Objet déjà d’une immortelle renommée, le nom de la Pucelle d’Orléans, cette vierge à jamais glorieuse qui va être inscrite au catalogue des Bienheureux, rend témoignage à cette divine puissance qui, « pour confondre les forts, choisit ce que le monde tient pour rien » (1 Co 1, 27).
En effet, en l’an de grâce 1428, les troubles civils et les discordes intestines, aggravant les désastres d’une guerre longue et acharnée avec les Anglais, avaient amené la France aux dernières extrémités de la détresse : il ne restait aux vaincus ni refuse ni espoir de salut. Alors Dieu, qui toujours entoura d’un amour particulier cette nation noble entre toutes, suscita une femme « pour délivrer son peuple et s’acquérir une gloire éternelle » (1 M 6, 44).
Tout entière, la vie de la magnanime et très pieuse Jeanne d’Arc, Pucelle d’Orléans, fut un prodige. Née au village de Domremy, dans le diocèse de Toul, auprès d’un bois épais, asile autrefois des superstitions druidiques, Jeanne gardait les brebis de son père. Mais là, dans le vaste horizon de la validé se déployant sous ses yeux, l’ignorante et pauvre villageoise, qui n’avait pas encore atteint sa quinzième année, élevait son âme vers Celui de qui les montagnes et les forêts, les champs et les bois ont reçu une beauté qui dépasse de beaucoup les splendeurs les plus magnifiques et le faste de la pourpre royale.
Ignorante du monde, l’enfant n’avait d’autre souci que de charger de bouquets un autel rustique de la Vierge ; c’est à peine si le bruit d’une si grande guerre avait frappé ses oreilles.
Cependant, le siège était mis devant Orléans : c’était la menace d’une ruine imminente pour la ville elle-même et pour la fortune du roi Charles VII ; déjà, en effet, les plus belles provinces de France étaient tombées au pouvoir de l’Anglais envahisseur. C’est dans ces angoissantes conjonctures que Jeanne, occupée à ses travaux habituels dans le verger de son père, entendit la voix de Michel, prince de la milice céleste, telle qu’elle se fit entendre jadis à Judas Machabée : « Prends cette épée sainte, c’est un don de Dieu : avec elle, tu briseras tes ennemis » (2 M 15, 16). C’était pour cette fille de la paix une invitation à.la guerre. Surprise d’abord et effrayée, la jeune fille, émue par de nouveaux avertissements du ciel et poussée par un souffle divin, n’hésita pas à laisser la quenouille pour l’épée et les chalumeaux rustiques pour les trompettes guerrières. Ni sa piété filiale ni les dangers d’un long voyage ne purent la détourner de sa mission divine. Elle se présente devant les puissants et leur parle un simple, mais sublime langage. Elle se fait amener au roi, elle triomphe des retards, des rebuts, des hésitations ; elle manifeste au roi Charles l’ordre qu’elle croit avoir reçu de Dieu ; appuyée sur des signes célestes, elle promet de faire lever le siège d’Orléans. Alors Dieu, « qui donne de la force à celui qui est fatigué et redouble la vigueur de celui qui est défaillant » (Is 40, 29), dota cette pauvre villageoise, qui ne savait même pas lire, d’une sagesse, d’une science, d’une habileté militaire et même d’une connaissance des mystères divins telles que plus personne ne doutait que le salut du peuple ne fût en elle. De toutes parts, les foules se groupent autour d’elle sans distinction de rang : soldats habitués à la guerre, nobles, capitaines, tous remplis d’un nouvel espoir, se mettent joyeux et enthousiastes à la suite de la jeune
A cheval, son corps virginal couvert d’une armure guerrière, une épée au côté et portant un étendard blanc brodé de lys d’or, Jeanne se précipite sans crainte sur les Anglais enorgueillis par leurs victoires répétées. Dans une lutte glorieuse, secondée par la puissance divine, elle répand la terreur dans les troupes ennemies qui sont repoussées, et, le 7 mai 1429, sa victoire s’achève par la levée du siège. Mais, avant de donner l’assaut aux bastilles anglaises, Jeanne exhortait ses soldats à l’espoir en Dieu, à l’amour de la patrie, à l’observation des lois de la sainte Église. Innocente comme lorsqu’elle gardait ses troupeaux, mais courageuse cependant comme une héroïne, elle était redoutable pour les ennemis, mais c’est à peine si elle pouvait retenir, ses larmes à la vue des mourants ; elle était la première au combat, mais elle ne frappait personne de l’épée. Jamais ne l’éclaboussa aucune tache de sang versé par elle ; sa pureté ne subit aucune atteinte : et elle vivait au milieu du carnage et de la licence des camps.
Alors apparut vraiment la puissance de la foi : le peuple reprend aussitôt un nouveau courage ; l’amour de la patrie et le renouveau de vie chrétienne redoublent les forces et préparent les plus brillants succès. Au-dessus de toutes les défaillances, la jeune fille harcèle les Anglais par d’incessants engagements ; enfin, dans un combat célèbre auprès de Patay, elle disperse et repousse leur armée.
Dans une marche triomphale, elle conduit à Reims son roi Charles VII, pour y recevoir solennellement l’onction royale, dans ce temple où Clovis, le premier roi des Francs, purifié par saint Rémy dans les eaux du baptême, avait posé les fondements de la nation française. Ainsi le ciel combattit contre les ennemis du nom français, ainsi fut miraculeusement sauvée la patrie : la mission de Jeanne était achevée ; Humble, de cœur, elle n’avait d’autre désir que de retourner à son troupeau et à sa pauvre maison ; mais ce vœu ne pouvait se réaliser : elle était mûre pour le ciel.
Peu de temps après, en effet, elle est, dans un combat, faite prisonnière par l’ennemi furieux d’avoir été vaincu par une jeune fille. Jetée dans les fers, elle subit d’abord de nombreuses persécutions et une dure captivité dans les forteresses ennemies ; enfin, après six mois de détention à Rouen, elle y est condamnée au supplice du feu, victime expiatoire pour la rançon de la France. Admirablement forte et pieuse jusque dans l’épreuve suprême, elle pria Dieu pour le pardon de ses bourreaux et pour le salut de la patrie et du roi. Sur le bûcher, au milieu des flammes dévorantes, elle demeura les yeux fixés au ciel ; les dernières paroles de la jeune fille mourante furent les noms vénérables et doux de Jésus et de Marie. Ainsi la vierge illustre conquit la palme immortelle. Mais la renommée de sa sainteté et le souvenir de ses exploits sont demeurés dans la mémoire des hommes, surtout dans la ville d’Orléans, jusqu’aux fêtes séculaires récemment célébrées en son honneur ; elles y vivront désormais revêtues d’un éclat nouveau. Il semble, en effet, qu’à Jeanne s’applique, à très juste titre, la parole prononcée à la gloire de Judith : « Parmi tous les peuples qui entendront ton nom, le Dieu d’Israël sera glorifié à cause de toi » (Jdt 13, 31).
Mais ce n’est que dans les temps présents que fut agitée devant la S. Cong. des Rites la cause de béatification de Jeanne d’Arc. Ce retard était providentiel. Aujourd’hui, en effet, où l’univers catholique voit avec tristesse des malheurs si grands et si nombreux, où tant d’ennemis du nom chrétien se font, sur les ruines des institutions civiles et religieuses, les hérauts d’un mensonger amour de la patrie, il Nous plaît de célébrer les glorieux exemples de l’héroïque vierge, afin qu’ils se souviennent, nos ennemis, « qu’agir et souffrir généreusement est le propre du chrétien ». Nous avons l’espoir, la certitude presque, que la vénérable servante de Dieu qui va prendre rang parmi les bienheureux obtiendra pour sa patrie, dont elle a si bien mérité, la vigueur de sa foi antique, et, à l’Eglise catholique, dont elle eut toujours le culte profond, la consolation de voir revenir tant de fils égarés.
Aussi, un an après le décret du 6 janvier 1904, toutes preuves juridiquement recueillies et régulièrement examinées, Nous avons, par un décret solennel, déclaré l’héroïcité des vertus de la vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc, vierge, surnommée la Pucelle d’Orléans.
Ensuite fut engagé le procès relatif aux miracles attribués à son intercession. Toutes les formalités de droit ayant été remplies, Nous avons, par un décret promulgué le 13 décembre 1908, déclaré, en vertu de Notre autorité apostolique, que trois miracles étaient certains.
Après ce double jugement sur les vertus et les trois miracles, il restait à examiner si la vénérable servante de Dieu pouvait de tuto être inscrite au nombre des bienheureux. Notre cher Fils le cardinal Dominique Ferrata, rapporteur de la cause, posa la question dans la Congrégation générale tenue devant Nous au Vatican, le 12 janvier de l’année courante ; tous, et les cardinaux de la S. Cong. des Rites, et les consulteurs présents, répondirent à l’unanimité par l’affirmative. Pour Nous, dans une circonstance aussi grave, Nous Nous abstînmes de faire connaître Notre sentiment et Nous remîmes à un autre jour Notre jugement suprême, afin de demander auparavant par de ferventes prières les lumières divines. Enfin, après l’avoir fait avec instance, le 24 janvier de cette année, en l’heureuse solennité de la Sainte Famille de Jésus, Marie, Joseph, ayant offert le Saint Sacrifice, en présence du cardinal Séraphin Creloni, d’illustre mémoire, préfet de la S. Cong. des Rites, de Notre cher Fils le cardinal Dominique Ferrata, rapporteur de la cause, de notre vénérable Frère Diomède Panici, archevêque titulaire de Laodicée, secrétaire de la même Congrégation des Rites, et du R. P. Alexandre Verde, promoteur de la S. Foi, Nous avons solennellement déclaré qu’on pouvait procéder de tuto à la béatification de la vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc.
Dès lors, touché des prières et des vœux des évêques de la France entière et d’autres pays, par les présentes, en vertu de Notre autorité apostolique, Nous permettons de donner désormais le titre de bienheureuse à la vénérable Jeanne d’Arc, Pucelle d’Orléans, et d’orner de rayons ses images. En vertu de la même autorité, Nous permettons, en son honneur, la récitation de l’office et la célébration de la messe chaque année, selon le commun des vierges, avec les oraisons propres approuvées par Nous.
Nous accordons la célébration de cette messe et la récitation de cet office, mais seulement pour le diocèse d’Orléans, à tous les fidèles séculiers ou réguliers tenus à la récitation des heures canoniales. Pour ce qui est de la messe, elle peut être récitée par tous les prêtres qui célébreront dans les églises où l’on fera la fête, conformément au décret de la S. Cong. des Rites [1] du 9 décembre 1895.
Nous accordons enfin que les solennités de la béatification de la vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc soient célébrées dans le diocèse et les églises susdites selon le décret ou instruction de la S. Cong. des Rites en date du 16 décembre 1902, relatif au triduum qui doit être célébré solennellement dans l’année de la béatification. Nous ordonnons que ce triduum ait lieu aux jours que fixeront dans le courant de l’année les Ordinaires, une fois ces solennités achevées dans la basilique patriarcale du Vatican.
Nonobstant les constitutions et ordonnances apostoliques, ainsi que les décrets de non culte et, en général, toutes choses contraires, quelles qu’elles soient, et Nous voulons que, dans toutes les constatations, même judiciaires, il soit accordé aux exemplaires même imprimés des présentes lettres, pourvu qu’ils portent la signature du secrétaire de la S. Cong. des Rites et qu’ils soient munis du sceau du préfet, la même foi qui serait due à l’expression de Notre volonté par présentation des présentes.
Donné le 11 avril 1909.
La vénérable servante de Dieu Jeanne d’Arc, vierge, surnommée la Pucelle d’Orléans, est déclarée bienheureuse.
Par mandat spécial de Sa Sainteté.
R. card. Merry del Val.
Source : Actes de S. S. Pie X, Editions de la Documentation Catholique, tome 5.
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