Entretien de Mgr Fellay à DICI à propos de l’envoi à tous les cardinaux du document sur l’œcuménisme

Monseigneur, en adres­sant ce docu­ment sur l’œcuménisme à tous les car­di­naux, quelle est votre intention ?

Le com­bat pour la Tradition que nous menons à la suite de Mgr Lefebvre depuis main­te­nant plus de 30 ans inclut néces­sai­re­ment la cri­tique des erreurs qui sont à l’origine de la crise actuelle. Ce tra­vail de cri­tique théo­lo­gique avait été entre­pris par notre fon­da­teur lui-​même, et n’a jamais fait défaut ; il est peut-​être même plus néces­saire aujourd’hui où l’on voit ces erreurs pro­duire de plus en plus de fruits empoi­son­nés. C’est dans cette optique qu’ont été menés les tra­vaux du 2me Symposium de théo­lo­gie de Paris, en octobre 2003, du VIme congrès théo­lo­gique de SI SI NO NO à Rome, en jan­vier der­nier ; tout comme l’ouvrage sur Le pro­blème de la réforme litur­gique, et tant d’autres articles parus dans nos revues et bulletins.

C’est dans cette ligne que s’inscrit la dénon­cia­tion de l’œcuménisme que nous avons fait par­ve­nir à tous les car­di­naux. Comme je l’ai écrit dans la der­nière Lettre aux amis et bien­fai­teurs, cet œcu­mé­nisme connaît, sous l’influence du car­di­nal Kasper, un déve­lop­pe­ment qui s’approche de l’emballement. Et, il faut l’avouer, ces avan­cées œcu­mé­niques se trouvent confor­tées par les docu­ments signés du Pape.

La publi­ca­tion de ce docu­ment était-​elle oppor­tune au moment où l’on par­lait d’accords pos­sibles entre Rome et Écône ?

Mgr Fellay : Il est vrai que, depuis l’an 2000, sous l’impulsion du car­di­nal Hoyos, un chan­ge­ment d’attitude s’est mani­fes­té du côté de Rome vis-​à-​vis de la Tradition. Mais par­lons fran­che­ment : il s’agit d’un chan­ge­ment d’attitude pra­tique, ren­du mani­feste par des entre­vues et des échanges de cour­riers ; mais il faut consta­ter que cela n’a modi­fié en rien le défer­le­ment des erreurs post-​conciliaires. Et, de fait, les dis­cus­sions avec Rome sont au point mort, depuis le refus pur et simple oppo­sé à notre demande de liber­té pour la messe tra­di­tion­nelle, liber­té que nous consi­dé­rons comme le préa­lable indis­pen­sable à toute discussion

Ce n’est pas un « bri­co­lage cano­nique » qui pour­ra remettre de l’ordre dans l’Église. Et nous vou­lons rap­pe­ler par ce docu­ment la néces­si­té d’un débat sur le fond. C’est pour­quoi, loin d’être inop­por­tune, notre démarche auprès des car­di­naux entend rap­pe­ler oppor­tu­né­ment que ce débat est doctrinal.

Ne pensez-​vous pas qu’il y a urgence tout de même à essayer de vous entendre avec ce pape, car vous ne savez pas ce que vous réser­ve­ra son successeur ?

Il est vrai que pour le Saint-​Père le jour du juge­ment approche, et qu’il devra pré­sen­ter le bilan de son pon­ti­fi­cat. C’est faire œuvre de cha­ri­té que d’essayer de l’aider à appré­cier ces 25 années sous le regard de Dieu. Car le fait est là, patent : Jean-​Paul II, en fin de pon­ti­fi­cat, constate lui-​même l’état d’apostasie silen­cieuse où se trouve l’Europe, et nous nous effor­çons de mon­trer, appuyés sur la doc­trine tra­di­tion­nelle, que cette situa­tion est cau­sée par 25 ans d’oecuménisme.

Bien sûr, nous sommes cer­tains que le retour de l’Eglise à sa Tradition ne se fera que sous l’autorité du Vicaire du Christ. Mais quand ? nous ne le savons pas. La seule chose dont nous sommes assu­rés, c’est que l’Église a les pro­messes de la vie éternelle.

Malgré tout, n’est-ce pas là le signe d’un dur­cis­se­ment de la part de la Fraternité ? Peut-​être même la volon­té de rompre toute dis­cus­sion avec Rome ?

Au contraire. Nous sou­hai­tons cette dis­cus­sion, mais encore une fois sur le plan doc­tri­nal. Il est impos­sible d’envisager un débat sérieux en fai­sant l’impasse sur les ques­tions de fond. Ne serait-​ce que pour bien défi­nir les mots que nous employons, et être cer­tains que nous nous enten­dons, au-​delà des mots, sur les mêmes réalités.

Nous ne vou­lons pas de ce « consen­sus dif­fé­ren­cié », dans le cadre de « l’unité dans la plu­ri­for­mi­té » au nom de laquelle le car­di­nal Kasper mène ses dis­cus­sions avec les pro­tes­tants. Ces expres­sions ambi­guës, ces véri­tables contra­dic­tions dans les termes montrent à l’évidence que l’œcuménisme conci­liaire fait fi des exi­gences doc­tri­nales, et plus sim­ple­ment encore des exi­gences de la logique. Que diriez-​vous d’un accord fon­dé sur la recon­nais­sance d’un « consen­sus dif­fé­ren­cié », ou de « dif­fé­rences consensuelles » ?

Le ton de ce docu­ment peut paraître sévère.

Il est cer­tai­ne­ment aus­tère car les pro­blèmes théo­lo­giques posés par l’oecuménisme néces­sitent un expo­sé très rigou­reux, sans approxi­ma­tions. Mais la lettre qui accom­pagne ce docu­ment indique bien le sens de notre démarche : c’est un appel res­pec­tueux au pape et aux car­di­naux pour qu’ils rendent à l’Église sa Tradition, contes­tée voire com­bat­tue depuis Vatican II.

Pensez-​vous vrai­ment que le solu­tion à la crise pré­sente soit d’ordre pure­ment doc­tri­nal ? Excluez-​vous a prio­ri une approche plus diplo­ma­tique, plus pragmatique ?

À mon sens, c’est être prag­ma­tique, en tout cas réa­liste et effi­cace, que de vou­loir don­ner à une dis­cus­sion de solides bases, et ces bases, qu’on le veuille ou non, sont doc­tri­nales. Pragmatisme n’est pas syno­nyme de « poli­tique de l’autruche », cette céci­té volon­taire sur les ques­tions de fond ne peut débou­cher que sur un « dia­logue de sourds », voire un « mar­ché de dupes ».

Les mêmes réa­li­tés dra­ma­tiques s’imposent à tous, au Pape comme à nous. Nous sommes dans un état d’apostasie silen­cieuse, dont il faut sor­tir par un recours à la Tradition de l’Eglise. La réponse à l’apostasie silen­cieuse doit se faire entendre d’une voix forte et claire. Devant l’ampleur du mal, on ne peut se conten­ter de demi-​mesures inef­fi­caces et, en défi­ni­tive, com­plices du mal qu’elles calment sans jamais vou­loir l’éradiquer.

Mgr Bernard Fellay – 24 jan­vier 2004

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.