« La Croix » du 9 juillet 2007

Si beau­coup admettent le sou­ci d’u­ni­té por­té par Benoît XVI vis-​à-​vis des tra­di­tio­na­listes, la vigi­lance est grande sur la conti­nui­té du concile Vatican II.

Personne, au fond, ne se frotte les mains. Tous retroussent plu­tôt les manches. À com­men­cer par… les ouvriers de la Librairie édi­trice Vaticane : ils vont offi­ciel­le­ment réim­pri­mer – tout un sym­bole – les quatre volumes de l’édition du Missel tri­den­tin, revue par Jean XXIII en 1962 !

Mais deux jours après l’annonce par Benoît XVI d’un retour, à titre de « forme extra­or­di­naire » de cette messe à la demande de groupes « stables » dans les paroisses, les réac­tions, tant au som­met de l’Église que sur le ter­rain des paroisses et même dans les milieux tra­di­tio­na­listes, sont plu­tôt à la gra­vi­té. Annulant, notam­ment pour cette rai­son, un dépla­ce­ment en Syrie, le car­di­nal Jean-​Pierre Ricard a cher­ché à ras­su­rer l’opinion catho­lique, mais il n’avait pas non plus élu­dé, same­di 7 juillet devant la presse, la for­ma­tion pos­sible dans l’Église « de gru­meaux dans la pâte ».

Ainsi le ton du com­mu­ni­qué de la Mission de France, publié lun­di 9 juillet pour annon­cer son assem­blée géné­rale près d’Angers cette fin de semaine : « Loin des nos­tal­gies d’avant Vatican II, la Mission de France est enga­gée plei­ne­ment dans les enjeux sociaux et poli­tiques d’aujourd’hui pour vivre un chris­tia­nisme pro­phé­tique, dans un dia­logue vivant avec ceux qui ne par­tagent pas la foi chrétienne. »

Pour beaucoup, le motu ne « passe pas »

Critique non voi­lée de la déci­sion romaine qui n’étonnera pas ceux qui connaissent cette pré­la­ture regrou­pant des prêtres, diacres et laïcs enga­gés comme chré­tiens dans des par­cours pro­fes­sion­nels. Peu de mou­ve­ments d’Église s’étaient expri­més à son exemple, lun­di, mais, pour de nom­breux autres catho­liques, le motu pro­prio Summorum pon­ti­fi­cum ne « passe » pas.

Sans aller jusqu’à décla­rer un « jour de deuil » dans l’Église comme Mgr Luca Brandolini, évêque de Sora-​Aquino-​Pontecorso et membre de la com­mis­sion litur­gique de l’épiscopat ita­lien, notre enquête met en évi­dence un malaise certain.

Ainsi le P. Michel Guerre, curé de La Mulatière, en ban­lieue de Lyon. Ce mariste, ordon­né en 1964, a consa­cré son homé­lie dimanche à « l’importance de la mise en œuvre du concile Vatican II » et confie : « Je res­sens une souf­france très pro­fonde. C’est un bou­le­ver­se­ment de ma vie. » Dans le même dio­cèse, la théo­lo­gienne Martine Mertzweiller consi­dère le motu pro­prio comme « inutile et dan­ge­reux ». Un « repli fri­leux » qui sonne le retour du « ritua­lisme » alors que l’Église était reve­nue « à une célé­bra­tion du Christ vivant ».

Le P. Joseph Le Guellault, 79 ans, rec­teur de l’île aux Moines (Morbihan), consi­dère que des messes selon l’ancien rite sont suf­fi­sam­ment acces­sibles : « Je conti­nue­rai à célé­brer en fran­çais face aux parois­siens, et si un petit groupe me deman­dait de célé­brer en latin, je refu­se­rais. » À Barcelonnette (Alpes de Haute-​Provence), Marie-​Thérèse Aubry, 69 ans, « chré­tienne relais » dans une paroisse et caté­chiste de longue date, craint de voir « l’Église se refer­mer » et per­çoit en ce décret « un pre­mier pas vers une Église plus rigo­riste qui détour­ne­ra les jeunes alors que nous en avons besoin ».

Deux types de soutien

Richard Delecroix, laïc ani­ma­teur de pas­to­rale dans la métro­pole lil­loise, n’y va pas quatre che­mins : « Cette déci­sion est détes­table. C’est un retour en arrière qui ne va pas contri­buer à rap­pro­cher les gens. Loin de faire l’unité, la déci­sion du pape va accen­tuer les divi­sions internes à l’Église. » Un couple de parois­siens de Meudon (Hauts-​de-​Seine) conclut, amer : « C’est un peu effrayant. On ne com­prend pas. Ce sont tou­jours les mêmes qui font des concessions. »

À côté de ces réac­tions réti­centes, on trouve deux types de sou­tien – en dehors des milieux tra­di­tio­na­listes concer­nés. L’un, actif, est issu de publics plu­tôt âgés qui ont connu « la messe en latin » et en gardent une nos­tal­gie. Ainsi, à Nice, Paul Tosseri, 77 ans, explique : « Je suis très favo­rable au motu pro­prio, qui comble un manque. Dans mon enfance, les messes se dérou­laient toutes en latin. Dommage que le motu pro­prio divise tant, car loin d’être un retour en arrière, c’est une mesure d’unification dans l’espace et dans le temps. »

L’autre sou­tien, plus pas­sif, est issu de catho­liques plus jeunes : ils n’ont rien contre mais ne sont pas non plus fran­che­ment pour. Plus libé­raux, ils pensent que cha­cun doit pou­voir choi­sir. Sébastien Duquesne, 36 ans, per­ma­nent du Secours catho­lique de Digne et Gap, observe : « Je n’irais pas à une messe en latin, car je ne le com­prends pas, mais je n’ai rien contre. L’Église a besoin de tous. Si des fidèles vivent mieux leur foi en latin, tant mieux. L’important n’est pas la forme de la pra­tique, mais ce que les fidèles en font. » Karine Bizeray, 36 ans, mère de famille à Maure-​de-​Bretagne (Ille-​et-​Vilaine) : « Cela ne me choque pas. Dans l’Église, il me semble logique que toutes les ten­dances puissent s’exprimer libre­ment. Cette déci­sion est très une bonne chose si elle a pour consé­quence d’amener les chré­tiens à s’unir. »

Plusieurs évêques ont écrit à leurs prêtres et fidèles

Rien n’est tou­te­fois encore joué. Dimanche soir, après avoir enten­du les pre­mières réac­tions sur son par­vis, un curé pari­sien crai­gnait « un glis­se­ment du schisme à l’intérieur de l’Église ». Il conve­nait que tout dépen­drait de sa mise en œuvre pra­tique, à par­tir du 14 septembre.

Sur ce point, deux écoles se des­sinent par­mi les évêques. Plusieurs ont écrit à leurs prêtres et fidèles. D’abord pour les appe­ler à l’unité et à la paix. Pour les ras­su­rer, aus­si, comme Mgr Roland Minnerath, arche­vêque de Dijon : « Je sou­haite de tout cœur que les frères prêtres, qui se dépensent géné­reu­se­ment pour mettre en œuvre la réforme litur­gique et les ensei­gne­ments du Concile, n’aient pas le sen­ti­ment d’être désa­voués et ne se décou­ragent pas. » Ou Mgr Michel Santier à Luçon, ajou­tant cet accent : « Que les litur­gies soient belles, « priantes », recueillies, et qu’elles donnent le goût de Dieu. »

Les évêques donnent aus­si des lignes de conduite pra­tiques. Certains, en vue de pré­pa­rer col­lec­ti­ve­ment la créa­tion de « paroisses per­son­nelles », notam­ment dans des dio­cèses où aucune messe selon l’ancien Missel n’était célé­brée jusqu’ici : cela aurait le mérite, jus­ti­fie l’un d’eux, « de cla­ri­fier » la situa­tion. Ou, au contraire, de se pré­pa­rer à un refus d’extension, consi­dé­rant que « l’offre » exis­tante est déjà suf­fi­sante, comme à Lille ou Paris.

« Pas de bouleversements ! »

Ainsi Mgr André Vingt-​Trois entend don­ner une réponse « rai­son­nable » aux demandes, mais annonce qu’il n’ouvrira « pas de paroisses per­son­nelles dans le dio­cèse de Paris, car j’estime que des fidèles qui demandent la célé­bra­tion selon le Missel de 1962 ne sont pas des parois­siens à part ». Un évêque résume cette mise en œuvre en deux mots : « Pas de bou­le­ver­se­ments ! » Un ton plus diplo­ma­tique que celui du car­di­nal Karl Lehmann, pré­sident de la Conférence épis­co­pale alle­mande : « On ne retour­ne­ra pas en arrière d’un mil­li­mètre par rap­port à la réforme litur­gique. La demande de ceux qui, en Allemagne, pré­fèrent l’ancien rite est plus qu’assurée, plus que couverte. »

Reste une ques­tion d’avenir, sou­le­vée par Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême : com­ment évi­ter que « le sou­ci de récon­ci­lia­tion » et la litur­gie ne soient pas « ins­tru­men­ta­li­sés » en un « rap­port de forces » à visée « poli­tique » et « cultu­relle » ? C’est peut-​être le point le plus sen­sible pour l’unité.

Alors qu’à Rome le car­di­nal Dario Castrillon Hoyos, pré­sident de la Commission Ecclesia Dei, qui a pré­pa­ré le motu pro­prio, l’a jus­ti­fié dans la revue 30 Giorni comme une volon­té de ren­contre avec « les lefeb­vristes », Mgr Bernard Fellay, suc­ces­seur de Mgr Lefebvre comme supé­rieur de la Fraternité Saint-​Pie‑X, a fait lire en chaire dimanche 8 juillet une lettre où il attend de voir comme une « auto­ri­té épis­co­pale » jusque là « injuste » va main­te­nant mettre en œuvre « l’acte cou­ra­geux du pape ».

Il conclut : « Notre constance a défendre la lex oran­di a été prise en compte. C’est donc avec la même fer­me­té qu’il nous faut pour­suivre, avec l’aide de Dieu, le com­bat pour la lex cre­den­di, le com­bat de la foi. »

Philosophe, le P. Édouard Marot, prêtre de l’Emmanuel et rec­teur des sanc­tuaires de Paray-​le-​Monial, note : « D’ici, j’ai sen­ti l’inquiétude de l’Église de France. Je peux la com­prendre. Ça a été tel­le­ment été dans un sens et main­te­nant cela va dans un autre ! Il faut avoir la spi­ri­tua­li­té du roseau : être souple. En revanche, je ne vou­drais pas que l’on dise que la messe selon le rite de saint Pie V est la litur­gie par excellence. »

Jean-​Marie GUÉNOIS, avec Isabelle DE GAULMYN, à Rome, Élodie MAUROT, Corinne BOYER, à Marseille, Jean-​Luc POUSSIER, à Rennes, Florence QUILLE, à Lille, et Bénévent TOSSERI, à Lyon