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I. LES ENTRETIENS DOCTRINAUX
Les représentants de la FSSPX pour les discussions doctrinales : Mgr Alfonso de GALARRETA, entourés de MM. les abbés Jean-Michel GLEIZE, Benoît de JORNA et Patrick de LA ROCQUE, à la loggia du Palais du Saint-Office. |
1. Monseigneur vous avez choisi d’entreprendre des discussions doctrinales avec Rome. Pourriez-vous nous en rappeler le but ?
Il faut distinguer le but romain du nôtre. Rome a indiqué qu’il existait des problèmes doctrinaux avec la Fraternité et qu’il fallait éclaircir ces problèmes avant une reconnaissance canonique, – problèmes qui seraient manifestement de notre fait, s’agissant de l’acceptation du Concile. Mais pour nous il s’agit d’autre chose, nous souhaitons dire à Rome ce que l’Église a toujours enseigné et, par là-même, manifester les contradictions qui existent entre cet enseignement pluriséculaire et ce qui se fait dans l’Eglise depuis le Concile. De notre côté, c’est le seul but que nous poursuivons.
2. Quelle est la nature de ces entretiens : négociations, discussions ou exposition de la doctrine ?
On ne peut pas parler de négociations. Il ne s’agit pas du tout de cela. Il y a d’une part une exposition de la doctrine, et d’autre part une discussion car nous avons effectivement un interlocuteur romain avec lequel nous discutons sur des textes et sur la manière de les comprendre. Mais on ne peut pas parler de négociations, ni de recherche d’un compromis, car c’est une question de Foi.
3. Pouvez-vous rappeler la méthode de travail utilisée ? Quels sont les thèmes qui ont déjà été abordés ?
La méthode de travail est la méthode écrite : des textes sont rédigés sur lesquels s’appuiera l’entretien théologique ultérieur. Plusieurs thèmes ont déjà été abordés. Mais je laisse pour l’instant cette question en suspens. Je peux vous dire simplement que nous arrivons au bout, car nous avons fait le tour des grandes questions que pose le Concile.
4. Pouvez-vous présenter les interlocuteurs romains ?
Ce sont des experts, c’est-à-dire des professeurs de théologie qui sont également consulteurs de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On peut dire des « professionnels » de la théologie. Il y a un Suisse, le Recteur de l’Angelicum, le père Morerod ; il y a un Jésuite, un peu plus âgé, le père Becker ; un membre de l’Opus Dei en la personne de son Vicaire général, Mgr Ocariz Braña ; puis Mgr Ladaria Ferrer, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et enfin le modérateur, Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei.
5. Y a‑t-il une évolution dans la pensée de nos interlocuteurs depuis qu’ils ont lu les exposés des théologiens de la Fraternité ?
Je ne pense pas qu’on puisse le dire.
6. Mgr de Galarreta, lors du sermon des ordinations à La Reja en décembre 2009, disait que Rome avait accepté que le Magistère antérieur à Vatican II soit pris comme « unique critère commun et possible » dans ces entretiens. Y a‑t-il un espoir que nos interlocuteurs révisent Vatican II ou est-ce impossible pour eux ? Vatican II est-il vraiment une pierre d’achoppement ?
Je pense qu’il faut poser la question autrement. Par les distinctions faites par le pape Benoît XVI dans son discours de décembre 2005, on voit très bien qu’une certaine interprétation du Concile n’est plus permise et donc, sans parler directement d’une révision du Concile, il y a malgré tout une certaine volonté de réviser la manière de présenter le Concile. La distinction peut sembler un peu subtile, mais c’est bien sur cette distinction que s’appuient ceux qui ne veulent pas toucher au Concile et qui reconnaissent néanmoins que, à cause d’un certain nombre d’ambiguïtés, il y a eu une ouverture en direction de chemins interdits, dont il faut rappeler qu’ils sont interdits. – Vatican II est-il une pierre d’achoppement ? Pour nous, sans aucun doute, oui !
7. Pourquoi est-il si difficile pour eux d’admettre une contradiction entre Vatican II et le Magistère antérieur ?
La réponse est assez simple. A partir du moment où l’on reconnaît le principe selon lequel l’Église ne peut pas changer, si on veut faire admettre Vatican II, on est obligé de dire que Vatican II n’a rien changé non plus. C’est pour cela qu’ils n’acceptent pas de reconnaître des contradictions entre Vatican II et le Magistère antérieur. Ils sont cependant gênés pour expliquer la nature du changement qui est bel et bien avéré.
8. Au-delà du témoignage de la Foi, est-il important et avantageux pour la Fraternité de se rendre à Rome ? Est-ce dangereux ? Pensez-vous que cela puisse durer longtemps ?
Il très important que la Fraternité porte ce témoignage, c’est même la raison de ces entretiens doctrinaux. Il s’agit vraiment de faire entendre à Rome la foi catholique et essayer – pourquoi pas ? – de la faire entendre mieux encore dans toute l’Église.
Un danger existe, c’est le danger d’entretenir des illusions. On voit que certains fidèles ont pu se bercer d’illusions. Mais les derniers événements se sont chargés de les dissiper. Je pense à l’annonce de la béatification de Jean-Paul II ou celle d’unnouvel Assise dans la ligne des réunions interreligieuses de 1986 et de 2002.
9. Le Pape suit-il de près ces entretiens ? Les a‑t-il déjà commentés ?
Je pense que oui, mais sans avoir de précisions. – A‑t-il commenté ces entretiens ? Il a dit lors de la réunion de ses collaborateurs, cet été, à Castel Gandolfo, qu’il en était satisfait. C’est tout.
10. Peut-on dire que le Saint-Père qui, depuis plus de 25 ans, a eu à traiter avec la Fraternité, se montre aujourd’hui plutôt plus favorable à son égard que dans le passé ?
Je n’en suis pas sûr. Oui et non. Je pense qu’en tant que pape, il a la charge de toute l’Église, le souci de son unité, la crainte de voir se déclarer un schisme. C’est lui-même qui a dit que c’étaient là les motifs qui le poussaient à agir. Il est maintenant le chef visible de l’Eglise, c’est ce qui peut expliquer pourquoi il agit ainsi. Cela signifie-t-il qu’il manifeste plus de compréhension vis-à-vis de la Fraternité ? Je crois qu’il a une certaine sympathie pour nous, mais avec des limites.
11. En résumé, que diriez-vous de ces entretiens, aujourd’hui ?
S’il fallait les refaire, on les referait. C’est très important. C’est capital. Si on espère corriger tout un mouvement de pensée, on ne peut pas se passer de ces entretiens.
12. Depuis quelque temps, des voix ecclésiastiques, comme celles de Monsignor Gherardini ou de Mgr Schneider, se font entendre qui émettent – à Rome même – de véritables critiques sur les textes de Vatican II et non plus seulement sur leur interprétation. Peut-on espérer que ce mouvement s’amplifie et pénètre à l’intérieur du Vatican ?
Je ne dis pas qu’on peut l’espérer, mais qu’il faut l’espérer. Il faut vraiment espérer que ces débuts de critiques – appelons-les : objectives, sereines – se développent. Jusqu’ici on a toujours considéré Vatican II comme un tabou, ce qui rend presque impossible la guérison de cette maladie qu’est la crise dans l’Église. Il faut pouvoir parler des problèmes et aller au fond des choses, sinon on n’arrivera jamais à appliquer les bons remèdes.
13. La Fraternité peut-elle jouer un rôle important dans cette prise de conscience ? Comment ? Quel est le rôle des fidèles dans cet enjeu ?
Du côté de la Fraternité, oui, on peut jouer un rôle, précisément en présentant ce que l’Église a toujours enseigné et en posant des objections sur les nouveautés conciliaires. Le rôle des fidèles consiste à donner une preuve par l’action, car ils sont la preuve que la Tradition est vivable aujourd’hui. Ce que l’Église a toujours demandé, la discipline traditionnelle est non seulement actuelle, mais réellement vivable aujourd’hui encore.
II. L’EFFET MOTU PROPRIO
Comment apprendre à célébrer la messe dite de saint Pie V : voir ici |
14. Monseigneur, pensez-vous que le Motu Proprio, malgré ses déficiences, est un pas en faveur de la restauration de la Tradition ?
C’est un pas capital. C’est un pas qu’on peut dire essentiel, même si jusqu’ici il n’a pratiquement pas eu d’effet, ou très peu, parce qu’il y a une opposition massive des évêques. Au niveau du droit, le fait d’avoir reconnu que l’ancienne loi, celle de la messe traditionnelle, n’avait jamais été abrogée, est un pas capital pour redonner sa place à la Tradition.
15. Concrètement, avez-vous vu à travers le monde d’importants changements de la part des évêques sur la messe traditionnelle depuis le Motu Proprio ?
Non. Ici ou là, quelques-uns obéissent au Pape, mais ils sont rares.
16. Qu’en est-il des prêtres ?
Oui, je vois un grand intérêt de leur part, mais beaucoup d’entre eux sont persécutés. Il faut un courage extraordinaire pour oser simplement appliquer le Motu Proprio tel qu’il a été énoncé. Oui, il y a des prêtres, de plus en plus, surtout dans les jeunes générations, qui s’intéressent à la messe traditionnelle. C’est très consolant !
17. Y a‑t-il des communautés qui ont décidé d’adopter l’ancienne liturgie ?
Il y en a peut-être plusieurs, mais il y en a une que l’on connaît, en Italie, celle des Franciscains de l’Immaculée, qui a décidé de revenir à l’ancienne liturgie. Pour la branche féminine, c’est déjà fait. Pour les prêtres qui sont impliqués dans la vie des diocèses, ce n’est pas toujours évident.
18. Que conseillez-vous aux fidèles qui ont, depuis et grâce au Motu Proprio, une messe traditionnelle plus près de chez eux que dans une chapelle de la Fraternité Saint-Pie X ?
Ce que je conseille, c’est d’abord de demander conseil aux prêtres de la Fraternité, de ne pas aller à l’aveuglette à n’importe quelle messe traditionnelle célébrée près de chez soi. La messe est un trésor, mais il y a aussi une manière de la dire et tout ce qui l’accompagne : le sermon, le catéchisme, la façon de donner les sacrements… Toute messe traditionnelle n’est pas nécessairement accompagnée des conditions requises pour qu’elle porte tous ses fruits et qu’elle protège l’âme des dangers de la crise actuelle. Donc, demandez d’abord conseil aux prêtres de la Fraternité.
19. La liturgie n’est pas le fond de la crise dans l’Église. Pensez-vous que le retour de la Liturgie est toujours le début d’un retour à l’intégrité de la Foi ?
La Messe traditionnelle a une puissance de grâce absolument extraordinaire. On le voit dans l’action apostolique, on le voit surtout chez les prêtres qui y reviennent, elle est vraiment l’antidote à la crise. Elle est réellement très puissante, à tous les niveaux, celui de la grâce, celui de la foi… Je pense que si on laissait une véritable liberté à l’ancienne messe, l’Église pourrait sortir assez vite de cette crise, mais cela prendrait tout de même plusieurs années !
20. Depuis longtemps le Pape parle de « la réforme de la réforme ». Pensez-vous qu’il souhaite tenter de concilier la liturgie ancienne avec la doctrine de Vatican II, dans une réforme qui serait une voie moyenne ?
Écoutez, pour l’instant, on n’en sait rien ! On sait qu’il veut cette réforme, mais jusqu’où ira-t-elle ? Est-ce qu’à la fin tout sera fondu ensemble, « forme ordinaire » et « forme extraordinaire » ? Ce n’est pas ce qu’il y a dans le Motu Proprio qui demande que l’on distingue bien les deux « formes » et qu’on ne les mélange pas : ce qui est très sage. Il faut attendre et voir ; pour l’instant restons-en à ce que disent les autorités romaines.
III. ASSISE 2011
Le premier scandale d’Assise organisé par le pape Jean-Paul II : voir ici |
21. Le Saint-Père a annoncé la prochaine réunion d’Assise. Vous avez réagi dans votre sermon à Saint Nicolas le 9 janvier 2011 et voulu faire votre l’opposition qui fut celle de Mgr. Lefebvre lors de la première réunion, il y a 25 ans ? Pensez-vous intervenir directement auprès du Saint-Père ?
Si l’occasion m’en est donnée et si elle peut porter du fruit, pourquoi pas ?
22. Est-ce si grave d’appeler les autres religions à œuvrer pour la paix ?
Sous un aspect et seulement sous cet aspect, non. Appeler les autres religions à œuvrer pour la paix – une paix civile –, il n’y a pas de problème ; mais dans ce cas-là, ce n’est pas au niveau religieux, c’est au niveau civil. Ce n’est pas un acte de religion, c’est tout simplement un acte d’une société religieuse qui œuvre civilement en faveur de la paix. Ce n’est même pas la paix religieuse qui est recherchée, mais la paix civile entre les hommes.
En revanche, demander qu’à l’occasion de cette réunion des actes religieux soient posés, c’est une absurdité parce qu’il y a une incompréhension radicale entre les religions. Dans ces conditions, on ne voit pas ce que veut dire prétendre à la paix, alors qu’on n’est même pas d’accord sur la nature de Dieu, sur le sens que l’on donne à la divinité. Vraiment on se demande comment on pourrait aboutir à quelque chose de sérieux.
23. On peut penser que le Saint-Père n’entend pas l’œcuménisme de la même manière que Jean-Paul II. N’est-ce pas une différence de degré dans la même erreur ?
Non, je crois qu’il l’entend de la même manière. Il dit bien : « C’est impossible de prier ensemble ». Mais il faut voir ce qu’il entend par là exactement. Il en a donné une explication en 2003, dans un livre intitulé « La foi, la vérité, la tolérance, la chrétienté et les religions du monde ». Je trouve qu’il coupe les cheveux en quatre. Il essaie de justifier Assise. On se demande bien comment cela sera possible en octobre prochain.
24. Des intellectuels italiens ont manifesté publiquement leur inquiétude sur les conséquences d’une telle réunion. Connaissez-vous d’autres réactions à l’intérieur de l’Église ?
Ils ont raison. Voyons-nous d’autres réactions à l’intérieur de l’Église ? Dans les milieux officiels, non. Chez nous, évidemment oui.
25. Qu’en est-il de la réaction des communautés Ecclesia Dei ?
Il n’y en a pas, que je sache.
26. Comment expliquez-vous que le Saint-Père qui dénonce le relativisme en matière religieuse et qui avait même refusé d’assister à la réunion d’Assise en 1986, puisse vouloir commémorer une telle réunion en la réitérant ?
C’est un mystère pour moi. Je ne sais pas. Je pense qu’il subit peut-être des pressions ou des influences. Probablement est-il effrayé par les actes antichrétiens, les violences anticatholiques : ces bombes en Egypte, en Irak. C’est peut-être la raison qui l’a poussé à poser cet acte d’un nouvel Assise, acte que je ne veux pas dire de désespoir, mais acte posé en désespoir de cause… Il essaie quelque chose quand même. Je ne serais pas étonné si c’était cela, mais je n’en sais rien de plus.
27. Y a‑t-il une possibilité que le Saint-Père renonce à cette manifestation interreligieuse ?
On ne sait pas trop bien comment elle sera organisée. Il faudra voir. Je suppose qu’ils vont essayer d’en faire le minimum car, encore une fois, pour le Pape actuel, il est impossible que des groupes différents puissent prier ensemble alors qu’ils ne reconnaissent pas le même dieu. On se demande donc encore et toujours ce qu’ils vont pouvoir faire ensemble !
28. Que doivent faire les catholiques face à cette annonce d’un Assise III ?
Prier pour que le Bon Dieu intervienne d’une manière ou d’une autre afin que cela ne se fasse pas, et dans tous les cas, commencer déjà à réparer.
IV. LA BEATIFICATION DE JEAN-PAUL II ?
Rome, le 14 mai 1999 : le pape Jean-Paul II reçoit une délégation irakienne composée de musulmans – dont un imam – et de catholiques.
« À la fin de l’audience, le Pape s’est incliné devant le livre saint musulman, le Coran, présentée par la délégation, et il l’embrassa comme un signe de respect. La photo de ce geste a été projeté à maintes reprises à la télévision iraquienne et elle démontre que le Pape n’a pas seulement conscience de la souffrance du peuple irakien, mais qu’il a également beaucoup de respect pour l’Islam (1) ». (1) Témoignage du patriarche chaldéen catholique Raphaël présent ce jour-là dans la délégation. |
29. L’annonce de la prochaine béatification de Jean-Paul II pose-t-elle un problème ?
Un problème grave, celui d’un pontificat qui a fait faire des bonds en avant dans le mauvais sens, dans le sens du progressisme et de tout ce qu’on appelle « l’esprit de Vatican II ». C’est donc une consécration non seulement de la personne de Jean-Paul II, mais aussi du Concile et de tout l’esprit qui l’a accompagné.
30. Y a‑t-il un nouveau concept de la sainteté depuis Vatican II ?
On peut le craindre ! C’est un concept de sainteté pour tous, de sainteté universelle. Il n’est pas faux de dire qu’il y a un appel, une vocation à la sainteté pour tous les hommes ; mais ce qui est faux, c’est d’abaisser la sainteté à un niveau qui fait croire que tout le monde va au Ciel.
31. Comment de vrais miracles pourraient-ils être permis par Dieu pour authentifier une fausse doctrine, à l’occasion des multiples béatifications et canonisation faites ces dernières décennies ?
C’est tout le problème : est-ce que ce sont des vrais miracles ? Est-ce que ce sont des prodiges ? Selon moi, il y a des doutes. Je suis très étonné de la légèreté avec laquelle on traite ces choses-là, pour autant que je puisse le savoir.
32. Si la canonisation engage l’infaillibilité pontificale, peut-on refuser les nouveaux saints canonisés par le pape ?
C’est vrai qu’il y a un problème sur la question des canonisations actuelles. Cependant on peut se demander s’il y a une véritable volonté d’engager l’infaillibilité dans les termes utilisés par le souverain pontife. On a changé ces termes pour la canonisation, ils sont devenus beaucoup moins forts qu’auparavant. Je pense que cela va de pair avec la mentalité nouvelle qui ne veut pas définir dogmatiquement en engageant l’infaillibilité. Cependant reconnaissons qu’on reste là sur des pistes… Il n’y a pas de réponse satisfaisante, si ce n’est celle de l’intention de l’autorité suprême d’engager ou non son infaillibilité.
33. Peut-on choisir parmi les saints nouvellement proposés à la vénération des fidèles ? Qu’en est-il du Padre Pio ?
Je pense qu’il ne faut pas choisir. Cependant, on peut toujours garder les critères qui ont été universellement reconnus dans le passé, ainsi lorsqu’il y a une dévotion populaire massive, comme pour le père Maximilien Kolbe ou pour le Padre Pio, cela ne devrait pas faire de difficulté. Mais encore une fois, ce ne sont là que des opinions, en l’absence d’un jugement magistériel dogmatiquement énoncé.
34. Et Mgr Lefebvre, avez-vous des exemples de grâces obtenues par son intercession ?
Oui, on en connaît, et même pas mal. Mais je ne sais pas si elles sont vraiment de l’ordre du miracle, peut-être pour l’une ou l’autre. Lorsqu’il s’agit de guérisons, on n’a pas, à ma connaissance, tous les documents médicaux nécessaires. Beaucoup de grâces sont obtenues par l’intercession de Monseigneur, mais je ne m’étends pas plus.
V. LA FRATERNITÉ SAINT-PIE X
Quelques statistiques du développement de la FSSPX dans le monde : voir ici |
35. La Fraternité vient de fêter un important anniversaire. Comment pouvez-vous résumer ces 40 années ?
Une histoire enthousiasmante… des larmes, beaucoup, au milieu de grandes joies. Une des joies les plus grandes est celle de constater à quel point le Bon Dieu nous permet d’être associés à plusieurs des béatitudes qu’il a prêchées dans le Sermon sur la montagne, comme celle de pouvoir souffrir pour Son Nom. Et à travers toutes les vicissitudes de la crise présente, nous voyons que cette œuvre continue de grandir – ce qui, humainement, est proche de l’impossible. C’est bien la marque de Dieu sur l’œuvre de Mgr Lefebvre.
36. Y a‑t-il un accroissement de vocations ? Et si oui, quelles en sont les causes ?
Je crois qu’il y a une grande stabilité. J’aimerais voir plus de vocations. Je pense qu’il va falloir relancer les croisades de vocations. Le monde est très hostile en tant que tel à l’éclosion des vocations, c’est pourquoi il faut essayer de recréer partout des climats dans lesquels les vocations peuvent de nouveau éclore. Car il y a bien des vocations, mais souvent elles n’arrivent pas à mûrir à cause de ce monde matérialiste.
37. Vous avez relaté dernièrement, lors du Congrès Courrier de Rome, à Paris, une réunion d’une trentaine de prêtres diocésains en Italie à laquelle vous avez assisté. Qu’est-ce que les prêtres attendent aujourd’hui de la Fraternité ?
Ces prêtres nous demandent avant tout la doctrine, ce qui est un signe excellent. S’ils sont chez nous, c’est bien sûr parce qu’ils veulent l’ancienne messe, mais après la découverte de cette messe, ils veulent autre chose. Ils en veulent plus, parce qu’ils découvrent tout un monde qu’ils savent authentique. Ils ne doutent pas que là est la vraie religion. Ils ont alors besoin de renouveler leurs connaissances théologiques. Et ils ne se trompent pas, ils vont directement à saint Thomas d’Aquin.
38. Ce mouvement de prêtres qui se tournent vers la Fraternité est-il, à des degrés divers, le même dans tous les pays ?
Il y a certainement des degrés divers et même des chiffres différents selon les pays. Mais on retrouve le même phénomène un peu partout. Le prêtre, en général jeune, qui s’approche de la messe traditionnelle, qui découvre avec un grand enthousiasme ce trésor, fait petit à petit un cheminement vers la Tradition qui le rend, à la fin, tout à fait traditionnel.
39. Avez-vous l’espoir qu’un tel intérêt puisse aussi atteindre certains évêques, au point d’envisager une future collaboration ?
Nous avons déjà des contacts avec des évêques mais pour l’instant tout est gelé, par les conférences épiscopales et les pressions alentour, mais il ne fait aucun doute que dans l’avenir il pourra y avoir une collaboration avec certains évêques.
40. Etes-vous prêt à tenter l’expérience de la Tradition avec un évêque, au niveau d’un diocèse ?
Ce n’est pas encore mûr, on n’en est pas encore là, mais je pense que cela va arriver. Ce sera difficile, il faudra voir de près comment on pourra le réaliser. Il sera indispensable que cela se fasse avec des évêques qui ont réellement compris la crise et qui veulent vraiment de nous.
41. Les fidèles sont de plus en plus nombreux. Les chapelles se multiplient. L’état de nécessité est toujours présent. Envisagez-vous la consécration d’autres évêques auxiliaires pour la Fraternité ? Pensez-vous que Rome puisse être favorable à des consécrations épiscopales dans la Tradition aujourd’hui ?
Pour moi, la réponse est très simple : il y aura ou il n’y aura pas d’évêques selon que les circonstances qui ont prévalu à la première consécration, se retrouvent ou pas.
VI. L’EXPANSION DE LA FSSPX AUX ETATS-UNIS
L’expansion de la FSSPX aux USA |
42. Monseigneur, nous avons la joie de vous voir souvent aux États-Unis. Vous aimez vous y rendre. Un commentaire ?
Mon commentaire : j’aime toutes les âmes que le Bon Dieu nous confie, et il y en a pas mal aux États-Unis. Voilà tout !
43. Avez-vous déjà pu rencontrer le cardinal Burke ?
J’ai essayé de le voir plusieurs fois, mais je ne l’ai pas encore vu.
44. Les évêques aux États-Unis ont été nombreux à manifester leur soutien à la Marche de la Vie, l’un d’entre eux est même intervenu énergiquement contre un hôpital qui favorisait l’avortement. Y a‑t-il un espoir qu’ils comprennent que la crise actuelle touche aussi la Foi ?
Je pense que, malheureusement, il faut distinguer chez les modernes les mœurs et la foi. On pourra ainsi trouver plus d’évêques encore sensibles aux problèmes moraux que d’évêques attachés aux questions de foi. Cependant on peut se dire que si quelqu’un défend avec beaucoup de courage la morale catholique, forcément il doit avoir la foi et sa foi en sera même renforcée… C’est ce que j’espère, tout en reconnaissant qu’il y a quelques exceptions…
45. Les évêques américains veulent réviser ensemble les directives données par Jean-Paul II pour les universités. Quelles devraient être, selon vous, les mesures urgentes à prendre pour faire des université actuelles, de véritables universités catholiques ?
La mesure urgente, la première c’est le retour à la scolastique. Il faut balayer ces philosophies modernes, revenir à la saine philosophie, la philosophie objective, réaliste. Saint Thomas – comme au début du XXe siècle – doit redevenir la norme. Autrefois les 24 thèses thomistes étaient obligatoires. Il faut y revenir, c’est absolument nécessaire. Et après cette restauration philosophique, on pourra continuer sur la même lancée en théologie.
46. Mgr Robert Vasa de Baker (OR) a récemment rappelé que les déclarations de la Conférence épiscopale ne pouvaient obliger un évêque dans son diocèse. Est-ce une remise en cause de la collégialité promue au Concile ?
Sur cette question de la collégialité, ce n’est pas seulement un évêque qui a parlé. Le pape lui-même, s’adressant à la Conférence épiscopale brésilienne, a eu des paroles très fortes remettant à sa place le rôle de la Conférence épiscopale et insistant sur l’autorité personnelle des évêques et sur leurs relations directes avec le Saint-Père.
47. Le Séminaire de Winona est le plus important en nombre de séminaristes ? Comment expliquez-vous cela ?
Je pense que c’est dû tout simplement à la générosité de ce pays qui facilement se laisse enthousiasmer par une bonne cause.
48. Que faire pour multiplier les vocations sacerdotales et religieuses ?
Prier, prier, prier ! Se sacrifier aussi.
49. Quels sont les points forts du monde de la Tradition aux États-Unis ?
Je pense qu’il y a cette générosité dont je viens de parler, et aussi les écoles. C’est vrai qu’il y a un nombre important de prêtres et qu’il en faudrait davantage encore, mais je dirais surtout que les écoles sont indispensables. Il faut également encourager l’aide aux familles traditionnelles. Il faut qu’on mette sur pied un mouvement pour les familles, pour les soutenir, pour les former. C’est la cellule première de la société. Elle est fondamentale dans l’ordre naturel et dans l’ordre surnaturel.
50. Qu’est-elle pour vous, Monseigneur, l’importance des écoles ?
Elle est capitale. C’est le futur. La jeunesse sera catholique, si elle a reçu une bonne formation. Et pour cela, il nous faut des écoles catholiques.
51. Les familles nombreuses, parce que généreuses, sont quelquefois réduites à faire l’école à la maison. Que recommandez-vous à celles qui ont accès à de bonnes écoles ?
Celles qui ont accès à de bonnes écoles, il ne faut pas qu’elles hésitent un instant : qu’elles mettent leurs enfants dans ces écoles ! L’école à la maison ne remplacera jamais une bonne école. S’il n’y a pas de bonne école, c’est évidemment autre chose.
52. Envisagez-vous, Monseigneur, d’appeler à une autre croisade du Rosaire ? Que recommandez-vous aux fidèles aujourd’hui ?
Oui ! La situation du monde, la situation de l’Église – on le voit bien – continue d’être très sombre, même s’il y a des lueurs d’espoir, et ces éléments angoissants nous obligent plus que jamais à redoubler d’intensité dans la prière, dans le recours à la Sainte Vierge. Pour les fidèles d’aujourd’hui, ce qui est indispensable c’est la prière, la prière en famille, renouvelée, fréquente, accompagnée de ce qui forme l’âme chrétienne, l’esprit de sacrifice.
VII. EN GUISE DE CONCLUSION
53. Monseigneur, vous fêterez l’année prochaine vos 30 années de sacerdoce, dont 18 ans à la tête de la Fraternité Saint-Pie X. Quels furent les événements majeurs au cours de toutes ces années ?
C’est tout un roman !… Biensûr, les sacres sont à citer en premier ! Comme événements majeurs figurent aussi la joie d’avoir été auprès de Mgr Lefebvre, la joie d’avoir été auprès de l’abbé Schmidberger, et d’avoir beaucoup appris à leurs côtés ; la joie aussi d’avoir pu travailler avec les autres évêques de la Fraternité, ainsi qu’avec tous nos prêtres dans un grand élan de zèle pour la Foi, pour le maintien de l’Église catholique.
54. Un souhait pour les années qui viennent ?
Que l’Église retrouve ses rails ! C’est une image, mais c’est vraiment notre souhait. Et pour cela il faut que le triomphe du Cœur Immaculé de la Très Sainte Vierge arrive ! Nous en avons tant besoin !
Merci Monseigneur d’avoir bien voulu accepter de répondre à cet entretien.
Entretien recueilli au séminaire Saint-Thomas de Winona (USA), le 2 février 2011, en la fête de la Présentation de Jésus et de la Purification de la Très Sainte Vierge.
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