Franciscains de l’Immaculée : silence, on épure ! – Guillaume Luyt – Présent


Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

« Au Vatican, il y a une nou­velle inqui­si­tion catho-​progressiste. Elle per­sé­cute avec achar­ne­ment les Franciscains de l’Immaculée parce qu’ils ont la foi et tant de voca­tions. C’est une honte ! Le pape est-​il au courant ? » 

Grâce à ces quelques mots signés de l’écrivain catho­lique Antonio Socci, en intro­duc­tion à une vigou­reuse tri­bune en défense de l’ordre fon­dé par le père Stefano Manelli publiée par le quo­ti­dien Libero le 5 jan­vier, la chape de plomb média­tique qui pesait en Italie sur la liqui­da­tion en cours de cette dyna­mique et très tra­di­tion­nelle com­mu­nau­té née du concile s’est fissurée.

Il faut dire que le 8 décembre 2013, dans une lettre de cinq pages adres­sée à tous les Frères de l’institut, le com­mis­saire apos­to­lique nom­mé par Rome, le père Fidenzio Volpi, a tout à la fois fer­mé le sémi­naire des Franciscains de l’Immaculée (FI); blo­qué les ordi­na­tions pré­vues cette année ; inter­dit les acti­vi­tés édi­to­riales de la très active mai­son d’édition des FI (dis­ciples de saint Maximilien Kolbe, une grosse part de leur apos­to­lat est repré­sen­tée par la pro­duc­tion et la dif­fu­sion de livres et de revues); sus­pen­du les groupes de laïcs liés aux FI ; et calom­nié les vic­times de ses oukases. Cette mis­sive hal­lu­ci­nante avait mis en ébul­li­tion le monde tra­di­tion­nel ita­lien mais sem­blait avoir échap­pé aux grands médias trans­al­pins, trop occu­pés à célé­brer à l’unisson « le nou­veau visage don­né à l’Eglise » par le pape François.

Il est encore trop tôt pour savoir si l’interpellation de Socci mar­que­ra un coup d’arrêt aux per­sé­cu­tions en cours contre les FI mais, si Rome ne cor­rige pas le tir, il se peut fort que cette affaire finisse par deve­nir la pierre d’achoppement du nou­veau pon­ti­fi­cat. Car Socci, qui voit en Bergoglio le pape de la radi­ca­li­té évan­gé­lique, a bien com­pris que les mesures tou­jours plus auto­ri­taires, injustes et défi­ni­tives qui frappent padre Manelli et les siens contre­disent trop ouver­te­ment l’enseignement quo­ti­dien du pape François pour ne pas mettre en dif­fi­cul­té, à terme, le pape lui-même.

Bien évi­dem­ment, comme toute admi­nis­tra­tion, la Curie n’aime pas se renier et, pour l’heure, aucun signe d’une quel­conque amé­lio­ra­tion n’est per­cep­tible. La salle de presse du Saint-​Siège nous a même fait savoir le 14 décembre qu’elle n’avait rien à répondre aux ques­tions que, depuis fin juillet, nous lui avions for­mu­lées à pro­pos de la des­ti­tu­tion de padre Manelli. Il faut dire que le Saint-​Siège a de quoi être gêné car la fureur épu­ra­trice du père Volpi ne connaît pas de limites.

Il suf­fit de lire quelques lignes de sa mis­sive du 8 décembre – mettre au pas un ins­ti­tut reli­gieux voué à l’Immaculée le jour même de la fête de l’Immaculée Conception, même le diable n’oserait pas le faire ! – pour s’en convaincre :

« Naturellement, de nom­breux laïcs ont été mobi­li­sés dans cette entre­prise que j’appellerais, par euphé­misme, d’opposition. Je me suis deman­dé la rai­son d’une telle fré­né­sie et j’en ai conclu que l’institut était deve­nu un pré­texte à la lutte entre cou­rants curiaux et sur­tout aux oppo­si­tions au nou­veau pon­ti­fi­cat du pape François. Ce n’est pas un hasard si Fellay en per­sonne en parle. »

En trois phrases, le père Volpi nous offre un sum­mum de langue de buis, d’hypocrisie et de men­songe. Passons-​les au crible. 

– « De nom­breux laïcs ont été mobi­li­sés » : le père Volpi fait en par­ti­cu­lier réfé­rence aux péti­tions lan­cées sur inter­net par le pro­fes­seur De Mattei. Soit. Mais qui, à l’heure numé­rique, peut encore croire que les laïcs ont besoin « d’être mobi­li­sés » pour se faire entendre alors qu’il suf­fit de quelques clics pour s’exprimer à la face du monde ? Quel Italien, en outre, peut ima­gi­ner qu’un homme comme le pro­fes­seur De Mattei (direc­teur de revues, écri­vain, confé­ren­cier, ini­tia­teur de la Marche pour la Vie ita­lienne, etc.) ait besoin de se voir dic­ter sa conduite ? Surtout, depuis quand, dans l’Eglise de l’après-concile, la voix des laïcs est-​elle mépri­sable ? Quand il s’agit de tou­cher au dogme, les ecclé­sias­tiques ne sont-​ils pas les pre­miers à se cacher der­rière les fidèles pour jus­ti­fier leurs « ouvertures » ?

– « Cette entre­prise d’opposition » : une page plus haut, le père Volpi a expli­qué avoir ren­con­tré dès sa nomi­na­tion « une oppo­si­tion, en interne comme en externe, plus ou moins expli­cite et viru­lente ». Et s’il ne manque pas d’expliquer que cette oppo­si­tion est en fait une oppo­si­tion au pape, qui a approu­vé « en forme spé­ci­fique » le décret pla­çant les Franciscains de l’Immaculée sous com­mis­sa­riat, le père Volpi ne relève à aucun moment la totale obéis­sance – au point d’en deve­nir « aveugle » écri­vait le père Horovitz le 14 sep­tembre dans nos colonnes – des supé­rieurs de la com­mu­nau­té, à com­men­cer par le fon­da­teur, le père Stefano Manelli, à cha­cune des inter­dic­tions qui leur ont été faites. La plus élé­men­taire des cha­ri­tés ne voudrait-​elle pas que l’obéissance des supé­rieurs soit recon­nue par le com­mis­saire Volpi ? En outre, le dia­logue – dont on a cru com­prendre qu’il était l’un des fon­de­ments de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie – ne devrait-​il pas l’inciter à s’intéresser aux motifs de l’opposition des laïcs, à les écou­ter si ce n’est à les com­prendre ? Non ! Le père Volpi ne voit que « fré­né­sie » (« spas­mo­di­co inter­es­sa­men­to » dans la ver­sion ori­gi­nale) dans leur mobilisation.

– « Un pré­texte à la lutte entre cou­rants curiaux » : ter­rible affir­ma­tion ! Car elle est dans le même temps vraie et men­son­gère et on retrouve bien là toute une forme de pen­sée et d’expression ecclé­sias­tiques dont on espé­rait l’Eglise débar­ras­sée grâce à la parole lim­pide et à la pen­sée droite de Benoît XVI. L’affirmation est vraie car il est désor­mais clair que l’affaire des FI est l’œuvre d’une fac­tion. En ce sens, le père Volpi sait de quoi il parle, lui qui est aujourd’hui le bras exé­cu­teur au ser­vice de cette fac­tion. Mais elle est aus­si extra­or­di­nai­re­ment fausse car il n’y a pas de « lutte entre cou­rants curiaux » : tout sim­ple­ment parce qu’il n’existe pas de cou­rant curial oppo­sé à celui du com­mis­saire Volpi ! S’il exis­tait un cou­rant curial contraire à celui des fos­soyeurs des FI, il se mani­fes­te­rait et, sur­tout, se serait déjà mani­fes­té sous Benoît XVI lors du déclen­che­ment de la visite apos­to­lique. Ce cou­rant n’aurait pas lais­sé pas­ser le fait que le visi­teur apos­to­lique, contrai­re­ment à la praxis romaine qui veut que les visites soient conduites par des per­sonnes neutres voire bien­veillantes envers la com­mu­nau­té qu’elles doivent visi­ter, avait des pré­ju­gés néga­tifs à l’encontre des Franciscains de l’Immaculée ; si ce cou­rant exis­tait, il aurait dénon­cé l’anormalité fla­grante de la visite apos­to­lique qui a été réduite à un ques­tion­naire pour le moins ten­dan­cieux [1]; si ce cou­rant exis­tait, il aurait mis en garde le pape François contre l’instrumentalisation de sa signa­ture dans une telle affaire ; si ce cou­rant exis­tait, il aurait défen­du padre Manelli ; si ce cou­rant exis­tait, il se serait tout sim­ple­ment expri­mé. Non, ce cou­rant n’existe pas et le père Volpi le sait mieux que quiconque.

– « Aux oppo­si­tions au nou­veau pon­ti­fi­cat » : il est vrai que cer­tains des défen­seurs des FI, à com­men­cer par le pro­fes­seur De Mattei, ont expri­mé des cri­tiques envers le style et les orien­ta­tions du nou­veau pon­ti­fi­cat, mais quel rap­port cela a‑t-​il avec l’affaire qui nous occupe ? Sauf à sous-​entendre que les Franciscains de l’Immaculée sont un pré­texte uti­li­sé par cer­tains pour atta­quer le pape ? Voire, que les FI eux-​mêmes sont des oppo­sants au pape François ? De drôles d’opposants, ayant choi­si le silence et l’obéissance mal­gré l’injustice…

– « Ce n’est pas un hasard si Fellay en parle » : nous y sommes enfin ! La réduc­tion ad lefeb­vria­num ! Le point Godwin de toute dis­cus­sion post-​conciliaire ! Fellay (pour écrire comme Volpi qui semble avoir déjà réduit à l’état laïc le supé­rieur de la Fraternité Saint-​Pie X) « en parle » : c’est donc la preuve que Rome a bien fait de s’en prendre aux FI. Dans un autre cour­rier, au vati­ca­niste du jour­nal turi­nois La Stampa, le com­mis­saire lâche car­ré­ment le mor­ceau et parle de la « dérive crypto-​lefebriste et sûre­ment tra­di­tio­na­liste » dont se plai­gnaient au père Manelli en 2012 ses détrac­teurs. Voici donc le noeud de l’affaire : la dérive « sûre­ment tra­di­tio­na­liste » des FI. Sans vou­loir com­men­ter la valeur doc­tri­nale de l’accusation (quel pape a condam­né le tra­di­tio­na­lisme ? dans quel docu­ment?), il est sidé­rant que la pré­ten­due ques­tion doc­tri­nale soit sou­le­vée ain­si, au détour d’une phrase. Quelles sont, en outre, les com­pé­tences du père Volpi en la matière ? Et n’existe-t-il pas, au Vatican, une congré­ga­tion pré­ci­sé­ment char­gée des ques­tions doc­tri­nales, jus­te­ment nom­mée « Congrégation pour la doc­trine de la foi » ? Une congré­ga­tion que nul n’a, non seule­ment, jamais enten­du cri­ti­quer les FI mais qui, sur­tout, depuis des années, dia­logue avec Fellay et les « lefeb­vristes », sur man­dat exprès du pape…

Cette ana­lyse pous­sée de ces quelques lignes signées du père Volpi n’a d’autre ambi­tion que de mon­trer com­bien le trai­te­ment réser­vé aux Franciscains de l’Immaculée n’a rien de cano­nique, rien de fra­ter­nel, rien de pru­den­tiel, mais est pure­ment et sim­ple­ment idéo­lo­gique. Faut-​il rap­pe­ler que, dans le cas des Légionnaires du Christ, pour des actes délic­tueux avé­rés et répé­tés, le fon­da­teur n’a été ni des­ti­tué ni condam­né mais que Rome s’est conten­tée de sa démis­sion ? Faut-​il rap­pe­ler la patience avec laquelle Rome traite la confé­rence des reli­gieuses amé­ri­caines (LCWR), long­temps ouver­te­ment en dis­si­dence avec l’Eglise sur les ques­tions aus­si bien morales que doc­tri­nales ? Faut-​il apprendre au père Volpi qu’en réac­tion à la publi­ca­tion du rap­port de la Congrégation pour la doc­trine de la foi de 2012 appe­lant à leur retour au ber­cail, ces reli­gieuses ont répon­du par l’expression de leur « décep­tion » et la convic­tion que leur « vie reli­gieuse » ne devait pas « être com­pro­mise » par la déci­sion romaine ? Faut-​il citer les paroles d’un ancien supé­rieur de la Conférence reli­gieuse cana­dienne qui qua­li­fiait cette même déci­sion romaine concer­nant la LCWR de « geste mal­ha­bile, inac­cep­table et irrespectueux » ?

Benoît XVI le savait, les car­di­naux ayant élu le pape François aus­si : il y a quelque chose de pour­ri au sein de la Curie romaine.

Et, à en juger par la lettre du père Volpi, ce quelque chose de pour­ri ne craint plus de se pro­pa­ger au grand jour…

Guillaume Luyt

Source :

Notes de bas de page
  1. Alors que les FI sont pré­sents et flo­ris­sants aux Philippines, au Bénin et aux Etats-​Unis, le visi­teur apos­to­lique n’a pas jugé utile de mettre les pieds hors d’Italie et nul ne sait pré­ci­sé­ment quelles mai­sons il a visi­tées en Italie. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas visi­té le sémi­naire puisqu’en mars 2013 ce sont les sémi­na­ristes eux-​mêmes qui ont pris l’initiative de lui écrire pour lui témoi­gner de leur état d’esprit (favo­rable à leurs supé­rieurs).[]