Restauration d’une croix vandalisée en Martinique

Mercredi 18 mai 2022, par­king dit de l’Aileron, au pied de la Montagne Pelée en Martinique. La bonne humeur antillaise règne mais laisse trans­pa­raître un fond de gravité.

Chronique

Mercredi 18 mai 2022, par­king dit de l’Aileron, au pied de la Montagne Pelée, Nord Martinique. Le brouillard est épais, mal­gré l’heure avan­cée de la mati­née. C’est ici nor­mal : la cha­leur tro­pi­cale, la forte plu­vio­mé­trie et la mon­tagne sont un cock­tail nébu­leux ! Les voi­tures par­viennent les unes après les autres, déver­sant leurs lots de fidèles en tenue de ran­don­née. Grands et petits, antillais de souche, blancs pays ou métro­po­li­tains, tous sont au rendez-​vous. La bonne humeur antillaise règne mais laisse trans­pa­raître un fond de gravité.

Une grosse voi­ture fami­liale arrive à son tour, atten­due avec impa­tience. Le père de famille des­cend du véhi­cule, les fidèles s’approchent du coffre du four­gon qui vient de s’ouvrir : elle est là ! En par­lant de sa Croix, Notre Seigneur Jésus-​Christ évo­quait « son heure ». A pré­sent c’est l’heure des mar­ti­ni­quais, car à leur tour il vont gra­vir la mon­tagne, une croix sur les épaules. L’objet est sor­ti avec émo­tion du véhi­cule, regar­dé de près, tou­ché voire cares­sé, sou­pe­sé sur­tout… Le stipes fait 3,40 m de long et pèse envi­ron 50 kg ; le pati­bu­lum paraît léger avec ses 25 kg. S’y ajoutent les fers qui vont ser­vir à la fixation.

Mais com­ment ? Pourquoi ? Si les som­mets de mon­tagne ont sou­vent été ornés de croix visibles de loin, il en est de même des som­mets vol­ca­niques des Antilles. Mais la Pelée n’est pas un vol­can comme un autre, il a sinistre mémoire. Deux évé­ne­ments anciens expliquent sa mau­vaise répu­ta­tion. Au lieu-​dit « Monument Dufrénois » a été éri­gée une croix, en mémoire du père Payeur, dis­pa­ru là au début de la seconde guerre mon­diale. Mais c’est aus­si d’ici, qu’en début d’année 1902 un cor­tège blas­phé­ma­toire avait jeté une croix dans le cra­tère du vol­can appe­lé l’Etang sec. Quelques mois plus tard avait lieu l’éruption du 8 mai qui déci­mait toute la popu­la­tion de Saint Pierre (35 000 morts en quelques ins­tants…). De Dieu on ne se moque pas…

Le mémo­rial avait, en 2006 et en 2016, béné­fi­cié d’une double res­tau­ra­tion en rai­son des des­truc­tions liées aux intem­pé­ries. La croix posée par nos confrères en 2016 a subi quant à elle un lâche acte de van­da­lisme… Le sinistre coupe-​coupe a fait son œuvre. Nous appre­nons très rapi­de­ment le méfait, mon­tons consta­ter les dégâts irré­mé­diables. Il faut agir et essayer de conju­rer la bêtise humaine. Un entre­pre­neur local entre dans le pro­jet et offre une magni­fique pièce de bois exo­tique, ain­si que le façon­nage qui néces­site un outillage adap­té. Un fer­ron­nier confec­tionne les attaches qui vont per­mettre de fixer le bois sur son ancien socle, ain­si que les fers d’angles qui vont pro­té­ger le bois du van­da­lisme. Les fidèles sont mobi­li­sés, notent en avance la date. Les prêtres sont là, bien déci­dés à « prendre leur part de la peine en bon sol­dat du Christ-​Jésus » (II Timothée 2, 2 – 3).

Ce mer­cre­di matin, ils sont venus à plus de cin­quante de toute la Martinique. Rapidement les équipes s’organisent. Pendant que cer­tains res­tent au point de départ pour offrir, avec leur dif­fi­cul­té à mar­cher, les prières qui sou­tiennent, les autres s’attaquent à la mon­tée. Les guides tou­ris­tiques parlent de 90 minutes d’ascension… mais nous ne sommes pas là en tou­ristes. Le temps est clé­ment : pas de pluie, pas de gros soleil, et une tem­pé­ra­ture de 24° clé­mente pour le pays. Le sen­tier per­met de cou­vrir 20% du tra­jet en pente douce, avant que les choses sérieuses ne commencent…

« Aimer, ce n’est pas se regar­der l’un l’autre, c’est regar­der ensemble dans la même direc­tion. » écri­vait Antoine de Saint-​Exupéry. Tous les yeux sont fixés alter­na­ti­ve­ment sur ces deux bois et sur le som­met à atteindre, une seule image s’impose, celle du divin modèle se rele­vant de ses chutes. Les deux pièces de bois passent de mains en mains, montent plus vite que les mar­cheurs qui créent des relais dans les pas­sages les plus escar­pés, jamais ne touchent le sol. Un der­nier effort et la cal­dei­ra est atteinte. Les enfants de l’école pri­maire de Fort-​de-​France ont l’honneur d’ouvrir la marche pour le der­nier tron­çon, le pati­bu­lum sur les épaules : à gauche les pentes escar­pées de la mon­tagne, à droite, le gouffre vol­ca­nique. Peu importe, la végé­ta­tion est tel­le­ment dense qu’elle empêche de voir ce qui pour­rait faire peur. Les ainés suivent avec le stipes. Les 90 minutes se sont écou­lées dans une paix sen­sible, nous sommes 43 au som­met, avons par­cou­ru 3,5 km, et sur­tout mon­té 575 m en alti­tude. La Croix sera vue des hommes !

Les mains habiles se mettent à l’œuvre : les anciennes attaches de la croix van­da­li­sée sont sup­pri­mées, les deux par­ties de la croix sont che­villées, l’artisan a fait du beau tra­vail… Reste une opé­ra­tion fort déli­cate à mener : dres­ser la croix sur son sup­port de pierre. Les phy­si­ciens cal­cu­le­ront quelle éner­gie est néces­saire pour faire pas­ser une masse de 80 kg de la posi­tion ‑45° à la posi­tion +90°… Tous se trom­pe­ront dans leur cal­culs, car seule la foi qui trans­porte les mon­tagnes et construit les cathé­drales à su ani­mer les âmes des antillais atta­chés à mani­fes­ter la gloire du Christ Sauveur. La croix est dres­sée, la croix est fixée.

Reste un acte solen­nel à accom­plir : la béné­dic­tion rituelle est accom­plie, la croix est bénite, asper­gée d’eau bénite, encen­sée, véné­rée. Les uns après les autres, tous viennent s’agenouiller devant le monu­ment avant d’y por­ter un bai­ser de dévotion.

Bénédiction de la Croix au som­met de la mon­tagne Pelée

La devise des char­treux s’applique à nou­veau sur la Pelée : Stat Crux dum vol­vi­tur orbis, la croix demeure tan­dis que le monde tourne… Gloire soit ren­due à Dieu sur cette terre loin­taine de France !

Galerie photo

Source : Prieuré Notre Dame de la Délivrande, Fort-​de-​France