Un grand nombre d’évêques étant venus à Rome pour assister le jour de la Toussaint à la proclamation de la Royauté de Marie [1], le Pape les rassembla pour leur faire entendre le discours que voici :
« Magnifiez le Seigneur avec moi ; unissons-nous pour exalter son nom » [2], parce que, au moment où Nos désirs sont comblés par un nouveau bienfait d’en-haut, Nous avons le grand bonheur, chers Fils et Vénérables Frères, de jouir aujourd’hui de votre présence et de vous voir si nombreux assemblés devant Nous. La raison même de la nouvelle fête liturgique de Marie Mère de Dieu et Reine du ciel et de la terre, que Nous venons d’instituer solennellement, augmente Notre sainte joie, car il est souverainement convenable que les fils manifestent leur bonheur en voyant augmenter les honneurs de leur mère.
Si la Bienheureuse Vierge Marie est la Reine de tous, elle préside assurément de façon privilégiée et d’une manière plus attentive à vos desseins et à vos entreprises, puisqu’on l’honore du glorieux titre de Reine des Apôtres. Elle est en effet la mère du pur amour, de la crainte de Dieu, de la science et de la sainte espérance [3], et que désire-t-elle plus fortement, que cherche-t-elle plus ardemment sinon de voir le culte authentique du vrai Dieu s’enraciner toujours plus profondément dans les âmes, la charité brûler de façon toujours plus intense, la crainte filiale de Dieu guider les volontés, l’espérance qui a les promesses de l’éternité consoler le triste exil de la terre ? Tous ces bienfaits, l’ardeur et le zèle que vous mettez à remplir votre charge apostolique les procurent aux hommes, pour que vivant avec sagesse, justice et piété cette vie mortelle, ils obtiennent au ciel un bonheur sans fin. C’est donc sous la conduite et sous les auspices de Marie toujours Vierge, notre Mère et notre Souveraine, que Nous allons vous parler de certains points qui, Nous en avons la pleine assurance, vous seront utiles, et dont profitera l’effort industrieux avec lequel vous cultivez le champ de Dieu.
Pie XII désire parler aux évêques du sacerdoce
Au début du mois de juin de cette année aux nombreux évêques qui, de tout l’univers, étaient venus à Rome pour manifester envers le Pape Pie X que Nous élevions alors aux honneurs des saints, leur vénération et leur amour, Nous avons tenu un discours sur le magistère qui, par institution divine, appartient aux successeurs des Apôtres sous l’autorité du Pontife romain [4]. Aujourd’hui, continuant en quelque sorte l’entretien commencé, Nous aimons à profiter de l’occasion pour vous parler des deux autres offices de votre charge qui, étroitement unis au premier, réclament votre attention et vos soins, Nous voulons dire le sacerdoce et le gouvernement.
Le saint Pape Pie X, modèle du prêtre et de l’évêque
Tournons de nouveau notre esprit et notre cœur vers le saint pape Pie X. Nous savons par sa vie ce que furent pour lui l’autel et le Sacrifice eucharistique, et cela dès le jour où il offrit au Dieu très haut les prémices de son sacerdoce, lorsque nouveau prêtre il dit pour la première fois avec émotion au pied de l’autel « Je m’approcherai de l’autel de Dieu » [5] ; et de même durant toute sa vie sacerdotale : lorsqu’il fut curé, lorsqu’il fut directeur spirituel au séminaire, lorsqu’il fut sacré Évêque, lorsqu’il fut nommé Patriarche et Cardinal, lorsque enfin il fut élu Souverain Pontife. Pour lui, l’autel et le Sacrifice eucharistique furent l’essentiel et comme le centre de sa piété, son refuge et sa force dans les peines et les difficultés. Ils furent sa source de lumière et de courage, la source du zèle infatigable qu’il avait pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ce Pontife, de même qu’il fut et demeure le modèle du Maître, fut et demeure le modèle du Prêtre.
Le prêtre doit être sacrificateur
L’office propre et principal du prêtre fut toujours et demeure d’offrir le Sacrifice, si bien que là où il n’y a aucun pouvoir de sacrifier proprement dit il n’y a pas non plus de véritable sacerdoce.
Cela vaut aussi entièrement du prêtre de la Nouvelle Loi. Son principal pouvoir et sa fonction officielle est d’offrir l’unique et sublime sacrifice du Prêtre Éternel et Souverain, le Christ Notre Seigneur. Ce sacrifice que le Divin Rédempteur offrit sur la croix de manière sanglante, qu’il anticipa de manière non sanglante à la dernière Cène, et qu’il voulut voir renouveler de façon continue lorsqu’il commanda à ses Apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi » [6]. Ce sont donc les Apôtres, et non tous les fidèles, que le Christ lui-même fit et constitua prêtres, et c’est à eux qu’il donna le pouvoir d’offrir le Sacrifice. Au sujet de cette haute fonction et du Sacrifice du Nouveau Testament, le Concile de Trente a enseigné que « dans le sacrifice divin qui s’accomplit à la messe est contenu et immolé de façon non sanglante le même Christ qui sur l’autel de la croix s’offrit une fois pour toutes de manière sanglante… C’est en effet une seule et même hostie, c’est la même personne qui s’offre actuellement par le ministère des prêtres et qui s’offrit alors sur la croix. Seule la manière de s’offrir est différente. » [7] Aussi le prêtre célébrant, représentant le Christ, sacrifie-t-il, et lui seul ; ce n’est pas le peuple, ce ne sont pas les clercs, ce ne sont pas même les prêtres qui assistent pieusement le célébrant, bien que tous ceux-ci puissent et doivent avoir une part active au sacrifice. « Le fait cependant que les fidèles participent au sacrifice eucharistique, ainsi que Nous l’avons noté dans Notre encyclique Mediator Dei [8], ne leur confère pas pour autant de pouvoir sacerdotal. »
Ce que Nous venons de dire, vous est, Nous le savons, Vénérables Frères, parfaitement connu ; Nous avons pensé toutefois devoir le rappeler, car c’est en quelque sorte le fondement et la raison de ce que Nous allons dire maintenant. Il y a en effet des gens qui persistent à revendiquer un certain pouvoir réel de sacrifier pour tous ceux qui assistent pieusement au sacrifice de la messe, fussent-ils laïcs. Il Nous faut contre ceux-là séparer la vérité de l’erreur et supprimer toute ambiguïté. Nous avons déjà, il y a sept ans, dans la même Encyclique, condamné l’erreur de ceux qui n’hésitaient pas à déclarer que le commandement du Christ « Faites ceci en mémoire de moi » « vise directement toute l’Église des chrétiens, et que de là découla, mais plus tard seulement, le sacerdoce hiérarchique. Aussi prétendent-ils que le peuple jouit d’un véritable pouvoir sacerdotal et que le prêtre agit seulement comme délégué de la communauté. À cause de cela, ils estiment que le Sacrifice eucharistique est au sens propre une “concélébration”, et que les prêtres devraient “concélébrer” avec le peuple présent plutôt que d’offrir le sacrifice en particulier en l’absence du peuple ». À cette même occasion Nous avons également rappelé en quel sens le célébrant peut être dit « représenter le peuple », à savoir, « parce qu’il représente Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant qu’il est la Tête de tous ses membres et qu’il s’offre lui-même pour eux. Quand il s’approche de l’autel, c’est donc en tant que ministre du Christ, inférieur au Christ, mais supérieur au peuple. Le peuple au contraire, ne jouant nullement le rôle du Divin Rédempteur et n’étant pas conciliateur entre lui-même et Dieu ne peut en aucune manière jouir du droit sacerdotal. » [9].
Il n’y a pas, dans le cas présent, à considérer seulement le fruit que l’on peut retirer de la célébration ou de l’audition du Sacrifice eucharistique – il peut fort bien arriver en effet que l’on retire plus de fruit de la messe entendue avec piété que de la messe célébrée avec négligence – mais il s’agit d’établir la nature de l’acte qui consiste à écouter ou à célébrer la messe, et dont dérivent les autres fruits du sacrifice. Ceux-ci comprennent – outre le culte divin d’adoration et d’action de grâces – le fruit de pardon et d’impétration pour ceux à l’intention desquels le sacrifice est offert, même s’ils n’y assistent pas ; et le fruit qui s’étend « aux péchés, peines, satisfactions et autres besoins des fidèles vivants, ainsi que pour les chrétiens défunts qui n’ont pas encore pleinement expié leurs fautes » [10]. De ce point de vue, l’assertion que répandent actuellement non seulement les laïcs, mais même certains théologiens et certains prêtres : la célébration d’une seule sainte messe à laquelle assistent religieusement cent prêtres équivaut à cent messes célébrées par cent prêtres, doit être rejetée comme une opinion erronée. En effet la réalité est toute différente. Quant à l’offrande du Sacrifice eucharistique, il y a autant d’actions du Christ Souverain Prêtre qu’il y a de prêtres à célébrer, et non à écouter pieusement la messe de l’évêque ou du célébrant ; ceux-ci en effet, lorsqu’ils assistent à la messe, ne représentent nullement le Christ dans l’acte du sacrifice, mais ils sont à comparer aux laïcs qui assistent à la messe.
D’autre part il ne faut pas nier ni mettre en doute que les fidèles possèdent un certain « sacerdoce », et il n’est pas permis d’en faire peu de cas ni de le minimiser. Le Prince des Apôtres, dans sa première épître, s’adresse en effet aux fidèles en ces termes : « Mais vous, vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal, un peuple que Dieu s’est acquis » [11] ; auparavant il affirme dans la même lettre que, c’est le propre des fidèles d’être « un sacerdoce saint et d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus-Christ. » [12] Cependant, si vrai et si plein que soit le sens de ce titre d’honneur et de la réalité qu’il exprime, il faut tenir fermement que ce « sacerdoce » commun à tous les fidèles, profond assurément et mystérieux, ne diffère pas seulement en degré, mais aussi en essence du Sacerdoce proprement dit. Celui-ci consiste dans le pouvoir d’accomplir le sacrifice du Christ lui-même parce qu’on représente le Christ Souverain Prêtre.
Nous avons remarqué avec joie que dans beaucoup de diocèses des Instituts et des Associations liturgiques ont été constitués. On Nous a dit que des responsables étaient nommés, des congrès diocésains et interdiocésains organisés, et qu’on préparait même des congrès liturgiques internationaux. Nous avons appris avec grand plaisir que çà et là les évêques eux-mêmes ont pris part ou présidé à ces congrès. Ces réunions suivent parfois un règlement spécial si bien qu’un seul prêtre célèbre la messe et que les autres (ou en totalité ou en très grand nombre) assistent à cette messe unique et y communient de la main du célébrant. Si cela se fait pour une cause juste et raisonnable et que l’évêque, pour éviter l’étonnement des fidèles, n’en a pas décidé autrement, il n’y a pas à s’y opposer, pourvu que l’erreur rappelée par Nous plus haut ne soit pas à l’origine de cette manière de faire. Enfin, en ce qui concerne les matières traitées dans ce congrès, on a discuté de sujets concernant l’histoire, la doctrine ou des questions pratiques ; on a tiré des conclusions et formulé des vœux qui ont semblé nécessaires ou convenables au progrès liturgique, tout en les soumettant au jugement de l’autorité ecclésiastique légitime. Ce mouvement pour le développement de la liturgie n’est pas demeuré restreint au public de ces congrès ; les applications se sont constamment multipliées et ont pris un développement toujours plus considérable, en sorte que les fidèles sont incités à s’unir au célébrant toujours plus nombreux, toujours plus fréquemment, et d’une façon active et profonde.
Cependant, Vénérables Frères, si favorables que vous soyez – et à juste titre – à la pratique et au progrès de la liturgie, ne laissez pas les spécialistes de cette science se soustraire dans vos diocèses à votre conduite et à votre vigilance, régler et changer la liturgie comme bon leur semble, en dépit des lois de l’Église clairement formulées : « Il appartient exclusivement au Saint-Siège et de régler la liturgie et d’approuver les livres liturgiques » [13], spécialement en ce qui concerne la célébration de la messe : « Toute coutume contraire étant réprouvée, le célébrant doit observer avec soin et piété les rubriques des rituels et se garder d’ajouter selon son goût d’autres cérémonies ou d’autres prières. » [14] Vous non plus, n’accordez pas en cette matière votre approbation ou votre permission à des initiatives et à des tendances plus audacieuses que prudentes.
L’évêque est aussi pasteur d’un troupeau
« En devenant les modèles du troupeau » [15] : ces paroles de saint Pierre visent principalement l’évêque, en tant qu’il doit remplir la charge de Pasteur. La note particulière et propre du pontificat de Pie X est vraiment l’attitude de « Pasteur ». Lorsqu’il fut élevé à la charge suprême, tout le monde se rendit rapidement compte qu’on avait élu à la chaire du Prince des Apôtres un prêtre qui avait grandi avec le souci des âmes, qui avait été dès le début de son sacerdoce un pasteur d’âmes et l’était demeuré jusqu’au moment où il fut mis à la tête de tout le troupeau du Christ. La règle immuable qu’il garda dans sa conduite, l’idéal de vie qu’il se fixa, fut « le salut des âmes ». S’il désira « tout instaurer dans le Christ », cela même il le voulut pour le salut des âmes ; à cette fin, à cette charge il subordonna en quelque sorte toutes ses autres actions. Il fut le bon Pasteur au milieu de son troupeau, soucieux de ses besoins, inquiet des dangers qui le menaçaient, tout entier occupé à conduire et à diriger le troupeau du Christ dans la voie du Christ.
Nous n’avons pas toutefois, Vénérables Frères, l’intention de vous dépeindre une fois de plus dans cette allocution la figure remarquable et parfaite du saint Pontife et Pasteur ; Nous voulons plutôt rappeler – comme Nous l’avons déjà fait en ce qui concerne le magistère et le sacerdoce des évêques – quelques points qui requièrent de nos jours tout spécialement la volonté, la parole et l’action du pasteur.
On ne peut restreindre le pouvoir du pasteur aux choses religieuses
La première chose à remarquer est assurément la tendance qui ose réduire et limiter le pouvoir des évêques (sans en excepter le Pontife Romain), en tant qu’ils sont pasteurs du troupeau qui leur est confié. Elle restreint leur autorité, leur office et leur vigilance à des fins précises concernant les matières strictement religieuses, la promulgation des vérités de la foi, la réglementation des pratiques de piété, l’administration des sacrements de l’Église et l’accomplissement des fonctions liturgiques. Elle veut écarter l’Église de toutes les entreprises et affaires qui concernent la vie réelle, « la réalité de la vie » comme on dit, parce qu’elle serait en dehors de son pouvoir. Cette mentalité s’exprime parfois brièvement en ces termes dans les discours de certains catholiques laïques même haut placés : « Les évêques et les prêtres, nous les voyons, les écoutons et les fréquentons volontiers dans les églises, mais sur les places publiques et dans les bâtiments publics où l’on traite et décide les choses de ce monde, nous ne voulons pas les voir ni entendre leur voix. Là, c’est nous les laïcs – et non les clercs de quelque dignité ou rang que ce soit – qui sommes juges légitimes. »
Contre des erreurs de ce genre, il faut tenir ouvertement et fermement que la puissance de l’Église n’est pas limitée « aux choses strictement religieuses », comme on dit, mais que toute la matière de la loi naturelle, ses principes, son interprétation, son application, pour autant qu’il s’agit de son aspect moral, relèvent de son pouvoir. Selon le plan de Dieu, il y a, en effet, une relation entre l’observation de la loi naturelle et le chemin que l’homme doit suivre pour tendre à sa fin surnaturelle. Or sur la route qui mène à la fin surnaturelle, l’Église est guide et gardienne des hommes. Cette façon d’agir, les Apôtres déjà, puis, dès les origines, l’Église l’ont toujours observée et l’observent encore aujourd’hui, et cela non à la manière d’un guide et d’un conseiller privé, mais sur l’ordre du Seigneur et avec son autorité. Aussi, quand il s’agit des prescriptions et des avis que les Pasteurs légitimes (c’est-à-dire le Souverain Pontife pour toute l’Église, les évêques pour les fidèles commis à leurs soins) promulguent en matière de loi naturelle, les fidèles ne doivent pas invoquer l’adage : « tant valent les raisons, tant vaut l’autorité » que l’on cite habituellement pour les avis privés. C’est pourquoi celui que ne convainquent pas les arguments apportés par une ordonnance de l’Église, garde malgré tout l’obligation d’obéir. Telle fut la pensée, telles sont les paroles de saint Pie X dans l’Encyclique Singulari quadam, du 24 septembre 1912 [16] : « Quoi que fasse le chrétien, même dans le domaine des choses terrestres, il ne lui est pas permis de négliger les biens surnaturels ; bien plus il faut que selon les préceptes de la sagesse chrétienne, il oriente toute chose vers le souverain bien, comme vers sa fin dernière : toutes ses actions, en tant que bonnes ou mauvaises moralement, c’est-à-dire en tant qu’elles sont conformes au droit naturel et divin ou qu’elles s’en écartent, sont soumises au jugement et à la juridiction de l’Église. » Et aussitôt, il applique cette règle générale au domaine social : « La question sociale et les controverses qui s’y rattachent… ne sont pas de nature purement économique et par conséquent telle qu’elles puissent se régler sans tenir compte de l’autorité de l’Église ; au contraire, il est certain que la question sociale est surtout morale et religieuse et doit donc être résolue avant tout d’après les principes de la loi morale et de la religion. »
Les questions sociales, sous leur angle moral, sont de la compétence de la hiérarchie.
En matière sociale, ce n’est pas seulement une, mais plusieurs questions très graves, soit purement sociales, soit politico-sociales, qui engagent l’ordre moral, les consciences, le salut des âmes ; l’on ne peut donc prétendre qu’elles ne sont pas du ressort de l’autorité de l’Église. Bien plus, même hors de l’ordre social, se posent des questions non strictement religieuses, mais concernant des affaires politiques intéressant les nations en particulier ou dans leur ensemble. Ces questions touchent l’ordre moral, engagent les consciences, peuvent exposer, et très souvent exposent l’accomplissement de la fin dernière à de graves dangers. Telle par exemple la question du but et des limites du pouvoir civil ; celle des relations entre les individus et la société ; celle des « États totalitaires », quels que soient leur principe et leur origine ; celle de la « laïcisation totale de l’État » et de la vie publique ; de la « laïcisation » complète de l’école ; de la moralité de la guerre, de son caractère légitime ou illégitime dans les conditions où on la fait de nos jours, de la possibilité d’y collaborer pour l’homme qui a des principes religieux ; des engagements et Liens moraux qui s’établissent entre les nations et régissent leurs relations.
Il est contraire à la vérité et à la droite raison elle-même, d’affirmer que les questions rappelées ici et bien d’autres similaires n’appartiennent pas à l’ordre moral et, par conséquent, échappent, ou du moins peuvent échapper, au pouvoir de l’Autorité établie par Dieu. Celle-ci a pour mission de veiller à l’ordre juste, de conduire et diriger sur la voie droite les consciences et les actions des hommes ; et cela non seulement « dans le secret », à l’intérieur du temple et du sanctuaire, mais aussi, et bien plus encore, en public, en criant « sur les toits » [17] (pour reprendre les paroles du Seigneur), sur le champ de bataille lui-même, au milieu du combat qui se livre entre la vérité et l’erreur, la vertu et le vice, le « monde » et le règne de Dieu, le prince de ce monde et le Sauveur du monde, le Christ.
Les pasteurs sont chefs et doivent être obéis
Il Nous reste quelques mots à ajouter sur la discipline ecclésiastique. Il faut que les clercs et les laïcs sachent que l’Église est compétente et légitimement établie, et que les Ordinaires des lieux sont compétents et légitimement établis, chacun pour les fidèles qui lui sont confiés et dans les limites communes du droit, pour fixer la discipline ecclésiastique et l’imposer. C’est-à-dire pour déterminer la manière extérieure d’agir et de se comporter en ce qui regarde l’ordre extérieur, celui qui ne tire son origine ni de la nature des choses ni de l’institution divine immédiate. Il n’est pas permis aux clercs ou aux laïcs de se soustraire à cette discipline, mais tous doivent avoir soin d’observer sincèrement la discipline ecclésiastique pour que l’action du Pasteur devienne plus facile et plus efficace, l’union entre le troupeau et le pasteur plus solide, pour que la concorde et la collaboration règnent dans le même troupeau et que chacun soit pour les autres un exemple et une aide.
Mais ce que Nous venons de dire du droit des évêques comme pasteurs des brebis de leur troupeau en tout ce qui concerne la religion, les mœurs et la discipline ecclésiastique, fait l’objet d’une critique qui souvent murmure en cachette et sourdement. Cela ne recueille pas l’assentiment ferme des esprits parce que des manifestations actuelles d’assurance excessive se font jour ici et là à divers degrés, provoquant un trouble dangereux. La conscience d’avoir atteint l’âge adulte qui s’affirme plus nettement de jour en jour, provoque dans les esprits une sorte d’agitation et d’effervescence de plus en plus vive. Un bon nombre d’hommes et de femmes de ce temps pensent que la direction et la vigilance de l’Église offensent la dignité et l’autonomie qui conviennent à des adultes ; non seulement ils répètent cette affirmation, mais ils en sont profondément persuadés. Ils ne veulent pas être « sous la garde des tuteurs » [18] comme des enfants ; ils veulent être jugés et traités comme des adultes qui sont indépendants et déterminent eux-mêmes en toutes circonstances ce qu’ils ont à faire ou à laisser. Que l’Église propose – c’est ainsi qu’ils n’hésitent pas à parler – les dogmes de sa doctrine, qu’elle promulgue des lois pour diriger nos actions. Mais lorsqu’il s’agit d’appliquer cela à la vie d’un chacun, alors qu’elle s’abstienne et ne s’immisce nullement en ces questions : qu’elle laisse chacun obéir à sa raison et à sa conscience. Et cela d’autant plus que l’Église et ses ministres – disent-ils – ne connaissent pas la situation concrète ni l’ensemble des conditions internes ou externes dans lesquelles chacun est placé et où il doit prendre ses décisions et veiller à ses intérêts. En outre ils ne veulent pas qu’un interprète ou un intercesseur de quelque nature ou dignité que ce soit, s’interpose au plus intime de leur volonté entre eux-mêmes et Dieu. Nous avons parlé de ces opinions répréhensibles et Nous en avons examiné les arguments, il y a deux ans, dans les allocutions du 23 mars et du 18 avril 1952 [19]. Sur l’importance attribuée à la majorité de la personne, on affirme à bon droit : il est juste que les adultes ne soient pas gouvernés comme des enfants. L’Apôtre dit lui-même : « Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. » [20] Le véritable art d’éduquer ne suit pas une autre méthode ; le vrai pasteur d’âme ne cherche rien d’autre que de développer dans les fidèles qui lui sont confiés : « l’homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ. » [21] Mais c’est une chose d’être adulte et d’avoir fait disparaître ce qui est de l’enfant ; c’en est une autre, toute différente, que d’être adulte et de ne pas être soumis à la direction et au gouvernement de l’autorité légitime. Le gouvernement en effet n’est pas une tutelle d’enfants, mais la direction efficace des adultes pour le bien de la cité.
Mais puisque c’est à vous, Vénérables Frères, et non aux fidèles que Nous parlons, lorsque dans votre troupeau des germes et des indices de ce mal commencent à se montrer et à se développer, avertissez ainsi les fidèles : 1° Dieu a établi dans l’Église des pasteurs d’âmes non pour imposer une charge au troupeau, mais pour le faire progresser et le protéger ; 2° sous la conduite et la vigilance des pasteurs, la vraie liberté des fidèles est sauvegardée ; ils sont prémunis contre l’esclavage des erreurs et des vices, affermis contre les tentations provenant des mauvais exemples et de la fréquentation des méchants parmi lesquels ils sont forcés de vivre ; 3° par conséquent, ils agissent contre la prudence et la charité qu’ils se doivent à eux-mêmes s’ils refusent la main que Dieu leur tend, pour ainsi dire, et le secours très sûr qu’il leur fournit. Si vous en trouvez parmi les clercs et les prêtres qui sont imbus de ce faux zèle, rappelez-leur les sévères avertissements de Notre Prédécesseur Benoît XV : « Il est cependant une chose qu’il ne faut pas taire : Ceux qui sont prêtres, Nous voulons les avertir tous comme Nos fils très chers, qu’il leur est nécessaire, tant pour leur salut propre que pour la fécondité du ministère sacré, d’être étroitement unis à leur évêque et très déférents à son égard. Certes tous les ministres sacrés ne sont pas exempts de cet orgueil et de la volonté mauvaise propre à cette époque et que Nous venons de déplorer ; il n’est pas rare non plus que les Pasteurs de l’Église rencontrent peine et hostilité là où ils seraient en droit d’attendre aide et consolation. » [22]
Pie XII exhorte directement les évêques
Jusqu’ici Nous avons parlé de l’objet de l’office pastoral, et des personnes en faveur desquelles il s’exerce. Il ne conviendrait pas de terminer Notre discours sans adresser aussi quelques mots aux Pasteurs eux-mêmes. C’est à Nous et à vous, Pasteurs, que s’adressent les paroles très saintes du Pasteur éternel : « Je suis le bon Pasteur, Je suis venu pour qu’ils aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance. » [23] À Pierre, le Seigneur dit : « Si tu m’aimes, pais mes agneaux, pais mes brebis. » [24] À ces bons Pasteurs, il oppose le mercenaire qui ne cherche que soi-même et ses intérêts, et n’est pas prêt à donner sa vie pour le troupeau [25] ; il oppose les Scribes et les Pharisiens qui, avides de régner et de dominer, cherchaient leur propre gloire, occupaient la chaire de Moïse, liaient des fardeaux lourds et insupportables et en chargeaient les épaules des hommes [26]. De son joug, le Seigneur dit au contraire : « Chargez-vous de mon joug ! Car mon joug est doux et mon fardeau léger. » [27]
Pour remplir avec fruit et efficacité l’office pastoral, les relations fréquentes entre les évêques sont de grande utilité. On s’aide ainsi mutuellement à acquérir l’expérience et la pratique des affaires ; on réalise plus d’uniformité dans la façon de gouverner ; on évite l’étonnement des fidèles qui souvent ne comprennent pas pourquoi dans un diocèse les choses se font d’une manière et dans un autre, peut-être voisin, tout autrement et parfois même d’une façon contraire. À cette fin, les réunions communes qui ont lieu déjà presque partout sont très utiles, de même que les Conciles provinciaux et pléniers, célébrés avec plus de solennité et qui sont régis par les règles que fixe le Droit Canon.
À cette union et à ces relations entre Frères dans l’Épiscopat doivent s’ajouter l’union et les relations vivantes et fréquentes avec le Siège Apostolique. Cette habitude de se tourner vers le Saint-Siège en ce qui concerne non seulement la foi, mais aussi le gouvernement et la discipline est en vigueur depuis les temps les plus anciens de la chrétienté. Les sources anciennes de l’histoire en fournissent de nombreux exemples. Et lorsque les Pontifes Romains furent interrogés, ils ne répondirent pas comme des théologiens privés, mais en vertu de leur autorité, conscients du pouvoir qu’ils avaient reçu du Christ Notre-Seigneur, de diriger tout le troupeau et chacune de ses parties. La même conclusion se déduit des cas dans lesquels les Pontifes Romains, sans avoir été interrogés, tranchèrent les différends ou évoquèrent à leur tribunal les questions « incertaines ». Cette union et ces relations de circonstance avec le Saint-Siège ne viennent pas d’une certaine volonté de tout réduire à l’unité, mais du droit divin et d’un élément propre de la constitution de l’Église du Christ. Et il n’en résulte pas de dommage, mais bien un avantage pour les évêques à qui est confié le gouvernement des divers troupeaux particuliers. Les relations avec le Saint-Siège leur fournissent en effet dans les questions « incertaines » lumière et assurance, dans les difficultés conseil et force, dans les épreuves un secours, dans les situations critiques, un soulagement et une consolation. D’autre part le Siège Apostolique tire des « relations » des évêques, une plus vaste information sur l’ensemble du troupeau, une connaissance plus exacte et plus rapide des dangers qui menacent et des remèdes qu’on pourrait employer pour guérir les maux.
Vénérables Frères, la veille de sa Passion, le Christ pria le Père pour ses Apôtres et aussi pour tous ceux qui devaient leur succéder dans leur office apostolique : « Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, pour qu’ils soient un comme nous. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde… afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux. » [28]
C’est ainsi que Nous, ancien comme vous, Vicaire sur la terre du Pasteur Éternel, Nous Nous sommes adressé à vous, Nos Frères, anciens [29] et pasteurs de vos troupeaux, près du tombeau du Prince des Apôtres et du saint Pontife Pie X, et qu’à la fin de Notre discours, Nous revient de nouveau à la mémoire la Messe « Si diligis », où Nous avons pris Notre exorde. Dans la préface Nous demandons « que, Pasteur Éternel, vous n’abandonniez pas votre troupeau, mais que, par vos bienheureux Apôtres vous le gardiez sous votre continuelle protection. Que ce troupeau ait toujours pour le conduire les mêmes chefs que vous avez choisis pour continuer votre œuvre » ; et dans la seconde des postcommunions, Nous ajoutons : « Augmentez, Seigneur, en votre Église, les souffles de grâce que vous lui avez donnés, afin que par la prière du Souverain Pontife saint Pie, ne fassent défaut ni l’obéissance du troupeau à son pasteur, ni les soins du pasteur à son troupeau ! » [30]
Que Dieu vous l’accorde à tous selon la mesure de sa divine largesse !
- Pie XII, Encyclique Ad Cœli Reginam, sur la Royauté de Marie, 11 octobre 1954.[↩]
- Ps 33, 41[↩]
- Eccl. 24,24[↩]
- Pie XII, Discours Si diligis,… pasce, au Sacré Collège et à l’épiscopat, sur le magistère pontifical (31 mai 1954). – AAS, XXXXVI, 1054, n. 8, pp. 313–317.[↩]
- Ps 42 ; Liturgie, prières au bas de l’autel.[↩]
- Lc 22, 19 ; Liturgie, canon de la messe, paroles de la consécration.[↩]
- Concile de Trente, session XXII, chap. 2. – DS 940, AAS, 39, 1947, p. 553.[↩]
- Pie XII, Encyclique Mediator Dei, 20 novembre 1947, sur la liturgie et le culte eucharistique, AAS, 39, 1947. p. 553.[↩]
- Concile de Trente, session 22, ch. 2. – DS 940.[↩]
- Concile de Trente, session XXII, chap. 2. – DS 940, AAS, 39, 1947, p. 553.[↩]
- 1 Pe 2, 9.[↩]
- 1 Pe 2, 5.[↩]
- CIC, canon 1257.[↩]
- CIC, canon 818.[↩]
- 1 Pe 5, 3.[↩]
- Saint Pie X, Lettre encyclique Singulari quadam caritate, 24 septembre 1912. Controverse sur les associations ouvrières interconfessionnelles. – AAS, 4, 1912, p. 658 ; Ibid., p. 658.[↩]
- Mt 10, 27[↩]
- Gal. 4, 2[↩]
- Pie XII, Discours et radio-message, 1952.[↩]
- 1 Co 13, 11[↩]
- Eph 4, 13[↩]
- Benoît XV, Lettre encyclique Ad Beatissimi Apostolorum Principis, 1er novembre 1914. Sur les horreurs de la guerre et les exigences de la charité chrétienne. – AAS, vol. 6, 1914, pag. 579 ;[↩]
- Jn 10, 10–11[↩]
- Jn 21, 15–17[↩]
- Jn 10, 12–13[↩]
- Mt 23, 1, 4[↩]
- Mt 11, 29–30[↩]
- Jn 17, 11 ; 17, 18 ; 17, 26[↩]
- 1 Pe 5, 1[↩]
- Liturgie, Messe Si diligis.[↩]