Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

30 novembre 1947

Constitution Apostolique Sacramentum Ordinis

Sur le sacrement de l'ordre

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 30 novembre,
fête de saint André apôtre en l’année 1947

Pie évêque,
Serviteur des ser­vi­teurs de Dieu,
Pour per­pé­tuelle mémoire.

Le sacre­ment de l’Ordre, ins­ti­tué par le Christ Notre-​Seigneur, sacre­ment qui trans­met le pou­voir spi­ri­tuel et confère la grâce néces­saire pour bien rem­plir les fonc­tions ecclé­sias­tiques, est unique et iden­tique pour l’Église tout entière ; c’est ce que pro­fesse la foi catho­lique. En effet, de même que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ n’a don­né à l’Église qu’un seul gou­ver­ne­ment sous l’autorité du Prince des Apôtres, une seule et même foi et un seul et même sacri­fice, ain­si il n’a don­né qu’un seul et même tré­sor de signes pro­dui­sant la grâce, c’est-à-dire les sacre­ments. À ces sacre­ments ins­ti­tués par Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, l’Église n’en a pas ajou­té d’autres au cours des siècles et elle ne pou­vait le faire, car, selon l’enseignement du Concile de Trente (Concile de Trente, VIIe ses­sion, can. 1, « Des sacre­ments en géné­ral »), les sept sacre­ments de la Nouvelle Loi ont été tous ins­ti­tués par Notre-​Seigneur, Jésus-​Christ et l’Église n’a aucun pou­voir sur « la sub­stance des sacre­ments », c’est-à-dire sur les choses que, au témoi­gnage des sources de la révé­la­tion, le Christ, Notre-​Seigneur, a pres­crit de main­te­nir dans le signe sacramentel.

2. Mais, en ce qui concerne le sacre­ment de l’Ordre, dont il s’agit ici, mal­gré son uni­té et son iden­ti­té, que nul catho­lique n’a jamais pu mettre en doute, il est arri­vé an cours des âges, selon la diver­si­té des temps et des lieux, qu’on a ajou­té dif­fé­rents rites à son admi­nis­tra­tion. C’est ce qui explique cer­tai­ne­ment qu’à par­tir d’un cer­tain moment les théo­lo­giens aient com­men­cé à recher­cher les­quels par­mi ces rites de l’ordination appar­tiennent à l’essence du sacre­ment et les­quels n’y appar­tiennent pas. Cet état de choses a encore occa­sion­né, dans des cas par­ti­cu­liers, des doutes et des inquié­tudes ; aus­si a‑t-​on, à plu­sieurs reprises, deman­dé hum­ble­ment au Saint-​Siège que l’autorité suprême de l’Église veuille bien se pro­non­cer sur ce qui, dans la col­la­tion des Ordres sacrés, est requis pour la validité.

3. On recon­naît una­ni­me­ment que les sacre­ments de la Nouvelle Loi, signes sen­sibles et pro­duc­teurs de la grâce invi­sible, doivent et signi­fier la grâce qu’ils pro­duisent et pro­duire la grâce qu’ils signi­fient. Or, les effets que les ordi­na­tions dia­co­nale, sacer­do­tale et épis­co­pale doivent pro­duire et par­tant signi­fier, à savoir le pou­voir et la grâce, se trouvent, dans tous les rites en usage dans l’Église uni­ver­selle, aux diverses époques et dans les dif­fé­rents pays, suf­fi­sam­ment indi­qués par l’imposition des mains et les paroles qui la déter­minent. De plus, nul n’ignore que l’Église romaine a tou­jours tenu pour valides les ordi­na­tions faites dans le rite grec sans la tra­di­tion des ins­tru­ments. Aussi le Concile de Florence, où a été conclue l’union des Grecs avec l’Église romaine, ne leur a‑t-​il pas impo­sé de chan­ger le rite de l’ordination ni d’y insé­rer la tra­di­tion des ins­tru­ments. Bien plus, l’Église a vou­lu que même à Rome les Grecs fussent ordon­nés selon leur propre rite. De là il res­sort que, même dans la pen­sée du Concile de Florence, la tra­di­tion des ins­tru­ments n’est pas requise de par la volon­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ pour la sub­stance et pour la vali­di­té de ce sacre­ment. Si dans le temps elle a été néces­saire, même pour la vali­di­té, de par la volon­té et le pré­cepte de l’Église, on sait que ce qu’elle a éta­bli, l’Église peut aus­si le chan­ger et l’abroger1.

4. C’est pour­quoi, après avoir invo­qué la lumière divine, en ver­tu de Notre suprême Autorité apos­to­lique et en pleine connais­sance de cause, Nous décla­rons et, autant qu’il en est besoin, Nous déci­dons et décré­tons ce qui suit : la matière et la seule matière des Ordres sacrés du dia­co­nat, de la prê­trise et de l’épiscopat est l’imposition des mains ; de même, la seule forme sont les paroles qui déter­minent l’application de cette matière, paroles qui signi­fient d’une façon uni­voque les effets sacra­men­tels, à savoir le pou­voir d’ordre et la grâce de l’Esprit-Saint, paroles que l’Église accepte et emploie comme telles. Il s’ensuit que Nous devons décla­rer, comme Nous le décla­rons effec­ti­ve­ment, en ver­tu de Notre Autorité apos­to­lique, pour sup­pri­mer toute contro­verse et pré­ve­nir les angoisses des consciences, et déci­dons, pour le cas où dans le pas­sé l’autorité com­pé­tente aurait pris une déci­sion dif­fé­rente, que la tra­di­tion des ins­tru­ments, du moins à l’avenir, n’est pas néces­saire pour la vali­di­té des Ordres sacrés du dia­co­nat, du sacer­doce et de l’épiscopat.

5. En ce qui concerne la matière et la forme dans la col­la­tion de cha­cun de ces Ordres, Nous déci­dons et décré­tons, en ver­tu de Notre suprême Autorité apos­to­lique, ce qui suit : pour l’ordination au dia­co­nat, la matière est l’imposition de la main de l’évêque, la seule pré­vue dans le rite de cette ordi­na­tion. La forme est consti­tuée par les paroles de la Préface, dont les sui­vantes sont essen­tielles et par­tant requises pour la vali­di­té : Emitte in eum, quae­su­mus, Domine, Spiritum Sanctum, quo in opus minis­te­rii tut fide­li­ter exse­quen­di sep­ti­for­mis gra­tiae tuae munere robo­re­tur2. Dans l’Ordination sacer­do­tale, la matière est la pre­mière impo­si­tion des mains de l’évêque, celle qui se fait en silence, et non pas la conti­nua­tion de cette même impo­si­tion qui se fait en éten­dant la main droite, ni la der­nière impo­si­tion accom­pa­gnée de ces paroles : « Accipe Spiritum Sanctum : quo­rum remi­se­ris pec­ca­ta, etc. ». La forme est consti­tuée par les paroles de la Préface, dont les sui­vantes sont essen­tielles et par­tant néces­saires pour la vali­di­té : Da, quae­su­mus, omni­po­tens Pater, in hunc famu­lum tuum Presbyterii digni­ta­tem ; inno­va in vis­ce­ri­bus eius spi­ri­tum sanc­ti­ta­tis, ut accep­tum a Te, Deus, secun­di meri­ti munus obti­neat cen­su­ramque morum exem­plo suae conver­sa­tio­nis insi­nuet ((« Donnez, nous vous en sup­plions, Père tout-​puissant, à votre ser­vi­teur ici pré­sent la digni­té du sacer­doce ; renou­ve­lez dans son cœur l’esprit de sain­te­té, afin qu’il exerce cette onc­tion du second Ordre [de la hié­rar­chie] que vous lui confiez et que l’exemple de sa vie cor­rige les mœurs ».)). Enfin, dans l’ordination ou consé­cra­tion épis­co­pale, la matière est l’imposition des mains faite par l’évêque consé­cra­teur. La forme est consti­tuée par les paroles de la Préface, dont les sui­vantes sont essen­tielles et par­tant requises pour la vali­di­té : Comple in Sacerdote tuo minis­te­rii tui sum­mam, et orna-​mentis totius glo­ri­fi­ca­tio­nis instruc­tum coe­les­tis unguen­ti rore sanc­ti­fi­ca((« Donnez à votre prêtre la plé­ni­tude de votre minis­tère, et, paré des orne­ments de l’honneur le plus haut, sanctifiez-​le par la rosée de l’onction céleste ».)). Tous ces rites seront accom­plis confor­mé­ment aux pres­crip­tions de Notre Constitution apos­to­lique Episcopalis Consecrationis du 30 novembre 19443.

6. Pour pré­ve­nir des doutes éven­tuels, Nous ordon­nons que, dans la col­la­tion de chaque Ordre, l’imposition des mains se fasse en tou­chant phy­si­que­ment la tête de l’ordinand, bien que le contact moral suf­fise aus­si pour confé­rer vali­de­ment le sacrement.

Enfin, il n’est nul­le­ment per­mis d’interpréter ce que Nous venons de décla­rer et de décré­ter sur la matière et la forme, de façon à se croire auto­ri­sé soit à négli­ger, soit à omettre les autres céré­mo­nies pré­vues dans le Pontifical romain ; bien plus, Nous ordon­nons que toutes les pres­crip­tions du Pontifical romain soit reli­gieu­se­ment main­te­nues et observées.

Les dis­po­si­tions de la pré­sente Constitution n’ont pas d’effet rétro­ac­tif ; si un doute se pré­sente, on le sou­met­tra au Siège Apostolique.

Voilà ce que Nous ordon­nons, décla­rons et décré­tons, non­obs­tant n’importe quelles disposi-​tions contraires, même dignes de men­tion spé­ciale. En consé­quence, Nous vou­lons et ordon­nons que les dis­po­si­tions sus­men­tion­nées soient incor­po­rées d’une manière ou d’une autre dans le Pontifical romain. Nul n’aura donc le droit d’altérer la pré­sente Constitution par Nous don­née ni de s’y oppo­ser par une audace téméraire.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 30 novembre, fête de saint André apôtre en l’année 1947, de Notre pon­ti­fi­cat la neu­vième.

PIE XII, PAPE.

  1. L’Écriture et l’antiquité grecque et latine ne men­tionnent que l’imposition des mains et la prière. C’est seule­ment vers le haut moyen âge et sans acte offi­ciel de l’Église que la tra­di­tion des ins­tru­ments s’est répan­due en Occident et qu’elle a péné­tré peu à peu dans l’usage romain. C’est le décret Pour les Arméniens, pro­mul­gué en 1439 à l’issue du Concile de Florence, qui fixa comme matière des divers ordres la tra­di­tion des ins­tru­ments. Mais d’autre part, Rome conti­nuait à consi­dé­rer comme valides les ordi­na­tions orien­tales faites sans tra­di­tion des ins­tru­ments. Dans son Instruction Presbyterii grae­ci (31 août 1595), Clément VIII exi­geait qu’un évêque de rite grec fût pré­sent à Rome pour confé­rer aux étu­diants de sa nation l’ordination selon le rite grec. Dans la Bulle Etsi pas­to­ra­lis (26 mai 1742), pour les Italo-​Grecs, Benoît XIV déclare : Episcopi grae­ci in ordi­ni­bus confe­ren­dis ritum pro­prium grae­cum in Euchologio des­crip­tum servent. À plu­sieurs reprises, les Souverains Pontifes se sont pro­non­cés dans le même sens. La com­plexi­té de ces faits explique la diver­si­té des opi­nions, qui se sont fait jour sur l’essence du sacre­ment de l’Ordre et qu’il est super­flu d’énumérer ici. Peu à peu, l’opinion qui, s’inspirant de l’antiquité chré­tienne et de la litur­gie, n’admettait qu’un seul rite essen­tiel, l’imposition des mains avec l’invocation du Saint-​Esprit, avait fini par ral­lier la grande majo­ri­té des théo­lo­giens. Il est évident que depuis la pré­sente Constitution apos­to­lique, elle est la seule thèse autorisée.

    Reste à savoir quelle était la valeur du décret Pour les Arméniens, men­tion­né plus haut. D’après cer­tains, le décret serait sim­ple­ment une ins­truc­tion pra­tique, d’ordre dis­ci­pli­naire et pas­to­ral. D’après le car­di­nal Van Rossum, dont l’ouvrage De essen­tia sacra­men­ti Ordinis (Fribourg-​en-​Brisgau 1914), est fon­da­men­tal en la matière, le décret serait doc­tri­nal, mais pas défi­ni­tif, ex cathe­dra, infaillible. Il en voit la preuve dans le fait que l’Église n’est jamais inter­ve­nue contre des opi­nions dif­fé­rentes. (Voir Dict. de théol. cath., art. « Ordre », sur­tout col. 1315 et suiv.). []

  2. « Répandez sur lui, nous vous en sup­plions, Seigneur, l’Esprit-Saint ; qu’il le for­ti­fie par les sept dons de votre grâce pour qu’il rem­plisse avec fidé­li­té votre minis­tère ». []
  3. Voir D.C., t. XLII, col. 681–682, la tra­duc­tion fran­çaise de ce docu­ment. []