Réunion du Pointet : rupture des colloques le 30 mai 1988

[…] De même que le pré­lat a consul­té en 1984 au sujet de la « messe de l’in­dult » les « chefs de file » de la résis­tance ecclé­sias­tique Mgr Ducaud-​Bourget, le père André, l’ab­bé Coache, le père Vinson, dom Guillou, etc., de même il décide de convo­quer au prieu­ré Notre-​Dame-​du-​Pointet, le 30 mai, les prêtres grands défen­seurs de la foi et les supé­rieurs des com­mu­nau­tés amies de reli­gieux et religieuses.

« J’incline, leur déclare-​t-​il alors, à sacrer de toute façon quatre évêques le 30 juin. Mon âge, ma san­té défaillante me poussent à assu­rer la sau­ve­garde non de « mon œuvre », mais de cette petite entre­prise de res­tau­ra­tion du sacer­doce et de pré­ser­va­tion de la foi catho­lique avant que le bon Dieu ne me rap­pelle à lui, en trans­met­tant l’é­pis­co­pat à « des évêques libres de faire revivre la foi », « dans un milieu entiè­re­ment déga­gé des erreurs modernes », comme je l’ai écrit à Jean­ Paul II le 20 mai. Je vous demande votre avis. »

Chacun est tou­ché de cette marque d’at­ten­tion, de ce sou­ci de com­mu­ni­ca­tion, de ce désir de déga­ger un consen­sus des vété­rans comme des jeunes res­pon­sables reli­gieux. Tous com­prennent l’im­por­tance de cette consul­ta­tion qui doit assu­rer qu’a­près les sacres, lorsque les sanc­tions et les vocables infa­mants tom­be­ront, le front com­mun de la Tradition tien­dra bon.

L’abbé du Chalard, d’Albano, trans­met par télé­phone le texte de la lettre du car­di­nal Ratzinger du jour même : les can­di­dats pro­po­sés par Mgr Lefebvre ne plaisent pas. Ils n’ont pas« le pro­fil ». Rome va-​t-​elle trou­ver dans la Fraternité un épis­co­pable ayant le pro­fil, c’est-​à-​dire conci­liant, faible, libé­ral à sou­hait ? La menace n’est pas illu­soire, Monsignore Perl s’est soi­gneu­se­ment infor­mé à ce sujet lors de la visite apostolique.

Alors, cha­cun des par­ti­ci­pants de ce petit concile de la Tradition livre fran­che­ment son opinion.

L’abbé Lecareux, les capu­cins, l’ab­bé Coache et l’ab­bé Tissier de Mallerais se pro­noncent pour l’ac­cord. Dom Gérard également :

« Si une rup­ture inter­ve­nait, dit-​il, nous devien­drions socio­lo­gi­que­ment une secte, comme les »petites Églises », dont on ne revient jamais à la grande Église. »

Quant aux dan­gers évo­qués par Monseigneur :

« A nous de nous défendre ! Ne sous-​estimons pas notre force, qui est doc­tri­nale ; et concluons entre nous une charte de cha­ri­té, un pacte catho­lique de ne rien faire qui crève le front com­mun et mette nos frères en désac­cord. »

En sens inverse parle le père André :

« Maintenons nos exi­gences, sinon gar­dons notre liber­té et sup­por­tons les accu­sa­tions et éti­quettes d’ex­com­mu­ni­ca­tion. »

L’abbé Aulagnier, pour sa part, parle le lan­gage de la prudence :

« A Rome, on a une pen­sée théo­lo­gique et phi­lo­so­phique contraire à la pen­sée de l’Église. J’ai peur de cet accord ; je crains la ruse du démon, de l’en­ne­mi. Je ne me vois pas dis­cu­ter avec Lustiger, Decourtray, le pape d’Assise. L’évêque sacré n’au­ra pas l’au­to­ri­té morale. Je crains le Bureau romain. »J’adhère à la Rome catho­lique, je refuse la Rome moder­niste », qui risque d’être le Léviathan qui nous dévore. »

Les soeurs, à leur tour, sont qua­si una­ni­me­ment caté­go­riques : « Nous ne pou­vons plus trai­ter avec des évêques qui ont per­du la foi », estiment les domi­ni­caines de Fanjeaux ; et celles de Brignoles consi­dèrent que la dépen­dance à l’é­gard du Bureau les for­ce­rait « à des contacts avec leurs anciennes congré­ga­tions deve­nues moder­nistes » et que« c’est impos­sible ». Les soeurs de la Fraternité évoquent le « risque pour la foi et la cohé­sion de la Tradition ». 

Enfin les car­mé­lites jugent que« c’est un che­val de Troie dans la Tradition ».

Mgr Lefebvre, qui a objec­ti­ve­ment expo­sé les avan­tages et incon­vé­nients de l’ac­cord, montre pour fmir où penche la balance. Le prin­cipe est lumi­neu x : « Le lien offi­ciel à la Rome moder­niste n’est rien à côté de la pré­ser­va­tion de la foi. » [1]

† Bernard Tissier de Mallerais

Notes de bas de page
  1. D’après nos propres notes manus­crites et « l’ex­po­sé de la situa­tion » dis­tri­bué par Mgr Lefebvre aux par­ti­ci­pants. (Note de l’au­teur.) []