Lettre de Mgr Benelli à Mgr Lefebvre le 25 juin 1976

Monseigneur,

Le Saint-​Père vient de rece­voir votre lettre du 22 juin. Il me charge de vous trans­mettre sa pen­sée à ce sujet. Certes, comme je vous l’avais dit moi-​même en avril der­nier dans une lettre fra­ter­nelle, ce qui vous est deman­dé requiert de votre part une obéis­sance cou­ra­geuse, d’autant plus que vous avez volon­tai­re­ment pour­sui­vi votre che­min dans ce qui était mani­fes­te­ment une impasse. Mais vous ne sau­riez qua­li­fier de « cruau­té » l’attitude du Saint-​Siège qui ne fait que prendre acte de votre propre com­por­te­ment et adop­ter les mesures que celui-​ci appelle.

Le 19 mars, je vous avais dit très fran­che­ment ce qui, dans vos juge­ments néga­tifs sur le Concile, dans vos pro­pos fré­quents sur les orga­nismes du Saint-​Siège et leurs direc­tives en appli­ca­tion du Concile, dans votre façon de pro­cé­der à l’encontre de la res­pon­sa­bi­li­té des autres évêques dans leurs dio­cèses res­pec­tifs, était inad­mis­sible pour Sa Sainteté, contraire à la com­mu­nion ecclé­siale et dom­ma­geable pour l’unité et la paix de l’Église. Il vous était seule­ment deman­dé d’admettre clai­re­ment votre tort sur ces points néces­saires pour toute âme catho­lique, après quoi on aurait étu­dié la façon la meilleure de faire face aux pro­blèmes pen­dants posés par vos œuvres.

Or non seule­ment vous ne l’avez pas fait depuis plus de trois mois, mal­gré vos pro­messes, mais vous avez conti­nué dans la même ligne, pre­nant même de nou­velles ini­tia­tives dans plu­sieurs régions d’Europe et d’Amérique. Ce scan­dale public ne pou­vait qu’attirer l’admonestation publique du Saint-​Père, le 24 mai der­nier. Vous avez remar­qué d’ailleurs que le Saint-​Père s’oppose avec la même fer­me­té aux abus qui se font dans l’autre sens, en marge et à l’encontre du vrai sens conci­liaire, et que vous pré­ten­dez être à l’origine de votre atti­tude. Or même après cet appel sévère, mais pater­nel et ouvert à l’espérance, vous vous obs­ti­nez et vou­lez ordon­ner des prêtres dans le même esprit, sous votre propre res­pon­sa­bi­li­té, indé­pen­dam­ment des Ordinaires des lieux, dans le cadre d’une Œuvre que l’autorité ecclé­sias­tique com­pé­tente a juri­di­que­ment suspendue.

Le Saint-​Père me charge aujourd’hui même de confir­mer la mesure qui vous a été inti­mée en son nom, de man­da­ta spe­cia­li : vous abs­te­nir actuel­le­ment de confé­rer des sémi­na­ristes ordi­nands : c’est jus­te­ment l’occasion de leur expli­quer, ain­si qu’à leurs familles, que vous ne pou­vez les ordon­ner au ser­vice de l’Église contre la volon­té du Pasteur suprême de l’Église. Il n’y a rien de déses­pé­rant dans leurs cas : s’ils sont de bonne volon­té et sérieu­se­ment pré­pa­rés à un minis­tère pres­by­té­ral dans la fidé­li­té véri­table à l’Église conci­liaire, on se char­ge­ra de trou­ver ensuite la meilleure solu­tion pour eux, mais qu’ils com­mencent d’abord, eux aus­si, par cet acte d’obéissance à l’Église. Ils n’ont d’ailleurs pas man­qué d’être pré­ve­nus à temps. En cas de trans­gres­sion, ils doivent savoir qu’ils s’exposent à la peine cano­nique pré­vue au can. 2374 ; et si, témé­rai­re­ment, ils ne vou­laient pas en tenir compte, ils s’exposent à l’irrégularité (cf. can. 985, §7), tan­dis que l’Ordinant encour­rait la sus­pen­sion pour un an ab ordi­num col­la­tione, selon le can. 2373 §1 et 3, même indé­pen­dam­ment du pré­cepte qui lui a été com­mu­ni­qué récem­ment par l’intermédiaire du nonce apostolique.

Le R. P. Dhanis, consul­teur de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et pro­fes­seur à l’université pon­ti­fi­cale gré­go­rienne, vous por­te­ra cette lettre. Encore que tout soit bien clair, il va sans dire qu’il est prêt à don­ner telle ou telle expli­ca­tion que vous pour­riez souhaiter.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’assurance de ma prière à vos inten­tions en cette grave cir­cons­tance, et de mon dévoue­ment en N.S.

Mgr Benelli, sub­sti­tut à la secré­tai­re­rie d’Etat du Vatican