Un jour de mars 1974, un ancien commandant japonais de la Seconde Guerre mondiale, qui s’était enfoncé dans la jungle des Philippines, trouve ce qu’il y cherchait : il rencontre Hiro Onoda, un autre officier avec lequel il a jadis fait cette guerre. Il s’emploie à le persuader de repartir au Japon et y parvient. En effet, Hiro n’avait jusqu’ici pas accepté de quitter la jungle, persuadé qu’il fallait continuer de se battre. Et pourtant la guerre était finie, n’est-ce pas ? 1944–1974 : cela faisait trente ans que la lutte entre le Japon et ses ennemis avait cessé, mais Hiro Onoda se battait toujours, jusqu’à ce jour de mars 1974. Il pensait que la guerre n’était pas terminée.
Certes, à sa décharge, lorsqu’en 1944 on l’avait envoyé dans l’archipel, on lui avait donné un ordre : ne jamais se rendre et tenir jusqu’à l’arrivée des renforts. Il a obéi. Et lorsque l’empire a capitulé, il a continué de se battre. On a eu beau lui larguer par avion des tracts pour lui annoncer que la guerre était achevée, il n’y a pas cru, considérant cela comme une tentative de leurre. Car le Japon ne pouvait pas être vaincu !
Hiro Onoda n’était pas fou, il était seulement obstiné – vraiment très obstiné ! Ce n’est donc que lorsque son ex-commandant a fait en 1974 lui-même le voyage, qu’il a consenti à rendre les armes. Depuis trente ans il surveillait les installations militaires de l’armée philippine, allant même jusqu’à tuer des dizaines de pauvres Philippins ! Hiro Onoda a ainsi survécu dans la jungle, seul pendant de longues années. D’ailleurs, des dizaines de soldats japonais, comme Sakae Oba, ont eux aussi continué de combattre malgré la capitulation. On les appelle en anglais les stragglers.
Derniers soldats d’une guerre perdue… Cette image à peine croyable ne peut-elle pas servir pour illustrer le reproche que l’on fait parfois aux catholiques de Tradition dans leur refus obstiné de la liberté religieuse ? Comme Hiro Onoda, ils mèneraient une guerre perdue, l’Église ayant comme l’Empire capitulé, précisément au concile Vatican II, par la déclaration Dignitatis humanæ acceptant la liberté religieuse. Comme Hiro, ces chrétiens seraient donc seuls, retranchés dans la jungle de leurs principes. Leur lutte serait vaine, les autorités de l’Église ayant accepté le principe de la liberté civile pour toute religion. Comme Hiro, ces catholiques, un jour, finiraient par rendre les armes, de guerre lasse c’est le cas de le dire.
En évoquant ceux qui nous font ce reproche nous pensons, non pas à ceux qui ont accepté Dignitatis humanæ, mais à ceux qui, tout en refusant la liberté religieuse, pensent que notre lutte est devenue dérisoire. Trois raisons surtout sont brandies contre notre certitude.
Islam, Charia et terrorisme
Certains expliquent : le danger le plus immédiat n’est pas le libéralisme qui prône la liberté religieuse, mais la progression de l’islam, terriblement facilitée dans nos pays par l’immigration non contrôlée. Avec la complicité des hommes politiques et des médias, la religion de Mahomet s’est, année après année, implantée comme en territoire conquis. Les commerces halal, les voiles des femmes, la multiplication des mosquées, la forte natalité des familles, sont comme des éclaireurs du djihad.
Le terrorisme, enfin, a posé sa cruelle patte sur nos voies publiques. La France est en voie de libanisation et cette évolution est mille fois plus périlleuse que le libéralisme ! Peut-être parviendra-t-on un jour à la royauté sociale du Christ, mais en attendant, pour résister efficacement à la progression de l’islam, consentons à la laïcité. Comme l’association Riposte laïque par exemple, appuyons-nous sur les lois de la République. Certes la laïcité est un mal, mais il en peut sortir un bien. Militons pour la disparition de la religion dans l’espace public afin d’empêcher la burqa. Il sera plus tard temps de se retourner contre cette regrettable laïcité.
L’apostasie silencieuse
D’autres s’appuient, dans leur reproche, sur les progrès de l’athéisme et du relativisme et jugent ces maux plus prochains. On nous vante les avertissements de Benoît XVI, qui pointait du doigt l’organisation d’un monde faisant comme si Dieu n’existait pas. L’athéisme et le relativisme dominent la pensée contemporaine.
L’Occident et d’autres larges pans du globe vivent presqu’en marge de la religion et dans le scepticisme. Non seulement les vérités révélées, mais des principes de la raison sont foulés aux pieds. Il y a plus urgent que de déclarer qu’il n’y a aucun droit pour les cultes erronés : il faut d’abord rétablir l’idée de l’existence de Dieu, car c’est contre toute religion que Satan fourbit ses armes aujourd’hui. Du reste, c’est utopie de s’acharner à dénoncer une liberté religieuse qui, de toute façon, ne sera pas remise en cause avant longtemps. C’est utopie plus éthérée encore de proclamer la royauté du Christ puisqu’on est extrêmement loin de ces perspectives. Commençons par lutter contre l’athéisme. Soyons réalistes !
Les chrétiens persécutés
Une troisième objection faite à ceux qui, comme la Fraternité Saint-Pie X, brandissent le drapeau du refus de la liberté religieuse, c’est celui de la sagesse et de ce que le jargon moderne appelle le « vivre ensemble ». Voilà l’objection la plus courante. Il serait imprudent de refuser la liberté religieuse aux non-catholiques, afin de préserver celle des catholiques.
Le raisonnement est simple : si l’Église continue de soutenir qu’il n’y a aucun droit pour les tenants des faux cultes, en s’adressant notamment aux États de la vieille Europe, alors elle ne pourra concrètement pas réclamer par ailleurs un droit pour ses propres fidèles dans les pays où ce droit est menacé ou nié – et il l’est le plus souvent dans les nombreux États soumis à la charia, en Afrique et en Asie.
En outre, si, en pratique, il venait à un État chrétien l’idée d’interdire, sur son territoire, les cultes autres que celui de l’Église, alors ce même État se rendrait par ce geste incapable, ensuite, de réclamer pour les catholiques, sous d’autres cieux, la liberté de profession et de culte. Diplomatie impossible ! Comment protester contre le Pakistan qui tient Asia Bibi en prison et l’y laisse mourir, et simultanément interdire les mosquées sur une terre européenne ? Les autorités musulmanes ne nous répondraient- elles pas en nous mettant devant les yeux ce qu’elles appelleraient notre inconséquence ? Nous rendrions, alors, impossible la vie ensemble, non seulement dans ces pays plus ou moins soumis à la charia, mais aussi, dans une certaine mesure, sur les terres qui furent chrétiennes et abritent aujourd’hui des millions de musulmans.
Tels sont trois des objections les plus fréquentes faites aux Hiro Onoda qui s’obstinent au combat contre la liberté religieuse. L’abbé Nicolas Portail y répondra de haut, en rappelant comment ce principe est insoutenable tant par la raison naturelle qu’au regard de la foi.
L’abbé Thierry Gaudray descendra dans l’arène ensuite pour réfuter point par point les tentatives de sauver Dignitatis humanæ afin de le rendre catholique.
Le dernier article de ce dossier s’occupera enfin de répondre directement aux trois objections exposées ci-dessus : islam ; athéisme et relativisme ; persécution.
Abbé Philippe Toulza†, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Fideliter n° 330 de mars-avril 2016