Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

22 janvier 1908

Lettre apostolique Christiani nominis

Pour la béatification de la vénérable servante de Dieu Marie-Madeleine Postel.

Cette lettre a été lue en la Basilique Vaticane le 17 mai 1908, jour de la solen­nelle béa­ti­fi­ca­tion de la Mère Marie-​Madeleine. Celle-​ci fut ensuite cano­ni­sée le 24 mai 1925 par le pape Pie XI. On la fête le 16 juillet.

Pie X, Pape.

Pour per­pé­tuelle mémoire.

Si le nom chré­tien a ren­con­tré à toutes les époques des per­sé­cu­teurs achar­nés qui, pour arra­cher de notre terre jusqu’aux racines de la foi catho­lique, se sont effor­cés de ban­nir des écoles l’enseignement reli­gieux, Dieu, de son côté, dans sa misé­ri­corde, n’a point cesse de sus­ci­ter ses saints, et les saints, en se dévouant sans réserve à l’éducation de l’en­fance, ont péremp­toi­re­ment prou­vé, que le com­men­ce­ment de la sagesse réside dans la crainte du Seigneur. C’est là un fait qu’on a consta­té en de nom­breuses contrées, mais sur­tout en France. Quand sur le sol fran­çais, en effet, on vit paraître, au xviiie siècle, des hommes qui, sous l’or­gueilleux cou­vert de la phi­lo­so­phie, cher­chaient à empoi­sonner, par des doc­trines de toutes sortes, la source même et le prin­cipe de la saine doc­trine, d’autres, en même temps, sous le souffle de Dieu, se levèrent, émi­nents par la science divine aus­si bien que par l’amour vrai de leurs sem­blables, et démon­trèrent d’une manière écla­tante que la reli­gion nous assure, avec le bien­fait de la véri­té, le bien­fait du salut. Or, par­mi ces héros, nous voyons briller avec gloire, la véné­rable ser­vante de Dieu Marie-​Madeleine Postel, fon­da­trice de cet Institut dont les reli­gieuses portent le nom de « Sœurs des Écoles chré­tiennes de la Miséricorde » et ont, soit par leur dévoue­ment auprès des malades, soit spé­cia­le­ment par leur zèle dans l’œuvre de l’éducation des jeunes filles, mis le comble aux ser­vices qu’elles avaient d’abord ren­dus à leur seule patrie d’origine par ceux qu’elles ont ensuite ren­dus en plu­sieurs autres pays.

Cette véné­rable ser­vante de Dieu est née dans la ville fran­çaise de Barfleur, le 28 novembre 1756, de parents hono­rables et pieux, nom­més Jean Postel et Thérèse Levallois. Comme sa vie se trou­va en dan­ger au moment même de la nais­sance, on lui don­na immé­dia­te­ment le saint bap­tême ; puis, dès le même jour, elle fut por­tée à l’église et elle y reçut, selon les rites sacrés, les noms de Julie-​Françoise-​Catherine. Encore toute petite enfant, elle se fit remar­quer par un ardent amour envers Dieu : lorsqu’elle se ren­dait dans le lieu saint et qu’elle y répan­dait ses prières, elle était parée d’une si admi­rable modes­tie qu’on l’aurait prise pour un ange ravi dans une contem­pla­tion divine.

Les amu­se­ments et les récréa­tions du jeune âge lui étaient en aver­sion. Il n’y avait qu’une excep­tion : elle se plai­sait à éle­ver et à orner de petits repo­soirs, à par­ler des choses de Dieu à ses com­pa­gnons et com­pagnes et à leur ensei­gner le caté­chisme dont elle gra­vait avec soin les leçons dans sa mémoire ; c’étaient là ses délices. Elle ne mon­trait pas une moins grande, béni­gni­té à l’égard des pauvres, car elle pous­sa la cha­ri­té jusqu’à leur don­ner ses chaus­sures et ren­tra ensuite au foyer domes­tique les pieds nus. Elle appa­rais­sait tou­jours si humble et si pleine de grâce que tous la regar­daient comme une petite sainte et rap­pe­laient de ce nom.

Elle avait la sin­gu­lière cou­tume d’exulter et de tres­saillir d’une joie exu­bé­rante quand écla­tait l’un de ces ter­ribles orages pen­dant les­quels la fré­quence des éclairs et le fra­cas du ton­nerre glacent d’effroi les plus intré­pides ; et lorsqu’un jour on lui deman­da le motif de cette habi­tude extra­or­di­naire, elle répon­dit qu’elle se réjouis­sait parce que, tant que durait la tem­pête, Dieu n’était pas offen­sé et que la crainte exci­tait chez les pécheurs le repen­tir du pas­sé et le bon pro­pos pour l’avenir. Un autre, fait montre encore jusqu’où allait son hor­reur du péché : des sol­dats ayant enga­gé un duel sous ses yeux, elle se jette à genoux devant les com­bat­tants et, mon­trant son cru­ci­fix, elle les dis­suade de leur crime avec une telle éner­gie que leur haine, à l’é­ton­ne­ment de tous, se change en amour.

C’est ici le lieu de dire que, bien que n’étant pas encore sor­tie de l’enfance, elle se livra à de si grandes mor­ti­fi­ca­tions on ce qui con­cerne la nour­ri­ture et le vête­ment que son confes­seur crut devoir la modérer.

De plus, habi­tuée à suivre sa mère, lorsque sa mère se ren­dait à l’église pour com­mu­nier, elle était dévo­rée d’un tel désir de s’as­seoir au céleste fes­tin qu’il fal­lut, quoiqu’elle eût à peine neuf ans et que son âge fût un obs­tacle, l’admettre à la sainte Table. Il faut ajou­ter que, depuis ce jour béni, elle ne s’est pas pri­vée un seul jour de ce bonheur.

Dans le même temps, elle se consa­cra tout entière à Dieu pour le bien du pro­chain par un vœu dont les fruits, non moins heu­reux qu’abondants, se cueillent encore aujourd’hui.

Confiée ensuite aux reli­gieuses Bénédictines de Valognes pour ache­ver près d’elles son édu­ca­tion, elle répan­dit, là aus­si, un tel par­fum de sain­te­té et unit si bien à toutes ses autres émi­nentes ver­tus l’exacte obser­vance de la règle qu’on l’appelait una­ni­me­ment la fille du bon Dieu.

Six ans après, par un des­sein de la Providence divine, comme sur le désir de ses parents, elle ren­tra à la mai­son pater­nelle et y éta­blit une école pour les filles. Ici, il nous est don­né d’admirer avec quelle solli­citude et avec quelle sagesse la véné­rable ser­vante de Dieu a rem­pli cette mis­sion et com­ment sa pié­té et sa cha­ri­té, rehaus­sées de dou­ceur et de sua­vi­té, res­plen­dirent du plus mer­veilleux éclat. Ce sont, en effet, les pauvres et les orphe­lines qui furent le pre­mier objet de sa sol­li­ci­tude : elle leur ensei­gnait non seule­ment les élé­ments des sciences, mais aus­si ces tra­vaux qui conviennent plus par­ti­cu­liè­re­ment aux femmes, et elle les for­mait si bien au gou­ver­ne­ment d’une mai­son, qu’elles deve­naient des mères de famille modèles. De sa bouche cou­laient des paroles de vie, et ses élèves, en l’écoutant, la priaient avec ingé­nui­té de pro­lon­ger le jour pour leur par­ler encore. C’est donc à bon droit que Julie Postel a été com­pa­rée à saint Jean-​Baptiste, de la Salle, dont l’Institut, si utile pour les gar­çons, a trou­vé son com­plément dans l’Institut que la Vénérable a fon­dé pour les filles. Ajoutez que, mal­gré ses tra­vaux, la véné­rable Julie pra­ti­quait un jeûne à peu près abso­lu, que tou­jours elle pre­nait son som­meil sur des planches nues et que, sou­vent, elle l’interrompait pour prier : ajou­tez que des pointes de fer labou­raient son corps inno­cent et frêle ; ajou­tez que tout cela était uni à une si grande humi­li­té de cœur, qu’elle était commu­nément regar­dée comme ayant atteint le suprême som­met de la per­fection chrétienne.

Il y a mieux, et la force de la véné­rable ser­vante de Dieu se mani­festa de plus en plus admi­rable au milieu du ren­ver­se­ment des choses divines et humaines, lorsqu’on vou­lut contraindre les prêtres à prê­ter un ser­ment impie. Ceux, ou effet, qui, l’ayant refu­sé, sont condam­nés au ban­nis­se­ment et pour­sui­vis pour être mis à mort, Julie les cache et les pro­tège au péril de sa propre vie. Usant de la faveur qui lui a été accor­dée, elle cache dans sa mai­son les choses saintes, et, l’âme débor­dante d’une nou­velle joie, elle conserve chez elle le Très Saint Sacrement. En outre, elle enseigne à tous le caté­chisme ; elle pré­pare au ban­quet sacré les enfants qui n’y ont pas encore été admis et, enfin, dans son cou­rage viril, elle assure aux mou­rants le secours du Via­tique eucha­ris­tique. Vous la voyez, par un indus­trieux dévoue­ment, défendre contre toute pro­fa­na­tion le corps du Christ devant lequel ses nuits se passent en prières ; vous la voyez se réjouir d’une joie immor­telle de ce que, par un bon­heur sem­blable à celui de la Mère de Dieu, il lui a été don­né de por­ter Jésus dans ses bras. Aussi a‑t-​on eu plei­nement rai­son de l’appeler Vierge-​prêtre.

Et, en effet, tant que le culte reli­gieux a été ini­que­ment pro­hi­bé et empê­ché, n’a‑t-elle pas sans cesse veillé pour conser­ver le feu sacré de la foi ? De plus, lorsqu’au bout d’une dizaine d’années le ter­rible oura­gan eut pris fin, tout émue de la pénu­rie des prêtres, elle accep­ta la charge de pré­di­ca­teur de l’Evangile ; et alors, par la connais­sance des sciences sacrées comme par l’amour brû­lant des âmes qu’elle fit paraître en sti­mu­lant les faibles et en for­ti­fiant les forts, elle sou­le­va une nou­velle et uni­ver­selle admiration.

Voulant se sous­traire à cette admi­ra­tion, la très humble héroïne dit adieu à ses conci­toyens déso­lés de la perdre, quit­ta sa ville natale et se ren­dit à Cherbourg.

On ne sau­rait omettre de men­tion­ner ici qu’avant ce départ une enfant, qui venait de faire sur son lit de mort sa Première Commu­nion, annon­ça à Julio les prin­ci­paux évé­ne­ments de l’avenir, et que Julie, qui gar­da fidèle mémoire de la pro­phé­tie, en vit ensuite le par­fait accomplissement.

A Cherbourg donc, après s’être ren­due à l’église Sainte-​Trinité pour s’y nour­rir du Pain céleste, elle expo­sa à M. Louis Cabart, prêtre de grande ver­tu, le pro­jet qu’elle avait for­mé de fon­der une Congrégation des­ti­née à incul­quer à la jeu­nesse l’amour de la pié­té et du tra­vail et à secou­rir les mal­heu­reux et les pauvres. Et quand M. Cabart lui deman­da sur quelles res­sources elle comp­tait pour atteindre son but : « Sur le tra­vail de mes mains », répondit-​elle comme ins­pi­rée par un souffle divin. Puis, appuyée sur les encou­ra­ge­ments de l’évêque de Coutances, en l’année 1807, le jour de la Nativité de la Très Sainte Vierge Marie, elle pro­non­ça les vœux de reli­gion avec trois com­pagnes et s’imposa le nom de Marie-​Madeleine. En choi­sis­sant ain­si le nom de cette sainte femme « qui aima beau­coup », elle n’a pas vou­lu seule­ment affir­mer son amour pour le Christ, elle a vou­lu aus­si, quoiqu’elle fût inno­cente, mani­fes­ter son désir d’expier le péché. C’est ain­si que la véné­rable ser­vante de Dieu a semé ce grain de séne­vé qui, mal­gré les adver­si­tés sans nombre qui l’ont acca­blé, a fini par deve­nir un arbre dont les rameaux s’étendent au loin de tous côtés. On ne sau­rait croire, en effet, de com­bien d’extrêmes angoisses a été accom­pa­gnée la fonda­tion des pauvres Filles de la Miséricorde. Le pain est l’unique nour­riture de ces femmes et l’eau leur unique bois­son ; après un court som­meil pris sur la paille, elles emploient Je reste, de la nuit à tra­vailler, et elles endurent tout cola joyeu­se­ment, dans le seul désir de gagner dos âmes à Dieu. Mais, en tous ces sacri­fices, Marie-​Madeleine donne l’exemple, et lorsqu’elle est contrainte d’errer avec elles à tra­vers les loca­li­tés voi­sines, elles ne refuse point de loger dans une étable ou dans une chau­mière ; ce n’est pas assez dire : elle sur­abonde de joie et elle se féli­cite d’avoir ce trait de res­sem­blance avec l’Enfant Jésus. Femme à l’âme forte et ferme, elle ne se laisse point arrê­ter dans son œuvre par la mort qui lui ravit cinq de ses Sœurs sur onze ; quand de pieux bien­fai­teurs croient que sa Société est délais­sée par la Providence et doit être dis­soute, elle demeure inébran­lable, et, se confiant avec tout ce qu’elle a au bon plai­sir de Dieu, elle embrasse plus étroi­te­ment la croix et ne cesse de deman­der au Seigneur encore, plus d’épreuves. Elle veut faire aux hommes dans le Christ le plus de bien pos­sible, on se cachant le plus pos­sible aux veux des hommes. De là vient que si la véné­rable Mère trouve quelque part des écoles déjà éta­blies, elles se contente, dans sa grande hor­reur de tonte concur­rence, d’élever des orphe­lines et d’inspirer au peuple des habi­tudes de vie chrétienne.

Pour une si sainte femme, qui avait une telle confiance en Dieu et qui agis­sait avec une telle humi­li­té, la conso­la­tion atten­due ne pou­vait man­quer. Aussi les notables d’une com­mune appe­lée Tamerville, tou­chés des qua­li­tés exquises de Marie-​Madeleine, l’appellent-ils pour tenir leur école et lui donnent-​ils pour demeure un ancien couvent. On vit alors se mani­fes­ter chez la véné­rable ser­vante de Dieu une humi­li­té de plus en plus admi­rable. Car, quoique âgée de soixante-​deux ans, elle n’hésita pas, en face d’un règle­ment public, de cou­rir les chances d’un exa­men pour four­nir la preuve de ses apti­tudes péda­gogiques. Pendant son long séjour dans cette com­mune, on la vit de même répandre sans cesse les exemples les plus écla­tants de la pié­té et de la sagesse, soit en orga­ni­sant des dia­logues caté­chis­tiques, soit en éta­blis­sant les pieux exer­cices du mois de Marie, soit en fai­sant au peuple de fré­quentes confé­rences sur la religion.

Cependant l’œuvre de Marie-​Madeleine ne res­ta point ren­fer­mée dans ces limites ; en l’année 1832, le jour de la fête de sainte Thérèse, avec laquelle sa très pieuse et très sainte vie donne droit de la com­pa­rer, notre Vénérable peut fixer le siège prin­ci­pal de sa Congrégation dans un antique monas­tère béné­dic­tin, en la ville de Saint-​Sauvenr-​le-​Vicomte. Aussitôt des orphe­lines furent recueillies, puis elle ouvrit des écoles qui furent regar­dées comme des modèles et qui reçurent les louanges des ins­pec­teurs offi­ciels. Peu après, l’autorité ecclé­sias­tique ayant adop­té pour sa famille reli­gieuse les règles de l’Institut fon­dé par saint Jean-​Baptiste de la Salle, la véné­rable Mère les reçut avec cette obéis­sance qui a tou­jours fait ses délices, et elle se bor­na à deman­der la per­mis­sion de conser­ver per­son­nel­le­ment ses habi­tudes anté­rieures de mor­ti­fi­ca­tion et la faveur d’occuper à l’église la place la plus rap­prochée du taber­nacle. Au bout d’un an de novi­ciat et à la fin d’une retraite prê­chée par un mis­sion­naire, les Sœurs des Écoles chré­tiennes de la Miséricorde, le jour de saint Mathieu, apôtre, en l’année 1838, ado­ptèrent défi­ni­ti­ve­ment les règles pro­po­sées, et, ayant revê­tu le cos­tume pros­crit, elles renou­ve­lèrent solen­nel­le­ment leurs vœux perpétuels.

Mais quels tra­vaux la véné­rable Mère a‑t-​elle exé­cu­tés dans cette illustre abbaye ? Los vieux bâti­ments rajeu­nis et sur­tout le temple qu’elle avait trou­vé en ruines et auquel elle a ren­du sa splen­deur pre­mière le racontent encore aujourd’hui aux habi­tants de la contrée et aux visi­teurs. Malgré sou âge de près de quatre-​vingt-​quatre ans, cette femme héroïque, la pre­mière à l’œuvre, enle­va de ses propres mains les décombres, clas­sa par ordre les pierres recon­nues utiles, et sut ain­si sti­mu­ler si bien tous les cou­rages qu’il fut pos­sible d’espérer pour une date peu éloi­gnée le par­fait cou­ron­ne­ment de l’entreprise. Celle vierge donc, cette vierge très sainte, dont l’angélique pure­té, pen­dant tout le cours d’une longue vie, n’a pas été obs­cur­cie, même par le plus petit nuage, si léger que l’on sup­pose, et qui avait, au juge­ment de tous, atteint le faîte de la per­fec­tion, a aus­si ajoute à ses autres innom­brables mérites celui d’avoir assu­ré, en triom­phant, par un cou­rage invin­cible, des obs­tacles les plus graves, la res­tau­ra­tion du temple du Seigneur.

Après cela, nous ne sommes point sur­pris que Dieu ait récom­pen­sé par des dons sur­na­tu­rels les mérites d’une si rare excel­lence de sa fille bien-​aimée. Souvent, en effet, il lui décou­vrit les choses cachées ; elle lisait dans les replis les plus secrets des cœurs et rame­nait les âmes à la pra­tique de la ver­tu ; elle lisait pareille­ment dans l’avenir, et plu­sieurs fois on la sur­prit comme pri­vée de ses sens, toute ravie en Dieu et entou­rée d’une lumière céleste.

Mais voi­ci le jour suprême, annon­cé par elle, où elle devait être enle­vée à ses filles et reçue dans les rangs des bien­heu­reux. Le 15 juillet, en l’année 1846, la quatre-​vingt-​dixième de sou âge, à l’heure où le Christ ren­dit l’esprit, la véné­rable ser­vante de Dieu, après avoir reçu les sacre­ments, s’envola comme une blanche colombe dans les demeures éter­nelles. Les reli­gieuses, qui étaient alors envi­ron cent cin­quante, pleu­rèrent long­temps cette glo­rieuse mort de leur fon­da­trice, et ne trou­vèrent de conso­la­tion que dans la pen­sée que, si elles avaient per­du sur la terre une tendre mère, elles pos­sé­daient au ciel une puis­sante pro­tec­trice. Et cette pen­sée était chez elles si forte­ment enra­ci­née, qu’au lieu de prier pour la défunte, cha­cune lui deman­dait des grâces. La sainte dépouille, que tous vou­laient voir et bai­ser, fut expo­sée pen­dant deux jours ; puis, au milieu d’un remar­quable concours d’assistants qui admi­raient le visage de la Vénérable d’où rayon­nait une lumière céleste, elle fut inhu­mée dans l’église, non loin du taber­nacle, et aus­si­tôt le tom­beau fut cou­vert de fleurs.

Comme depuis ce moment la renom­mée de sain­te­té de la Vénérable allait gran­dis­sant de jour en jour, et comme on rap­por­tait que Dieu lui-​même l’avait consa­crée par des pro­diges célestes, la cause de béati­fication et de cano­ni­sa­tion de cette Vénérable fut por­tée devant la S. Cong. des Rites, et, lorsque les preuves curent été juri­di­que­ment recueillies et cano­ni­que­ment dis­cu­tées, Léon XIII, pape, Notre prédé­cesseur, de récente mémoire, pro­cla­ma dans un décret solen­nel, le 31 mai 1903, que les ver­tus de Marie-​Madeleine Postel avaient atteint le degré héroïque. Ensuite fut posée la ques­tion dis miracles qu’on disait avoir été obte­nus par l’intercession de l’héroïne. Toutes choses pesées dans une étude très sévère, comme trois de ces miracles ont été jugés vrais et bien prou­vés, Nous, par un autre décret publié le 21 juillet de l’année der­nière (1907), Nous avons décla­ré, de Notre auto­ri­té suprême qu’il conste de la réa­li­té de ces trois miracles. Après cela, il ne reste plus qu’à exa­mi­ner si la véné­rable ser­vante de Dieu devait être béa­ti­fiée. Ce doute ayant été pro­po­sé par Notre cher fils, l’Éminentissime car­di­nal Dominique Ferrata, ponent de la cause, dans Rassemblée géné­rale tenue devant Nous, le 26 novembre der­nier, tous ceux qui étaient pré­sents, car­di­naux et Consulteurs de la S. Cong. des Rites, d’un consen­te­ment una­nime, répon­dirent affir­ma­ti­ve­ment. Pour Nous, dans cette affaire d’une si grave impor­tance, Nous dif­fé­râmes d’émettre Notre juge­ment, afin d’avoir le temps de deman­der, par de fer­ventes prières, le secours du Père des lumières. Après ces précau­tions enfin, le jour très heu­reux de la fête de Marie conçue sans péché, en pré­sence des car­di­naux Séraphin Cretoni, pré­fet de la S. Cong. des Rites, et Dominique Ferrata, rap­por­teur de la cause, en pré­sence aus­si de Notre véné­rable frère Diomède Panici, arche­vêque de Laodicée, secré­taire de la même Congrégation, et du R. P. Alexandre Verde, pro­mo­teur de la Sainte Foi, Nous avons pro­non­cé de Notre auto­ri­té qu’on pou­vait sûre­ment pro­cé­der à la solen­nelle béa­ti­fi­ca­tion de la véné­rable ser­vante de Dieu Marie-​Madeleine Postel.

Les choses étant ain­si et vou­lant com­bler les vœux de plu­sieurs de Nos véné­rables frères, évêques de la sainte Église, et de toute la famille des Sœurs des Écoles chré­tiennes de la Miséricorde, en ver­tu de Notre auto­ri­té apos­to­lique et par la teneur des pré­sentes, Nous octroyons les facul­tés néces­saires pour que la véné­rable ser­vante de Dieu Marie-​Madeleine Postel, fon­da­trice de la sus­dite famille reli­gieuse, porte à l’avenir le nom de Bienheureuse, pour que son corps et ses restes ou reliques soient expo­sés à la véné­ra­tion publique, sauf dans les pro­ces­sions solen­nelles, et pour que ses images soient ornées de rayons. En outre, en ver­tu de la même auto­ri­té apos­to­lique, Nous per­met­tons de réci­ter l’office et de célé­brer la messe, chaque année, en son hon­neur, du com­mun des vierges, avec des orai­sons propres approu­vées par Nous, selon les rubriques du mis­sel romain et du bré­viaire romain. Toutefois, la réci­ta­tion de cet office et la célé­bra­tion de cette messe ne sont auto­ri­sées que pour le dio­cèse de Coutances et Avranches et pour toutes les églises et ora­toires à l’usage des Sœurs des Écoles chré­tiennes de la Miséricorde en quelque lieu que soient situées ces églises ou cha­pelles. Mais l’autorisation s’étend, en ce qui concerne l’office, à tous ceux qui sont tenus de réci­ter les heures cano­niques, et, en ce qui concerne la messe, à tous les prêtres, soit sécu­liers, soit régu­liers, qui se pré­sen­te­ront dans les églises où aura lieu la fête, sans pré­ju­dice cepen­dant du décret de la S. Cong. des Rites, n° 3 862 (Urbis et Orbis), du 9 décembre 1895.

Enfin, Nous accor­dons toutes facul­tés utiles pour que les solen­ni­tés de la béa­ti­fi­ca­tion de la véné­rable ser­vante de Dieu Marie-​Madeleine Postel soient célé­brées dans les temples sus-​indiqués (selon le mode fixé par le décret ou ins­truc­tion de la S. Cong. des Rites du 16 dé­cembre 1902 au sujet du tri­duum qui doit être solen­nel­le­ment célé­bré dans le cours de l’année qui suit la béa­ti­fi­ca­tion), et ce tri­duum. Nous pros­cri­vons qu’il se fasse en des jours fixés par l’autorité légi­time, dans le laps de l’année qui sui­vra la solen­ni­té célé­brée dans la Basilique Vaticane.

Nonobstant les Constitutions, sanc­tions apos­to­liques et décrets publiés sur le non-​culte, et toutes autres choses contraires.

Nous vou­lons en outre que les copies même impri­mées des pré­sentes Lettres — pour­vu qu’elles soient signées de la main du secré­taire de la sus­dite Congrégation et munies du sceau du pré­fet — aient abso­lu­ment, même dans des contro­verses judi­ciaires, la valeur qu’on atta­che­rait à la mani­fes­ta­tion de Notre volon­té si l’original était présenté.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 22 jan­vier 1908, de Notre Pontifical la cin­quième année.

Raphaël card. Merry del Val. secré­taire d’État.

(Place du Sceau.)

(Semaine reli­gieuse de Coutances, 28 mai 1908.)

Source : Actes de S. S. Pie X, t. 4, La Bonne Presse

13 décembre 1908
Prononcé après la lecture des décrets de béatification des Vénérables Jeanne d'Arc, Jean Eudes, François de Capillas, Théophane Vénard et ses compagnons.
  • Saint Pie X
11 avril 1909
Béatification du Vénérable Jean Eudes, mission­naire apostolique, fondateur de la Congrégation de Jésus et Marie et de l’Ordre de la B. V. M. de la Charité.
  • Saint Pie X