Mgr Fellay à Saint-​Nicolas le 11 décembre 2005

Rome et la FSSPX : les principes de notre action

Chers fidèles,

Nous allons essayer de voir pen­dant quelques ins­tants les rela­tions entre Rome et la Fraternité, entre la Fraternité et Rome, en consi­dé­rant les prin­cipes qui nous guident dans ces rela­tions. Il y tant de choses qui se disent. Il y a toutes sortes de rumeurs qui font qu’on nous attri­bue beau­coup d’in­ten­tions. Il me semble qu’il n’est pas inutile de rap­pe­ler un cer­tain nombre de prin­cipes qui nous ont gui­dés, qui nous guident tou­jours et qui sont ceux de Mgr Lefebvre. Et ce d’au­tant plus que nous vivons des temps dif­fi­ciles, sou­vent confus où tous les moyens de com­mu­ni­ca­tion modernes qui devraient appor­ter davan­tage de clar­té servent la plu­part du temps à aug­men­ter la confusion.

Nous sommes catholiques et nous voulons le rester

Le tout pre­mier prin­cipe qui nous a gui­dés et qui nous guide, c’est tout sim­ple­ment que nous sommes catho­liques et que nous vou­lons le res­ter. Si nous sommes ici, si la Fraternité existe, cela s’ins­crit cer­tai­ne­ment dans un cer­tain moment de l’his­toire et de l’his­toire de l’Église. En effet, l’on voit très clai­re­ment que Mgr Lefebvre a été pous­sé – on peut dire contre son gré – à fon­der la Fraternité. Il a été pous­sé par les sémi­na­ristes de Rome, car c’est à Rome que cela com­mence. Ce sont des étu­diants des sémi­naires romains, déçus par l’en­sei­gne­ment qui devait leur être don­né, qui vont voir Mgr Lefebvre et lui demandent de faire quelque chose. C’est une réac­tion contre ce qui est en train de se pas­ser dans l’Église. Monseigneur com­mence par ne pas vou­loir. Mais l’in­sis­tance de ces sémi­na­ristes : « Faites quelque chose pour nous », va fina­le­ment pous­ser Monseigneur à ouvrir une maison.

Cela débute par un sémi­naire à Fribourg, parce qu’à ce moment-​là l’u­ni­ver­si­té de Fribourg sem­blait être un peu plus pré­ser­vée que les autres. Cependant, assez rapi­de­ment, Monseigneur se rend compte qu’il ne suf­fi­ra pas de bien for­mer des sémi­na­ristes. En effet, une fois ordon­nés, ils vont arri­ver dans des dio­cèses qui sont à peu près dans le même état que les sémi­naires qu’ils viennent de quit­ter. Ils auront alors une vie impos­sible, sinon infer­nale. Apparaît donc la néces­si­té de don­ner à ces futurs prêtres une struc­ture apos­to­lique, c’est-​à-​dire une struc­ture de vie sacer­do­tale et d’a­pos­to­lat. Et de nou­veau, Monseigneur ne veut pas pré­cé­der la Providence. Il envi­sage la chose, il la voit, mais il la sou­met au sceau de la Providence qu’il relie à l’ap­pro­ba­tion de l’or­di­naire local, c’est-​à-​dire l’é­vêque de Fribourg. Il dit lui-​même « On y ver­ra le sceau de la pro­vi­dence ». C’est ain­si que naît la Fraternité, comme pous­sée de toutes parts. Poussée par les sémi­na­ristes, pous­sée par les auto­ri­tés locales, pous­sée par l’é­vêque, Mgr Charrière, qui invite Monseigneur à réa­li­ser cette ouvre, à la conti­nuer. C’est le début d’une crise qui n’en finit pas. Et pour­quoi cette fon­da­tion ? Encore une fois, pour res­ter catholiques.

Rester catho­liques, cela veut tout d’a­bord dire, avoir un atta­che­ment total, abso­lu à la foi catho­lique. Il y a un sym­bole, appe­lé Symbole de saint Athanase – un sym­bole c’est un cre­do -, qui autre­fois était réci­té tous les dimanches par tous les prêtres et par tous ceux qui étaient tenus au bré­viaire, et par la suite réci­té seule­ment le jour de la fête de la Sainte Trinité. Ce sym­bole aus­si connu que les autres – le Symbole Quicumque – enseigne que qui­conque veut être sau­vé doit gar­der la foi inté­grale, intègre tota­le­ment. Celui qui nie une seule véri­té de la foi, un seul dogme déchoit et perd la foi par là même. Perdant la foi, il se ferme les portes du Ciel. Le pre­mier fon­de­ment du catho­li­cisme, c’est la foi. Saint Paul le dit d’une manière sai­sis­sante : Tous ceux qui veulent s’ap­pro­cher de Dieu, avant toute chose, doivent croire que Dieu est, que Dieu existe. Cela semble logique, cela semble être évident. Si l’on veut s’ap­pro­cher de Dieu, il faut croire qu’Il existe. C’est une affir­ma­tion très pro­fonde. Il y a beau­coup d’autres paroles du saint Evangile, de la sainte Ecriture qui nous montrent que sans la foi il est impos­sible d’être agréable à Dieu.

La foi est objective

Le concile Vatican I construi­ra, pré­ci­sé­ment à par­tir de cette phrase de l’Apôtre des Gentils, tout le déve­lop­pe­ment sur la foi qui expli­que­ra la rai­son d’être de l’Église. La pre­mière rai­son d’être de l’Église c’est cette trans­mis­sion de la foi qui sauve. Sans la foi il est impos­sible de plaire à Dieu, il est impos­sible d’al­ler au Ciel, il est impos­sible de rece­voir la grâce, il est impos­sible de vivre en état de grâce, de vivre avec Dieu de cette vie sur­na­tu­relle. C’est vrai­ment le fon­de­ment. On le trouve au bap­tême, dans la pre­mière ques­tion posée : Que demandez-​vous à l’Église ? La foi. Que vous pro­cure la foi ? La vie éter­nelle. Nous vou­lons aller au ciel. Eh bien ! il n’y a pas trente-​six moyens. Le Bon Dieu nous a don­né un seul moyen pour aller au ciel, c’est l’Église, et donc Notre Seigneur. Afin de nous obte­nir l’in­cor­po­ra­tion à Notre Seigneur, l’Église com­mence par nous don­ner la foi. Vous avez remar­qué que nous vivons dans un temps très éton­nant où la foi est atta­quée pas seule­ment du dehors par ses enne­mis habi­tuels, les mécréants, les athées et les autres, mais la foi est atta­quée aujourd’­hui jusque dans l’Église, d’une manière habile, insi­dieuse. Saint Pie X dénon­ce­ra cet enne­mi du dedans – l’en­ne­mi est à l’in­té­rieur, dira-​t-​il – c’est le modernisme.

Le moder­nisme très habile qui va uti­li­ser les mots foi, croire et qui va les trans­for­mer, qui va en chan­ger le sens pro­fon­dé­ment. Ce moder­nisme est lié à une phi­lo­so­phie nou­velle, la phi­lo­so­phie moderne qu’on appelle sub­jec­tive, idéa­liste, tan­dis que la phi­lo­so­phie nor­male, pérenne est objec­tive. Et la foi est objec­tive. Nous croyons non pas parce que nous avons inven­té quelque chose qui nous plai­rait, non pas parce que nous nous serions inven­té un dieu ou une reli­gion. Non ! c’est Dieu qui est un être en dehors de nous, qui est le créa­teur, qui est notre créa­teur, c’est Dieu qui a par­lé. Il a par­lé par les pro­phètes, Il a par­lé par son Fils Notre Seigneur. C’est ce qu’on appelle une foi objec­tive. Elle est en dehors de nous, et pour avoir la foi il faut la rece­voir. Recevoir cette révé­la­tion. C’est Dieu qui parle, Dieu ne peut pas se trom­per et ne peut pas nous trom­per. C’est le fon­de­ment même de l’ac­cep­ta­tion de cette révé­la­tion. Cependant, tout n’est pas simple dans la révé­la­tion. Il y a des véri­tés com­pli­quées. C’est pour­quoi on les appelle des mys­tères. Ces véri­tés nous dépassent. Nous n’a­vons pas de preuve, nous ne pou­vons pas en faire des démons­tra­tions, nous sommes obli­gés d’ac­cep­ter tel que, parce que Dieu l’a dit. L’exemple le plus sai­sis­sant est la sainte hos­tie. Nous voyons avec nos yeux une forme ronde, nous pou­vons sen­tir, nous pou­vons goû­ter, les sens nous disent que c’est du pain. La foi nous dit que les paroles de la consé­cra­tion pro­non­cées – ceci est mon corps -, cela n’est plus du pain, c’est le corps sacré de Notre Seigneur. On se sou­met, il n’y a aucune preuve humaine, aucune démons­tra­tion humaine, il n’y a que cette sou­mis­sion de notre intel­li­gence à l’Intelligence de Dieu qui a par­lé. C’est un exemple qu’il faut étendre à toute la foi. Cette sou­mis­sion est faite à Dieu et elle se pro­longe dans l’Église, parce que cette révé­la­tion doit être trans­mise d’âge en âge, de géné­ra­tion en géné­ra­tion par des créa­tures. Or, les créa­tures de par leur nature humaine sont défi­cientes, aus­si Dieu pour empê­cher cette défi­cience a‑t-​il don­né un pri­vi­lège extra­or­di­naire à l’Église.

Son Église qu’Il a fon­dée unique, l’Église catho­lique a le pri­vi­lège extra­or­di­naire de l’in­failli­bi­li­té afin que cette révé­la­tion soit trans­mise aux autres géné­ra­tions sans erreur et sans dévia­tion. Il est évident que cette garan­tie doit être véri­fiable, elle est liée à des actions humaines. Et il est aus­si évident que le Bon Dieu ne va pas se lier n’im­porte com­ment à des actions humaines, il y aura des condi­tions. Ainsi Il va lier sa Toute Puissance à des paroles pro­non­cées par le prêtre pen­dant la messe. Ce seront les paroles de la consé­cra­tion – et aucune autre – qui enga­ge­ront cette Toute Puissance et qui vont pro­duire un effet extra­or­di­naire. Lorsque Dieu parle ce qu’Il dit pro­duit son effet. C’est la dif­fé­rence entre la parole de Dieu et celle de l’homme. Lorsque Dieu dit : ceci est mon corps, cette parole réa­lise, rend réel ce qu’elle signi­fie. De la même manière que Dieu a dit « Que la lumière soit » et il y a eu la lumière, de la même manière que Notre Seigneur a dit à un aveugle Vois, et il a vu, ou à un lépreux Je le veux, sois gué­ri, et il a été gué­ri, à Lazare qui était mort et entou­ré de ban­de­lettes Sors d’i­ci, et il est sor­ti. Voilà la puis­sance de Dieu ! De la même manière, Dieu va pour ain­si dire s’o­bli­ger à empê­cher toute défi­cience pos­sible par une infailli­bi­li­té à cer­taines condi­tions. Ces condi­tions ont été expo­sées par l’Église et sont au nombre de quatre : il faut dire les chose clai­re­ment et don­ner une défi­ni­tion sur les véri­tés qui concernent la foi et les mours, il faut que le pape parle en tant que tête de l’Église et il faut qu’il oblige les consciences. Si l’un de ces élé­ments fait défaut, l’in­failli­bi­li­té ne sera pas enga­gée. On voit très bien, dans les dif­fi­cul­tés d’au­jourd’­hui, alors que les papes connaissent ces condi­tions presque jamais ils ne veulent en faire usage.

Nous adhérons à la Rome catholique

L’un des évè­ne­ments les plus spec­ta­cu­laires de ce non-​usage de l’in­failli­bi­li­té, c’est le concile Vatican II. De tous les conciles ocu­mé­niques – ocu­mé­nique veut dire catho­lique, uni­ver­sel, c’est-​à-​dire qui réunit les évêques du monde entier – de tous les conciles ocu­mé­niques Vatican II est le seul qui n’a pas vou­lu être dog­ma­tique, qui n’a pas vou­lu trai­ter du dogme. Il sort du lot, il a vou­lu être pas­to­ral. Et plu­sieurs pères conci­liaires dont Mgr Lefebvre sont inter­ve­nus pen­dant le concile pour dire avec insistance :

« Mais défi­nis­sons les termes, ne lais­sons pas des ambiguïtés ».

Et la réponse a été à chaque fois :

« Non pas de défi­ni­tion, nous vou­lons que ce concile puisse être pastoral ».

En soi l’in­failli­bi­li­té est une chose qui nous est très chère, à nous catho­liques, et qui rend la vie par­ti­cu­liè­re­ment facile. Il n’y a plus qu’à croire. Le pape a par­lé, cau­sa fini­ta, c’est réglé. C’est très simple, il n’y a qu’à croire. Et voi­là pour­quoi lorsque cette infailli­bi­li­té ne veut plus s’en­ga­ger, l’on aborde toutes sortes de problèmes.

Ce pre­mier prin­cipe d’at­ta­che­ment à la foi catho­lique, Mgr Lefebvre l’ex­pri­me­ra d’une manière admi­rable le 21 novembre 1974, et l’on peut dire que c’est notre charte encore aujourd’hui, :

« Nous adhé­rons de tout cour, de toute notre âme à la Rome catho­lique, gar­dienne de la foi catho­lique et des tra­di­tions néces­saires au main­tien de cette foi, à la Rome éter­nelle, maî­tresse de sagesse et de vérité ».

Ce texte nous y adhé­rons de tout notre cour. « A la Rome catho­lique » veut dire quelque chose. Cette Rome catho­lique n’est pas une abs­trac­tion, fai­sons très atten­tion ! Cela n’est pas une abs­trac­tion, c’est une réa­li­té. Lorsque Monseigneur dit : Nous adhé­rons à la Rome catho­lique, cela veut dire à la Rome catho­lique aujourd’­hui. Cela n’est pas l’adhé­sion sim­ple­ment à la Rome de Michel Ange ou la Rome de Saint Pierre. C’est la Rome qui existe aujourd’­hui, avec les carac­té­ris­tiques sui­vantes : celle qui est catho­lique, celle qui est gar­dienne de la foi, celle qui main­tient cette foi, cette Rome éter­nelle. Pourquoi par­ler ain­si ? C’est un deuxième prin­cipe de notre action que nous avons com­men­cé à voir en par­lant de l’infaillibilité.

Au sujet du concile, nous abor­dons quelque chose d’i­nouï, de jamais vu. De ces auto­ri­tés aux­quelles tout catho­lique est habi­tué à recon­naître pré­ci­sé­ment l’in­failli­bi­li­té, de cette Église ensei­gnante, de cette maî­tresse de sagesse et de véri­té, bru­ta­le­ment nous sont arri­vés des ensei­gne­ments, des réformes, des pra­tiques qui son­naient mal. Dissonantes, et pire que cela. Tout d’un coup, on se rend compte que ce qui est dit ce sont des erreurs que l’Église a condam­nées. Tout d’un coup, on constate qu’ar­rive au concile une armée d’ex­perts – les théo­lo­giens de réfé­rence – par­mi les­quels nous trou­vons une plé­thore de condamnés.

Ainsi ceux qui feront le concile dans les années 60 sont gros­so modo ceux qui ont été condam­nés dans les années 50. Chose tout à fait éton­nante et vrai­ment inouïe ! Non seule­ment ils seront experts, mais après le concile cer­tains d’entre eux rece­vront même le cha­peau car­di­na­lice en récom­pense de leur émi­nente théo­lo­gie. C’est ce qu’on a vu du car­di­nal de Lubac condam­né en 1950, obli­gé de quit­ter sa chaire d’en­sei­gne­ment à cause de ses erreurs, à cause de son livre sur le sur­na­tu­rel. Yves Congar, lui aus­si, créé car­di­nal pour sa théo­lo­gie émi­nente, qui condam­né en 1952 s’é­tait exi­lé. Et il y en a d’autres. Aux Etats-​Unis, le père de la liber­té reli­gieuse Courtney Murray. En Allemagne, le très fameux Rahner, à moi­tié condam­né ; il est sus­pect et doit pré­sen­ter à Rome tout ouvrage avant publi­ca­tion. Et c’est ain­si que de cette bouche qui devrait être la bouche de véri­té sortent toutes sortes de choses habiles, très habi­le­ment pré­sen­tées, car la plu­part du temps ce ne sont pas des erreurs faci­le­ment dis­cer­nables. S’il y en a tout de même, ce sont en géné­ral des ambi­guï­tés, des mots à double sens. Mgr Weiss, un domi­ni­cain, ira se plaindre pen­dant le concile :

« Mais pour­quoi vous ne dites pas les choses plus clairement ? ».

Mgr Weiss est moder­niste et son inter­lo­cu­teur, un expert, lui répondra :

« Nous nous employons à mettre un maxi­mum d’am­bi­guï­tés dans les textes. Nous tire­rons les consé­quences après ».

C’est ain­si que l’on a pu par­ler de « bombes à retardement ».

Aucune autorité ne peut nous contraindre à diminuer notre foi

Aussi, por­tant juge­ment après le concile, Monseigneur pourra-​t-​il déclarer :

« Nous refu­sons par contre et nous avons tou­jours refu­sé de suivre la Rome de ten­dance néo-​moderniste et néo-​protestante qui s’est mani­fes­tée clai­re­ment dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. Toutes ces réformes, en effet, ont contri­bué et contri­buent encore à la démo­li­tion de l’Église, à la ruine du sacer­doce, à l’a­néan­tis­se­ment du sacri­fice et des sacre­ments, à la dis­pa­ri­tion de la vie reli­gieuse, à un ensei­gne­ment natu­ra­liste et teil­har­dien dans les uni­ver­si­tés, les sémi­naires, la caté­chèse, – ensei­gne­ment issu du libé­ra­lisme et du pro­tes­tan­tisme condam­nés maintes fois par le magis­tère solen­nel de l’Église. Aucune auto­ri­té même la plus éle­vée dans la hié­rar­chie ne peut nous contraindre à aban­don­ner ou à dimi­nuer notre foi catho­lique clai­re­ment expri­mée et pro­fes­sée par le magis­tère de l’Église depuis dix-​neuf siècles ».

Aucune auto­ri­té même la plus éle­vée dans la hié­rar­chie ne peut nous contraindre à aban­don­ner ou à dimi­nuer notre foi catho­lique ! Beaucoup d’entre vous ont vécu cela direc­te­ment, cer­tains avec la litur­gie, d’autres avec une pré­di­ca­tion, un livre, un ensei­gne­ment épis­co­pal qui heur­taient la foi. Et vous vous êtes retrou­vés devant ce choix : soit res­ter dans ce à quoi vous étiez habi­tué, la vie de la paroisse, soit quit­ter pour rejoindre autre chose, rejoindre une équipe de ban­nis, de hon­nis, de condam­nés. C’est un drame formidable !

Et ce drame encore tout récem­ment nous l’a­vons expo­sé à Rome en disant :

« Écoutez, nous ne vous fai­sons pas confiance. Si vous vou­lez un accord, fort bien ! Mais il fau­dra com­men­cer avant de faire un accord à rega­gner cette confiance. Encore aujourd’­hui il y a des fidèles, des reli­gieux, des reli­gieuses, des prêtres qui nous rejoignent à cause de ce scan­dale, parce que dans leur foi, dans leur vie catho­lique, ils ont été cho­qués, heur­tés, bles­sés. Ils savent qui nous sommes lors­qu’ils s’ap­prochent de nous. Nous leur disons « faites atten­tion ! vous ris­quez l’ex­com­mu­ni­ca­tion, la sécu­la­ri­sa­tion., à vous de voir, à vous de choisir ! »

Mais néan­moins ils pré­fèrent ces cen­sures plu­tôt que de res­ter dans la situa­tion où on est en train de les mettre. J’ai conclu auprès des auto­ri­tés romaines en disant :

« Si vous vou­lez rega­gner notre confiance des paroles ne suf­fi­ront pas, il faut des actes. Il faut une reprise en main. Il faut condam­ner ce qu’il faut condam­ner, les héré­sies, les erreurs. Qu’il s’a­gisse de la foi, qu’il s’a­gisse de la morale, de la dis­ci­pline, qu’il s’a­gisse de la litur­gie, il faut que ces actes de condam­na­tion soient connus. Cela dit, il faut aus­si des actes posi­tifs. Il faut que la vie catho­lique qui actuel­le­ment est ren­due impos­sible dans l’Église offi­cielle, que la vie nor­male, tra­di­tion­nelle soit ren­due pos­sible de nou­veau. Et cela ne peut se faire qu’en favo­ri­sant la Tradition ».

J’ai aus­si dit que s’ils vou­laient, s’ils espé­raient quelque chose de nous il fau­drait tra­vailler à enle­ver cette auréole de pes­ti­fé­rés dont on nous entoure. Nous sommes pires que le diable, a‑t-​on par­fois l’im­pres­sion, pour les auto­ri­tés offi­cielles. Eh bien ! il faut que cela change !

Le mystère des deux Rome

Nous tou­chons là vrai­ment à un immense mys­tère. Cette obli­ga­tion de dis­cer­ner, de dis­tin­guer entre une Rome et une autre. C’est un cau­che­mar, et pour­tant c’est une réa­li­té. Il ne s’a­git pas là de dire que nous reje­tons l’Église, que nous renions la foi. Non ! Y aurait-​il des images, des com­pa­rai­sons qui puissent nous aider ? Je pense que oui avec cer­taines mala­dies, comme le can­cer. Que fait cette mala­die ? Le can­cer va uti­li­ser les fonc­tions vitales, les fonc­tions orga­niques de l’être vivant pour pro­duire autre chose, et cette autre pro­duc­tion se fait au-​dedans même de l’or­ga­nisme. Il est dif­fi­cile de dire qu’une tumeur est un corps étran­ger puis­qu’elle se déve­loppe à l’in­té­rieur et pour­tant elle n’a pas sa place dans un corps sain. On pour­rait dire que la crise de l’Église est à cette image : une sorte de can­cer qui a pro­fi­té, qui pro­fite des forces, de l’éner­gie de l’Église, de ses fonc­tions pour pro­duire un corps étran­ger. S’il n’y avait qu’une tumeur on pour­rait prendre un bis­tou­ri et l’ex­traire assez faci­le­ment, mais c’est une sorte de can­cer géné­ra­li­sé qui se trouve par­tout. Dans ce cas on laisse le bis­tou­ri et on essaie d’autres méthodes avec suc­cès peut-​être, sans quoi on aban­donne le malade à sa maladie.

L’Église ne peut pas mou­rir, elle a les pro­messes de la vie éter­nelle. C’est pour cela qu’il ne faut pas la lâcher et qu’il ne faut pas l’a­ban­don­ner, bien que le can­cer soit par­tout. Et même si ce can­cer a défi­gu­ré Rome, la Rome éter­nelle, la Rome catho­lique, même si on ne la voit plus, il faut la cher­cher. Certes celle que l’on voit est celle qui s’é­gare. Si on l’é­coute, si on lit les textes offi­ciels, on ne trouve pas sou­vent cette Rome éter­nelle, catho­lique. La dis­tinc­tion n’est pas simple. Encore une fois, ce serait si simple de prendre le bis­tou­ri. Eh bien non ! elles sont entre­mê­lées, cette vraie, cette fausse – on peut dire cette fausse – Église qui a comme sup­plan­té la vraie sans pou­voir la faire dis­pa­raître. La vraie Rome reste là mais comme par dessous.

C’est le mys­tère d’une mala­die invrai­sem­blable qui a été recon­nue par les papes qui ont eux-​mêmes cau­sé cette mala­die. Oui, ceux qui l’ont cau­sée l’ont dénon­cée. Paul VI se lamente sur cette « auto-​démolition de l’Église », et pointe du doigt « la fumée de Satan » qui a péné­tré dans le Temple saint par quelques fis­sures. Ce ne sont pas de petites phrases. Ce sont des énor­mi­tés. Satan dans l’Église ! l’Église que nous pro­fes­sons sainte. Paul VI l’a dit, dans des textes offi­ciels ! En pri­vé, il se demande si nous ne sommes pas arri­vés à la fin des temps. Il le déclare à Jean Guitton. Il se demande si ce n’est pas l’Apocalypse. Il va aller jus­qu’à dire qu’il est bien pos­sible qu’une pen­sée qui n’est pas catho­lique triomphe un jour dans l’Église, tout en gar­dant assez d’es­pé­rance pour affir­mer : Mais ce n’est pas l’Église, il res­te­ra tou­jours quelque chose aus­si infi­ni­té­si­mal que ce soit, aus­si infime que ce soit. Il res­te­ra quelque chose. L’Église va sur­vivre. Et c’est Paul VI qui dit tout cela. Jean Paul II, à sa suite, en 1982 dans un texte public va se lamen­ter sur le fait que dans l’Église les héré­sies sont répan­dues à pleines mains. Les héré­sies répan­dues à pleines mains ! Voyez-​vous nous ne sommes pas les seuls à dénon­cer un pro­blème, et pas un petit pro­blème, dans l’Église.

Il est évident que devant cet état de fait nous sommes obli­gés, et tout catho­lique est obli­gé de prendre des mesures. Des mesures pro­tec­trices de toutes sortes pour gar­der la foi, pour gar­der la foi de sa famille, de ses enfants. Ici je parle du fidèle, mais on peut éga­le­ment par­ler du prêtre, et de l’é­vêque. Chacun à sa place se trouve devant un pro­blème de conscience inouï, jamais vu. Chacun est comme lais­sé tout seul devant ce choix qui sera un choix per­son­nel. Il doit se déci­der : ou conti­nuer avec le risque de l’er­reur ou reje­ter ce risque et don­ner l’im­pres­sion de se déta­cher de l’Église. Bien sûr, jamais nous ne vou­lons quit­ter l’Église ! Et pour­tant toutes les appa­rences disent que nous n’a­vons plus grand chose à faire avec ce qui se pré­sente encore comme l’Église. Où est la vraie, où est la fausse ? Encore une fois, pro­blème tra­gique, énorme.

La Fraternité Saint Pie X est une roue de secours.

Transmission de la foi, école, caté­chisme des enfants, for­ma­tion des nou­veaux prêtres, litur­gie, dis­ci­pline, morale . face à tout cela, on peut dire devant tout ce qui nor­ma­le­ment était reçu sans dif­fi­cul­té, cha­cun est lais­sé seul et doit faire un choix. Nous avons des exemples, nous pour­rions les mul­ti­plier, je vous en donne un qui montre com­ment les pas­teurs dis­persent leurs bre­bis. L’histoire que je vous rap­porte se passe au Danemark, mais je suis sûr que c’est l’his­toire d’à peu près tout le monde. Un doc­teur, méde­cin catho­lique, met ses enfants dans la seule école catho­lique du Danemark, parce qu’il tient à l’é­du­ca­tion catho­lique de ses enfants. C’est si impor­tant. C’est même un devoir, une obli­ga­tion tel­le­ment grave qu’au­tre­fois l’an­cien droit canon excom­mu­niait les parents qui n’au­raient pas don­né cette édu­ca­tion catho­lique dans le cadre d’un mariage mixte, un mariage avec une per­sonne d’une autre reli­gion. Explicitement, le droit cano­nique pré­voyait l’ex­com­mu­ni­ca­tion pour la par­tie catho­lique qui ne pren­drait pas les mesures néces­saires pour que ses enfants soient édu­qués d’une manière catho­lique. Ce méde­cin danois met donc ses enfants à l’é­cole catho­lique. Et dans cette école catho­lique, que se passe-​t-​il ? eh bien ! tout le contraire de ce qui devrait se pas­ser : édu­ca­tion immo­rale, édu­ca­tion sexuelle. Ce bon père de famille se démène. Il va voir d’a­bord les auto­ri­tés de l’é­cole, le maître bien sûr, le direc­teur, le prêtre, l’é­vêque. Rien n’y fait. Il consti­tue un dos­sier. Il l’en­voie à Rome. Après quelques mois vient la réponse de Rome. Le car­di­nal pré­sident du Conseil pon­ti­fi­cal pour la famille donne rai­son à ce père de famille : Oui, ces docu­ments que vous m’a­vez adres­sés sont scan­da­leux. Il est abso­lu­ment inad­mis­sible que dans une école catho­lique on puisse don­ner un tel ensei­gne­ment. Et la lettre du car­di­nal conclut : Mais je ne peux rien faire. Alors voi­ci ce que je vous conseille unissez-​vous à d’autres fidèles, trouvez-​les autour de vous et conti­nuez le com­bat. Ce méde­cin m’a dit : C’est comme la bre­bis qui va voir le pas­teur en lui disant qu’il y a un loup, et le pas­teur lui répond : Moi je ne peux rien faire. Alors vous, les bre­bis, unissez-​vous entre vous et sus au loup ! Allez atta­quer le loup !

Parmi ces regrou­pe­ments de for­tune, on peut comp­ter l’ouvre de Mgr Lefebvre. C’est un de ces regrou­pe­ments de for­tune devant cette faillite géné­rale. On peut dire en regar­dant les fruits de cette ouvre que cela semble être une réponse pro­por­tion­née à la crise. Des âmes au moins pour­ront être pré­ser­vées, pour­ront conti­nuer à vivre cette vie catho­lique dans un monde en déroute.

Évidemment cela peut don­ner une impres­sion de concur­rence avec la hié­rar­chie romaine, mais en même temps nous sommes tenus par notre foi qui nous fait recon­naître que Rome existe. Nous recon­nais­sons qu’il y a un pape. Et par là même nous sommes obli­gés de recon­naître l’ordre éta­bli par Dieu. Car c’est Dieu qui a fait son Église. C’est Dieu qui lui a don­né sa consti­tu­tion et nous ne pou­vons pas faire tout ce que nous vou­lons. Je connais un prêtre – c’est lui qui me l’a dit – qui est allé voir le Bon Dieu en lui disant : Mon Dieu, ce n’est pas juste, nous on n’a pas le droit de taper en des­sous de la cein­ture, tan­dis que les enne­mis eux ont tous les coups per­mis ! C’est un peu cela.

Nous ne pou­vons pas tout faire. Nous sommes limi­tés dans notre action. Par exemple, nous disons que nous n’a­vons pas de juri­dic­tion ordi­naire. Car cela reste dans les mains du pape, dans les mains des évêques. Ce que nous pou­vons faire et ce que nous fai­sons, c’est du secours, c’est le tra­vail du bon Samaritain. C’est à dire que l’on va là où on a lais­sé les âmes sans secours, les âmes qui ont droit à ce qu’on s’oc­cupe d’elles, au moins au nom de la cha­ri­té. L’Église heu­reu­se­ment trans­cende les hommes qui la com­posent. Il y a dans ses prin­cipes qu’elle est faite pour sau­ver. Dieu a fait l’Église pour sau­ver les âmes. Et ain­si à côté des lois, disons habi­tuelles, il y a les grands prin­cipes de l’Église. Ces grands prin­cipes nous disent que s’il peut arri­ver que cer­taines dis­po­si­tions des lois deviennent nui­sibles en rai­son de cer­taines cir­cons­tances, il ne faut pas se lais­ser contraindre par ces dis­po­si­tions nui­sibles. Il faut recou­rir aux prin­cipes supé­rieurs. Et dans ces cas là, l’Église sup­plée. Un exemple extrê­me­ment tou­chant de cette sup­pléance de l’Église, c’est celle du dan­ger de mort. Lorsque l’on s’en tient aux lois habi­tuelles, nor­males de l’Église, si un prêtre a com­mis des fautes graves, le Droit canon nous dit qu’il est excom­mu­nié, mais ce prêtre garde son carac­tère sacer­do­tal, il est prêtre pour tou­jours, tou­te­fois étant excom­mu­nié il n’a pas le droit d’exer­cer son sacer­doce. Par exemple un prêtre ortho­doxe, donc non catho­lique, mais dont l’Église catho­lique recon­naît la vali­di­té du sacer­doce, un prêtre ortho­doxe est un vrai prêtre. Mais évi­dem­ment, on n’au­rait pas l’i­dée d’al­ler voir un prêtre ortho­doxe pour rece­voir les sacre­ments. Il est excom­mu­nié, il est en dehors de la com­mu­nion de l’Église. Il n’est pas catho­lique. On ne va pas s’a­dres­ser à lui. Mais l’Église nous dit : si vous êtes en dan­ger de mort, ce sont là vos der­niers ins­tants sur terre, ce qui compte avant tout et plus que tout c’est que vous soyez sau­vé. A cet instant-​là l’Église oublie toutes les cen­sures, toutes les excom­mu­ni­ca­tions et nous dit : si vous ne trou­vez per­sonne d’autre que ce prêtre ortho­doxe, eh bien ! appelez-​le. Il vous don­ne­ra l’ab­so­lu­tion, les der­niers sacre­ments non seule­ment d’une manière par­fai­te­ment valide, mais aus­si licite. Vous êtes en ordre devant Dieu et l’Église. Pourquoi ? parce que la pre­mière loi, celle qui compte avant toutes les autres, c’est que cette âme soit sauvée.

. ..dans un état de nécessité spirituelle

Et c’est sur ce prin­cipe que nous basons notre action. Des morts il y en a de plu­sieurs sortes. Il y a bien sûr la mort phy­sique, celle-​là n’est pas trop dif­fi­cile à com­prendre. Il y en a une autre, la mort morale. Les âmes aujourd’­hui sont tel­le­ment désem­pa­rées, elles ne trouvent plus de prêtre, et pour­tant elles ont besoin de ce sou­tien de la grâce, de la foi. C’est pour­quoi sans hési­ter, mal­gré toutes les condam­na­tions, nous nous appro­chons des âmes. Et l’Église, je dis bien l’Église, la vraie, daigne uti­li­ser ces roues de secours que nous sommes pour vous appor­ter la grâce, pour vous sanc­ti­fier, pour vous sau­ver. Lors de l’au­dience avec le Saint Père, le 29 août der­nier, Benoît XVI a fait la liste des pro­blèmes que, selon lui, la Fraternité pose. Et le pre­mier pro­blème qu’il a évo­qué a été ce qu’il appe­lait l’o­béis­sance, la sou­mis­sion, la recon­nais­sance du pou­voir du pape. Il a conti­nué en pré­ci­sant : « Vous n’a­vez pas le droit de jus­ti­fier votre action au nom de l’é­tat de néces­si­té ». Parce qu’ef­fec­ti­ve­ment ce que je viens de vous décrire, cet état de risque de mort spi­ri­tuelle, c’est ce que l’on appelle l’é­tat de néces­si­té. Les membres du cler­gé offi­ciel, ceux qui devraient faire leur tra­vail ne le font plus, alors nous venons au secours des âmes. C’est bien un état de néces­si­té. Et le pape de nous dire : Vous n’a­vez pas le droit de baser votre action sur un état de néces­si­té. La rai­son qu’il donne à cette inter­dic­tion d’u­ti­li­ser le cas de la néces­si­té est la sui­vante : J’essaie, me dit-​il, de résoudre les pro­blèmes. Nous nous en réjouis­sons, mais dans le même temps ces paroles jus­ti­fient par­fai­te­ment ce que nous fai­sons, parce que d’une part le recon­naît ain­si qu’il y a des pro­blèmes, et d’autre part puis­qu’il essaie de les résoudre c’est qu’il ne les a pas encore réso­lu. Donc il y a vrai­ment état de néces­si­té.

Et de fait, dans la suite de l’en­tre­tien, à un cer­tain moment, le pape lui-​même me dira sur un mode dubi­ta­tif, il est vrai, mais c’est lui qui en par­le­ra : Il fau­drait voir s’il n’y a pas état de néces­si­té en France et en Allemagne. Pourquoi ces deux pays ? Pourquoi ceux-​là plu­tôt que d’autres ? Pour moi qui fais le tour du monde, je vous avoue que je ne voie pas grande dif­fé­rence entre la France, l’Allemagne, l’Argentine, la Russie, la Chine, le Japon, les Philippines ou l’Australie. Si l’on peut se poser la ques­tion de l’é­tat de néces­si­té à pro­pos de ces deux pays, nous sommes prêts à étendre le débat et à aller plus loin. C’est fort inté­res­sant parce que cela montre que le pape actuel recon­naît qu’il y a des pro­blèmes gra­vis­simes dans l’Église. Il recon­naît qu’il y a une crise dans l’Église. Ceux qui l’ont pré­cé­dé ont dit la même chose, c’est vrai, puis­qu’ils ont par­lé de la fumée de Satan, et d’hé­ré­sies répan­dues à pleines mains. Mais Benoît XVI nous dit que il fait des efforts pour résoudre les pro­blèmes. Nous nous en réjouis­sons, mais encore une fois nous atten­dons les actes.

Un autre prin­cipe qui guide notre action à pro­pos de cette dif­fi­cul­té que nous avons à dis­tin­guer entre la vraie et la fausse Rome, c’est la néces­si­té d’une connais­sance du ter­rain humain, et – je vais plus loin – c’est la néces­si­té d’ap­pré­hen­der le réel tel qu’il est. Lorsqu’on observe la psy­cho­lo­gie humaine, on sait bien que l’homme a une ten­dance assez pous­sée à colo­rer ses juge­ments en fonc­tion de ses sen­ti­ments. Quand on aime quel­qu’un on lui par­donne faci­le­ment à peu près tout, mais quand on en a contre quel­qu’un on ne lui laisse pas pas­ser une vir­gule. C’est un petit exemple, mais que l’on peut appli­quer ici. Ainsi donc nous qui nour­ris­sons une méfiance extrême envers les auto­ri­tés aujourd’­hui, nous allons tout scru­ter avec cette ten­dance ; c’est nor­mal et com­pré­hen­sible. Le dan­ger est qu’au moment où des actes sont posés et parce qu’ils ne sont pas suf­fi­sam­ment clairs, on les inter­prète dans un sens plu­tôt que dans l’autre. Et on peut alors faire des erreurs. Il nous faut donc beau­coup de lumière car il n’est pas évident de voir clair dans ce jeu. Ainsi on voit des fidèles qui aime­raient tout sim­ple­ment tour­ner la page, tirer le rideau sur la Rome d’au­jourd’­hui : on place tout le monde dans l’hé­ré­sie, on met tout le monde hors de l’Église, et comme cela c’est beau­coup plus facile, il n’y a plus que nous ! Manifestement cela n’est pas la réa­li­té. Manifestement il y a encore des âmes catho­liques dans l’Église offi­cielle et à Rome. Cette solu­tion qui consiste à dire qu’il n’y a plus de pape, qu’il n’y a plus d’é­vêque, et tout le monde au panier, ce n’est pas la solu­tion. D’ailleurs ceux qui ont adop­té cette ligne de conduite ont main­te­nant à peu près une ving­taine de papes. Cela ne résout abso­lu­ment pas la crise de l’Église, et ce n’est pas ce che­min que nous sui­vons. Notre ligne est celle-​ci : à cause d’une expé­rience quo­ti­dienne, nous sommes obli­gés d’ob­ser­ver une réserve extrême envers la hié­rar­chie, car nous ne vou­lons pas cou­rir le risque de périr spi­ri­tuel­le­ment, sur ce plan nous n’a­vons pas le droit à l’er­reur. Ce qui explique un retrait, un retrait néces­saire de nos ouvres par rap­port à la vie de l’Église offi­cielle. C’est une ques­tion de pru­dence, mais une pru­dence qui doit doser deux élé­ments : la foi qui réclame que nous recon­nais­sions l’Église, l’Église qui n’est pas morte parce qu’elle a les pro­messes de la vie éter­nelle ; cette foi qui nous oblige à recon­naître que le pape est vrai­ment pape, que l’Église sera visible jus­qu’à la fin des temps. Ainsi le concile Vatican I dans un de ses canons nous oblige à croire qu’il y aura un suc­ces­seur de Pierre jus­qu’à la fin des temps. Et l’autre élé­ment, cette méfiance. – D’un côté, à cause de la foi, l’es­pé­rance de voir l’Église se rele­ver et, de l’autre côté, cette méfiance.

Qu’est-​ce qui a changé avec Benoît XVI ?

C’est dans cette situation-​là qu’ar­rive un nou­veau pape. Est-​ce que l’a­vè­ne­ment de Benoît XVI a chan­gé quelque chose ? oui et non. Qu’est-​ce qui a chan­gé ? du côté des hommes ? du côté du concile ? du côté des direc­tives ? – Rien. Mais alors qu’est-​ce qui a chan­gé ? – Un état d’es­prit. Il y a, avec l’a­vè­ne­ment de ce nou­veau pape, un peu par­tout dans l’Église une attente. C’est très clair. Il y a comme une espé­rance. On attend. On attend un mieux. Et cet état d’es­prit se mani­feste, si je regarde Rome, par le fait que les conser­va­teurs dans la curie reprennent cou­rage, se réjouissent, sont pleins d’es­pé­rance, et qu’au contraire les pro­gres­sistes grincent des dents. Le cli­mat – mais ce n’est pas facile à décrire un cli­mat – a chan­gé à Rome : on regarde la Tradition avec un oil plus favo­rable. Mais il n’y a jus­qu’i­ci aucun acte clai­re­ment posé, beau­coup de bruits, d’an­nonces. Je vous en donne quelques-​uns en pré­ci­sant bien qu’il ne s’a­git que de bruits pro­ve­nant de la curie, qui ne sont jus­qu’à pré­sent que des plans, des idées qui ver­ront ou ne ver­ront jamais leur réa­li­sa­tion. Dieu seul le sait. A pro­pos de la libé­ra­li­sa­tion de la messe, même par­tielle, je peux vous assu­rer, avec les élé­ments qui sont en notre pos­ses­sion, que des per­sonnes très bien pla­cées dans la curie s’at­ten­daient à un décret à la fin du synode des évêques, mais il y a eu une action des pro­gres­sistes assez vio­lente qui en a empê­ché la publi­ca­tion. Cette action a été conduite par les bugni­nistes – les dis­ciples de Bugnini, celui qui a fait la nou­velle messe -, elle a été menée par l’an­cien secré­taire de la Congrégation du culte divin qui a pas­sé son été à rédi­ger une note. Cette note de sept pages a été signée aus­si par le pré­fet de la Congrégation du culte, le car­di­nal Arinze. Il s’a­git d’une note pri­vée, mais avec numé­ro pro­to­co­laire de la Congrégation, qui a été remise au pape. Et ce docu­ment disait : Vous n’a­vez pas le droit de libé­rer la messe parce qu’elle a été abo­lie. Devant cette manouvre, mani­fes­te­ment le pape a recu­lé et a retar­dé son décret. Nous en sommes tou­jours là. Pas tout à fait, parce que l’au­teur de la note, entre temps, a sau­té. Il se retrouve main­te­nant arche­vêque d’Assise. Pauvres gens d’Assise !

Nous en avons par­lé de cette note avec le car­di­nal Castrillon Hoyos, et la manière dont il réagis­sait mon­trait très clai­re­ment qu’il y a quelque chose en voie et qu’il est tenu au secret. C’est une des grandes lignes de conduite du pape actuel : per­sonne ne sait rien et tout le monde est frus­tré , les car­di­naux les pre­miers. C’est le mode de faire du pape actuel. Il ne dit rien, et c’est pro­ba­ble­ment mieux. Dans ces condi­tions nous sommes réduit à des conjec­tures. Nous avons cepen­dant quelques élé­ments. A quoi faut-​il s’at­tendre ? qu’est-​ce qui va venir ? qu’est-​ce qui ne va pas venir ? qu’est-​ce qu’il va faire ? qu’est-​ce qu’il ne fera pas ? Beaucoup, beau­coup de ques­tions ouvertes. Une chose est sûre, et c’est déjà un point très inté­res­sant, c’est que les pro­gres­sistes sont contre. Une manière de juger une situa­tion, c’est de voir ce que pense l’en­ne­mi. Eh bien ! l’en­ne­mi est contre, et actuel­le­ment il a mis au point sa stra­té­gie par rap­port au pape actuel. Elle consiste à dire que le pape est vieux, qu’il ne dure­ra pas long­temps et qu’on attend le pro­chain. En atten­dant, on bloque les dos­siers impor­tants, on freine et on fait de l’obs­truc­tion. Résistance pas­sive. Voilà la manière de faire, la manière adop­tée par les pro­gres­sistes devant le pape actuel.

Donc « quelque chose » au sujet de la messe est en pré­pa­ra­tion. Vous en dire plus ? il y a beau­coup d’in­con­nus. Qu’est-​ce qui va réel­le­ment être fait ? mys­tère ! Un bruit assez sérieux nous dit qu’il n’y aura pas de libé­ra­tion totale de la messe au moins pour l’ins­tant. A la longue on pour­rait y arri­ver, mais avant le pape veut créer un cli­mat, parce que libé­rer la messe comme cela pro­vo­que­rait trop d’op­po­si­tion et n’a­bou­ti­rait à rien.

Vers une discussion doctrinale ?

A pro­pos des com­mu­nau­tés Ecclesia Dei, Fraternité Saint Pierre, Christ Roi et autres., il y a éga­le­ment une idée en ges­ta­tion qu’on nous annonce depuis assez long­temps, mais rien ne se passe. L’idée existe bien, mais je subo­dore que jus­qu’i­ci on n’est pas encore pas­sé ou ne va pas encore pas­ser à l’ac­tion, car on veut d’a­bord ren­for­cer ces socié­tés. Déjà avant ce pon­ti­fi­cat, depuis au moins une année, on réflé­chit sérieu­se­ment c’est-​à-​dire concrè­te­ment à l’é­la­bo­ra­tion d’une struc­ture qui per­mette un déve­lop­pe­ment plus facile aux com­mu­nau­tés et donc aux fidèles qui veulent l’an­cienne messe. Je ne parle pas ici de la Fraternité Saint Pie X, mais des autres socié­tés qui dépendent de la Commission Ecclesia Dei. Et cela parce qu’on se rend bien compte que les livrer sim­ple­ment au bon vou­loir des évêques ne pro­duit à peu près aucun fruit. Même à Rome on est pas­sa­ble­ment déçu de voir com­ment les évêques obéissent et sur­tout n’o­béissent pas au pape. Donc on a sérieu­se­ment l’in­ten­tion de don­ner un peu plus de liber­té à ces fidèles et aux socié­tés Ecclesia Dei. La struc­ture pré­co­ni­sée serait du genre de celle de Campos, c’est-​à-​dire pro­ba­ble­ment plu­sieurs admi­nis­tra­tions apos­to­liques à tra­vers le monde, avec à Rome même un ren­for­ce­ment de la Commission Ecclesia Dei pour don­ner plus de poids à cette struc­ture. C’est com­pré­hen­sible lors­qu’on sait que Benoît XVI a une cer­taine sym­pa­thie pour l’an­cienne messe et n’aime pas trop la nou­velle. Donc on peut com­prendre, il l’a déjà suf­fi­sam­ment expri­mé avant d’être pape, on peut com­prendre qu’il veuille lais­ser plus de champ d’ac­tion à l’an­cienne messe. Et ce n’est pas une uto­pie de pen­ser qu’à un cer­tain moment cela sera réa­li­sé. Être plus pré­cis, je ne peux pas. Je n’en sais rien.

Il y aura aus­si des chan­ge­ments à Rome, et si le pape veut vrai­ment faire quelque chose, il doit com­men­cer par là. Il doit mettre en place dans la curie aux postes clés un cer­tain nombre de per­sonnes qui sou­tiennent sa volon­té de réforme. Si vous vou­lez, c’est un peu sché­ma­tique, mais on pour­rait défi­nir ain­si notre pape Benoît XVI : une tête mal for­mée par une phi­lo­so­phie moderne, libé­rale, par­fois moder­niste, et un cour conser­va­teur. Ce qui fait que lors­qu’il s’a­git de poser des actes concrets, on aura quel­qu’un de rela­ti­ve­ment proche de nous, lors­qu’il s’a­gi­ra de pro­cla­mer, d’ex­pli­quer, de décla­rer on aura quel­qu’un d’as­sez loin de nous. Pendant l’au­dience, par exemple, il était très clair que le grand point d’a­chop­pe­ment ce sera le concile. Benoît XVI est vrai­ment un pape du concile. Je vais plus loin, pen­dant la dis­cus­sion ce n’é­tait pas expli­cite, mais c’é­tait clair, on avait vrai­ment l’im­pres­sion que le pape actuel ne conçoit pas un catho­lique qui ne soit imbu de l’es­prit de Vatican II. C’était impres­sion­nant, et je crois que ce sera vrai­ment le grand point de dis­corde. Sur le plan de la litur­gie, j’ai l’im­pres­sion que nous arri­ve­rons à quelque chose, mais il res­te­ra cette dis­corde doc­tri­nale. Est-​ce que nous arri­ve­rons jamais à dis­cu­ter ? jus­qu’i­ci Rome a pra­ti­que­ment tou­jours refu­sé la dis­cus­sion. Il y a eu certes la pré­sen­ta­tion des dubia sur la liber­té reli­gieuse du temps de Mgr Lefebvre, mais depuis il n’y a pas eu d’en­trée en matière. Nous avons tou­jours essayé d’a­me­ner le débat. Actuellement nous en sommes à un point où je pense qu’un tel débat pour­rait être bien­tôt pos­sible. Je n’ex­clus pas dans les mois qui viennent qu’on arrive à cette dis­cus­sion. Il faut com­prendre, et c’est très impor­tant, que Rome en fait ne nous traite pas comme des gens qui seraient en dehors de l’Église. Elle ne nous traite pas comme elle traite, dans le cadre de l’o­cu­mé­nisme, ceux qui sont en dehors, schis­ma­tiques ou héré­tiques. A ceux-​là on pro­pose le dia­logue, mais pas de dia­logue avec nous. La dis­cus­sion ne peut être, aux yeux des auto­ri­té romaines, que celle de l’é­lève avec son pro­fes­seur, de l’en­sei­gné avec l’en­sei­gnant ; Rome étant l’Église ensei­gnante, et nous les ensei­gnés. Un prêtre est allé voir cer­tains car­di­naux pour leur dire : Mais pour­quoi ne discutez-​vous pas avec la Fraternité ? La réponse a été : Mais parce que ce serait une dis­cus­sion d’é­gal à égal, cela ne va pas. – Et, en soi, c’est vrai que cela ne va pas, pour­tant les pro­blèmes sont là et il fau­dra bien les traiter.

« Ni hérétiques, ni schismatiques » selon le cardinal Castrillon Hoyos

Récemment le car­di­nal Castrillon Hoyos, celui qui a été man­da­té expli­ci­te­ment par le pape pour s’oc­cu­per de la Fraternité, son délé­gué offi­ciel, a décla­ré publi­que­ment au cours d’une inter­view à la télé­vi­sion ita­lienne Canal 5, le dimanche 13 novembre à 9 heures du matin : « La Fraternité n’est pas héré­tique ». Et il a conti­nué : « En pre­nant les mots au sens strict et pré­ci­sé­ment, on ne peut pas dire que la Fraternité est schis­ma­tique ». Donc la Fraternité n’est ni héré­tique ni schis­ma­tique. Voilà ce qui est dit non pas dans un docu­ment offi­ciel, mais au moins publi­que­ment par le repré­sen­tant du pape sur notre situa­tion. Il a pour­sui­vi en disant de nous : « Ils sont dedans ». Si nous ne sommes pas schis­ma­tiques, nous sommes dans l’Église, et donc on ne peut pas par­ler de com­mu­nion impar­faite parce que la com­mu­nion existe. Alors il fau­drait plu­tôt par­ler, dit-​il, de recherche d’une com­mu­nion plus par­faite. C’est rela­ti­ve­ment récent. C’est un lan­gage, je crois, un peu nou­veau. Nous ver­rons com­ment les choses vont se pour­suivre. A l’au­dience, pour la résu­mer, le pape a com­men­cé par poser la ques­tion au car­di­nal Castrillon qui était pré­sent : Où en sommes-​nous ? quel est l’é­tat des choses ? Et la car­di­nal a répondu

: « Très Saint Père, tout est en ordre. Il n’y a plus de pro­blème, vous n’a­vez plus qu’à régler, faire la sana­tio, et tout est en ordre ».

Ensuite le pape m’a posé la même ques­tion et j’ai dû frei­ner un peu en disant : Très Saint Père, je par­tage tota­le­ment votre per­cep­tion de la situa­tion de l’Église lorsque vous dites que c’est une tra­gé­die, et l’une des mani­fes­ta­tions de cette tra­gé­die est que la vie tra­di­tion­nelle est impos­sible dans l’Église offi­cielle. On ne peut plus vivre catho­li­que­ment, ceux qui essaient se font cou­per la tête. Bien sûr, je ne l’ai pas dit comme cela au pape, mais je lui ai expli­qué com­ment un prêtre nous avait rejoint en Argentine, un jeune curé qui ne pou­vait plus vivre sa vie de prêtre dans sa paroisse entre les parois­siens et l’é­vêque qui lui ren­daient la vie tel­le­ment impos­sible qu’il ne pou­vait plus. Il s’est trou­vé devant des pro­blèmes de conscience, tout comme une reli­gieuse du couvent à côté de Menzingen à qui il était deve­nu impos­sible de vivre sa vie reli­gieuse. Je n’a­vais pas besoin d’al­ler cher­cher trop loin des exemples pour expli­quer au saint père que cette simple vie catho­lique n’est plus pos­sible. Il faut d’a­bord la rendre pos­sible avant d’ar­ri­ver à un quel­conque accord. Et c’est à ce moment que j’ai pro­po­sé l’i­dée de pro­cé­der par étapes. Évidemment notre per­cep­tion des choses est un peu dif­fé­rente de celle de Rome. Lorsque nous disons qu’il faut pro­cé­der par étapes cela veut dire : pour que l’Église revienne à la Tradition, pour que l’Église rede­vienne ce qu’elle était, tout sim­ple­ment. Ce serait bien beau si tout se fai­sait en un ins­tant, mais en géné­ral, quand il y a des hommes, cela met plus long­temps, cela passe pré­ci­sé­ment par un cer­tain nombre d’é­tapes. Du côté de Rome on est d’ac­cord pour par­ler d’é­tapes, mais dans un autre sens : Que la Fraternité réin­tègre par étapes l’Église. Cela n’est pas exac­te­ment la même chose, il est vrai, mais il y a un cer­tain ter­rain com­mun où l’on peut dire à Rome : Réintroduisez la messe, lais­sez cette liber­té à la messe, enlevez-​nous cette auréole de pes­ti­fé­rés, car cela pour­ra faire du bien à l’Église. Nous avions pro­po­sé dès le début, je ne sais pas si vous vous sou­ve­nez, dès le début en 2000. Nous avions dit à Rome : Avant de dis­cu­ter, avant d’al­ler plus loin, il faut des préalables.

Ces préa­lables, nous en avions don­né deux : c’é­tait la liber­té de la messe, la liber­té pour tous les prêtres, nous l’a­vons déjà nous, ce n’est pas pour nous. Et, puisque l’on uti­lise tou­jours cette excom­mu­ni­ca­tion comme un épou­van­tail pour faire peur aux gens et pour limi­ter le bien que l’on pour­rait faire, que l’on enlève cet épou­van­tail. Jusqu’ici Rome avait tou­jours refu­sé. Je pense qu’a­vec le nou­veau pape on est en train d’y réflé­chir. Je crois que Rome n’ex­clut plus l’i­dée que nous avions pro­po­sé au départ qui était celle de créer une nou­velle situa­tion pour la Fraternité où elle ne serait enga­gée abso­lu­ment en rien envers les nou­veau­tés. Nous res­tons tels que nous sommes mais, si on peut dire, débar­ras­sées de ces quo­li­bets, de ces éti­quettes qui font peur. Tout en disant à Rome : Pendant ce temps-​là, tout sim­ple­ment, vous nous regar­dez faire. Vous ne vous enga­gez à rien vous non plus, vous regar­dez et vous lais­sez cette liber­té de la messe. Pourquoi ? Parce que c’est un droit de l’Église. A Rome, ce droit de la messe est recon­nu sauf par l’ar­che­vêque Sorrentino qui vient de sau­ter. C’est vrai­ment l’a­vis com­mun que l’an­cienne messe n’a jamais été inter­dite ou abro­gée. Le car­di­nal Medina l’a dit plu­sieurs fois dans cer­tains entre­tiens ces der­niers temps, depuis quelques mois. Mais nous avons plu­sieurs textes, plu­sieurs témoi­gnages qui montrent que c’est vrai­ment la thèse commune.

A Rome on recon­naît que l’an­cienne messe n’a jamais été inter­dite. Et si elle n’a jamais été inter­dite, pour­quoi n’est-​elle pas per­mise ? En fait, elle n’a même pas besoin d’être per­mise. Si elle n’a jamais été inter­dite, elle est. Elle est de plein droit. Rite de l’Église, tout prêtre a le droit de la dire. Mais voi­là les pro­gres­sistes ont réus­si à créer une ambiance de ter­reur autour de la messe. Et d’ailleurs ils savent très bien, les pro­gres­sistes, que si on lâche un peu trop la messe, ce sont toutes les réformes qui sont remises en cause. Pourquoi ? parce qu’il y a dans l’an­cienne messe une force, une puis­sance de grâces qui réclame la foi, qui réclame la morale, la dis­ci­pline chré­tienne. Cela les pro­gres­sistes le savent et ils en ont peur. Ils ont une peur bleue de perdre leurs réformes si on lâchait la messe. Raison de plus pour nous d’y tra­vailler ! Tout n’est pas dans la messe bien évi­dem­ment, mais ce serait un pas important.

Des évêques, des prêtres demandent la liberté de la messe tridentine

Il faut ajou­ter à tout cela, à côté de ce tra­vail dif­fi­cile auprès des auto­ri­tés romaines, qu’il y a des fruits plus évi­dents et plus conso­lants, à un autre niveau, qui montrent bien que notre action n’est pas sté­rile. C’est au niveau des évêques, au niveau des prêtres. Nous essayons de ren­con­trer plu­sieurs évêques, de leur don­ner des docu­ments pour les faire réflé­chir. Et au niveau des prêtres, je ne serais pas éton­né si tout d’un coup, au moins loca­le­ment, on assis­tait à des sortes d’a­va­lanches. On n’en est pas encore là et je sais bien qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’a­voir tué, néan­moins nous assis­tons à des phé­no­mènes assez éton­nants. Je ne vous donne pas de noms de lieux, cela risque d’être trop dan­ge­reux pour ceux qui peuvent être recon­nus, mais je peux vous assu­rer que dans pas mal de pays nous avons des rela­tions avec des prêtres, sur­tout de jeunes prêtres qui com­mencent à s’or­ga­ni­ser entre eux. Dans cer­tains lieux ils essaient d’in­fluen­cer l’é­vêque, dans d’autres, à l’in­su de l’é­vêque, ils réap­prennent l’an­cienne messe. Dans cer­tains lieux ce sont les évêques eux-​mêmes qui cherchent cette évo­lu­tion. J’ai le témoi­gnage du car­di­nal Castrillon lui-​même, res­pon­sable d’Ecclesia Dei, pour qui que le nombre d’é­vêques deman­dant l’an­cienne messe croît de plus en plus. C’est un mou­ve­ment qui aug­mente. Je l’ai enten­du récem­ment de cinq évêques espa­gnols qui ont deman­dé au pape la liber­té de la messe. Il y en a aus­si en Italie. Il com­mence aus­si en France à y en avoir. Ce sont des mou­ve­ments extrê­me­ment dis­crets jus­te­ment à cause de cette ter­reur qui règne encore. Sommes-​nous proches d’un déclic qui pour­rait pro­vo­quer une ava­lanche ? Ces jours-​ci je vais rece­voir une péti­tion de deux cents prêtres qui me demandent de por­ter leurs sou­haits, leurs demandes à Rome. Deux cents prêtres.

Tout cela nous montre qu’il faut conti­nuer. Cela montre aus­si que la fer­me­té paie, et que ce n’est pas le moment – si je puis dire ainsi- de lâcher bête­ment. Il ne s’a­git pas d’un jeu humain ou machia­vé­lique. Ce n’est pas cela, c’est beau­coup plus sérieux, plus grave. Il y va du bien de l’Église. Après l’au­dience j’ai écrit une lettre au pape pour lui dire que je le remer­ciais de sa bien­veillance. De fait, il était bien­veillant pen­dant l’au­dience et je voyais qu’il cher­chait une solu­tion, mais en même temps je voyais cette pierre d’a­chop­pe­ment qu’est le concile et qui pro­ba­ble­ment demeu­re­ra pen­dant tout ce pon­ti­fi­cat. J’ai donc esti­mé devoir lui expri­mer clai­re­ment que je n’é­tais pas d’ac­cord sur ce point. Il l’a mal pris. C’est presque nor­mal. Néanmoins il m’a fait deman­der par le car­di­nal Hoyos pour­quoi j’a­vais dit cela. J’ai répon­du que je ne vou­lais pas me trou­ver avec les pro­blèmes de conscience qu’a­vaient la majo­ri­té des prêtres de la Fraternité Saint Pierre et les trois quarts des prêtres de Campos. Il semble que cela ait tou­ché Rome.

Dans une réunion sui­vante, la der­nière que j’ai eue avec le car­di­nal qui a duré assez long­temps et qui a été, je pense, fruc­tueuse, nous avons pré­ci­sé­ment indi­qué cette méfiance et cette néces­si­té pour Rome – en pen­sant ou sans pen­ser à la Fraternité, mais sim­ple­ment pour sor­tir de la crise – néces­si­té de poser des actes qui vont contre les causes de cette crise et à tous les niveaux. Et pour cela j’ai aus­si deman­dé et insis­té sur la messe en disant que don­ner une ouver­ture sur la messe serait per­mettre à l’Église de se recen­trer sur NSJC, sur la Croix, sur le Sacrifice. Cette parole a été rete­nue, c’est immense quand on y pense. Nous avons aus­si pro­po­sé de pré­sen­ter une liste de nos objec­tions sur le concile et les réformes. Ce qui évi­dem­ment est un tra­vail énorme. Au moins on a accep­té la liste. Nous espé­rons que cela débou­che­ra sur une dis­cus­sion, nous ver­rons bien. Donc plus d’es­pé­rances que de mécon­ten­te­ments, mais sans illu­sion. Les dif­fi­cul­tés sont grandes parce que jus­qu’i­ci on voit que le concile reste un sujet tabou qu’on essaie de pla­cer hors de toute dis­cus­sion. Il s’a­git – c’est vrai­ment l’im­pres­sion domi­nante – il s’a­git pour le pape de sau­ver le concile, de le sau­ver en disant qu’il n’y a qu’une inter­pré­ta­tion per­mise ; c’est pour­quoi il essaie d’é­li­mi­ner tout une série de dévia­tions qui sont peut-​être, en par­tie, cause de la crise. Mais on ne touche pas au concile ! Et nous de dire : Mais le pro­blème se trouve dans le concile, pas ailleurs ; en par­tie seule­ment ailleurs.

Le monde y est pour quelque chose, certes, mais toutes ces ambi­guï­tés dans les textes ont été vou­lues. Le simple fait de dire qu’il faille lire le concile à la lumière d’une inter­pré­ta­tion, cela veut dire qu’il n’est pas clair en soi. Si le concile était clair, on n’au­rait pas besoin d’in­ter­pré­ta­tion. Et puis, lors­qu’on parle de tra­di­tion vivante, qu’est-​ce que c’est que cela signi­fie ? Cette tra­di­tion vivante est très vrai­sem­bla­ble­ment le pape lui-​même. Le pape qui lit l’en­sei­gne­ment du pas­sé et qui le redit aujourd’­hui. Voilà ce que c’est que la tra­di­tion vivante. Mais je crois que nous ne sommes pas d’ac­cord sur cette défi­ni­tion de la tra­di­tion. Car pour nous la tra­di­tion c’est ce que l’Église a tou­jours don­né comme défi­ni­tion : ce qui a été cru et ensei­gné tou­jours, par­tout et par tous. Quod ab omni­bus, quod ubique, quod sem­per. La défi­ni­tion de saint Vincent de Lérins, la défi­ni­tion clas­sique de la tra­di­tion est beau­coup plus simple ; tout le monde comprend.

Ainsi donc, d’un côté, espoir qu’un jour cela ira mieux, espoir que le pape fera quelque chose. Jusqu’où ? nous n’en savons rien ! Et de l’autre côté, néces­si­té abso­lue et impos­si­bi­li­té d’un quel­conque com­pro­mis qui met­trait en jeu notre foi : nous sommes catho­liques et nous tenons à le res­ter. Advienne que pourra !

Prions ! C’est le temps de la Sainte Vierge

Nous prions, il faut prier pour le pape. Il faut le faire sérieu­se­ment. Si nous le recon­nais­sons, recon­nais­sons que sa tâche est immense et d’une cer­taine manière impossible.

Pour qu’il fasse du bien, il a besoin du Saint-​Esprit, besoin de toute la grâce, de la force, de la sagesse et de toute la lumière du Saint-​Esprit. Et si le Bon Dieu avait liées ces grâces à notre prière, mes biens chers frères ! Si, au moment de paraître devant le Bon Dieu, il nous était révé­lé que cela aurait dépen­du de notre prière, je crois qu’on s’en mor­drait les doigts, n’est-​ce pas ? Alors ! fai­sons tout le bien que nous pou­vons. Il faut prier pour le pape de la même manière qu’il faut prier pour les auto­ri­tés, c’est saint Paul qui nous le dit. Les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques, les auto­ri­tés civiles, même quand on n’en est pas content, il faut prier pour elles. Elles ont des res­pon­sa­bi­li­tés, des res­pon­sa­bi­li­tés sur nos âmes.

Et sur­tout il faut vaincre le mal par le bien. Nous vou­lons, nous espé­rons que la tra­di­tion triomphe un jour. C’est notre prière intime, c’est notre espé­rance. Travaillons pour cela. Partout cher­chons à faire le maxi­mum de bien, cha­cun à sa place, cha­cun selon son pou­voir et ses grâces. Nous sommes tel­le­ment cer­tains que Dieu, N.S. Jésus-​Christ est le chef de l’Église. Il a pro­mis que les portes de l’en­fer ne pré­vau­dront pas. Nous sommes cer­tains de la vic­toire dou­blée, si on peut dire, de celle de la sainte Vierge. Alors accrochons-​nous ! Nous sou­ve­nant tou­jours que Dieu reste Dieu, divine pro­vi­dence infaillible.

A aucun moment de cette crise de l’Église, Dieu n’a per­du le contrôle, Il reste le maître de tout ce qui se passe. Et pour tout ce qui est mau­vais, Dieu le per­met en en fixant la limite. Aucun de ces maux n’a pu fran­chir la limite que Dieu leur a impo­sée. De la même manière que dans la barque où Il dor­mait, il n’y a pas eu une goutte de plus qui n’est entrée que ce que Dieu avait per­mis. Un Dieu tel­le­ment puis­sant qu’Il est capable de per­mettre un tel mal, parce qu’Il est encore bien plus capable d’en tirer un bien plus grand ! Souvent nous l’i­gno­rons et nous avons bien du mal à le com­prendre, néan­moins Dieu a tout dis­po­sé dans sa sagesse infi­nie pour sa gloire et pour notre salut. « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu », même la crise de l’Église !

Il nous faut nous accro­cher à ces véri­tés qui nous donnent force et espé­rance. Dieu a pro­mis, et Il s’o­blige. C’est son hon­neur qui est en jeu. Il a pro­mis que ceux qui le cherchent le trou­ve­ront, qu’Il n’a­ban­don­ne­ra jamais ceux qui veulent, plus pré­ci­sé­ment ceux qui mettent le prix pour vou­loir l’ho­no­rer, pour le ser­vir et ain­si être sau­vés. Demandons donc à Notre Dame qu’elle soit notre pro­tec­tion, notre refuge, car c’est le temps de Marie. On le voit bien à Fatima, on le voit bien à Lourdes, à la Salette. C’est le temps de la Sainte Vierge. Un temps de troubles, certes, mais qui fini­ra par la vic­toire de la Sainte Vierge.

Aussi tra­vaillons beau­coup à ren­for­cer notre foi, à vivre de la foi, à ne pas se lais­ser décou­ra­ger par les évè­ne­ments, j’al­lais dire, sim­ple­ment humains. Il faut aller beau­coup plus haut. Dieu pre­mier ser­vi ! « Cherchez d’a­bord le Royaume de Dieu et sa jus­tice, et tout le reste vous sera don­né par sur­croît ».

Que la Sainte Vierge nous aide à acqué­rir cette déter­mi­na­tion à ser­vir Dieu, à l’ho­no­rer, à le louer comme l’Église l’a tou­jours fait.

† Bernard Fellay

Cette confé­rence du 11 décembre 2005 est dis­po­nible en ver­sion audio

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.