Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

13 décembre 1908

Discours sur la béatification de Jeanne d'Arc

Prononcé après la lecture des décrets de béatification des Vénérables Jeanne d'Arc, Jean Eudes, François de Capillas, Théophane Vénard et ses compagnons.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 13 décembre de l’an­née 1908

Je suis recon­nais­sant, Vénérable Frère1, à votre cœur géné­reux qui vou­drait me voir tra­vailler clans le champ du Seigneur tou­jours à la lumière du soleil, sans nuage ni bour­rasque. Mais vous et moi, nous devons ado­rer les dis­po­si­tions de la divine Providence qui, après avoir éta­bli son Église ici-​bas, per­met qu’elle ren­contre sur son che­min des obs­tacles de tout genre et des résis­tances for­mi­dables. La rai­son en est, d’ailleurs évi­dente : l’Église est mili­tante et par consé­quent dans une lutte conti­nuelle. Cette lutte fait du monde un vrai champ de bataille et de tout chré­tien un sol­dat valeu­reux qui com­bat sous l’étendard de la croix. Cette lutte a com­men­cé avec la vie de notre Très Saint Rédempteur et elle ne fini­ra qu’avec la fin même des temps. Ainsi, il faut tous les jours, comme les preux de Juda au retour de la cap­ti­vi­té, d’une main repous­ser l’ennemi, et de l’autre éle­ver les murs du Temple saint, c’est-à-dire tra­vailler à se sanctifier.

Nous sommes confir­més dans cette véri­té par la vie même des héros aux­quels sont consa­crés les décrets qui viennent d’être publiés. Ces héros sont arri­vés à la gloire, non seule­ment à tra­vers de noirs nuages et des bour­rasques pas­sa­gères, mais à tra­vers des contra­dic­tions conti­nuelles et de dures épreuves qui sont allées jusqu’à exi­ger d’eux pour la foi le sang et la vie.

Je ne puis nier pour­tant que ma joie est, en effet, bien grande en ce moment : car, en glo­ri­fiant tant de saints, Dieu mani­feste ses misé­ri­cordes à une époque de grande incré­du­li­té et d’indifférence reli­gieuse ; car, au milieu de l’abaissement si géné­ral des carac­tères, voi­ci que s’offrent à l’imitation ces âmes reli­gieuses qui, pour témoi­gner de leur foi, ont don­né leur vie ; car, enfin, ces exemples viennent, en effet, pour la plus grande part, Vénérable Frère, de votre pays, où ceux qui détiennent les pou­voirs publics ont déployé ouver­te­ment le dra­peau de la rébel­lion et ont vou­lu rompre à tout prix tous les liens avec l’Église.

Oui, nous sommes à une époque où beau­coup rou­gissent de se dire catho­liques, beau­coup d’autres prennent en haine Dieu, la foi, la révé­la­tion, le culte et ses ministres, mêlent à tous leurs dis­cours une impié­té railleuse, nient tout et tournent tout en déri­sion et en sar­casmes, ne res­pec­tant même pas le sanc­tuaire de la conscience. Mais il est impos­sible que devant ces mani­fes­ta­tions du sur­na­tu­rel, quelle que soit leur volon­té de fer­mer les yeux en face du soleil qui les éclaire, un rayon divin ne finisse pas par péné­trer jusqu’à leur conscience, et, serait-​ce même par la voie du remords, les rame­ner à la foi.

Ce qui fait encore ma joie, c’est que la vaillance de ces héros doit rani­mer les cœurs alan­guis et timides, peu­reux dans la pra­tique des doc­trines et des croyances chré­tiennes, et les rendre forts dans la foi. Le cou­rage, en effet, n’a de rai­son d’être que s’il a pour base une convic­tion. La volon­té est une puis­sance aveugle quand elle n’est pas illu­mi­née par l’intelligence, et on ne peut mar­cher d’un pas sûr au milieu des ténèbres. Si la géné­ration actuelle a toutes les incer­ti­tudes et toutes les hési­ta­tions de l’homme qui marche à tâtons, c’est le signe évident qu’elle ne tient plus compte de la parole de Dieu, flam­beau qui guide nos pas et lumière qui éclaire nos sen­tiers : Lucerna pedi­bus meis ver­bum tuum et lumen semi­tis meis.

Il y aura du cou­rage quand la foi sera vive dans les cœurs, quand on pra­ti­que­ra tous les pré­ceptes impo­sés par la foi ; car la foi est impos­sible sans les œuvres, comme il est impos­sible d’imaginer un soleil qui ne don­ne­rait point de lumière et de cha­leur. Cette véri­té a pour témoins les mar­tyrs que nous venons de célé­brer. Car il ne faut pas croire que le mar­tyre soit un acte de simple enthou­siasme qui consiste à mettre la tète sous la hache pour aller tout droit en para­dis. Le mar­tyre sup­pose le long et pénible exer­cice de toutes les ver­tus. Omnimoda et imma­cu­la­ta mun­di­tia.

Et, pour par­ler de celle qui vous est connue plus que tous les autres – la Pucelle d’Orléans, –dans son humble pays natal comme par­mi la licence des armes, elle se conserve pure comme les anges ; fière comme un lion dans tous les périls de la bataille, elle est rem­plie de pitié pour les pauvres et pour les mal­heu­reux. Simple comme un enfant dans la paix des champs et dans le tumulte de la guerre, elle demeure tou­jours recueillie en Dieu et elle est tout amour pour la Vierge et pour la sainte Eucharistie, comme un ché­ru­bin, vous l’avez bien dit. Appelée par le Seigneur à défendre sa patrie, elle répond à sa voca­tion pour une entre­prise que tout le monde, et elle tout d’abord, croyait impos­sible ; mais ce qui est impos­sible aux hommes est tou­jours pos­sible avec le secours de Dieu.

Que l’on n’exagère pas par consé­quent les dif­fi­cul­tés quand il s’agit de pra­ti­quer tout ce que la foi nous impose pour accom­plir nos devoirs, pour exer­cer le fruc­tueux apos­to­lat de l’exemple que le Seigneur attend de cha­cun de nous : Unicuique man­da­vit de proxi­mo suo. Les dif­fi­cul­tés viennent de qui les crée et les exa­gère, de qui se confie en lui-​même et non sur les secours du ciel, de qui cède, lâche­ment inti­mi­dé par les raille­ries et les déri­sions du monde : par où il faut conclure que, de nos jours plus que jamais, la force prin­ci­pale des mau­vais c’est la lâche­té et la fai­blesse des bons, et tout le nerf du règne de Satan réside dans la mol­lesse des chrétiens.

Oh ! S’il m’était per­mis, comme le fai­sait en esprit le pro­phète Zacharie, de deman­der au divin Rédempteur : « Que sont ces plaies au milieu de vos mains ? Quid sont istæ plagæ in medio manuum tua­rum ? » la réponse ne serait pas dou­teuse : « Elles m’ont été infli­gées dans la mai­son de ceux qui m’aimaient. His pla­ga­tus sum in domo eorum qui dili­ge­bant me » : par mes amis qui n’ont rien fait pour me défendre et qui, en toute ren­contre, se sont ren­dus com­plices de mes adver­saires. Et à ce reproche qu’encourent les chré­tiens pusil­la­nimes et inti­mi­dés de tous les pays ne peuvent se déro­ber un grand nombre de chré­tiens de France.

Cette France fut nom­mée par mon véné­ré pré­dé­ces­seur, comme vous l’avez rap­pe­lé, Vénérable Frère, la très noble nation, mis­sion­naire, géné­reuse, che­va­le­resque. A sa gloire, j’ajouterai ce qu’écrivait au roi saint Louis le pape Grégoire IX :

Dieu, auquel obéissent les légions célestes, ayant éta­bli, ici-​bas, des royaumes dif­fé­rents sui­vant la diver­si­té des langues et des cli­mats, a confé­ré à un grand nombre de gou­ver­ne­ments des mis­sions spé­ciales pour l’accomplissement de ses des­seins. Et comme autre­fois il pré­fé­ra la tri­bu de Juda à celles des autres fils de Jacob, et comme il la gra­ti­fia de béné­dic­tions spé­ciales, ain­si choi­sit la France de pré­fé­rence à toutes les autres nations de la terre pour la pro­tec­tion de la foi catho­lique et pour la défense de la liber­té reli­gieuse. Pour ce motif, conti­nue le Pontife, la France est le royaume de Dieu même, les enne­mis de la France sent les enne­mis du Christ. Pour ce motif, Dieu aime la France parce qu’il aime l’Eglise qui tra­verse les siècles et recrute les légions pour l’éternité. Dieu aime la France, qu’aucun effort n’a jamais pu déta­cher entiè­re­ment de la cause de Dieu. Dieu aime la France, où en aucun temps la foi n’a per­du de sa vigueur, où les rois et les sol­dats n’ont jamais hési­té à affron­ter les périls et à don­ner leur sang pour la conser­va­tion de la foi et de la liber­té religieuse.

Lettre de Sa Sainteté Grégoire IX du 21 octobre 1239 sol­li­ci­tant l’aide de saint Louis contre l’empereur Frédéric II. Bulle Dei Filius

Ainsi s’exprime Grégoire IX.

Aussi, à votre retour, Vénérable Frère, vous direz à vos com­patriotes que s’ils aiment la France ils doivent aimer Dieu, aimer la foi, aimer l’Église, qui est pour eux tous une mère très tendre comme elle l’a été de vos pères. Vous direz qu’ils fassent tré­sor des tes­ta­ments de saint Remi, de Charlemagne et de saint Louis – ces tes­ta­ments qui se résument dans les mots si sou­vent répé­tés par l’héroïne d’Orléans :

« Vive le Christ qui est Roi des Francs ! »

A ce titre seule­ment, la France est grande par­mi les nations ; à cette clause, Dieu la pro­té­ge­ra et la fera libre et glo­rieuse ; à cette condi­tion, on pour­ra lui appli­quer ce qui, dans les Livres Saints, est dit d’Israël :

« Que per­sonne ne s’est ren­con­tré qui insul­tât à ce peuple, sinon quand il s’est éloi­gné de Dieu : Et non fuit qui insul­ta­ret popu­lo isti, nisi quan­do reces­sit a culto Domini Dei sui. »

Ce n’est donc pas un rêve que vous avez énon­cé, Vénérable Frère, mais une réa­li­té ; je n’ai pas seule­ment l’espérance, j’ai la cer­ti­tude du plein triomphe.

Il mou­rait, le Pape mar­tyr de Valence, quand la France, après avoir mécon­nu et anéan­ti l’autorité, pros­crit la reli­gion, abat­tu les temples et les autels, exi­lé, pour­sui­vi et déci­mé les prêtres, était tom­bée dans la plus détes­table abo­mi­na­tion. Deux ans ne s’étaient pas écou­lés depuis la mort de celui qui devait être le der­nier Pape, et la France, cou­pable de tant de crimes, souillée encore du sang de tant d’innocents, tourne, dans sa détresse, les yeux vers celui qui, élu Pape par une sorte de miracle, loin de Rome, prend à Rome pos­ses­sion de son trône et la France implore avec le par­don l’exercice du divin pou­voir que, dans le Pape, elle avait si sou­vent contes­té ; et la France es sau­vée. Ce qui parait impos­sible aux hommes est pos­sible à Dieu. Je suis affer­mi dans cette cer­ti­tude par la pro­tec­tion des mar­tyrs qui ont don­né leur sang pour la foi et par l’intercession de Jeanne d’Arc, qui, comme elle vit dans le cœur des Français, répète aus­si, sans cesse, au ciel la prière : 

« Grand Dieu, sau­vez la France ! »

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 13 décembre de l’an­née 1908, de notre pon­ti­fi­cat la cinquième.

Pie X, Pape

  1. Mgr Touchet, évêque d’Orléans. []
11 avril 1909
Béatification du Vénérable Jean Eudes, mission­naire apostolique, fondateur de la Congrégation de Jésus et Marie et de l’Ordre de la B. V. M. de la Charité.
  • Saint Pie X