il fasse d’a­bord un acte de contri­tion parfaite»(156).

Le sacre­ment de l’Ordre est des­ti­né à don­ner à l’Eglise des Pasteurs, qui ne sont pas seule­ment maîtres et guides, mais sont appe­lés à être témoins et arti­sans d’u­ni­té, construc­teurs de la famille de Dieu, défen­seurs et gar­diens de la com­mu­nion de cette famille contre les fer­ments de divi­sion et de dispersion.

Le sacre­ment du mariage, exal­ta­tion de l’a­mour humain sous l’ac­tion de la grâce, est signe de l’a­mour du Christ pour l’Eglise, certes, mais aus­si de la vic­toire qu’il per­met aux époux de rem­por­ter sur les forces qui déforment et détruisent l’a­mour, de telle sorte que la famille, née de ce sacre­ment, devienne éga­le­ment signe de l’Eglise récon­ci­liée et récon­ci­lia­trice pour un monde récon­ci­lié dans toutes ses struc­tures et ses institutions.

L’onction des malades, enfin, dans l’é­preuve de la mala­die et de la vieillesse, et spé­cia­le­ment à l’heure finale de la vie du chré­tien, est un signe de la conver­sion défi­ni­tive au Seigneur, comme aus­si de la totale accep­ta­tion de la dou­leur et de la mort comme péni­tence pour les péchés. En cela se réa­lise la suprême récon­ci­lia­tion avec le Père.

Toutefois, par­mi les sacre­ments, il en est un qui, sou­vent appe­lé confes­sion en rai­son de l’ac­cu­sa­tion des péchés qu’il com­porte, peut être consi­dé­ré de façon plus appro­priée comme le sacre­ment de la Pénitence par anto­no­mase – c’est en effet ain­si qu’on le désigne – et il est donc le sacre­ment de la conver­sion et de la récon­ci­lia­tion. La récente Assemblée du Synode a par­ti­cu­liè­re­ment trai­té de ce sacre­ment, vu l’im­por­tance qu’il revêt pour la réconciliation.

CHAPITRE IILE SACREMENT DE LA PÉNITENCE ET DE LA RÉCONCILIATION

28. Dans toutes les phases et à tous les niveaux de son dérou­le­ment, le Synode a por­té la plus grande atten­tion au signe sacra­men­tel qui repré­sente et en même temps réa­lise la péni­tence et la récon­ci­lia­tion. Assurément, ce sacre­ment n’é­puise pas en lui-​même les concepts de conver­sion et de récon­ci­lia­tion. L’Eglise, en effet, connaît et valo­rise depuis ses ori­gines des formes nom­breuses et variées de péni­tence : cer­taines de type litur­gique ou para­li­tur­gique, qui vont de l’acte péni­ten­tiel de la messe aux céré­mo­nies pour implo­rer le par­don et aux pèle­ri­nages ; d’autres de carac­tère ascé­tique, comme le jeûne. Cependant, par­mi tous ces actes, aucun n’est plus signi­fi­ca­tif, plus divi­ne­ment effi­cace, ni plus éle­vé et en même temps plus acces­sible au sein du rite lui-​même que le sacre­ment de Pénitence.

Dès sa pré­pa­ra­tion, et ensuite au long des nom­breuses inter­ven­tions qui eurent lieu pen­dant son dérou­le­ment, dans les tra­vaux de groupe et dans les Propositions finales, le Synode a tenu compte de cette affir­ma­tion bien des fois répé­tée, avec des diver­si­tés de ton et de conte­nu : le sacre­ment de Pénitence tra­verse une crise, et le Synode en a pris acte. Il a recom­man­dé une caté­chèse appro­fon­die, mais éga­le­ment une ana­lyse non moins appro­fon­die de carac­tère théo­lo­gique, his­to­rique, psy­cho­lo­gique, socio­lo­gique et juri­dique sur la péni­tence en géné­ral et sur le sacre­ment de Pénitence en par­ti­cu­lier. Il a cher­ché ain­si à éclair­cir les causes de la crise et à ouvrir la voie à une solu­tion posi­tive pour le plus grand bien de l’hu­ma­ni­té. En même temps, du Synode lui-​même l’Eglise a reçu une claire confir­ma­tion de sa foi en ce qui concerne le sacre­ment qui donne à tout chré­tien et à la com­mu­nau­té entière des croyants la cer­ti­tude du par­don grâce à la puis­sance du sang rédemp­teur du Christ.

Il est bon de renou­ve­ler et de réaf­fir­mer cette foi à une époque où elle pour­rait s’af­fai­blir, perdre quelque chose de son inté­gri­té ou entrer dans une zone d’ombre et de silence, mena­cée comme elle l’est par la crise déjà men­tion­née en ce qu’elle a de néga­tif. En effet, le sacre­ment de la confes­sion est en butte à de nom­breuses menaces : d’un côté, l’obs­cur­cis­se­ment de la conscience morale et reli­gieuse, la dimi­nu­tion du sens du péché, la défor­ma­tion de la notion de repen­tir, l’é­lan insuf­fi­sant vers une vie authen­ti­que­ment chré­tienne ; d’un autre côté, la men­ta­li­té répan­due ici ou là selon laquelle on pour­rait obte­nir le par­don direc­te­ment de Dieu, même de façon ordi­naire, sans s’ap­pro­cher du sacre­ment de la Réconciliation, et aus­si la rou­tine d’une pra­tique sacra­men­telle qui manque par­fois de fer­veur et de spon­ta­néi­té spi­ri­tuelle, cette rou­tine étant due peut-​être à une concep­tion erro­née et détour­née de son vrai sens en ce qui concerne les effets du sacrement.

Il convient donc de rap­pe­ler les prin­ci­paux aspects de ce grand sacre­ment.

« Ceux à qui vous les remettrez »

29. La pre­mière don­née fon­da­men­tale nous vient des Livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament à pro­pos de la misé­ri­corde du Seigneur et de son par­don. Dans les psaumes et la pré­di­ca­tion des pro­phètes, le terme misé­ri­cor­dieux est peut-​être le terme le plus sou­vent attri­bué au Seigneur, contrai­re­ment au cli­ché per­sis­tant qui pré­sente le Dieu de l’Ancien Testament sur­tout comme un Dieu sévère et punis­seur. Ainsi, par­mi les psaumes, un long expo­sé sapien­tiel, se rap­por­tant à la tra­di­tion de l’Exode, rap­pelle l’ac­tion bien­veillante de Dieu au milieu de son peuple. Cette action, même dans sa repré­sen­ta­tion anthro­po­mor­phique, est peut-​être l’une des pro­cla­ma­tions les plus élo­quentes de la misé­ri­corde divine dans l’Ancien Testament. Il suf­fit de rap­pe­ler ici les ver­sets : « Et lui, misé­ri­cor­dieux, au lieu de détruire, il par­don­nait ; maintes fois, il retint sa colère au lieu de réveiller sa vio­lence. Il se rap­pe­lait : ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour»(157).

A la plé­ni­tude des temps, le Fils de Dieu, venant comme l’Agneau qui enlève et porte sur lui le péché du monde(158), appa­raît comme celui qui pos­sède le pou­voir aus­si bien de juger(159) que de par­don­ner les péchés(160); et il est venu non pour condam­ner mais pour par­don­ner et sauver(161).

Or, ce pou­voir de remettre les péchés, Jésus l’a confé­ré, par l’Esprit Saint, à de simples hommes, eux-​mêmes sujets aux assauts du péché, à savoir à ses Apôtres : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remet­trez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retien­drez, ils leur seront retenus»(162). C’est là une des nou­veau­tés évan­gé­liques les plus for­mi­dables ! En confé­rant ce pou­voir aux Apôtres, Jésus leur donne la facul­té de le trans­mettre, comme l’Eglise l’a com­pris dès l’aube de son exis­tence, à leurs suc­ces­seurs, inves­tis par les Apôtres eux-​mêmes de la mis­sion et de la res­pon­sa­bi­li­té de conti­nuer leur œuvre d’an­non­cia­teurs de l’Evangile et de ministres de la Rédemption du Christ.

Ici appa­raît dans toute sa gran­deur la figure du ministre du sacre­ment de Pénitence, appe­lé confes­seur selon une cou­tume très ancienne.
Comme à l’au­tel où il célèbre l’Eucharistie, et comme en cha­cun des sacre­ments, le prêtre, ministre de la Pénitence, agit « in per­so­na Christi ». Le Christ, qui est ren­du pré­sent par le prêtre et qui accom­plit par lui le mys­tère de la rémis­sion des péchés, appa­raît bien comme frère de l’homme(163), pon­tife misé­ri­cor­dieux, fidèle et compatissant(164), pas­teur tou­jours à la recherche de la bre­bis perdue(165), méde­cin qui gué­rit et réconforte(166), maître unique qui enseigne la véri­té et montre les che­mins de Dieu(167), juge des vivants et des morts(168), qui juge selon la véri­té et non d’a­près les apparences(169).

Ce minis­tère du prêtre est sans aucun doute le plus dif­fi­cile et le plus déli­cat, le plus fati­gant et le plus exi­geant, mais aus­si l’un des plus beaux et des plus conso­lants ; c’est pré­ci­sé­ment pour cela que, atten­tif au rap­pel très fort du Synode, je ne me las­se­rai jamais de rap­pe­ler à mes frères évêques et prêtres l’ac­com­plis­se­ment fidèle et assi­du de ce ministère(170). Face à la conscience du fidèle, qui s’ouvre à lui avec un mélange de crainte et de confiance, le confes­seur est appe­lé à une tâche éle­vée qui consiste à ser­vir la péni­tence et la récon­ci­lia­tion humaine, à savoir connaître les fai­blesses et les chutes de ce fidèle, éva­luer son désir de se reprendre et les efforts néces­saires pour y par­ve­nir, dis­cer­ner l’ac­tion de l’Esprit sanc­ti­fi­ca­teur dans son cœur, lui trans­mettre un par­don que Dieu seul peut accor­der, « célé­brer » sa récon­ci­lia­tion avec le Père, telle que la pré­sente la para­bole du fils pro­digue, réin­sé­rer ce pécheur libé­ré dans la com­mu­nion ecclé­siale avec ses frères, admo­nes­ter pater­nel­le­ment ce péni­tent en l’en­cou­ra­geant fer­me­ment et ami­ca­le­ment : « Va, désor­mais ne pèche plus!»(171).

Pour l’ac­com­plis­se­ment effi­cace de ce minis­tère, le confes­seur doit néces­sai­re­ment pos­sé­der des qua­li­tés humaines de pru­dence, de dis­cré­tion, de dis­cer­ne­ment, de fer­me­té tem­pé­rée par la dou­ceur et la bon­té. Il doit avoir aus­si une pré­pa­ra­tion sérieuse, non point frag­men­taire mais com­plète et cohé­rente dans les divers sec­teurs de la théo­lo­gie, dans les domaines de la péda­go­gie et de la psy­cho­lo­gie, de la métho­do­lo­gie du dia­logue, et sur­tout en matière de connais­sance pro­fonde et com­mu­ni­ca­tive de la Parole de Dieu. Mais il est encore plus néces­saire que le confes­seur soit ani­mé d’une vie spi­ri­tuelle intense et sin­cère. Pour conduire les autres sur la voie de la per­fec­tion chré­tienne, le ministre de la Pénitence doit le pre­mier par­cou­rir lui-​même ce che­min et don­ner – plus par des actes que par d’a­bon­dants dis­cours – des preuves d’ex­pé­rience réelle de l’o­rai­son vécue, de pra­tique des ver­tus évan­gé­liques théo­lo­gales et morales, d’o­béis­sance fidèle à la volon­té de Dieu, d’a­mour de l’Eglise et de doci­li­té à son Magistère.

Tout cet ensemble de qua­li­tés humaines, de ver­tus chré­tiennes et de com­pé­tences pas­to­rales ne s’im­pro­vise pas et ne s’ac­quiert pas sans effort. Pour le minis­tère de la Pénitence sacra­men­telle, tout prêtre doit être pré­pa­ré dès ses années de sémi­naire, non seule­ment par l’é­tude de la théo­lo­gie dog­ma­tique, morale, spi­ri­tuelle et pas­to­rale (ce qui ne forme qu’une seule théo­lo­gie), mais aus­si par les sciences de l’homme, la métho­do­lo­gie du dia­logue, et spé­cia­le­ment de l’en­tre­tien pas­to­ral. Il fau­dra ensuite qu’il se lance et qu’il soit sou­te­nu dans ses pre­mières expé­riences. Lui-​même devra veiller à son propre per­fec­tion­ne­ment, à la mise à jour de sa for­ma­tion par l’é­tude per­ma­nente. Quel tré­sor de grâce, de vie véri­table et de rayon­ne­ment spi­ri­tuel ne retomberait-​il pas sur l’Eglise, si chaque prêtre veillait à ne jamais man­quer, par négli­gence ou sous divers pré­textes, le rendez-​vous avec les fidèles au confes­sion­nal, et veillait avec encore plus de soin à ne jamais s’y rendre sans pré­pa­ra­tion, ou dému­ni des qua­li­tés humaines indis­pen­sables et des condi­tions spi­ri­tuelles et pastorales.

A ce pro­pos, je ne puis man­quer d’é­vo­quer, avec une res­pec­tueuse admi­ra­tion, les figures de cer­tains apôtres extra­or­di­naires du confes­sion­nal, tels que saint Jean Népomucène, saint Jean-​Marie Vianney, saint Joseph Cafasso et saint Léopold de Castelnuovo, pour ne par­ler que des plus connus, ins­crits par l’Eglise au nombre des saints. Mais je désire rendre hom­mage éga­le­ment à l’in­nom­brable foule de saints confes­seurs, presque tou­jours ano­nymes, aux­quels est dû le salut de tant d’âmes qu’ils ont aidées à se conver­tir, à lut­ter contre le péché et les ten­ta­tions, à pro­gres­ser spi­ri­tuel­le­ment et, en défi­ni­tive, à se sanc­ti­fier. Je n’hé­site pas à dire que les grands saints cano­ni­sés sont géné­ra­le­ment eux aus­si issus de cette pra­tique de la confes­sion, et, avec eux, le patri­moine spi­ri­tuel de l’Eglise et l’é­pa­nouis­se­ment d’une civi­li­sa­tion impré­gnée d’es­prit chré­tien. Honneur soit donc ren­du à cette cohorte silen­cieuse de nos confrères qui ont bien ser­vi et servent chaque jour la cause de la récon­ci­lia­tion par le minis­tère de la Pénitence sacramentelle !

Le sacre­ment du Pardon

30. La révé­la­tion de la valeur de ce minis­tère, et du pou­voir de remettre les péchés confé­ré aux Apôtres et à leurs suc­ces­seurs par le Christ, a fait se déve­lop­per dans l’Eglise la conscience du signe du par­don don­né par le sacre­ment de Pénitence. Il s’a­git de la cer­ti­tude que le Seigneur Jésus lui-​même a ins­ti­tué et confié à l’Eglise – comme don de sa bien­veillance et de son « amour pour les hommes »(172) à pro­po­ser à tous – un sacre­ment spé­cial pour la rémis­sion des péchés com­mis après le baptême.

La pra­tique de ce sacre­ment, quant à sa célé­bra­tion et à sa forme, a connu un long pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment, comme l’at­testent les sacra­men­taires les plus anciens, les Actes des Conciles et des Synodes épis­co­paux, la pré­di­ca­tion des Pères et l’en­sei­gne­ment des Docteurs de l’Eglise. Mais, en ce qui concerne la sub­stance du sacre­ment, la cer­ti­tude que, par la volon­té du Christ, le par­don est offert à cha­cun au moyen de l’ab­so­lu­tion sacra­men­telle don­née par les ministres de la Pénitence, est tou­jours demeu­rée solide et inchan­gée dans la conscience de l’Eglise ; et cette cer­ti­tude est réaf­fir­mée vigou­reu­se­ment aus­si bien par le Concile de Trente(173) que par le Concile Vatican II : « Ceux qui s’ap­prochent du sacre­ment de Pénitence y reçoivent de la misé­ri­corde de Dieu le par­don de l’of­fense qu’ils lui ont faite et du même coup sont récon­ci­liés avec l’Eglise que leur péché a bles­sée et qui, par la cha­ri­té, l’exemple, les prières, tra­vaille à leur conversion»(174). On doit réaf­fir­mer comme une don­née essen­tielle de la foi sur la valeur et le but de la Pénitence, que notre Sauveur Jésus Christ ins­ti­tua dans son Eglise le sacre­ment de Pénitence, afin que les fidèles tom­bés dans le péché après leur bap­tême puissent rece­voir la grâce et se récon­ci­lier avec Dieu(175).

La foi de l’Eglise dans ce sacre­ment com­porte quelques autres véri­tés fon­da­men­tales qu’on ne peut élu­der. Le rite sacra­men­tel de la Pénitence, dans son évo­lu­tion et les varia­tions de ses formes concrètes, a tou­jours conser­vé et mis en lumière ces véri­tés. Le Concile Vatican II, en pres­cri­vant la réforme de ce rite, avait en vue une expres­sion encore amé­lio­rée de ces vérités(176) et cela s’est réa­li­sé grâce au nou­veau Rituel de la Pénitence(177). Celui-​ci, en effet, a repris dans son inté­gri­té la doc­trine de la tra­di­tion for­mu­lée par le Concile de Trente, en la trans­fé­rant de son contexte his­to­rique (celui d’un effort déter­mi­né de cla­ri­fi­ca­tion doc­tri­nale face à de graves dévia­tions par rap­port à l’en­sei­gne­ment authen­tique de l’Eglise) pour l’ex­pri­mer fidè­le­ment en termes plus adap­tés au contexte de notre époque.

Quelques convic­tions fondamentales

31. Les véri­tés sus­dites, rap­pe­lées avec force et clar­té par le Synode et incluses dans les Propositions, peuvent se syn­thé­ti­ser dans les convic­tions de foi sui­vantes, aux­quelles se rat­tachent toutes les autres affir­ma­tions de la doc­trine catho­lique sur le sacre­ment de Pénitence.

I. La pre­mière convic­tion est que, pour un chré­tien, le sacre­ment de Pénitence est la voie ordi­naire pour obte­nir le par­don et la rémis­sion des péchés graves com­mis après le bap­tême. Assurément, le Sauveur et son œuvre sal­vi­fique ne sont pas liés à quelque signe sacra­men­tel au point de ne pou­voir, en n’im­porte quel moment et domaine de l’his­toire du salut, agir en dehors et au-​dessus des sacre­ments. Mais à l’é­cole de la foi, nous appre­nons que le même Sauveur a vou­lu et dis­po­sé que les humbles et pré­cieux sacre­ments de la foi soient ordi­nai­re­ment les moyens effi­caces par les­quels passe et agit sa puis­sance rédemp­trice. Il serait donc insen­sé et pas seule­ment pré­somp­tueux de vou­loir lais­ser arbi­trai­re­ment de côté des ins­tru­ments de grâce et de salut que le Seigneur a ins­ti­tués et, en l’oc­cur­rence, de pré­tendre rece­voir le par­don sans recou­rir au sacre­ment ins­ti­tué par le Christ pré­ci­sé­ment en vue du par­don. Le renou­veau des rites, effec­tué après le Concile, n’au­to­rise aucune illu­sion ni aucune alté­ra­tion dans ce sens. Ce renou­veau devait et doit ser­vir, selon l’in­ten­tion de l’Eglise, à sus­ci­ter en cha­cun de nous un nou­vel élan en vue du renou­vel­le­ment de notre atti­tude inté­rieure, je veux dire en vue d’une com­pré­hen­sion plus pro­fonde de la nature du sacre­ment de Pénitence, de sa récep­tion plus impré­gnée de foi, sans anxié­té mais pleine de confiance, d’une fré­quen­ta­tion plus assi­due du sacre­ment que l’on sait débor­dant de l’a­mour misé­ri­cor­dieux du Seigneur.

II. La deuxième convic­tion concerne la fonc­tion du sacre­ment de Pénitence pour celui qui y recourt. Selon la concep­tion la plus ancienne de la Tradition, ce sacre­ment est une sorte d’ac­tion judi­ciaire ; mais celle-​ci se déroule auprès d’un tri­bu­nal de misé­ri­corde, plus que d’é­troite et rigou­reuse jus­tice, ce tri­bu­nal n’é­tant donc com­pa­rable aux tri­bu­naux humains que par analogie(178), en ce sens que le pécheur y dévoile ses péchés et sa situa­tion de créa­ture sujette au péché ; et ce pécheur s’en­gage à renon­cer au péché et à le com­battre, il accepte la peine (péni­tence sacra­men­telle) que le confes­seur lui impose et il reçoit l’ab­so­lu­tion de ses fautes.

Mais, en réflé­chis­sant sur la fonc­tion de ce sacre­ment, la conscience de l’Eglise y voit, en plus du carac­tère judi­ciaire dans le sens déjà évo­qué, un aspect thé­ra­peu­tique ou médi­ci­nal. Et ceci se rat­tache au fait de la pré­sen­ta­tion du Christ comme médecin(179), fré­quente dans l’Evangile, son œuvre rédemp­trice étant d’ailleurs sou­vent appe­lée, depuis l’an­ti­qui­té chré­tienne, « remède de salut ». « Je veux soi­gner et non accu­ser », disait saint Augustin en se réfé­rant à l’exer­cice de la pas­to­rale pénitentielle(180), et c’est grâce au remède de la conver­sion que l’ex­pé­rience du péché ne dégé­nère pas en désespoir(181). Le Rituel de la Pénitence fait allu­sion à cet aspect médi­ci­nal du sacrement(182), auquel l’homme contem­po­rain est peut-​être plus sen­sible, en voyant dans le péché ce qu’il com­porte d’er­reur et plus encore ce qu’il mani­feste sur le plan de la fai­blesse et de l’in­fir­mi­té humaines.

Tribunal de misé­ri­corde ou lieu de gué­ri­son spi­ri­tuelle, sous les deux aspects en même temps, le sacre­ment exige une connais­sance de la vie intime du pécheur, pour pou­voir le juger et l’ab­soudre, pour le soi­gner et le gué­rir. C’est jus­te­ment pour cela que le sacre­ment implique, de la part du péni­tent, l’ac­cu­sa­tion sin­cère et com­plète des péchés, moti­vée non seule­ment par des fins ascé­tiques (celles de l’hu­mi­li­té et de la mor­ti­fi­ca­tion), mais par la nature même du sacrement.

III. La troi­sième convic­tion que je tiens à faire res­sor­tir concerne les réa­li­tés ou les élé­ments qui com­posent le signe sacra­men­tel du par­don et de la récon­ci­lia­tion. Quelques-​unes de ces réa­li­tés sont des actes du péni­tent, d’im­por­tance diverse, cha­cun étant tou­te­fois indis­pen­sable ou bien à la vali­di­té, ou bien à l’in­té­gri­té, ou bien à la fécon­di­té du signe.

Une condi­tion indis­pen­sable est, avant tout, la rec­ti­tude et la lim­pi­di­té de la conscience du péni­tent. On ne s’a­che­mine pas vers une véri­table péni­tence tant qu’on ne se rend pas compte que le péché est contraire à la norme éthique ins­crite au plus intime de l’être(183), tant qu’on n’a­voue pas avoir fait l’ex­pé­rience per­son­nelle et cou­pable d’une telle oppo­si­tion, tant qu’on ne dit pas seule­ment « c’est un péché », mais « j’ai péché », tant qu’on n’ad­met pas que le péché a intro­duit dans la conscience une rup­ture qui enva­hit tout l’être et le sépare de Dieu et du pro­chain. Le signe sacra­men­tel de cette trans­pa­rence de la conscience est l’acte tra­di­tion­nel­le­ment appe­lé exa­men de conscience, acte qui doit tou­jours être, non point une intros­pec­tion psy­cho­lo­gique angois­sée, mais la confron­ta­tion sin­cère et sereine avec la loi morale inté­rieure, avec les normes évan­gé­liques pro­po­sées par l’Eglise, avec le Christ Jésus lui-​même, notre Maître et notre modèle de vie, et avec le Père céleste, qui nous appelle au bien et à la perfection(184).

Mais l’acte essen­tiel de la Pénitence, de la part du péni­tent, est la contri­tion, à savoir un rejet net et ferme du péché com­mis, en même temps que la réso­lu­tion de ne plus le commettre(185) à cause de l’a­mour que l’on a pour Dieu et qui renaît avec le repen­tir. Ainsi com­prise, la contri­tion est donc le prin­cipe et l’âme de la conver­sion, de cette metá­noia évan­gé­lique qui ramène l’homme à Dieu, à la manière du fils pro­digue reve­nant vers son père, et qui a dans le sacre­ment de Pénitence son signe visible, où l’at­tri­tion trouve son accom­plis­se­ment. C’est pour­quoi, « de cette contri­tion du cœur dépend la véri­té de la pénitence»(186).

En ren­voyant à tout ce que l’Eglise, ins­pi­rée par la Parole de Dieu, enseigne sur la contri­tion, je tiens à sou­li­gner ici un seul aspect de cette doc­trine qu’il importe de mieux connaître et d’a­voir pré­sent à l’es­prit. On consi­dère sou­vent la conver­sion et la contri­tion sous l’as­pect des exi­gences incon­tes­tables qu’elles com­portent, et de la mor­ti­fi­ca­tion qu’elles imposent en vue d’un chan­ge­ment radi­cal de vie. Mais il est bon de rap­pe­ler et de sou­li­gner que contri­tion et conver­sion sont plus encore que cela : c’est s’ap­pro­cher de la sain­te­té de Dieu, c’est retrou­ver sa propre véri­té inté­rieure, trou­blée et même bou­le­ver­sée par le péché, c’est se libé­rer au plus pro­fond de soi-​même, et par suite recou­vrer la joie per­due, la joie d’être sauvé(187), que la majo­ri­té de nos contem­po­rains ne sait plus apprécier.

On com­prend donc que, dès les débuts du chris­tia­nisme, en lien avec les Apôtres et avec le Christ, l’Eglise ait inclus dans le signe sacra­men­tel de la Pénitence l’ac­cu­sa­tion des fautes. Celle-​ci paraît si impor­tante que, depuis des siècles, le nom habi­tuel­le­ment don­né au sacre­ment a été et est tou­jours celui de confes­sion. L’accusation des péchés est avant tout exi­gée par la néces­si­té que le pécheur soit connu par celui qui exerce le rôle de juge dans le sacre­ment, car il lui revient d’é­va­luer aus­si bien la gra­vi­té des péchés que le repen­tir du péni­tent. Et, exer­çant éga­le­ment le rôle de méde­cin, il a besoin de connaître l’é­tat du malade pour le soi­gner et le gué­rir. Mais la confes­sion indi­vi­duelle a aus­si la valeur de signe : signe de la ren­contre du pécheur avec la média­tion de l’Eglise dans la per­sonne du ministre ; signe qu’il se recon­naît pécheur devant Dieu et devant l’Eglise, qu’il fait la clar­té sur lui-​même sous le regard de Dieu. L’accusation des péchés ne sau­rait donc être réduite à une ten­ta­tive quel­conque d’au­to­li­bé­ra­tion psy­cho­lo­gique, même si elle répond à un besoin légi­time et natu­rel de se confier à quel­qu’un, besoin ins­crit dans le cœur humain. L’accusation est un geste litur­gique, solen­nel par son aspect quelque peu dra­ma­tique, humble et sobre dans la gran­deur de sa signi­fi­ca­tion. C’est vrai­ment le geste du fils pro­digue, qui revient vers son Père et qui est accueilli par lui avec un bai­ser de paix ; c’est un geste de loyau­té et de cou­rage ; c’est un geste de remise de soi-​même, au-​delà du péché, à la misé­ri­corde qui pardonne(188). On com­prend alors pour­quoi l’ac­cu­sa­tion des fautes doit être ordi­nai­re­ment indi­vi­duelle et non col­lec­tive, de même que le péché est un fait pro­fon­dé­ment per­son­nel. Mais en même temps, cette accu­sa­tion arrache d’une cer­taine façon le péché des secrètes pro­fon­deurs du cœur et donc du cercle de la pure indi­vi­dua­li­té, en met­tant aus­si en relief son carac­tère social : en effet, par l’en­tre­mise du ministre de la Pénitence, c’est la Communauté ecclé­siale, lésée par le péché, qui accueille de nou­veau le pécheur repen­ti et pardonné.

L’autre moment essen­tiel du sacre­ment de Pénitence est, cette fois, du res­sort du confes­seur juge et méde­cin, image du Dieu-​Père qui accueille et par­donne celui qui revient : c’est l’ab­so­lu­tion. Les paroles qui l’ex­priment et les gestes qui l’ac­com­pagnent dans l’an­cien et dans le nou­veau Rituel de la Pénitence revêtent une sim­pli­ci­té signi­fi­ca­tive dans leur gran­deur. La for­mule sacra­men­telle : « Je te par­donne …», et l’im­po­si­tion de la main sui­vie du signe de la croix tra­cé sur le péni­tent, mani­festent qu’en cet ins­tant le pécheur contrit et conver­ti entre en contact avec la puis­sance et la misé­ri­corde de Dieu. C’est le moment où la Trinité, en réponse au péni­tent, se rend pré­sente à lui pour effa­cer son péché et lui redon­ner son inno­cence ; et la force sal­vi­fique de la Passion, de la Mort et de la Résurrection de Jésus est com­mu­ni­quée au même péni­tent, en tant que « misé­ri­corde plus forte que la faute et que l’of­fense », comme j’ai eu l’oc­ca­sion de le pré­ci­ser dans l’en­cy­clique Dives in mise­ri­cor­dia. Dieu est tou­jours le prin­ci­pal offen­sé par le péché – « contre Toi seul, j’ai péché » – et Dieu seul peut par­don­ner. C’est pour­quoi, l’ab­so­lu­tion que le prêtre, ministre du par­don, tout en étant lui-​même pécheur, accorde au péni­tent, est le signe effi­cace de l’in­ter­ven­tion du Père dans toute abso­lu­tion et de cette « résur­rec­tion » de la « mort spi­ri­tuelle » qui se renou­velle chaque fois qu’est don­né le sacre­ment de Pénitence. Seule la foi peut assu­rer qu’en cet ins­tant tout péché est remis et effa­cé par la mys­té­rieuse inter­ven­tion du Sauveur.

La satis­fac­tion est l’acte final qui cou­ronne le signe sacra­men­tel de la Pénitence. Dans cer­tains pays, ce que le péni­tent par­don­né et absous accepte d’ac­com­plir après avoir reçu l’ab­so­lu­tion s’ap­pelle pré­ci­sé­ment péni­tence. Quel est le sens de cette satis­fac­tion dont on s’ac­quitte, ou de cette péni­tence que l’on accom­plit ? Ce n’est assu­ré­ment pas le prix que l’on paye pour le péché absous et pour le par­don acquis : aucun prix humain n’est équi­valent à ce qui est obte­nu, fruit du sang très pré­cieux du Christ. Les actes de la satis­fac­tion – qui, tout en conser­vant un carac­tère de sim­pli­ci­té et d’hu­mi­li­té, devraient mieux expri­mer tout ce qu’ils signi­fient – sont l’in­dice de choses impor­tantes : ils sont le signe de l’en­ga­ge­ment per­son­nel que le chré­tien a pris devant Dieu, dans le sacre­ment, de com­men­cer une exis­tence nou­velle (et c’est pour­quoi ils ne devraient pas se réduire seule­ment à quelques for­mules à réci­ter, mais consis­ter dans des œuvres de culte, de cha­ri­té, de misé­ri­corde, de répa­ra­tion); ces actes de la satis­fac­tion incluent l’i­dée que le pécheur par­don­né est capable d’u­nir sa propre mor­ti­fi­ca­tion cor­po­relle et spi­ri­tuelle, vou­lue ou au moins accep­tée, à la Passion de Jésus qui lui a obte­nu le par­don ; ils rap­pellent que, même après l’ab­so­lu­tion, il demeure dans le chré­tien une zone d’ombre résul­tant des bles­sures du péché, de l’im­per­fec­tion de l’a­mour qui imprègne le repen­tir, de l’af­fai­blis­se­ment des facul­tés spi­ri­tuelles dans les­quelles agit encore ce foyer d’in­fec­tion qu’est le péché, qu’il faut tou­jours com­battre par la mor­ti­fi­ca­tion et la péni­tence. Telle est la signi­fi­ca­tion de la satis­fac­tion humble mais sincère(189).

IV. Il reste à faire une brève allu­sion aux autres convic­tions impor­tantes rela­tives au sacre­ment de Pénitence.

Avant tout, il importe de redire que rien n’est plus per­son­nel et intime que ce sacre­ment, dans lequel le pécheur se trouve seul face à Dieu avec sa faute, son repen­tir et sa confiance. Personne ne peut se repen­tir à sa place ou deman­der par­don en son nom. Il y a une cer­taine soli­tude du pécheur dans sa faute, que l’on peut voir comme dra­ma­ti­que­ment figu­rée par Caïn avec son péché « tapi à sa porte », selon l’ex­pres­sion si sug­ges­tive du Livre de la Genèse, et avec le signe par­ti­cu­lier gra­vé sur son front(190); figu­rée éga­le­ment par David, répri­man­dé par le pro­phète Nathan(191); ou encore par le fils pro­digue, lors­qu’il prend conscience de la situa­tion où il s’est mis en s’é­loi­gnant de son père, et qu’il décide de reve­nir vers lui(192): tout se déroule seule­ment entre l’homme et Dieu. Mais, en même temps, on ne peut nier la dimen­sion sociale de ce sacre­ment, dans lequel l’Eglise entière, qu’elle soit mili­tante, souf­frante ou dans la gloire du Ciel, vient au secours du péni­tent et l’ac­cueille de nou­veau en son sein, d’au­tant plus que toute l’Eglise était offen­sée et bles­sée par son péché. Le prêtre, ministre de la Pénitence, appa­raît, en ver­tu de la charge sacrée qui lui est propre, comme témoin et repré­sen­tant de ce carac­tère ecclé­sial. Ce sont ces deux aspects com­plé­men­taires du sacre­ment, indi­vi­duel et ecclé­sial, que la réforme pro­gres­sive du rite de la Pénitence, spé­cia­le­ment l’Ordo Paenitentiae pro­mul­gué par Paul VI, a cher­ché à mettre en relief et à rendre plus signi­fi­ca­tifs dans la célébration.

V. Il importe de sou­li­gner ensuite que le fruit le plus pré­cieux du par­don obte­nu dans le sacre­ment de Pénitence consiste dans la récon­ci­lia­tion avec Dieu : celle-​ci se pro­duit dans le secret du cœur du fils pro­digue et retrou­vé qu’est chaque péni­tent. Il faut évi­dem­ment ajou­ter que cette récon­ci­lia­tion avec Dieu a pour ain­si dire comme consé­quences d’autres récon­ci­lia­tions, qui portent remède à autant de rup­tures cau­sées par le péché : le péni­tent par­don­né se récon­ci­lie avec lui-​même dans les pro­fon­deurs de son être, où il retrouve sa véri­té inté­rieure ; il se récon­ci­lie avec ses frères, agres­sés et lésés par lui en quelque sorte ; il se récon­ci­lie avec l’Eglise ; il se récon­ci­lie avec toute la créa­tion. La prise de conscience de tout cela fait naître chez le péni­tent, au terme de la célé­bra­tion, un sen­ti­ment de gra­ti­tude envers Dieu pour le don de la misé­ri­corde qu’il a reçue. C’est à cette action de grâce que l’Eglise l’invite.
Tout confes­sion­nal est un lieu pri­vi­lé­gié et béni d’où, une fois les divi­sions effa­cées, naît un homme récon­ci­lié, nou­veau et sans tache, un monde réconcilié !

VI. Enfin, une der­nière consi­dé­ra­tion me tient à cœur. Elle nous concerne tous, nous prêtres, qui sommes ministres du sacre­ment de Pénitence, mais qui sommes aus­si – et qui devons être – ses béné­fi­ciaires. La vie spi­ri­tuelle et pas­to­rale du prêtre, comme celle de ses frères laïcs et reli­gieux, dépend, pour sa qua­li­té et sa fer­veur, de la pra­tique per­son­nelle, assi­due et conscien­cieuse, du sacre­ment de Pénitence(193). La célé­bra­tion de l’Eucharistie et le minis­tère des autres sacre­ments, le zèle pas­to­ral, les rela­tions avec les fidèles, la com­mu­nion avec ses frères prêtres, la col­la­bo­ra­tion avec l’é­vêque, la vie de prière, en un mot toute la vie sacer­do­tale subit un déclin inévi­table si lui-​même, par négli­gence ou pour tout autre motif, ne recourt pas, de façon régu­lière et avec une foi et une pié­té authen­tiques, au sacre­ment de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se confes­se­rait plus ou se confes­se­rait mal, son être sacer­do­tal et son action sacer­do­tale s’en res­sen­ti­raient vite, et la com­mu­nau­té elle-​même dont il est le pas­teur ne man­que­rait pas de s’en rendre compte.

Mais j’a­joute aus­si que, même pour être un bon ministre, un ministre effi­cace de la Pénitence, le prêtre a besoin de recou­rir à la source de grâce et de sain­te­té pré­sente dans ce sacre­ment. Nous, prêtres, à par­tir de notre expé­rience per­son­nelle, nous pou­vons dire en véri­té que, dans la mesure où nous veillons à recou­rir au sacre­ment de Pénitence et à nous en appro­cher fré­quem­ment et dans de bonnes dis­po­si­tions, nous rem­plis­sons mieux notre propre minis­tère de confes­seurs et en assu­rons le béné­fice aux péni­tents. Par contre, ce minis­tère per­drait beau­coup de son effi­ca­ci­té si de quelque manière nous négli­gions d’être de bons péni­tents. Telle est la logique interne de ce grand sacre­ment. Ce sacre­ment nous invite tous, nous, prêtres du Christ, à prê­ter une atten­tion renou­ve­lée à notre confes­sion personnelle.

A son tour, cette expé­rience per­son­nelle devient et doit deve­nir aujourd’­hui un sti­mu­lant pour l’exer­cice dili­gent, régu­lier, patient et fervent du minis­tère sacré de la Pénitence, auquel nous sommes obli­gés en ver­tu de notre sacer­doce, de notre voca­tion qui fait de nous des pas­teurs et des ser­vi­teurs de nos frères. Aussi, par la pré­sente exhor­ta­tion, j’a­dresse un appel insis­tant à tous les prêtres du monde, spé­cia­le­ment à mes frères dans l’é­pis­co­pat et aux curés, pour qu’ils favo­risent de toutes leurs forces la fré­quen­ta­tion de ce sacre­ment par les fidèles, pour qu’ils mettent en œuvre tous les moyens pos­sibles et adé­quats et qu’ils essayent tous les che­mins sus­cep­tibles de faire par­ve­nir au plus grand nombre de nos frères la grâce qui nous a été don­née par la Pénitence en vue de la récon­ci­lia­tion de chaque per­sonne et du monde entier avec Dieu dans le Christ.

Les formes de la célébration

32. Fidèle aux indi­ca­tions du Concile Vatican II, l’Ordo Paenitentiae a pré­vu trois rites qui, les élé­ments essen­tiels étant saufs, per­mettent d’a­dap­ter la célé­bra­tion du sacre­ment de Pénitence à des cir­cons­tances pas­to­rales déterminées.

La pre­mière forme – récon­ci­lia­tion indi­vi­duelle des péni­tents – consti­tue l’u­nique manière nor­male et ordi­naire de célé­brer ce sacre­ment, et on ne peut ni ne doit la lais­ser tom­ber en désué­tude ou la négli­ger. La deuxième – récon­ci­lia­tion de plu­sieurs péni­tents avec confes­sion et abso­lu­tion indi­vi­duelles – même si, dans sa pré­pa­ra­tion, elle per­met de sou­li­gner davan­tage les aspects com­mu­nau­taires du sacre­ment, rejoint la pre­mière forme dans l’acte culmi­nant du sacre­ment, à savoir la confes­sion et l’ab­so­lu­tion indi­vi­duelles des péchés, et par consé­quent elle peut être assi­mi­lée à la pre­mière forme en ce qui concerne la nor­ma­li­té du rite. Par contre, la troi­sième - récon­ci­lia­tion de plu­sieurs péni­tents avec confes­sion et abso­lu­tion géné­rales – revêt un carac­tère d’ex­cep­tion ; elle n’est donc pas lais­sée au libre choix, mais elle est régle­men­tée par une dis­ci­pline spéciale.

La pre­mière forme per­met la valo­ri­sa­tion des aspects plus per­son­nels – et essen­tiels – que com­porte l’i­ti­né­raire péni­ten­tiel. Le dia­logue entre le péni­tent et le confes­seur, l’en­semble des élé­ments uti­li­sés (les textes bibliques, le choix des formes de la « satis­fac­tion », etc.) per­mettent à la célé­bra­tion sacra­men­telle de mieux répondre à la situa­tion concrète du péni­tent. On voit bien la valeur de ces élé­ments lors­qu’on pense aux diverses rai­sons qui poussent un chré­tien à la péni­tence sacra­men­telle : un besoin d’être per­son­nel­le­ment récon­ci­lié et d’être admis à nou­veau dans l’a­mi­tié de Dieu, en retrou­vant la grâce per­due par suite du péché ; un besoin de véri­fier son che­mi­ne­ment spi­ri­tuel et, par­fois, de dis­cer­ner de façon plus pré­cise sa voca­tion ; en beau­coup d’autres cas, un besoin et un désir de sor­tir d’un état d’a­pa­thie spi­ri­tuelle et de crise reli­gieuse. Par ailleurs, grâce à son carac­tère indi­vi­duel, la pre­mière forme de célé­bra­tion per­met d’as­so­cier le sacre­ment de Pénitence à une pra­tique qui s’en dis­tingue, mais qui peut bien lui être asso­ciée : je veux dire la direc­tion spi­ri­tuelle. Il est donc cer­tain que cette pre­mière forme per­met d’ex­pri­mer clai­re­ment et de pro­mou­voir la déci­sion et l’ef­fort personnels.

La deuxième forme de célé­bra­tion, pré­ci­sé­ment par son carac­tère com­mu­nau­taire et la façon dont elle se déroule, met en relief quelques aspects de grande impor­tance : la Parole de Dieu, écou­tée en com­mun, a un autre effet que la lec­ture faite indi­vi­duel­le­ment, et elle sou­ligne mieux le carac­tère ecclé­sial de la conver­sion et de la récon­ci­lia­tion. Elle revêt une signi­fi­ca­tion par­ti­cu­lière dans les divers moments de l’an­née litur­gique et à l’oc­ca­sion des évé­ne­ments pré­sen­tant un inté­rêt pas­to­ral spé­cial. Il suf­fit de men­tion­ner ici qu’il importe d’a­voir un nombre suf­fi­sant de confes­seurs pour sa célébration.

Il est donc natu­rel que les cri­tères per­met­tant de déci­der à laquelle des deux formes de célé­bra­tion on doit recou­rir soient dic­tés, non par des moti­va­tions conjonc­tu­relles et sub­jec­tives, mais par la volon­té d’ob­te­nir le véri­table bien spi­ri­tuel des fidèles, en obéis­sant à la dis­ci­pline péni­ten­tielle de l’Eglise.

Il sera bon de rap­pe­ler éga­le­ment que, pour une orien­ta­tion spi­ri­tuelle et pas­to­rale équi­li­brée en ce domaine, il est néces­saire, comme l’at­testent une tra­di­tion doc­tri­nale et une pra­tique désor­mais sécu­laires, de conti­nuer à consi­dé­rer comme très impor­tant le recours au sacre­ment de Pénitence même pour les seuls péchés véniels, et à y édu­quer les fidèles.

Tout en sachant et en ensei­gnant que les péchés véniels sont par­don­nés aus­si par d’autres voies – on peut pen­ser aux actes de contri­tion, aux œuvres de cha­ri­té, à la prière, aux rites péni­ten­tiels – , l’Eglise ne cesse de rap­pe­ler à tous la richesse sin­gu­lière de l’acte sacra­men­tel, même par rap­port à de tels péchés. Le recours fré­quent au sacre­ment – auquel sont tenus plu­sieurs caté­go­ries de fidèles – ren­force la conscience que même les péchés moins impor­tants offensent Dieu et blessent l’Eglise, le corps du Christ, et sa célé­bra­tion four­nit aux fidèles « une occa­sion et un sti­mu­lant pour se confor­mer plus inti­me­ment au Christ et pour se faire plus dociles à la voix de l’Esprit»(194). Surtout, il faut le sou­li­gner, la grâce propre de la célé­bra­tion sacra­men­telle a une plus grande ver­tu thé­ra­peu­tique et contri­bue à enle­ver les racines mêmes du péché.

Le soin appor­té à la célébration(195), avec une atten­tion par­ti­cu­lière à la Parole de Dieu lue, rap­pe­lée et expli­quée aux fidèles et avec les fidèles lorsque c’est pos­sible et oppor­tun, contri­bue­ra à vivi­fier la pra­tique du sacre­ment et à l’empêcher de tom­ber dans quelque chose de for­mel et de rou­ti­nier. Le péni­tent sera plu­tôt aidé à décou­vrir qu’il est en train de vivre un évé­ne­ment du salut capable de sus­ci­ter en son cœur un nou­vel élan de vie et une véri­table paix. Ce soin appor­té à la célé­bra­tion amè­ne­ra, entre autres, à fixer dans cha­cune des Eglises des moments réser­vés à la célé­bra­tion du sacre­ment, et à édu­quer les chré­tiens, en par­ti­cu­lier les enfants et les jeunes, à s’y confor­mer habi­tuel­le­ment, sauf les cas de néces­si­té pour les­quels le pas­teur d’âmes devra tou­jours se mon­trer prêt à accueillir volon­tiers ceux qui recourent à lui.

La célé­bra­tion du sacre­ment avec abso­lu­tion générale

33. Dans les nou­velles règles litur­giques et, plus récem­ment, dans le nou­veau Code de droit cano­nique(196) se trouvent pré­ci­sées les condi­tions qui légi­ti­ment le recours au « rite de la récon­ci­lia­tion de plu­sieurs péni­tents avec confes­sion et abso­lu­tion géné­rales ». Les normes et les dis­po­si­tions éta­blies sur ce point, fruit d’une réflexion mûrie et équi­li­brée, doivent être accueillies et appli­quées en évi­tant toute inter­pré­ta­tion arbitraire.

Il convient de réflé­chir de manière plus appro­fon­die aux moti­va­tions qui imposent la célé­bra­tion de la Pénitence selon l’une des deux pre­mières formes et qui per­mettent le recours à la troi­sième forme. Il y a, avant tout, une moti­va­tion de fidé­li­té à la volon­té du Seigneur Jésus, trans­mise par l’Eglise dans sa doc­trine et éga­le­ment d’o­béis­sance aux lois de l’Eglise. Le Synode a rap­pe­lé dans l’une de ses Propositions l’en­sei­gne­ment inchan­gé que l’Eglise a pui­sé dans la Tradition la plus ancienne, et la loi dans laquelle elle a codi­fié l’an­cienne pra­tique péni­ten­tielle : la confes­sion indi­vi­duelle et inté­grale des péchés avec abso­lu­tion éga­le­ment indi­vi­duelle consti­tue l’u­nique moyen ordi­naire qui per­met au fidèle, conscient de péché grave, d’être récon­ci­lié avec Dieu et avec l’Eglise. De cette confir­ma­tion nou­velle de l’en­sei­gne­ment de l’Eglise il res­sort clai­re­ment que tout péché grave doit être tou­jours avoué, avec ses cir­cons­tances déter­mi­nantes, dans une confes­sion indi­vi­duelle.

Il y a ensuite une moti­va­tion d’ordre pas­to­ral. S’il est vrai que, lorsque se véri­fient les condi­tions requises par la dis­ci­pline cano­nique, on peut faire usage de la troi­sième forme de célé­bra­tion, on ne sau­rait pour­tant oublier que cette forme ne peut deve­nir une forme ordi­naire et qu’elle ne peut ni ne doit être employée, comme l’a répé­té le Synode, si ce n’est « en cas de grave néces­si­té », res­tant ferme l’o­bli­ga­tion de confes­ser indi­vi­duel­le­ment les péchés graves avant de recou­rir de nou­veau à une autre abso­lu­tion géné­rale. Par consé­quent l’Evêque, auquel seul il appar­tient, dans le cadre de son dio­cèse, de juger si les condi­tions éta­blies par la loi cano­nique pour l’u­sage de la troi­sième forme existent concrè­te­ment, don­ne­ra ce juge­ment – sa conscience étant gra­ve­ment enga­gée – dans le plein res­pect de la loi et de la pra­tique de l’Eglise et en tenant compte, par ailleurs, des cri­tères et des orien­ta­tions sur les­quels les autres membres de la Conférence épis­co­pale se seront mis d’ac­cord en se fon­dant sur les consi­dé­ra­tions doc­tri­nales et pas­to­rales expo­sées ci-​dessus. Pareillement, on devra avoir la pré­oc­cu­pa­tion pas­to­rale authen­tique de poser et de garan­tir les condi­tions qui per­mettent à la pra­tique de la troi­sième forme de don­ner les fruits spi­ri­tuels pour les­quels elle a été pré­vue. Et l’u­sage excep­tion­nel de la troi­sième forme de célé­bra­tion ne devra jamais conduire à une moindre estime des formes ordi­naires, encore moins à leur aban­don, ni à consi­dé­rer cette troi­sième forme comme une pos­si­bi­li­té équi­va­lente à cha­cune des deux autres ; car la facul­té de choi­sir par­mi les formes de célé­bra­tion ci-​dessus men­tion­nées n’est pas lais­sée à la liber­té des Pasteurs et des fidèles. Les Pasteurs gardent l’o­bli­ga­tion de faci­li­ter aux fidèles la pra­tique de la confes­sion inté­grale et indi­vi­duelle des péchés : elle consti­tue pour les chré­tiens non seule­ment un devoir, mais un droit invio­lable et inalié­nable, en plus d’un besoin spi­ri­tuel. Pour les fidèles, l’u­sage de la troi­sième forme de célé­bra­tion com­porte l’o­bli­ga­tion de s’en tenir à toutes les normes qui en régle­mentent l’exer­cice, y com­pris celle de ne pas recou­rir à nou­veau à l’ab­so­lu­tion géné­rale avant de faire une confes­sion régu­lière, inté­grale et indi­vi­duelle, des péchés, qui doit être accom­plie le plus tôt pos­sible. De cette norme et de l’o­bli­ga­tion de l’ob­ser­ver, les fidèles doivent être aver­tis et ins­truits par le prêtre avant l’absolution.

Par ce rap­pel de la doc­trine et de la loi de l’Eglise, je désire convaincre tous les esprits du vif sen­ti­ment de res­pon­sa­bi­li­té qui doit nous gui­der lorsque nous trai­tons les choses sacrées dont nous ne sommes pas pro­prié­taires, comme les sacre­ments, ou qui ont le droit de ne pas être lais­sées dans l’in­cer­ti­tude et dans la confu­sion, comme les consciences. Oui, je le répète, les sacre­ments et les consciences sont les uns et les autres des choses sacrées qui exigent de notre part d’être ser­vies dans la vérité.
Telle est la rai­son de la loi de l’Eglise.

Quelques cas plus délicats

34. J’estime devoir men­tion­ner à cet endroit, même très briè­ve­ment, un cas pas­to­ral que le Synode a vou­lu trai­ter, autant qu’il lui était pos­sible de le faire, en l’exa­mi­nant aus­si dans l’une des Propositions. Je veux par­ler de cer­taines situa­tions, qui ne sont pas rares aujourd’­hui, où se trouvent des chré­tiens dési­reux de conti­nuer la pra­tique reli­gieuse sacra­men­telle, mais qui en sont empê­chés par leur condi­tion per­son­nelle en oppo­si­tion avec les enga­ge­ments qu’ils ont libre­ment assu­més devant Dieu et devant l’Eglise. Ce sont des situa­tions qui appa­raissent par­ti­cu­liè­re­ment déli­cates et qua­si inextricables.

Un cer­tain nombre d’in­ter­ven­tions, au cours du Synode, expri­mant la pen­sée géné­rale des Pères, ont mis en lumière la coexis­tence et l’in­ter­fé­rence de deux prin­cipes, éga­le­ment impor­tants, au regard de ces cas. Le pre­mier est le prin­cipe de la com­pas­sion et de la misé­ri­corde, en ver­tu duquel l’Eglise – qui pro­longe dans l’his­toire la pré­sence et l’œuvre du Christ – , ne vou­lant pas la mort du pécheur mais qu’il se conver­tisse et qu “il vive (197), atten­tive à ne pas bri­ser le roseau frois­sé et à ne pas éteindre la mèche qui fume encore(198), cherche tou­jours à offrir, autant qu’il lui est pos­sible, la voie du retour à Dieu et de la récon­ci­lia­tion avec lui. L’autre prin­cipe est celui de la véri­té et de la cohé­rence, en ver­tu duquel l’Eglise n’ac­cepte pas d’ap­pe­ler bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. En se fon­dant sur ces deux prin­cipes com­plé­men­taires, l’Eglise ne peut qu’in­vi­ter ses fils qui se trouvent dans ces situa­tions dou­lou­reuses à s’ap­pro­cher de la misé­ri­corde divine par d’autres che­mins, sans que ce soit cepen­dant celui des sacre­ments de la Pénitence et de l’Eucharistie, tant qu’ils ne rem­plissent pas les condi­tions requises.

En ce domaine, qui, il est cer­tain, afflige aus­si, et pro­fon­dé­ment, nos cœurs de pas­teurs, il m’a sem­blé qu’il était de mon strict devoir de dire des paroles claires dans l’ex­hor­ta­tion apos­to­lique Familiaris consor­tio, en ce qui concerne le cas des divor­cés remariés(199), ou des chré­tiens qui coha­bitent d’une manière irrégulière.

En même temps, je me sens le devoir d’ex­hor­ter, avec le Synode, les com­mu­nau­tés ecclé­siales et sur­tout les évêques à appor­ter toute l’aide pos­sible aux prêtres qui, man­quant aux graves obli­ga­tions assu­mées à leur ordi­na­tion, se trouvent dans des situa­tions irré­gu­lières. Aucun de ces frères ne doit se sen­tir aban­don­né de l’Eglise.

Pour tous ceux qui ne se trouvent pas actuel­le­ment dans les condi­tions objec­tives requises par le sacre­ment de Pénitence, les mani­fes­ta­tions de bon­té mater­nelle de la part de l’Eglise, le sou­tien des actes de pié­té en dehors des actes sacra­men­tels, l’ef­fort sin­cère de se main­te­nir en contact avec le Seigneur, la par­ti­ci­pa­tion à la Messe, la répé­ti­tion fré­quente d’actes de foi, d’es­pé­rance, de cha­ri­té, de contri­tion les plus par­faits pos­sible, pour­ront pré­pa­rer le che­min pour une pleine récon­ci­lia­tion à l’heure que seule la Providence connaît.

SOUHAIT FINAL

35. Au terme de ce docu­ment, je sens réson­ner en moi et je désire vous redire à tous l’ex­hor­ta­tion que le pre­mier Evêque de Rome, à un moment cri­tique des com­men­ce­ments de l’Eglise, vou­lut adres­ser « aux étran­gers de la Dispersion, élus selon la pres­cience de Dieu le Père : Vivez tous en esprit d’u­nion, dans la com­pas­sion, l’a­mour fra­ter­nel, la misé­ri­corde, l’es­prit d’humilité»(200). L’Apôtre recom­man­dait de vivre « en esprit d’u­nion…»; mais aus­si­tôt après, il signa­lait les péchés contraires à l’u­nion et à la paix qu’il importe d’é­vi­ter : « Ne ren­dez pas mal pour mal, insulte pour insulte. Bénissez, au contraire, car c’est à cela que vous avez été appe­lés, afin d’hé­ri­ter la béné­dic­tion ». Et il concluait par un mot d’en­cou­ra­ge­ment et d’es­pé­rance : « Qui vous ferait du mal, si vous deve­nez zélés pour le bien?»(201).
A une époque non moins cri­tique de l’his­toire, j’ose rat­ta­cher mon exhor­ta­tion à celle du Prince des Apôtres, qui fut le pre­mier à occu­per ce Siège de Rome, comme témoin du Christ et pas­teur de l’Eglise, et qui « pré­si­da à la cha­ri­té » au regard du monde entier. Moi aus­si, en union avec les évêques suc­ces­seurs des Apôtres et aidé par la réflexion col­lé­giale que beau­coup d’entre eux, réunis en Synode, ont consa­crée aux thèmes et aux pro­blèmes de la récon­ci­lia­tion, j’ai tenu à vous com­mu­ni­quer dans l’es­prit même du pécheur de Galilée ce qu’il disait à nos frères dans la foi, loin de nous dans le temps, mais si proches par le cœur : « Vivez tous en esprit d’u­nion… ne ren­dez pas mal pour mal… deve­nez zélés pour le bien»(202). Et il ajou­tait : « Mieux vau­drait souf­frir en fai­sant le bien, si telle était la volon­té de Dieu, qu’en fai­sant le mal»(203).

Cette consigne est toute impré­gnée des paroles que Pierre avait enten­dues de Jésus en per­sonne et d’i­dées qui fai­saient par­tie de sa « Bonne Nouvelle » : le com­man­de­ment nou­veau de l’a­mour mutuel ; le désir ardent de l’u­ni­té et l’en­ga­ge­ment en sa faveur ; les béa­ti­tudes de la misé­ri­corde et de la patience dans la per­sé­cu­tion pour la jus­tice ; le bien ren­du pour le mal ; le par­don des offenses ; l’a­mour des enne­mis. Ces paroles et ces idées consti­tuent la syn­thèse ori­gi­nale et trans­cen­dante de l’é­thique chré­tienne, ou, mieux et plus pro­fon­dé­ment, de la spi­ri­tua­li­té de la Nouvelle Alliance en Jésus Christ.

Je confie au Père, riche en misé­ri­corde, je confie au Fils de Dieu, deve­nu homme pour être notre Rédempteur et Réconciliateur, je confie à l’Esprit Saint, source d’u­ni­té et de paix, mon appel pater­nel et pas­to­ral à la péni­tence et à la récon­ci­lia­tion. Que la très sainte et ado­rable Trinité fasse ger­mer dans l’Eglise et dans le monde cette petite semence qu’en ce moment je remets à la terre géné­reuse de tant de cœurs humains.

Afin qu’il en résulte sans tar­der des fruits abon­dants, je vous invite tous à vous tour­ner avec moi vers le Cœur du Christ, signe élo­quent de la misé­ri­corde divine, « pro­pi­tia­tion pour nos péchés », « notre paix et notre réconciliation»(204), afin d’y pui­ser la force inté­rieure pour nous détour­ner du péché et nous conver­tir à Dieu, et d’y trou­ver la bien­veillance divine comme réponse aimante au repen­tir humain.

Je vous invite aus­si à vous tour­ner avec moi vers le Cœur imma­cu­lé de Marie, Mère de Jésus, en qui « s’est effec­tuée la récon­ci­lia­tion de Dieu avec l’hu­ma­ni­té…, s’est ache­vée l’œuvre de la récon­ci­lia­tion, parce qu’elle a reçu de Dieu la plé­ni­tude de la grâce en ver­tu du sacri­fice rédemp­teur du Christ»(205). En véri­té, Marie est deve­nue, par sa mater­ni­té divine, « l’al­liée de Dieu » dans l’œuvre de la réconciliation(206).
Son « Fiat » a mar­qué le com­men­ce­ment de la « plé­ni­tude des temps » qui a vu se réa­li­ser par le Christ la récon­ci­lia­tion de l’homme avec

Dieu. C’est entre les mains de cette Mère, c’est à son Cœur imma­cu­lé – auquel nous avons confié plu­sieurs fois l’hu­ma­ni­té entière per­tur­bée par le péché et déchi­rée par tant de ten­sions et de conflits – que je remets spé­cia­le­ment cette inten­tion : que par son inter­ces­sion, l’hu­ma­ni­té découvre et par­coure le che­min de la péni­tence, l’u­nique che­min capable de la conduire à une totale réconciliation !

A vous tous qui, dans un esprit de com­mu­nion ecclé­siale, dans l’o­béis­sance et dans la foi(207), vou­drez bien accueillir les indi­ca­tions, les sug­ges­tions et les direc­tives conte­nues dans ce docu­ment, en vous effor­çant de les tra­duire dans une pra­tique pas­to­rale vivante, j’ac­corde très volon­tiers ma Bénédiction Apostolique.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 2 décembre 1984, pre­mier dimanche de l’Avent, en la sep­tième année de mon pontificat.

Jean-​Paul II

Notes

1 Mc 1, 15.
2 Cf. JEAN-​PAUL II, Discours inau­gu­ral de la 3e Conférence géné­rale de l’é­pis­co­pat latino-​américain, III, nn. 1–7 : AAS 71 (1979), pp. 198–204.
3 La vision d’un monde « écla­té » trans­pa­raît dans l’œuvre de nom­breux écri­vains contem­po­rains, chré­tiens et non chré­tiens, témoins de la condi­tion de l’homme en notre époque tourmentée.
4 Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 43–44 ; Décret sur le minis­tère et la vie des prêtres Presbyterorum ordi­nis, n. 12 ; PAUL VI, Encyclique Ecclesiam suam : AAS 56 (1964), pp. 609–659.
5 Sur la divi­sion dans le corps de l’Eglise, I’Apôtre Paul s’est expri­mé avec des paroles de feu, à l’aube de la vie de l’Eglise dans la fameuse page de 1 Co 1, 10–16 C’est à ces mêmes chré­tiens de Corinthe que s’a­dres­se­ra, des années plus tard, saint Clément de Rome pour dénon­cer les divi­sions au sein de cette com­mu­nau­té : cf. Lettre aux Corinthiens, III-​VI ; LVII : Patres Apostolici, éd. FUNK, I, 103–109 ; 171–173. Nous savons que, depuis les Pères les plus anciens, la tunique sans cou­ture du Christ, que les sol­dats n’ont pas déchi­rée, est deve­nue une image de l’u­ni­té de l’Eglise : cf. S. CYPRIEN, De Ecclesiae catho­li­cae uni­tate, 7 : CCL 3/​1, 254–255 ; S. AUGUSTIN, In Ioannis Evangelium trac­ta­tus, 118, 4 : CCL 36, 656–657 ; S. BÈDE LE VÉNÉRABLE, In Marci Evangelium expo­si­tio, IV, 15 : CCL 120, 630 ; In Lucae Evangelium expo­si­tio, VI, 23 : CCL 120, 403 ; In S. Ioannis Evangelium expo­si­tio, 19 : PL 92, 911–912.
6 L’encyclique Pacem in ter­ris, tes­ta­ment spi­ri­tuel de Jean XXIII (cf : AAS 55 [1963], pp. 257–304), est sou­vent consi­dé­rée comme un « docu­ment social » et aus­si un « mes­sage poli­tique », et elle l’est en véri­té si on prend ces expres­sions dans leur sens le plus large. En effet, plus qu’une stra­té­gie en vue de la vie col­lec­tive de peuples et de nations, l’ex­po­sé du Pape-​tel qu’il appa­raît plus de vingt ans après sa publication-​est un rap­pel pres­sant des valeurs suprêmes sans les­quelles la paix sur terre devient une chi­mère. L’une de ces valeurs est pré­ci­sé­ment la récon­ci­lia­tion entre les hommes, et le Pape Jean XXIII s’est bien des fois réfé­ré à ce thème. Quant à Paul VI, il suf­fit de rap­pe­ler qu’en invi­tant toute l’Eglise et le monde entier à célé­brer l’Année sainte de 1975, il a vou­lu que « renou­veau et récon­ci­lia­tion » consti­tuent l’i­dée cen­trale de cet évé­ne­ment impor­tant. On ne peut oublier non plus les caté­chèses qu’il a consa­crées à cette idée­force, notam­ment pour illus­trer le jubi­lé lui-même.
7 « En ce temps fort pen­dant lequel tout chré­tien est appe­lé à réa­li­ser plus pro­fon­dé­ment sa voca­tion de récon­ci­lia­tion avec le Père dans le Fils-​écrivais-​je dans la bulle d’in­dic­tion de l’Année sainte extra­or­di­naire de la Rédemption‑,il doit être clairque l’ob­jec­tif de l’Année ne sera atteint que si tous et cha­cun s’en­gagent vrai­ment au ser­vice de la récon­ci­lia­tion, non seule­ment entre tous les dis­ciples du Christ mais éga­le­ment entre tous les hommes » : bulle Aperite por­tas Redemptori, n. 3 : AAS 75 (1983), p. 93.
8 Le thème du Synode était, plus pré­ci­sé­ment, Réconciliation et péni­tence dans la mis­sion de l’Eglise.
9 Cf. Mt 4, 17 ; Mc 1, 14–15.
10 Cf. Lc3,8.
11Cf. Mt 16, 24–26 ; Mc 8, 34–36 ; Lc 9, 23–25.
12 Cf. Ep 4, 23–24.
13 Cf. 1 Co 3, 1–20.
14 Cf. Col 3, 1–2.
15 « Nous vous en sup­plions au nom du Christ : laissez-​vous récon­ci­lier avec Dieu » : 2 Co 5, 20.
16 « Nous nous glo­ri­fions en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ par qui dès à pré­sent nous avons obte­nu la récon­ci­lia­tion » : Rm 5, 11 ; cf. Col 1, 20. 17 Le Concile Vatican II a noté à ce sujet : « En véri­té, les dés­équi­libres qui tra­vaillent le monde moderne sont liés à un dés­équi­libre plus fon­da­men­tal, qui prend racine dans le cœur même de l’homme. C’est en l’homme lui-​même, en effet, que de nom­breux élé­ments se com­battent. D’une part, comme créa­ture, il fait l’ex­pé­rience de ses mul­tiples limites ; d’autre part, il se sent illi­mi­té dans ses dési­rs et appe­lé à une vie supé­rieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choi­sir et de renon­cer. Pire faible et pécheur, il accom­plit sou­vent ce qu’il ne veut pas et n’ac­com­plit point ce qu’il vou­drait (cf. Rm 7, 14 ss.). En somme, c’est en lui-​même qu’il souffre divi­sion, et c’est de là que naissent au sein de la socié­té tant et de si grandes dis­cordes » : Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 10.
18 Cf. Col 1, 19–20
19 Cf. JEAN-​PAUL II, Encycl. Dives in mise­ri­cor­dia, IV, nn. 5–6 : AAS 72 (1980), pp. 1193–1199.
20 Cf. Lc 15, 11–32.
21 Le Livre de Jonas est, dans l’Ancien Testament, une anti­ci­pa­tion et une figure admi­rables de cet aspect de la para­bole. Le péché de lonas est celui « d“éprouver un grand dépit et de se fâcher » parce que Dieu est « un Dieu de pitié et de ten­dresse, lent à la colère, riche en grâce et se repen­tant du mal », c’est le péché « d’a­voir de la peine pour une plante de ricin … qui a pous­sé en une nuit et en une nuit a péri », et de ne pas com­prendre que le Seigneur « ait eu pitié de Ninive » : cf. Jon 4.
22 Rm 5, 10–11 ; cf. Col 1, 20–22
23 Co 5, 18. 20.
24 Jn 11, 52.
25 Cf Col 1, 20.
26 Cf. Si 44, 17.
27 Ep 2, 14.
28 Prière eucha­ris­tique III
29 Cf. MT 5, 23–24.
30 Mt 27, 46 ; Mc 15, 34 ; PS 22 [21], 2.
31 Cf. Ep 2, 14–16
32 S. LÉON LE GRAND, Tractatus 63 (De pas­sione Domini 12), 6 : CCL 138/​A, 386.
33 2 Co 5, 18–19.
34 Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 1.
35 « L’Eglise, de par sa nature, ne cesse de récon­ci­lier, trans­met­tant aux autres le don qu’elle a elle-​même recu, le don d’a­voir été par­don­née et d’être unie à Dieu » : JEAN-​PAUL II, Discours à Liverpool (30 mai 1982), n. 3 : Insegnamenti V, 2 (1982), 1992.
36 Cf. Ac 15, 2–33
37 Cf. Exhort. ap. Evangelii nun­tian­di, n. 13 : AAS 68 (1976),
38 Cf JEAN-​PAUL II, Exhort. ap. Catechesi tra­den­dae, n. 24 : AAS 71 (1979), p. 1297.
39 Cf PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam : AAS 56 (1964),
40 2 Co 5, 20.
41 Cf. 1 Jn 4, 8.
42 Cf. Sg 11, 24–26 ; Gn 1, 27 ; Ps 8, 4–8.
43 Cf Sg 2, 24.
44 Cf. Gn 3, 12–13 ; 4, 1–16.
45 FP 2, 4
46 Cf. Ep 1, 10.
47 Jn 13, 34.
48 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. Il, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 38.
49 Cf. Mc 1, 15.
50 2 Co 5, 20.
51 Ep 2, 14–16.
52 Cf. S. AUGUSTIN, De Civitate Dei XXII, 17 : CCL 48 835–836 ; S. THOMAS D AQUIN, Somme thëo­lo­gi­gae, III, q. 64, a. 2, ad tertium.
53 Cf. PAUI VI, Discours de clô­ture de la troi­sième ses­sion du Concile œcu­mé­nique Vatican II (21 novembre 1964): AAS 56 (1964), pp. 1015–1018.
54 CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dOgm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 39.
55 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Décret sur l’œ­cu­mé­nisme Unitatis redin­te­gra­tio, n . 4.
56 1 Jn 1, 8–9.
57 1 Jn 3, 20 ; cf. mon dis­cours à l’au­dience géné­rale du 14 mars 1984, où je me suis réfé­ré à ce pas­sage : Insegnamenti Vll,
58 Cf. 2 S 11–12
59 Ps 51 [50], 5–6
60 Lc 15, 18. 21
61 Lettere, Florence 1970, I, pp. 3–4 ; ll Dialogo del­la Divina Prowidenza, Rome 1980, passim.
62 Cf. Rm 3, 23–26
63 Cf. Ep 1, 18.
64 Cf. Gn 11, 1–9.
65 Cf Ps 127 [126], 1.
66 Cf. 2 Th. 2, 7
67 Cf. Rm 7, 7–25 ; Ep 2, 2 ; 6, 12.
68 La ter­mi­no­lo­gie adop­tée par la tra­duc­tion grecque des Septante et par le Nouveau Testament au sujet du péché est signi­fi­ca­tive à cet égard. Le plus sou­vent, il est dési­gné par hamartìa, avec les termes for­més sur la même racine. Celle ci exprime l’i­dée de man­quer plus ou moins gra­ve­ment soit à une norme ou à une loi, soit à une per­sonne ou même à une divi­ni­té. Mais le péché est appe­lé aus­si adikìa, et l’i­dée est alors celle de pra­ti­quer l’in­jus­tice. On par­le­ra de parà­ba­sis ou trans­gres­sion ; d’a­sè­beia, impié­té, et d’autres concepts encore ; tous ensemble forment l’i­mage du péché.
69 Gn 3, 5 : «… vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal» ; cf. aus­si le v. 22.
70 Cf. Gn 3, 12
71 Cf. Gn 4, 2–16
72 L’expression est due à ELISABETH LESEUR, Journal et pen­sées de chaque jour, Paris 1918, p. 31.
73 Cf. Mt 22, 39 ; Mc 12, 31 ; Lc 10, 27–28
74 Cf. CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA Fol, Instruction sur quelques aspects de la « Théologie de la libé­ra­tion » Libertatis nun­tias (6 août 1984), IV, 14–15 : AAS 76 (1984), pp. 885–886.
75 Cf Nb 15, 30.
76 Cf. Lv 18, 26–30.
77 Cf. Lv 19, 4.
78 Cf Lv 20, 1–7.
79 Cf. Ex 21, 17.
80 Cf Lv 4, 2ss., 5, 1 ss., Nb 15, 22–29.
81 Cf Mt 5, 28 ; 6, 23 ; 12, 31–32 ; 15, 19 : Mc 3, 28–30 ; Rm 1, 29–31 ; 13, 13, Jc 4.
82 Cf Mt 5, 17 ; 15, 1–10 ; Mc 10, 19 ; Lc 18, 20
83 Cf 1 Jn 5, 16–17.
84 In 17, 3.
85 Cf. 1 Jn 2, 22.
86 Cf. 1 Jn 5, 21.
87 Cf. 1 Jn 5, 16–21.
88 Mt 12, 31–32.
89 Cf. S. THOMAS D’AQUIN, Somme théo­lo­gique, IIa-​IIae, q. 14, aa. 1–3.
90 Cf. 1 Jn 3, 20
91 S THOMAS D’AQUIN, Somme théo­lo­gique, IIa-​IIae q. 14, a. 3, ad primum.
92 Cf. Ph 2,12.
93 Cf. S. AUGUSTIN, De spi­ri­tu et lit­te­ra, XXVIII : CSEL 60, 202–203 ; Enarrat. in ps. 39, 22 : CCL 38, 441 ; Enchiridion ad Laurentium de spe et spe et cari­tate, XIX, 71 : CCL 46, 88 ; In loan­nis Evangelium trac­ta­tus, 12, 3, 14 : CCL 36, 129.
94 S. THOMAS D’AQUIN, Somme théo­lo­gique, Ia-​IIae q. 72, a. 5.
95 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session VI, De ius­ti­fi­ca­tione, chap. II et can. 23, 25, 27 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, Bologne 19733, 671. 680–681 (DS 1573, 1575, 1577).
96 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session VI, De ius­ti­fi­ca­tione, chap. XV : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 677 (DS 1544).
97 JEAN-​PAUL. II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti V, 1 (1982), 861
98 Const past sur l’Eglise dans le momde de ce temps Gaudium et spes, n. 16
99 JEAN-​PAUL II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti, V, 1 (1982), 860
100 PIE XII, Radiomessage au Congrès caté­chis­tique natio­nal des Etats-​Unis e Boston (26 octobre 1946): Discorsi e Radiomessaggi, VIII (1946), 288.
101 Cf. JEAN-​PAUL II, Encycl. Redemptor homi­nis, n. 15 : AAS 71 (1979), pp. 286–289.
102 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 3 ; cf. 1 Jn 3, 9.
103 JEAN-​PAUL II, Discours aux évêques de la région Est de la France (1er avril 1982), n. 2 : Insegnamenti V, 1 (1982), 1081.
104 1 Tm 3, 15–16
105 C’est pour­quoi le texte pré­sente une cer­taine dif­fi­cul­té de lec­ture car le pro­nom rela­tif qui ouvre la cita­tion litt­té­rale ne s’ac­corde pas avec le neutre « mys­te­rion ». Quelques manus­crits tar­difs ont retou­ché le texte pour le cor­ri­ger du point de vue gram­ma­ti­cal ; mais Paul a vou­lu seule­ment jux­ta­po­ser à son propre texte un texte véné­rable qui, à ses yeux, cla­ri­fiait plei­ne­ment sa pensée.
106 La com­mu­nau­té chré­tienne pri­mi­tive exprime sa foi dans le Christ en croix, glo­ri­fié, que les anges adorent et qui est le Seigneur. Mais l’élé­ment frap­pant de ce mes­sage demeure l’ex­pres­sion « mani­fes­té dans la chair » : que le Fils éter­nel de Dieu se soit fait homme, volià le « grand mystère ».
107 1 Jn 5, 18–19
108 1 Jn 3, 9
109 1 Tm 3, 15
110 1 Jn 1, 8
111 1 Jn 5, 19
112 Cf. Ps 51 [50], 7
113 Cf. Ep 2, 4
114 CE. JEAN-​PAUL II, Encycl. Dives in mise­ri­cor­dia, nn. 8, 15 : AAS 72 (1980), pp. 1203–1207 ; 1231.
115 2 S 12, 13
116 Ps 51 [50], 5
117 Ps 51 [50], 9
118 2 S 12, 13
119 Cf. 2 Co 5, 18
120 Cf. 2 Co 5, 19
121 Const past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 92.
122 Décr. sur la charge pas­to­rale des évêques Christus Dominus, n. 13 ; Cf. Déclar. sur l’é­du­ca­tion chré­tienne Gravissimum edu­ca­tio­nis, n. 8 ; Décr. sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, nn. 11–12.
123 Cf. PAUL VI, Encycl. Ecclesiam suam, III : AAS 56 (1964),
124 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, nn. 1. 9. 13.
125 PAUL VI, Exhort. ap. Paterna cum bene­vo­len­tia : AAS 67 (1975), pp. 5–23.
126 Cf. CONC. ŒCUM. VAT II, Décr. sur l’œ­cu­mé­nisme Unitatis redin­te­gra­tio, nn. 7–8.
127 Ibidem, n. 4.
128 S. AUGUSTIN, Sermo 96, 7 : PL 38, 588.
129 Cf. JEAN PAUL II, Discours aux membres du Corps diplo­ma­tique accré­di­té près le Saint-​Siège (15 jan­vier 1983), nn. 4. 6. 11 : AAS 75 (1983), pp. 376. 378–379. 381.
130 JEAN PAUL II, Homélie de la messe pour la XVIe Journée mon­diale de la paix (1er jan­vier 1983), n. 6 : Insegnamenti VI, 1 (1983), 7.
131 PAUL VI, Exhort. ap. Evangelii nun­tian­di, n. 70 : AAS 68 (1976), PP. 59–60.
132 1 Tm 3, 15.
133 Cf. Mt 5, 23–24
134 Cf. Mt 5, 38–40
135 Cf. Mt 6, 12
136 Cf. Mt 5, 43 ss.
137 Cf. Mt 18, 21–22
138 Cf. Mt 1, 4. 14 ; Mt 3, 2 ; 4, 17 ; Lc 3, 8
139 Cf. Lc 15, 17
140 Lc 17, 3–4
141 Cf. Mt 3, 2 ; Mc 1, 2–6 ; Lc 3, 1–6
142 Cf. Const. past. sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 8. 16. 19. 26. 41. 48.
143 Cf. Déclar. sur la liber­té reli­gieuse Dignitatis huma­nae, nn. 2. 3. 4.
144 Cf., par­mi tant d’autres, les dis­cours aux audiences géné­rales des 28 mars 1973 :
Insegnamenti XI (1973), 294 ss.; 8 août 1973 : Ibidem, 772 ss.; 7 novembre 1973 : Ibidem, 1054 ss.; 13 mars 1974 : Insegnamenti XII (1974), 230 ss.; 8 mai 1974 : Ibidem, 402 ss.; 12 février 1975 : Insegnamenti XIII (1975), 154 ss.; 9 avril 1975 : Ibidem, 290 ss.; 13 juillet 1977 : Insegnamenti XV (1977), 710 ss.
145 Cf. JEAN-​PAUL II, Angélus du 14 mars 1982 : Insegnamenti V, 1 (1982), 860–861.
146 Cf. JEAN-​PAUL II, Discours à l’au­dience géné­rale du 17 août 1983, nn. 1–3 : Insegnamenti VI, 2 (1983), 256–257.
147 He 4, 15.
148 Cf. Mt 4, 1–11 Mc 1, 12–13 ; Lc 4, 1–13.
149 Cf. 1 Co 10, 13
150 Cf Mt 6, 13 ; Lc 11, 4.
151 1 P 3, 21.
152 Cf. Rm 6, 3–4, Col 2, 12.
153 Cf. Mt 3, 11 ; Lc 3, 16 ; Jn 1, 33 ; Ac 1, 5 ; 11, 16.
154 Cf. Mt 3, 15.
155 S. AUGUSIIN, In loan­nis Evangelium trac­ta­tus, 26, 13 : CCL 36, 266.
156 S. CONGRÉGATION DES RITES, Instruction sur le culte du mys­tère eucharistique
Eucharisticum mys­te­rium (25 mai 1967), n. 35 : AAS 59 (1967), PP. 560–561.
157 Ps 78 [77], 38–39.
158 Cf. Jn 1, 29 ; Is 53, 7. 12.
159 Cf. Jn 5, 27.
160 Cf. Mt 9, 2–7 ; Lc 5, 18–25 ; 7, 47–49 ; Mc 2, 3–12.
161 Cf. Jn 3, 17.
162 Jn 20, 22 ; Mt 18, 18 ; cf. aus­si, en ce qui concerne Pierre, Mt 16, 19. Le bien­heu­reux Isaac de l’Etoile sou­ligne, dans un de ses dis­cours, la pleine com­mu­nion du Christ avec l’Eglise dans la rémis­sion des péchés : « L’Eglise ne peut rien par­don­ner sans le Christ ; et le Christ ne veut rien par­don­ner sans l’Eglise. L’Eglise ne peut rien par­don­ner sinon à celui qui se conver­tit, c’est-​à-​dire à celui que le Christ a d’a­bord tou­ché. Le Christ ne veut pas accor­der son par­don à celui qui méprise l’Eglise » : Sermo 11 (In domi­ni­ca III post Epiphaniam, I): PL 194, 1729.
163 Cf. Mt 12, 49–50 ; Mc 3, 33–34 ; Lc 8, 20–21, Rm 8, 29 : «… I’ainé d’une mul­ti­tude de frères ».
164 Cf He 2, 17 ; 4, 15
165 Cf. Mt 18, 12–13 ; Lc 15, 4–6.
166 Cf. Lc 5, 31–32.
167 Cf. Mt 22, 16.
168 Cf. Ac 10, 42
169 Cf Jn 8, 16
170 Cf. mon dis­cours aux péni­ten­ciers des basi­liques patriar­cales de Rome et aux prêtres confes­seurs, en conclu­sion du jubi­lé de la Rédemption (9 juillet 1984): L’Osservatore Romano, 9–10 juillet 1984.
171 Jn 8, 11.
172 Cf. Tt 3, 4.
173 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacra­men­to Paenitentiae, chap. I et can. 1 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 703–704, 711 (DS 1668–1670, 1701).
174 Const. dogm. sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 11.
175 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacra­men­to Paenitentiae, chap. I et can. 1 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit. 703–704. 711 (DS 1668–1670. 1701).
176 Cf. Const. sur la sainte litur­gie Sacrosanctum Concilium, n. 72.
177 Cf. Rituale Romanum ex Decreto Sacrosancti Concilii Œcumenici Vaticani II ins­tau­ra­tum, auc­to­ri­tate Pauli VI pro­mul­ga­tum. Ordo Paenitentiae, Imprimerie Polyglotte Vaticane, 1974.
178 Le Concile de Trente emploie l’ex­pres­sion atté­nuée « ad ins­tar actus iudi­cia­lis » (Session XIV, De sacra­men­to Paenitentiae, chap. 6 : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 707 [DS 1685]), pour sou­li­gner la dif­fé­rence avec les tri­bu­naux humains. Le nou­veau Rituel de la Pénitence fait allu­sion à cette fonc­tion aux numé­ros 6 b et 10 a.
179 Cf. Lc 5, 31–32 : « Ce ne sont pas les gens en bonne san­té qui ont besoin de méde­cin, mais les malades », avec la conclu­sion : «… je … suis venu appe­ler … les pécheurs à la conver­sion» ; Lc 9, 2 : « Il les envoya pro­cla­mer le Royaume de Dieu et faire des gué­ri­sons ». L’image du Christ méde­cin prend des aspects nou­veaux et impres­sion­nants si nous la com­pa­rons avec la figure du « Serviteur de Yahvé » dont le Livre d’Isaie disait, en pro­phé­ti­sant, que « ce sont nos souf­frances qu’il por­tait et nos dou­leurs dont il était char­gé » et que « dans ses bles­sures nous trou­vons la gué­ri­son » (Is 53, 4–5).
180 S. AUGUSTIN, Sermo 82, 8 : PL 3E, 511.
181 Cf. AUGUSTIN, Sermo 352, 3, 8–9 : PL 39, 1558–1559.
182 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 6c.
183 Déjà les païens – comme Sophocle (Antigone, vv. 450460) et Aristote (Rhétor., livre I, chap. 15, 1375a‑b) – recon­nais­saient l’exis­tence de normes morales « divines » exis­tant « depuis tou­jours », pro­fon­dé­ment ins­crites au cœur de l’homme.
184 Sur ce rôle de la conscience, voir ce que j’ai dit au cours de l’au­dience géné­rale du 14 mars 1984, n. 3 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 683.
185 Cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, Session XIV, De sacra­men­to Paenitentiae, chap. IV, De contri­tione : Conciliorum Œcumenicorum Decreta, éd. cit., 705 (DS 1676–1677). On sait que pour s’ap­pro­cher du sacre­ment de Pénitence, il suf­fit d’a­voir l’at­tri­tion, c’est-​à-​dire un repen­tir impar­fait, sus­ci­té plus par la crainte que par l’a­mour ; mais dans le cadre du sacre­ment, sous l’ac­tion de la grâce qu’il recoit, le péni­tent « ex attri­to fit contri­tus », et donc la Pénitence agit véri­ta­ble­ment en celui qui est bien dis­po­sé à la conver­sion dans l’a­mour ; cf. CONC. ŒCUM. DE TRENTE, ibi­dem, éd. cit., 705 (DS 1678).
186 Ordo Paenitentiae, n. 6c.
187 Cf. Ps 51 [50], 14
188 J’ai eu l’oc­ca­sion de par­ler de ces aspects de la péni­tence, qui sont tous fon­da­men­taux, au cours des audiences géné­rales des 189 mai 1982 : Insegnamenti V, 2 (1982), 1758 ss.; 28 février 1979 : Insegnamenti II (1979), 475–478 ; 21 mars 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 720–722. Il faut rap­pe­ler par ailleurs les normes du Code de Droit cano­nique concer­nant le lieu de l’ad­mi­nis­tra­tion du sacre­ment et les confes­sion­naux (can. 964, §§ 2–3).
189 J’ai trai­té suc­cinc­te­ment ce thème au cours de l’au­dience géné­rale du 7 mars 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 631–633.
190 Cf. Gn 4, 7. 15.
191 Cf. 2 S 12.
192 Cf. Lc 15, 17–21.
193 Cf. CONC ŒCUM. VAT. II, Décret sur le minis­tère et la vie des prêtres Presbyterorum orai­nis, n. 18.
194 Ordo Paenitentiae, n. 7 b.
195 Cf. Ordo Paenitentiae, n. 17.
196 Canons 961–963.
197 Cf. Ez 18, 23.
198 Cf. Is 42, 3, Mt 12 20.
199 Cf. Exhort. ap. Familiaris consor­tio, n. 84 : AAS 74 (1982), pp. 184–186.
200 Cf. 1 P1, 1. 2 ; 3, 8
201 1 P 3, 9. 13
202 1 P 3, 8. 9. 13.
203 1 P 3, 17.
204 Litanies du Sacré-​Cœur ; cf. 1 Jn 2, 2 ; Ep 2, 14 ; Rm 3, 25 ; 5, 11.
205 JEAN-​PAUL II, Discours à l’au­dience géné­rale du 7 décembre 1983, n. 2 : Insegnamenti VI, 2 (1983), 1264.
206 Cf JEAN-​PAUL II, Discours à l’au­dience géné­rale du 4 jan­vier 1984 : Insegnamenti VII, 1 (1984), 16–18.
207 Cf. Rm 1, 5 ; 16, 26