[…] De même que le prélat a consulté en 1984 au sujet de la « messe de l’indult » les « chefs de file » de la résistance ecclésiastique Mgr Ducaud-Bourget, le père André, l’abbé Coache, le père Vinson, dom Guillou, etc., de même il décide de convoquer au prieuré Notre-Dame-du-Pointet, le 30 mai, les prêtres grands défenseurs de la foi et les supérieurs des communautés amies de religieux et religieuses.
« J’incline, leur déclare-t-il alors, à sacrer de toute façon quatre évêques le 30 juin. Mon âge, ma santé défaillante me poussent à assurer la sauvegarde non de « mon œuvre », mais de cette petite entreprise de restauration du sacerdoce et de préservation de la foi catholique avant que le bon Dieu ne me rappelle à lui, en transmettant l’épiscopat à « des évêques libres de faire revivre la foi », « dans un milieu entièrement dégagé des erreurs modernes », comme je l’ai écrit à Jean Paul II le 20 mai. Je vous demande votre avis. »
Chacun est touché de cette marque d’attention, de ce souci de communication, de ce désir de dégager un consensus des vétérans comme des jeunes responsables religieux. Tous comprennent l’importance de cette consultation qui doit assurer qu’après les sacres, lorsque les sanctions et les vocables infamants tomberont, le front commun de la Tradition tiendra bon.
L’abbé du Chalard, d’Albano, transmet par téléphone le texte de la lettre du cardinal Ratzinger du jour même : les candidats proposés par Mgr Lefebvre ne plaisent pas. Ils n’ont pas« le profil ». Rome va-t-elle trouver dans la Fraternité un épiscopable ayant le profil, c’est-à-dire conciliant, faible, libéral à souhait ? La menace n’est pas illusoire, Monsignore Perl s’est soigneusement informé à ce sujet lors de la visite apostolique.
Alors, chacun des participants de ce petit concile de la Tradition livre franchement son opinion.
L’abbé Lecareux, les capucins, l’abbé Coache et l’abbé Tissier de Mallerais se prononcent pour l’accord. Dom Gérard également :
« Si une rupture intervenait, dit-il, nous deviendrions sociologiquement une secte, comme les »petites Églises », dont on ne revient jamais à la grande Église. »
Quant aux dangers évoqués par Monseigneur :
« A nous de nous défendre ! Ne sous-estimons pas notre force, qui est doctrinale ; et concluons entre nous une charte de charité, un pacte catholique de ne rien faire qui crève le front commun et mette nos frères en désaccord. »
En sens inverse parle le père André :
« Maintenons nos exigences, sinon gardons notre liberté et supportons les accusations et étiquettes d’excommunication. »
L’abbé Aulagnier, pour sa part, parle le langage de la prudence :
« A Rome, on a une pensée théologique et philosophique contraire à la pensée de l’Église. J’ai peur de cet accord ; je crains la ruse du démon, de l’ennemi. Je ne me vois pas discuter avec Lustiger, Decourtray, le pape d’Assise. L’évêque sacré n’aura pas l’autorité morale. Je crains le Bureau romain. »J’adhère à la Rome catholique, je refuse la Rome moderniste », qui risque d’être le Léviathan qui nous dévore. »
Les sœurs, à leur tour, sont quasi unanimement catégoriques : « Nous ne pouvons plus traiter avec des évêques qui ont perdu la foi », estiment les dominicaines de Fanjeaux ; et celles de Brignoles considèrent que la dépendance à l’égard du Bureau les forcerait « à des contacts avec leurs anciennes congrégations devenues modernistes » et que« c’est impossible ». Les sœurs de la Fraternité évoquent le « risque pour la foi et la cohésion de la Tradition ».
Enfin les carmélites jugent que« c’est un cheval de Troie dans la Tradition ».
Mgr Lefebvre, qui a objectivement exposé les avantages et inconvénients de l’accord, montre pour finir où penche la balance. Le principe est lumineux : « Le lien officiel à la Rome moderniste n’est rien à côté de la préservation de la foi. » [1]
† Bernard Tissier de Mallerais
- D’après nos propres notes manuscrites et « l’exposé de la situation » distribué par Mgr Lefebvre aux participants. (Note de l’auteur.) [↩]