Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

16 mars 1946

Exhortation pastorale aux curés et aux prédicateurs de Rome

Sur les devoirs des qui incombent aux curés

Table des matières

Le dis­cours tra­di­tion­nel du Saint-​Père aux curés de Rome et aux pré­di­ca­teurs de carême leur recom­mande le sou­ci des œuvres de cha­ri­té qu’appellent les consé­quences désas­treuses de la guerre, l’ap­port que repré­sente leur minis­tère à la recons­truc­tion de la socié­té, les exi­gences de la pré­di­ca­tion de la foi et les droits et devoirs des prêtres sur le plan politique.

I. Le ministère

Paternel salut

Il Nous est tou­jours extrê­me­ment agréable de vous voir réunis ici autour de Nous, chers fils, en ce retour et à l’occasion du temps et de la pré­di­ca­tion de carême. Notre pre­mière pen­sée va à Notre Vénérable Frère, M. le car­di­nal vicaire, qui exerce ses hautes fonc­tions avec une volon­té ferme et un zèle éclai­ré. Nous lui asso­cions volon­tiers les fidèles col­la­bo­ra­teurs dans le gou­ver­ne­ment de Notre très aimé dio­cèse de Rome. Mais ces paroles de pater­nel salut s’adres­sent aus­si à vous, ora­teurs sacrés, ain­si qu’à vous, curés de la ville, qui devez sup­por­ter — pour, beau­coup dans une large mesure — le pon­dus diei et aes­tus, « le poids du jour avec sa cha­leur » (Matth., xx, 12), les pri­va­tions et les pénibles renon­ce­ments de ces âpres et dures années. Le Seigneur, qui voit vos œuvres, votre fatigue et votre patience (cf. Apoc., ii, 2), vous en récompensera.

Contrastes de misères et d’angoisses, de réconforts et d’espérances.

Années pénibles, années décon­cer­tantes par suite des vicis­si­tudes des évé­ne­ments les plus extra­or­di­naires et les plus dis­pa­rates, de l’alter­nance et de la confu­sion du bien et du mal, années pas­sées dans les misères et les angoisses, mais en même temps, grâce à la pro­tec­tion suprême de la divine Providence, com­blées des témoi­gnages de son infi­nie misé­ri­corde. Années dif­fi­ciles et pleines de contrastes, même pour le zélé pas­teur auquel le minis­tère des âmes a impo­sé de sin­gulières exi­gences et a été la cause d’amères dés­illu­sions, mais qui lui a pro­cu­ré par ailleurs des récon­forts sur­na­tu­rels et don­né des preuves de la fécon­di­té de son œuvre.

Témoins bien sou­vent impuis­sants de la marée mon­tante des mœurs cor­rom­pues, vous avez pous­sé vers Dieu le cri angois­sant du psal­miste : « J’enfonce dans la bourbe du gouffre, et rien qui tienne. Je m’épuise à crier, ma gorge brûle » (Ps., lxviii, 3–4). Et en pré­sence de la déchéance des âmes qui vous étaient confiées, peut-​être même par­mi celles qui vous sont les plus chères, vous vous êtes écriés et vous avez gémi : « Pour nour­ri­ture, ils m’ont don­né du poi­son, dans ma soif, ils m’abreuvaient de vinaigre » (ibid., 22). Vous avez pu obser­ver com­ment le fléau de la guerre, par­tout où il a sévi, a appor­té avec lui les mêmes ou, tout au moins, de sem­blables effets. Quelque dou­lou­reux que soit ce spec­tacle, vos cœurs se sont ouverts à l’espoir que le soleil de la paix, se levant à l’horizon, fera bais­ser gra­duel­le­ment ces grandes eaux. Et, de fait, voi­ci qu’appa­raissent çà et là les symp­tômes de rési­pis­cence, signes de notable amélioration.

Devoirs urgents.

Cependant, les consé­quences de la guerre vous mettent sans cesse en face de nom­breux et graves devoirs. Nous pen­sons sur­tout à la pro­tec­tion de l’enfance aban­don­née, à la gué­ri­son des pro­fondes bles­sures faites spé­cia­le­ment à la sain­te­té du mariage et à la fidé­li­té conju­gale et, à ce pro­pos, Nous répé­tons ici ce que, il y a un an, Nous rap­pe­lions concer­nant la ques­tion du divorce, à savoir que le mariage entre bap­ti­sés, contrac­té vali­de­ment et consom­mé, ne peut être dis­sous par aucun pou­voir sur terre, pas même par la suprême auto­ri­té ecclé­sias­tique. A ces devoirs urgents s’ajoute le devoir non moins grave de ravi­ver le sen­ti­ment du droit et de la jus­tice dans toute la vie sociale et de pro­mou­voir tou­jours davan­tage les œuvres de cha­ri­té chrétienne.

Les œuvres de charité.

Nous-​même Nous vou­lons pour­suivre, aus­si long­temps qu’il Nous en sera don­né la pos­si­bi­li­té, Notre action cha­ri­table envers les mal­heureux que la guerre a jetés dans l’indigence à Rome et hors de Rome. Nous Nous plai­sons à recon­naître votre effi­cace coopé­ra­tion à Rome, et Nous vous en remer­cions, cer­tain que vous la conti­nue­rez avec la même constance et le même zèle. L’organisation de l’aide en faveur des vic­times de la guerre, même hors de Rome, doit son ori­gine et son déve­lop­pe­ment à l’inlassable acti­vi­té des diverses œuvres vou­lues par Nous, par­mi les­quelles mérite d’être signa­lée la Commission pon­ti­fi­cale d’assistance. Grande a été la tâche accom­plie en deçà et au-​delà des fron­tières de l’Italie : rapa­trie­ment des réfu­giés, créa­tion de nom­breux réfec­toires pon­ti­fi­caux, dis­tri­bu­tion de mil­lions et de mil­lions de soupes, assis­tance aux pri­son­niers, aux rapa­triés, aux sinis­trés de la guerre. Cette acti­vi­té cha­ri­table, sou­tenue par la bien­veillance et le concours de tant d’illustres pas­teurs, est en pro­grès constants. Nous la men­tion­nons afin de rendre d’hum­bles et pro­fondes actions de grâce au Seigneur, dona­teur de tout bien, et d’exprimer aus­si en la cir­cons­tance pré­sente Notre recon­nais­sance envers tous ceux qui, en Europe et dans le monde entier, ont par amour pour Dieu, riva­li­sé de zèle dans l’aide géné­reuse qu’ils Nous ont prê­tée. Dans cette noble ému­la­tion, l’épiscopat et les catho­liques d’Amérique occupent le pre­mier rang. Le mou­ve­ment de Nos maga­sins qui, grâce à eux tous, se rem­plis­saient sans cesse à mesure qu’ils se vidaient pour le sou­la­ge­ment des pauvres, est, pour employer l’expression de l’apôtre saint Paul, la preuve visible de leur amour et la jus­ti­fi­ca­tion de Notre éloge (cf. ii Cor., viii, 24).

Valeur et dignité du ministère direct des âmes.

A mesure que se dérou­lait la série des évé­ne­ments de ces der­nières années, déjà avant la fin de la guerre, mais plus encore après, sur­tout au cours des mois pas­sés, Notre atten­tion et Notre acti­vi­té ont été extra­or­di­nai­re­ment absor­bées par le sou­ci de répondre aux besoins et aux demandes ins­tantes d’une si grande par­tie de la chré­tien­té. D’innombrables âmes, rem­plies d’espoir et de confiance, tournent leurs regards et leurs cœurs du côté de l’Eglise. Et c’est ce spec­tacle même, tou­jours pré­sent à Notre esprit, qui Nous pousse à consi­dé­rer par­ti­cu­liè­re­ment le minis­tère direct, immé­diat des âmes dans la vie parois­siale, dans l’action quo­ti­dienne du prêtre à l’autel, en chaire, au confes­sion­nal, dans l’enseignement, par­mi la jeu­nesse, au che­vet des malades, dans les conver­sa­tions per­son­nelles. Ce tra­vail assi­du a été et est par­tout et en tout temps la base fon­da­men­tale et comme l’armature solide qui assure la vita­li­té conti­nue de l’Eglise.

Par ce tra­vail, l’Eglise apporte réel­le­ment à la res­tau­ra­tion de la socié­té humaine la pré­cieuse contri­bu­tion dont Nous par­lions dans un de Nos récents dis­cours [1]. Il consiste, en effet, à for­mer l’homme lui-​même, l’homme com­plet, image et enfant de Dieu, l’hom­me pré­pa­ré et prêt à obser­ver fidè­le­ment dans l’ordre natu­rel et sur­naturel la consigne reçue de Dieu, son Créateur et son Père. Mais un tel homme, com­ment l’Eglise le forme-​t-​elle et le prépare-​t-​elle, sinon avant tout par le minis­tère quo­ti­dien des âmes ? Cette éduca­tion spi­ri­tuelle vise évi­dem­ment tout d’abord la vie sur­na­tu­relle et éter­nelle, mais en même temps elle assure à la socié­té humaine la digni­té et l’ordre, le bon­heur et la paix. De cette façon, grâce à l’obscur et inces­sant labeur accom­pli dans le monde entier par les prêtres dans chaque âme en par­ti­cu­lier, se pré­pare et se des­sine la dif­fi­cile et grande œuvre de l’Eglise pour le plus grand bien de l’humanité.

En vous par­lant ain­si, chers fils, Nous enten­dons don­ner à votre tra­vail la louange qu’il mérite. Mais Nous avons bien plus à cœur de vous encou­ra­ger et de vous sti­mu­ler à l’estimer vous-​mêmes à un degré tou­jours plus éle­vé, afin de l’accomplir avec une per­fec­tion tou­jours crois­sante, jusqu’à la plus simple confes­sion que vous enten­dez et au plus élé­men­taire caté­chisme que vous ensei­gnez aux enfants.

Sollicitude à l’égard de ceux qui vivent loin de l’Eglise.

Soucieux des condi­tions pré­sentes de la vie chré­tienne à Rome, Nous vous exhor­tons encore une fois à ne pas limi­ter votre zèle de pas­teurs des âmes à ceux qui par­ti­cipent déjà eux-​mêmes à la vie de l’Eglise, mais à aller, avec une ardeur non moins grande, à la recherche des éga­rés qui vivent loin d’elle. Ils sont, vous le savez, expo­sés à un grave dan­ger, mais ils ne sont pas cepen­dant irré­médiablement per­dus. Beaucoup, peut-​être la plu­part, peuvent encore être gagnés et rame­nés sur le droit che­min. Le tout est de prendre contact avec eux. Ce qu’ils attendent du prêtre, c’est le désintéresse­ment, le sens de la jus­tice. Ni l’un ni l’autre ne vous font défaut, chers fils, à vous qui les pui­sez chaque matin dans le Cœur même du Rédempteur. Du rap­pro­che­ment avec ceux qui se sont écar­tés de l’Eglise, de la vie en com­mun avec ceux qui peinent et qui souf­frent, faites donc le but domi­nant de vos pen­sées, le secret et comme l’âme de votre acti­vi­té sacer­do­tale et apostolique.

II. La prédication

La prédication de la foi

Le thème assi­gné à la pré­di­ca­tion de carême est, cette année, la pre­mière par­tie du Symbole des apôtres. Nous avons déjà par­lé du Credo, au cours des années pas­sées. Aujourd’hui, Nous vou­drions dire quelques mots sur la pré­di­ca­tion elle-​même de la foi.

Qu’elle repré­sente une véri­table néces­si­té, Nous n’avons pas besoin de le démon­trer. Vous savez bien vous-​mêmes com­bien pro­fonde est l’ignorance reli­gieuse, com­bien mul­tiples et sou­vent gros­sières sont les erreurs et les équi­voques concer­nant les véri­tés les plus élé­men­taires de la foi, et cela non seule­ment par­mi le simple peuple, mais encore par­mi ceux qui se targuent d’être des « intel­lec­tuels ». Ces der­niers se montrent exi­geants, même en ce qui regarde la forme : il faut donc que l’enseignement reli­gieux, par­lé ou écrit, soit pré­sen­té dans un style vif et clair ; autre­ment que ser­vi­rait de dire ou d’écrire les meilleures choses, si l’on ne réus­sit pas à se faire lire ou écouter ?

La véritable éloquence.

Les bonnes lec­tures reli­gieuses sont en nombre crois­sant. Sans doute, il n’est pas à la por­tée de tous d’exercer une louable acti­vi­té lit­té­raire qui requiert des capa­ci­tés et des apti­tudes spé­ciales, mais de tout prêtre, de tout pas­teur des âmes, de cha­cun de vous, on attend une parole soi­gnée et digne. Et cha­cun de vous peut réel­le­ment la don­ner. En effet, il n’est pas tant ques­tion d’art, de faconde, d’habileté ora­toire que d’intime convic­tion per­son­nelle. Quand saint Paul se refu­sait à prê­cher avec arti­fice et recherche, ce qu’il repous­sait, c’était pré­ci­sé­ment les orne­ments super­flus, les sub­ti­li­tés vaines, les bour­sou­flures, les phrases à effet, tout le fatras qui jure avec la digni­té et la majes­té de la chaire. Mais la force de l’Esprit qui était en lui, qui don­nait à sa parole puis­sance et effi­ca­ci­té (cf. i Cor., ii, 1–4), met­tait en valeur tous les dons de sa riche nature.

Paul, pous­sé par l’Esprit, res­tait cepen­dant tou­jours lui-​même. D’une telle union de l’Esprit et de la nature nais­sait son incom­pa­rable, son inimi­table élo­quence. Dans une mesure modeste, même la plus mo­deste qui se puisse conce­voir, tout pré­di­ca­teur par­ti­cipe à cette élo­quence pour­vu qu’assisté du Saint-​Esprit, il reste constam­ment lui- même, et pour­vu que, grâce à l’usage qu’il fait des dons de sa nature, la parole jaillisse de ses lèvres avec une cha­leur, un colo­ris, un son propre qui donnent à la véri­té, iden­tique en tous, une forme per­sonnelle et spontanée.

Le saint curé d’Ars n’avait certes pas le génie natu­rel d’un Segneri ou d’un Bossuet, mais la convic­tion vive, claire, pro­fonde, dont il était ani­mé, vibrait dans sa parole, brillait dans ses yeux, sug­gé­rait à son ima­gi­na­tion et à sa sen­si­bi­li­té des idées, des images, des com­pa­rai­sons justes, appro­priées, déli­cieuses, qui auraient ravi un saint François de Sales. De tels pré­di­ca­teurs conquièrent vrai­ment leur audi­toire. Celui qui est rem­pli du Christ ne trou­ve­ra pas diffi­cile de gagner les autres au Christ.

Nous vous sou­hai­tons que la noble ambi­tion de conqué­rir les hommes pour les don­ner au Christ ne soit pas pour vous l’origine d’une illu­sion aus­si facile que funeste. Grande serait, en effet, l’erreur du pas­teur d’âmes qui consa­cre­rait toute son atten­tion et tous ses efforts aux grands dis­cours pour des cir­cons­tances solen­nelles, plu­tôt qu’à ses pré­di­ca­tions domi­ni­cales et à ses caté­chismes heb­do­ma­daires ; qui se conten­te­rait de confier à ses vicaires, cette par­tie, la plus humble, mais pas tou­jours la plus facile, de son minis­tère. Prenez comme exemple ces pays où le caté­chisme à l’église et à l’école est consi­dé­ré comme l’une des plus hono­rables fonc­tions du prêtre, où le curé se réserve à lui-​même, après une sérieuse pré­pa­ra­tion, le pri­vi­lège d’enseigner en per­sonne, le dimanche, la reli­gion aux jeunes gens et aux per­sonnes âgées, dans l’église pleine de monde.

Objet de la prédication de la foi.

L’objet de la pré­di­ca­tion de la foi est la doc­trine catho­lique, c’est-à-dire la Révélation, avec toutes les véri­tés qu’elle contient, avec tous les fon­de­ments et les notions qu’elle sup­pose, avec toutes les consé­quences qu’elle com­porte pour la conduite morale de l’homme en face de lui-​même, dans la vie domes­tique et sociale, dans la vie publique, même poli­tique. Religion et morale, dans leur union étroite, consti­tuent un tout indi­vi­sible, et l’ordre moral, les com­man­de­ments de Dieu valent éga­le­ment pour tous les domaines de l’activité humaine, sans excep­tion aucune. Aussi loin s’étendent ces domaines, aus­si loin s’étend aus­si la mis­sion de l’Eglise et, en consé­quence, éga­le­ment la parole du prêtre, son ensei­gne­ment, ses aver­tis­se­ments, ses conseils aux fidèles confiés à son minis­tère. L’Eglise catho­lique ne se lais­se­ra jamais enfer­mer entre les quatre murs du temple. La sépa­ra­tion entre la reli­gion et la vie, entre l’Eglise et le monde, est contraire à la doc­trine chré­tienne et catholique.

Droits et devoirs du prêtre dans les questions concernant la vie publique.

Terminons par quelques pro­po­si­tions plus pré­cises et plus concrètes :

1° C’est un droit et en même temps un devoir essen­tiel de l’Eglise d’instruire, par la parole et par les écrits, du haut de la chaire et par toutes les autres formes habi­tuelles, les fidèles sur tout ce qui a trait à la foi et aux mœurs, ou sur tout ce qui est incon­ci­liable avec sa propre doc­trine et, par consé­quent, inad­mis­sible pour les catho­liques, qu’il s’agisse, soit de sys­tèmes phi­lo­so­phiques ou reli­gieux, soit des buts que se pro­posent leurs par­ti­sans, soit de leurs concep­tions morales rela­tives à la vie aus­si bien des indi­vi­dus que de la communauté ;

2° L’exercice du droit de vote est un acte de grave res­pon­sa­bi­li­té morale, au moins quand il s’agit d’élire ceux qui sont appe­lés à don­ner au pays sa Constitution et ses lois, celles, en par­ti­cu­lier, qui touchent par exemple, à la sanc­ti­fi­ca­tion des fêtes, au mariage, à la famille, à l’école, au règle­ment selon la jus­tice et l’équité des mul­tiples condi­tions sociales. Il appar­tient donc à l’Eglise d’expliquer aux fidèles les devoirs moraux qui découlent de ce droit électoral ;

3° L’article 43 du concor­dat de 1929 inter­dit aux ecclé­sias­tiques en Italie de s’inscrire et de mili­ter dans n’importe quel par­ti poli­tique. L’Eglise entend faire res­pec­ter fidè­le­ment cette dis­po­si­tion, prête même à répri­mer et à punir des infrac­tions éven­tuelles à cette obli­ga­tion de la part de tout ecclé­sias­tique, et elle ne songe aucune­ment, de son côté, à s’ingérer dans des ques­tions pure­ment poli­tiques, dans les­quelles elle laisse aux catho­liques, comme tels, pleine liber­té d’opinion et d’action. Mais, par ailleurs, elle ne peut renon­cer au droit sus­dit ni ne pour­rait admettre que l’Etat juge uni­la­té­ra­le­ment le prêtre dans l’exercice de son minis­tère en lui infli­geant même des sanc­tions pénales ni qu’en aucun cas il le défère au tri­bu­nal, sans entente avec l’autorité ecclé­sias­tique, ain­si que le pres­crit l’article 8 du même concordat ;

4° Le prêtre catho­lique ne peut être sim­ple­ment assi­mi­lé aux fonc­tion­naires ou aux per­sonnes inves­ties d’un pou­voir public ou d’une fonc­tion civile ou mili­taire [2]. Ceux-​ci sont des employés ou repré­sen­tants de l’Etat dont, sous réserve de la loi divine, ils dépen­dent et dont ils pro­curent les inté­rêts légi­times ; en consé­quence l’Etat peut édic­ter des dis­po­si­tions concer­nant leur conduite, même dans les ques­tions de la poli­tique. Le prêtre, par contre, est ministre de l’Eglise, et il a une mis­sion qui, ain­si que Nous l’avons déjà signa­lé, s’étend à toute la sphère des devoirs reli­gieux et moraux des fidèles, et dans l’accomplissement de laquelle il peut donc lui-​même être obli­gé de don­ner, sous ce rap­port, des conseils et des ins­truc­tions concer­nant éga­le­ment la vie publique. Or, il est évident que les abus éven­tuels d’une telle mis­sion ne peuvent être, en soi, lais­sés au juge­ment des pou­voirs civils, au risque d’exposer en outre les pas­teurs des âmes à des dif­fi­cul­tés et à des vexa­tions pro­vo­quées par des grou­pe­ments mal­veillants à l’égard de l’Eglise, sous le facile pré­texte de vou­loir éloi­gner le cler­gé de la poli­tique. Qu’on n’oublie pas que, pré­ci­sé­ment, sous pré­texte de vou­loir com­battre le soi-​disant « catho­licisme poli­tique », le national-​socialisme qui, en réa­li­té, ne visait qu’à détruire l’Eglise, a sus­ci­té contre elle tout cet appa­reil de per­sé­cu­tions, de vexa­tions, d’espionnage poli­cier, contre lequel eurent à se défendre et à lut­ter cou­ra­geu­se­ment, même en chaire, des hommes d’Eglise dont l’héroïsme est admi­ré aujourd’hui du monde entier.

« Dans l’Eglise, disions-​Nous Nous-​même le 11 juillet 1937, dans le dis­cours pour l’inauguration du nou­veau sanc­tuaire de sainte Thérèse de Lisieux, Dieu dicte aux fidèles de la nou­velle alliance les pré­ceptes de sa sainte loi. Du haut de la chaire, qui s’élève dans les plus majes­tueuses cathé­drales comme dans la plus humble église de vil­lage, la loi de Dieu est prê­chée sans inter­rup­tion ni fai­blesse. De la chaire riche­ment sculp­tée aus­si bien que des pauvres pupitres ver­moulus, la même doc­trine et la même loi résonnent à tra­vers les siècles, comme à tra­vers les monts et les océans. En même temps que la véri­té, la jus­tice s’y mani­feste avec l’impérieuse loi du triple devoir envers Dieu, envers le pro­chain, envers nous-​mêmes, avec la claire et sereine condam­na­tion de toutes les vio­lences iniques et de toutes les vile­nies cri­mi­nelles. Du haut de toutes les chaires d’une puis­sante nation que de mau­vais gou­ver­nants vou­draient entraî­ner dans l’idolâtrie de la race, poursuivions-​Nous en fai­sant ouver­te­ment allu­sion à l’Allemagne nationale-​socialiste d’alors, la pro­tes­ta­tion indi­gnée d’un pon­tife octo­gé­naire est des­cen­due sou­dain comme la voix du Sinaï, pour rap­pe­ler les droits impres­crip­tibles du Dieu per­son­nel, du Verbe incar­né et du Magistère sacré dont lui, le Souverain Pontife, a reçu le dépôt. Oui, Dieu parle par la bouche de ses minis­tres et de ses repré­sen­tants. » [3]

Quant à vous, chers fils, quel meilleur sou­hait pourrions-​Nous vous adres­ser en ter­mi­nant, que celui que s’adressait à lui-​même l’Apôtre des gen­tils, quand il se recom­man­dait aux prières des fidèles d’Ephèse : Qu’il vous soit accor­dé de par­ler har­di­ment et d’annoncer avec assu­rance le mys­tère de l’Evangile ; puissiez-​vous par­ler avec joie et liber­té, comme il convient aux ambas­sa­deurs du Christ ! (cf. Eph., vi, 19–20). Et afin que la cha­ri­té du divin Maître rem­plisse vos cœurs pour le plus grand bien natu­rel et sur­na­tu­rel de Nos chers dio­cé­sains, Nous vous don­nons, à vous et à eux, avec toute l’effu­sion de Notre cœur pater­nel, la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, 1946, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte ita­lien des A. A. S., XXXVIII, 1946, p. 182 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 97. Les sous-​titres sont ceux du texte original.

Notes de bas de page
  1. Allocution du 20 février 1946 aux nou­veaux car­di­naux. Cf. ci-​dessus, p. 69.[]
  2. Le pape fait allu­sion à l’article 66 de la loi élec­to­rale qui assi­mi­lait les ministres du culte aux fonc­tion­naires dans le cas d’abus dans l’exercice de leurs fonc­tions.[]
  3. Cf. Osservatore Romano, 12–13 juillet 1937, n° (23 440), p. 3.[]
12 mars 1948
Action de Grâces suite à la promulgation de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia
  • Pie XII