Don Davide Pagliarani, Supérieur du District d’Italie
Entretien accordé à Marco Bongi par le Supérieur du District d’Italie de la Fraternité Saint Pie X concernant les entretiens théologiques avec Rome de la Fraternité, l’état culturel et actuel du monde catholique de la Tradition, ainsi qu’un commentaire précis sur l’instruction Universae Ecclesiae.
Marco Bongi ‑Les entretiens théologiques entre la FSSPX et les Autorités Romaines touchent à leur terme. Même si aucun communiqué officiel n’a été encore émis pour le moment, nombreux sont ceux qui, sur la base d’indiscrétions, les commentent, en jugeant qu’elles ont échoué. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Don Davide Pagliarani – Je pense que c’est une erreur de considérer que les entretiens ont échoué. Peut-être que ceux qui tirent ces conclusions sont ceux qui s’attendaient à ce que les entretiens aboutissent à un résultat étranger aux finalités des entretiens eux-mêmes. Le but des entretiens n’a jamais été de déboucher sur un accord concret, mais bien de rédiger un dossier clair et précis, qui souligne les positions doctrinales respectives à remettre au Pape et au Supérieur général de la Fraternité. A partir du moment où les deux commissions ont travaillé patiemment, en traitant sur le fond tous les thèmes figurant à l’ordre du jour, je ne vois pas pourquoi l’on devrait considérer que les discussions ont échoué. Les discussions auraient échoué si, pour une raison absurde, les représentants de la Fraternité avaient rédigé des rapports qui ne correspondraient pas exactement à ce que la Fraternité soutient, par exemple s’ils avaient dit qu’après tout la collégialité ou la liberté religieuse représentent des adaptations au monde moderne parfaitement conciliables avec la Tradition. Bien qu’une certaine discrétion ait été observée, je pense pouvoir dire qu’il n’y a pas de risque que l’on aboutisse à cet échec. Et celui qui ne saisit pas suffisamment l’importance de ce témoignage de la part de la Fraternité et de ce qui est en jeu, pour le bien de l’Église et de la Tradition, inévitablement ne peut que formuler des jugements qui se situent dans d’autres perspectives.
D’après vous, quelles perspectives pourraient être erronées ?
A mon humble avis, il existe une zone traditionaliste, plutôt hétérogène, qui, pour des raisons diverses, attend quelque chose d’une hypothétique régularisation canonique de la situation de la Fraternité.
1) Bien sûr, il y a ceux qui espèrent un effet positif pour l’Église universelle ; et à ces amis que je considère comme sincères, je dirais pourtant de ne pas se faire d’illusions ; la Fraternité n’a pas la mission, ni le charisme de changer l’Église en un jour. La Fraternité entend simplement coopérer, afin que l’Église se réapproprie intégralement sa Tradition, et elle ne pourra continuer à travailler lentement pour le bien de l’Église que dans la mesure où elle continuera à être, comme toute œuvre d’Église, une pierre d’achoppement et un signe de contradiction : avec ou sans régularisation canonique, qui n’interviendra que lorsque la Providence jugera que les temps sont venus. En outre, je ne pense pas qu’une hypothétique régularisation – à l’heure actuelle – supprimerait cet état de nécessité qui dans l’Église continue à subsister, et qui a justifié jusqu’à maintenant l’action de la Fraternité.
2) D’un autre côté, tout à fait opposé, il existe des groupes que je définirais comme conservateurs, dans le sens un peu bourgeois du terme, qui s’empressent de dire que les entretiens ont échoué, en les assimilant à des pourparlers en vue d’un accord : l’intention, mal dissimulée, est de pouvoir démontrer le plus rapidement possible que la Tradition, telle que la Fraternité l’incarne, ne pourra jamais avoir droit de cité dans l’Église. Cet empressement est déterminé non pas seulement par un amour désintéressé pour l’avenir de l’Église et pour la pureté de sa Doctrine, mais plutôt par une peur réelle de l’impact que la Tradition proprement dite pourrait avoir face à la fragilité de positions conservatrices ou néo-conservatrices. En réalité, cette réaction révèle une lente prise de conscience – même si elle n’est pas reconnue – de l’inconsistance et de la faiblesse intrinsèque de ces positions.
3) Mais il me semble surtout détecter l’existence de groupes et de positions qui attendent un certain bénéfice d’une régularisation canonique de la Fraternité, sans pour autant faire leur le combat que mène la Fraternité, tout en en assumant les devoirs et les conséquences.
Il existe en effet, dans l’archipel varié du monde traditionaliste, de nombreux « commentateurs » qui, bien qu’exprimant un fort désaccord avec la ligne de la Fraternité, font remarquer avec un grand intérêt le développement de notre œuvre, en espérant qu’il aura des répercussions positives sur leurs positions ou sur les situations locales dans lesquelles ils sont engagés. Je suis impressionné par les fibrillations auxquelles ces commentateurs sont sujets chaque fois que la moindre rumeur affleure sur l’avenir de la Fraternité. Pourtant, je pense que ce phénomène est facile à expliquer.
Pourquoi ?
Il s’agit d’une catégorie de fidèles ou de prêtres qui sont fondamentalement déçus et qui sentent – à juste titre – une certaine instabilité dans leur situation future. Ils se rendent compte que la majorité des promesses auxquelles ils ont cru ont du mal à être maintenues et appliquées. Ils espéraient qu’avec le Motu Proprio Summorum Pontificum tout d’abord, et avec le texte d’application Universae Ecclesiae ensuite, le plein droit de cité et la liberté étaient garantis et efficacement protégés en faveur du rite tridentin ; mais ils se rendent compte que la chose ne se passe pas si pacifiquement, surtout au niveau des évêques. Et par conséquent – malheureusement – si ces groupes s’intéressent à l’issue de l’histoire de la Fraternité, ce n’est pas à cause des principes doctrinaux qui la sous-tendent, ni à cause de la portée qu’il pourrait y avoir pour l’Église, mais plutôt dans une perspective « instrumentale » : la Fraternité est perçue par eux comme une formation de prêtres qui n’ont désormais plus rien à perdre, mais qui, s’ils obtiennent quelque chose d’important pour leur congrégation, créeront un précédent juridique auquel à leur tour eux-mêmes pourront se référer.
Ce comportement, qui est moralement discutable et peut-être aussi un peu égoïste, a néanmoins deux avantages :
- avant tout, celui de démontrer paradoxalement que la position de la Fraternité est la seule crédible, dont pourra sortir quelque chose d’intéressant, et à laquelle nombreux sont ceux qui se réfèrent malgré eux ;
- le deuxième avantage est de souligner que si la voie doctrinale n’est pas privilégiée, afin de permettre à l’Église de se réapproprier sa Tradition, alors immanquablement on glissera dans une perspective diplomatique, faite de calculs incertains et de résultats instables, où l’on s’expose à de dramatiques déceptions.
Si le Vatican, par hypothèse, offrait à la Fraternité la possibilité de se structurer en un ordinariat dépendant directement du Saint-Siège, comment cette proposition pourrait-elle être reçue ?
Elle pourrait être prise sereinement en considération, sur la base des principes et des priorités, et surtout avec la prudence surnaturelle dont les Supérieurs de la Fraternité se sont toujours inspirés.
Pourriez-vous nous en dire plus ?
Je ne peux que répéter ce qui a déjà été clairement expliqué par mes Supérieurs : la situation canonique dans laquelle se trouve actuellement la Fraternité est la conséquence de sa résistance aux erreurs qui infestent l’Église ; par conséquent, la possibilité pour la Fraternité de s’approcher d’une situation canonique régulière ne dépend pas de nous, mais de l’acceptation par la hiérarchie de la contribution que la Tradition peut apporter à la restauration de l’Église.
Si l’on n’envisage aucune régularisation canonique, cela signifie simplement que la hiérarchie n’est pas encore suffisamment convaincue de la nécessité et de l’urgence de cette contribution. Dans ce cas, il faudra attendre encore quelques années, en espérant une augmentation de cette prise de conscience, qui pourrait croître proportionnellement avec l’accélération du processus d’auto-destruction de l’Église.
» Le peu que nous puissions faire à Rome est probablement plus important que le grand bien que nous pouvons faire ailleurs ». Cette phrase est lourde de sens. Elle a été prononcée par Mgr De Galarreta aux ordinations sacerdotales d’Écône, et elle concerne directement notre district. Bien entendu, elle se référait surtout aux discussions théologiques ; mais il est évident que l’image aussi de la Fraternité en Italie, du fait de sa proximité par rapport à Rome, revêt une importance toute particulière. Vous qui êtes le Supérieur du District italien, comment avez-vous vécu cette affirmation si importante ?
Ce que Mgr de Galarreta a dit à Ecône correspond à une conviction profonde de la Fraternité, et cette affirmation me paraît évidente pour une esprit authentiquement catholique : je ne vois là rien de surprenant. Je pense que Monseigneur résume parfaitement l’esprit romain avec lequel la Fraternité veut servir l’Église romaine : faire tout le possible pour que l’Église se réapproprie sa Tradition, à commencer par Rome elle-même.
L’histoire de l’Église nous enseigne qu’aucune réforme universelle, efficace et durable n’est possible, si Rome ne fait pas sa propre réforme et si la réforme ne part pas de Rome.
Sur ces points, de nombreux observateurs extérieurs prétendent qu’il existe une division interne à la Fraternité Saint-Pie X, entre une aile, dite « romaine », plus prête à dialoguer avec les autorités, et une autre aile, « gallicane » celle-là, qui serait hostile à toute approche en direction du Pape. Au-delà de cette simplification excessive, et dans la limite où vous pouvez vous exprimer sur ce sujet, pensez-vous que cette idée est fondée ?
Comme dans toute société humaine, il existe dans la Fraternité aussi des nuances et des sensibilités différentes entre les différents membres. Penser qu’il puisse en être autrement serait un peu puéril.
Pourtant je crois que l’on tombe facilement dans les simplifications évoquées ci-dessus lorsque l’on perd la sérénité du jugement, ou lorsque l’on s’exprime en s’appuyant sur des jugements tout faits : on finit alors par créer des partis pour pouvoir y caser sans discernement les uns plutôt que les autres.
Les membres de la Fraternité comprennent clairement que l’identité de leur congrégation est établie sur un axe défini et précis qui s’appelle la Tradition : c’est sur ce principe, universellement partagé au sein de la Fraternité qu’est construite l’unité de la Fraternité elle-même. Et je pense qu’objectivement il est impossible de trouver un principe d’identité et de cohésion plus fort : c’est justement cette cohésion de base sur l’essentiel qui permet aux membres d’avoir des nuances différentes sur tout ce qui est sujet à discussion.
Je crois qu’une certaine impression de non-homogénéité peut provenir de la grande différence des tons que les membres de la Fraternité emploient en des lieux différents, dans des situations différentes, dans des pays différents et surtout face aux positions très diverses et contradictoires que les représentants de la hiérarchie officielle expriment à notre égard et à l’égard de tout ce qui a le goût de la Tradition.
La perception de ces données complexes diminue chez ceux qui évaluent les affirmations séparées, en les sortant de leur contexte et en les nivelant on line devant leur écran d’ordinateur. Il s’agit là certainement de considérations dont l’évidence n’est pas immédiate pour l’observateur extérieur.
Le 13 mai dernier a été publiée l’instruction Universae Ecclesiae, qui entend discipliner concrètement l’application du Motu Proprio « Summorum Pontificum ». Comment cet important document est-il évalué par la FSSPX ?
Il s’agit d’un document de synthèse, qui d’une part exprime la nette volonté de mettre en application les directives sur le motu proprio, et de l’autre, tient compte des nombreuses objections, explicites et implicites, que les épiscopats ont manifesté àl’égard du Summorum Pontificum, qui – et ce n’est un secret pour personne – sont fondamentalement hostiles à la reprise du Rite Tridentin.
Avant tout, il est précisé que la reprise de la Liturgie de 1962 est une loi universelle pour l’Église ; deuxièmement, l’instruction fait un net effort pour défendre majoritairement en matière strictement juridique les prêtres empêchés par leurs ordinaires dans l’usage du Missel tridentin.
C’est avec une certaine finesse qu’il est rappelé aux évêques que c’est précisément à eux de garantir ces droits…pour la défense desquels il est possible de faire un recours sontre ces mêmes ordinaires. Voici pour être très bref les points qui me semblent être les plus positifs.
Pourtant, l’article 19 de l’Instruction « Universae Ecclesiae » déclare que ne sont pas autorisés à demander la Saint Messe de toujours les fidèles qui ne reconnaissent pas la validité et la légitimité du Missel Réformé par Paul VI. Que pensez-vous de cette limitation ?
Pour être sincère, je suis incapable de la juger, parce que je la trouve incompréhensible. J’ai toujours considéré que le Saint Rite de la Messe avait une valeur intrinsèque, surtout quant à la fin latreutique [1] qui lui est propre.
Toute autre considération mise à part, il est impossible de comprendre sur quelle base juridique ou théologique la valeur d’un rite pluriséculaire déclaré jamais abrogé, et la possibilité de le célébrer, puissent être déterminées par les dispositions subjectives de celui qui assiste ou le demande. On entre ici dans une perspective folle et impraticable. Par exemple, que devrait faire un prêtre qui se rendrait compte que sur dix fidèles qui demandent la célébration de la Sainte Messe, cinq auraient des objections sur le Messe de Paul VI ? Que devrait faire un prêtre s’il avait lui-même de très graves réserves sur le nouveau rite, à partir du moment où la limitation ne concerne que les fidèles ? [2] Si les deux rites sont considérés comme deux formes équivalentes du même rite romain, il n’est pas possible de comprendre pourquoi le rite tridentin est tellement dangereux qu’il faut effectuer une sorte d’examen préalable d’admission. Enfin, si l’on entre honnêtement dans une telle logique, il n’est pas possible de comprendre pourquoi il n’est pas demandé aux prêtres et aux évêques, qui refusent ouvertement le rite tridentin, de s’abstenir de célébrer le rite nouveau tant qu’ils ne démordent pas de leur jugement.
Je pense que l’article 19 de l’Instruction, s’il est d’une part l’expression d’un comportement diplomatique typique, peut malheureusement de l’autre être assimilé à une sorte de chantage moral mal dissimulé. Il révèle la conscience, de la part des évêques, que la Messe Tridentine véhicule inévitablement une ecclésiologie incompatible avec celle du Concile et du Novus Ordo. Par conséquent, la Messe tridentine ne peut être accordée qu’en exerçant un contrôle direct sur les consciences des fidèles. Ce qui semble plutôt alarmant.
Y a‑t-il, d’après Vous, d’autres points dans ce document où émerge la volonté d’exercer un contrôle de ce genre ?
À mon humble avis, il y en a un en particulier. Alors que le motu proprio reprenait, outre le Missel, le libre usage de tous les livres liturgiques, l’Instruction interdit cet usage dans un cas bien précis : celui des ordinations sacerdotales, exception faite pour les institutions religieuses, se référant à l’Ecclesia Dei, ou qui utilisent déjà le rite tridentin (Cf. art 31).
La chose est assez surprenante, surtout dans le cas des ordinations diocésaines, considérant que l’ecclésiologie moderne insiste tellement pour reconnaître dans l’évêque diocésain le modérateur de la liturgie et le véritable liturgiste, en tant que successeur des Apôtres ; toutefois, l’explication semble être suffisamment évidente si nous nous référons aux compris classiques typiquement curials.
Il est évident que, alors qu’une institution Ecclesia Dei est directement contrôlée par l’organisme du Vatican compétent, avec un statut signé et contre-signé (je donnerai un exemple ici même), un évêque qui utilise les livres liturgiques de 1962, ne pourrait l’être dans les mêmes termes.
Par conséquent, la demande formelle et péremptoire de procéder aux ordinations selon le nouveau est le signe extérieur considéré comme suffisant pour démontrer que les ordinands, et l’évêque même, acceptent pleinement l’article 19 de l’Instruction, adoptant le nouveau rite pour l’évènement indubitablement le plus important et significatif de leur vie et de la vie du diocèse. Cette demande a, somme toute, une valeur semblable à la pratique quasi universelle inhérente à l’application de l’indult de 1984 : Dans les différents diocèses où l’indult était permis, il était demandé de ne pas célébrer en rite traditionnel à Noël et à Pâques, afin de permettre aux fidèles de manifester leur propre lien avec la paroisse et donc leur acceptation du rite de Paul VI.
Et dans cette même ligne, l’injonction imposée en l’an 2000 à la Fraternité Saint-Pierre d’accepter que ses membres puissent célébrer librement selon le nouveau rite, est tout à fait significative ; tout comme à l’invitation chaleureuse à concélébrer avec les évêques diocésains au moins le Jeudi Saint, pour exprimer sa communion avec l’ordinaire local, et donc leur publique et parfaite acceptation du Novus Ordo Missae ; notons que bine que la Fraternité Saint Pierre soit une institution Ecclesia Dei, la mesure s’était révélée nécessaire justement au moment où au sein de la congrégation se faisaient entendre les oppositions les plus fortes au rite de Paul chez certains membres réfractaires. C’est dans cette même situation que fut destitué directement par l’Ecclesia Dei celui qui était alors Supérieur général et remplacé par un prêtre choisi non pas par le Chapitre, mais imposé par l’Ecclesia Dei même.
Il était alors Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin : le cardinal Medina Estevez, tandis que le cardinal Castrillon Hoyos avait depuis peu pris la charge de Président de l’Ecclesia Dei.
Ainsi, l’injonction de l’Instruction, avec l’art 19, semble s’inspirer plus à l’indult de Jean-Paul II, qu’au motu proprio de Benoît XVI. MAis à présent il a été certifié par Benoît XVI lui-même que l’indult de 1984 prétendait accorder généreusement, dans certains cas et à certaines conditions précises, l’usage d’un Missel qui en réalité n’avait jamais été abrogé : l’Universae Ecclesiae semble retomber dans cette absurdité juridique et morale, compréhensible uniquement dans un contexte de mépris et de peur – je préfère ne pas parler de haine – envers tout ce qui sent le « tridentino ».
Dulcis in fundo, puisque tous savent que la Fraternité n’acceptera jamais l’article l’article 31, ni l’art. 19, tous les mécontents d’une part la critiquent à cause de sa « désobéisance », cherchant ainsi à bien montrer qu’eux sont dans la « légalité », et de l’autre, l’observent, espérant que son intransigeance pourra leur faire profiter eux aussi de quelque chose de positif.
Et c’est ainsi que repart ce mécanisme du « sequebatur a longe ut videret finem », et de l’espérance instrumentale sur la Fraternité, dont nous avons déjà parlé.
L’année 2011 marque les vingt ans de la mort de Mgr Marcel Lefebvre. Deux décennies ont passé, et pourtant sa figure continue de faire discuter ; et même, il semble presque que, plus le temps passe, plus il suscite l’intérêt dans les milieux ecclésiaux et culturels. À votre avis, à quoi est due cette « deuxième jeunesse » d’un Prélat, jugé par beaucoup comme anachronique et vieux ?
Mgr Lefebvre a incarné quelque chose d’insurmontable : la Tradition de l’Église. Et s’il y a eu un évêque dans lequel la Tradition n’a jamais cessé d’être « vivante » (si je peux me permettre l’expression), c’est bien l’évêque « rebelle ». Par exemple, l’unique prélat qui n’a jamais cessé de célébrer publiquement dans le rite traditionnel, alors considéré par erreur comme abrogé et banni, a été le fondateur de la Fraternité Saint Pie X : il ne s’est pas limité à retransmettre aux nouvelles générations un missel imprimé et poussiéreux, mais il a gardé et transmis un trésor vivant et réel, présent quotidiennement sur l’Autel, dont il était complètement saisi dans toute sa personne.
Si vraiment une prise de conscience est amorcée, que la crise de l’Église prend ses racines et se manifeste surtout dans une crise du Sacerdoce et de la Liturgie, il est inévitable de se référer à celui qui a dépensé toutes ses énergies pour sauver l’Homme, et pour sauver le sacerdoce et la liturgie.
Il est donc inévitable que l’on parle de Messe tridentine ou de Tradition, et même que le plus réticent soit obligé à parler de lui, ne serait-ce que pour prendre ses distances et pour s’auto-certifier politiquement correct. Mais celui qui parle de lui, en bien ou en mal, ne peut pas le faire sans parler d’une Tradition qui, loin d’être « lefebvriste », est simplement et pour toujours catholique.
Propos recueillis par Marco Bongi