Tout commence à l’été 2015. Dans la petite ville de Conflans, jolie cité médiévale en banlieue d’Albertville, en Savoie, madame le maire est bien embarrassée par l’ancien couvent de religieux capucins du XVIIe siècle qui se délabre consciencieusement et ne trouve pas d’utilisation satisfaisante depuis maintenant 22 ans.
Le Clos des capucins fut en effet un couvent de 1626 à 1793, date à laquelle ces religieux en furent expulsés. Revenus en 1849, les capucins subissent une deuxième persécution qui aboutit à nouveau à leur dispersion en 1903. Par la loi de séparation de l’Église et de l’État, les bâtiments du couvent se trouvent alors propriété d’associations cultuelles. Cependant, sans religieux, laissés en déshérence, ils sont achetés par la commune d’Albertville et servent successivement d’atelier militaire, de colonie de vacances puis, en 1945, sont donnés à bail au ministère de l’Éducation Nationale pour devenir un lycée ; celui-ci est fermé en 1993. Les bâtiments sont alors squattés et gravement dégradés, les ouvertures sont murées et la nature reprend ses droits : mauvaises herbes, ronciers et arbres fleurissent dans la cour. Que faire ? Durant cette période, les diverses équipes municipales ont bien tenté quelques solutions mais sans succès.
C’est alors que madame le maire songe, visiblement inspirée du Saint-Esprit, à faire revenir les bâtiments à leurs premiers propriétaires et fondateurs. Juste retour des choses ! Mais dans l’Église de France, il n’y a aucune congrégation religieuse – et surtout pas les capucins ! – pour se charger d’une telle restauration : aujourd’hui, on vend et on brade les églises et les monastères plus qu’on n’en refonde… Sauf que… les capucins d’observance traditionnelle de Morgon sont en recherche de bâtiments car leur rameau est, lui, bien vivace.
Restaurés à partir de 1974 par le père Eugène de Villeurbanne, ils regroupent aujourd’hui, en trois maisons dispersées dans tout le pays, près d’une quarantaine de religieux. Le Père gardien Antoine de Fleurance accepte donc volontiers la proposition du maire d’Albertville.
Mais tout ne va pas se faire facilement : au conseil municipal du 6 juillet 2015, c’est une levée de boucliers dans l’opposition. On agite le spectre des « intégristes », de « l’obscurantisme » et du « sectarisme ». Les passions s’enflamment. Consulté, Mgr Philippe Ballot, archevêque de Chambéry, ne s’oppose pas au projet de madame le maire. Cela ne suffit toutefois pas à calmer les esprits devant cet « ennemi indésirable » que représentent les religieux.
L’affaire est renvoyée au mois de septembre et chaque partie dispose de l’été pour affûter ses arguments. Il faut avouer que l’opposition n’en a guère, en dehors de la peur d’une révolution dans la paisible bourgade savoyarde. La séance du 23 septembre n’apporte rien de nouveau au dossier et, surtout, aucune proposition concrète susceptible de sauver ces bâtiments historiques. Et c’est par la voie de la sagesse qu’un des conseillers municipaux conclut : « Comment quelques moines pourraient mettre en cause la sécurité publique ? » avec leur seule « arme d’assaut » qu’est la prière de la messe et du chapelet.
Le 29 septembre 2015, le conseil municipal vote à la majorité la cession des bâtiments du Clos des capucins aux religieux de Morgon pour l’euro symbolique. Le recours déposé par l’opposition auprès du tribunal administratif, le mois suivant, se voit débouté avec l’amende substantielle de 600 euros.
Il ne reste plus maintenant aux frères capucins qu’à prendre possession des bâtiments et à retrousser leurs manches : c’est à un long et patient travail de restauration que les années à venir vont être employées…
L’Ordre des capucins est la troisième branche de la grande famille franciscaine. À la base, des ermites se placèrent sous la règle de saint François et restaurèrent la stricte observance. Ils participent alors de la grande réforme catholique du XVIe siècle avec les nouveaux Ordres (jésuites), congrégations sacerdotales (théatins, barnabites, lazaristes, oratoriens, sulpiciens…) et les anciens Ordres réformés (carmes déchaux de Thérèse d’Avila et Jean de la Croix). Ils s’installèrent en France en 1575 et furent très actifs sous les guerres de religion pour maintenir l’esprit catholique dans le clergé et la population française puis, lors de la reconquête tridentine du XVIIe siècle, par leurs retraites et leurs missions. Les capucins d’observance traditionnelle ont même un couvent de Clarisses installé près d’eux à Morgon.
Sources : Fideliter n° 229 de janvier-février 2016