Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 29 juin 1748
Au Royaume de Pologne, au Primat, aux Archevêques et aux Évêques.
Vénérables frères, salutations et bénédiction apostolique.
J’ai eu la douloureuse surprise d’apprendre, par des rapports et des lettres dignes de foi, qu’une certaine fausse opinion s’était répandue en Pologne. On disait que certaines dispenses matrimoniales avaient été accordées et envoyées, et même qu’elles sont habituellement accordées et envoyées, par ce Siège Apostolique, dans lesquelles les empêchements canoniques pour un mariage légitime et valide sont supprimés, même si l’une ou les deux parties contractantes professent ouvertement une secte hérétique. Comme cela ne peut être diffusé que par l’injustice et par une calomnie intolérable, Nous manquerions à notre ministère apostolique si Nous ne clarifiions pas la règle d’action constante en la matière. En même temps, Nous vous exhortons et vous prions instamment, vous et vos subordonnés en Pologne, royaume renommé pour sa foi et sa religion, de lire et de peser les lettres de dispense matrimoniale qui sont envoyées par le Siège apostolique pour les habitants de ce royaume. Nous sommes certains que s’il y a jamais eu un péché en cette matière, ce n’est pas la faute de ce Siège Apostolique ou de ses fonctionnaires ; en vérité, il doit être attribué entièrement aux Ordinaires des lieux ou à leurs ministres, qui n’ont eu soin ni de lire ni de peser suffisamment les lettres de dispense qu’ils ont reçues.
Condamnation des mariages avec des hérétiques
Nous n’avons certainement pas besoin de publier tout ce qui pourrait démontrer surabondamment l’antiquité de la discipline en vertu de laquelle le Siège Apostolique toujours désapprouvé les mariages de catholiques avec des hérétiques. Il suffira de donner au moins quelques exemples par lesquels Nous montrerons que la même discipline et règle, qui a été constamment observée jusqu’à nos jours, n’est pas moins en vigueur dans toute son intégrité auprès de Nous et du Siège Apostolique et est religieusement gardée. C’est le témoignage que s’est rendu à lui-même, à son époque, le Pape Urbain VIII dans sa Lettre Apostolique datée du 30 décembre 1624, où il est écrit : « Sachons bien qu’il faut absolument éviter les mariages entre catholiques et hérétiques, et faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les écarter de l’Eglise. » [1]
Avec non moins de netteté, Notre Prédécesseur de sainte mémoire [Clément XI] fit également connaître sa pensée dans la Lettre datée du 25 juin 1706 et éditée dans la collection de ses Brefs et Lettres, parue en 1724, où on peut lire : « Nous estimons d’une très grande importance que les règles de l’Eglise de Dieu, du Siège Apostolique, de nos Prédécesseurs et des saints Conciles, qui réprouvent des mariages entre catholiques et hérétiques, ne soient pas transgressées, à moins que le bien de tout l’Etat chrétien ne le requière » ; et dans une autre Lettre, du 23 juillet 1707, transcrite dans la même collection : « L’Eglise a en aversion de tels mariages qui entraînent un grand déshonneur et un grave péril spirituel.«
Quant à Notre opinion sur ce point, Nous estimons qu’elle ressort assez clairement du Rescrit donné par nos ordres le 4 novembre imprimé tome Ier de notre Bullaire, d’où sont tirées les paroles suivantes : « Sa Sainteté déplore grandement et par-dessus tout qu’il y ait parmi les catholiques des gens auxquels un amour insensé fait honteusement perdre l’esprit, qui n’ont pas une profonde horreur de ces mariages détestables que la sainte Eglise a condamnés et interdits à jamais, et qui ne pensent assurément pas qu’ils doivent s’en abstenir ; Elle loue sans réserve le zèle des pasteurs qui essaient par la menace des peines spirituelles les plus sévères d’empêcher les catholiques de s’unir aux hérétiques par un lien sacrilège, et exhorte et engage avec instance et gravité tous les évêques, vicaires apostoliques, prêtres, missionnaires, et tous les autres fidèles ministres de Dieu et de l’Eglise qui habitent dans ces régions — c’est-à-dire en Hollande et en Belgique — à détourner autant qu’ils le peuvent les catholiques de l’un et l’autre sexe des mariages de ce genre qui doivent amener la perte de leurs âmes, et à s’employer de toutes manières et le mieux possible à empêcher ces mariages et à s’y opposer efficacement » [2]. Et un peu plus loin, à propos du mariage déjà contracté entre une partie catholique et une hérétique : « Le conjoint catholique, homme ou femme, doit avant tout se décider à faire pénitence pour le péché très grave qu’il a commis, en implorer de Dieu le pardon et s’efforcer, dans la mesure où il le peut. de faire rentrer dans le sein de l’Eglise catholique l’autre conjoint qui erre loin de la vraie foi, et de gagner son âme ; ce qui de plus servirait grandement à obtenir le pardon du péché commis ; qu’il sache au reste, comme on vient de le dire, qu’il sera lié à jamais par ce mariage. » [3].
La pratique du Saint ‑Siège
Or, à ces principes, en quelque sorte fondamentaux, du Siège Apostolique, répond bien sa façon d’agir, consacrée par un long usage. Car chaque fois qu’on recourt lui, soit pour obtenir la simple permission de contracter mariage entre personnes dont une professe l’hérésie, soit pour Obtenir en outre une dispense au sujet d’un degré de parenté ou d’un autre empêchement canonique existant entre les deux contractants, il n’accorde aucune permission ou dispense sans avoir stipulé l’obligation ou ajouté la condition « que l’hérésie ait été abjurée auparavant« . Bien plus, Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, le Pape Innocent X, allant plus loin, donna des ordres et prit des mesures pour qu’on n’accordât aucune dispense de ce genre sans que des documents authentiques aient auparavant démontré que la souillure de l’hérésie avait été rejetée par le contractant hétérodoxe [4].
Quant à Notre Prédécesseur Clément XI, lors de la réunion du Saint-Office qui eut lieu en sa présence le 16 juin 1710, il ordonna, par une Lettre adressée à l’Archevêque de Malines, qu’on défendit d’accorder aucune permission ou dispense pour la célébration de mariages entre un contractant catholique et un hérétique, si l’abjuration de l’hérésie n’avait pas été réellement prononcée auparavant ; il décréta en outre que les théologiens qui avaient émis une opinion contraire à cette discipline devaient recevoir un blâme sévère [5].
S’il se présente quelques exemples de Pontifes Romains qui ont accordé la permission de contracter mariage, ou aussi une dispense pour quelqu’empêchement, sans ajouter la condition que l’hérésie devrait, être abjurée auparavant, Nous affirmons d’abord que de telles concessions ont été extrêmement rares et que la plupart d’entre elles ont été accordées pour des mariages entre souverains, et non sans un pressant et très grave motif touchant le bien public. De plus, on y a joint d’utiles précautions, d’une part pour que le contractant catholique ne puisse être perverti par l’hérétique, mais se sache au contraire tenu, dans la mesure de Ses forces, à le détourner de l’erreur ; et d’autre part pour que les enfants des deux sexes devant naitre de ce mariage soient entièrement élevés dans la sainteté de la catholique. Mais il est ensuite facile de reconnaître que de telles concessions ne fournissent aucune occasion d’erreur aux « exécuteurs » à moins qu’ils ne veuillent sciemment et de propos délibéré manquer à leur devoir en quelque chose. Enfin il ressort clairement de ce qui a été dit jusqu’à présent que dans tous les cas où on demande. au Siège Apostolique des permissions ou dispenses pour qu’un catholique, homme ou femme, puisse contracter mariage avec un hérétique, femme ou homme, ce Siège Apostolique, comme nous l’avons dit plus haut, a toujours réprouvé et condamné de tels mariages, et actuellement encore les a en abomination et les écarte, si l’abjuration de l’hérésie ne les précède.
Justification de la dispense
Parfois, les justifications des dispenses ne sont pas mentionnées ouvertement dans les pétitions ; les ministres et les fonctionnaires du Saint-Siège ne peuvent pas les deviner. C’est pourquoi, pour faire taire les accusateurs et les calomniateurs, il suffit de faire remarquer que chaque dispense est donnée à un exécuteur déterminé, qui doit déterminer la vérité de tout ce qui figure dans la déposition. Puisqu’il sait que le mariage des catholiques avec des hérétiques est condamné par le Siège Apostolique, il peut aussi comprendre que le mal de l’hérésie, qui touche l’une des parties contractantes et qui n’est pas mentionné dans les lettres de dispense, a été caché au Siège Apostolique. Il est de son devoir de suspendre l’exécution de ces lettres et de notifier au Pontife Romain et à ses fonctionnaires la raison de cette suspension, comme le Pape Alexandre III l’a prescrit dans sa lettre à l’Archevêque de Ravenne. Cette prescription a été inscrite dans le Codex des Décrétales pour en assurer l’effet perpétuel, au chapitre Si quando, de Rescriptis, où nous lisons : « Examinez diligemment la nature de cette affaire et, soit vous vous conformez à Nos ordres, soit vous expliquez par votre lettre la cause raisonnable qui vous en empêche ; car si vous ne le faites pas, Nous maintiendrons ce qui Nous a été suggéré par un mauvais rapport. »
Présomption que les deux parties sont catholiques
En vérité, la circonspection du Siège Apostolique et de ses fonctionnaires ne s’arrête pas là. Parfois, lorsqu’une dispense de lever un empêchement canonique pour un motif raisonnable est demandée, elle provient d’une région où les catholiques cohabitent avec les hérétiques. Lorsque d’autres sources ne permettent pas de savoir avec certitude si les deux demandeurs ou seulement l’un d’entre eux est catholique, les fonctionnaires pontificaux susmentionnés présument toujours que les deux sont catholiques. Ils exposent donc leurs souhaits dans un petit livre (appelé Supplicationum) auquel est apposée la signature papale : « Les pétitionnaires susmentionnés, qui sont vraiment membres de la foi orthodoxe et vivent sous l’obéissance de la Sainte Église Catholique Romaine, et ont l’intention de vivre et de mourir ainsi, etc« . Ces mots s’accordent avec d’autres qui sont ajoutés sous forme provisoire et conditionnelle, à savoir : « Pourvu que les pétitionnaires mentionnés soient vraiment des adeptes de la foi orthodoxe, et vivent sous l’obéissance de la Sainte Église romaine et ont l’intention de vivre et de mourir ainsi. »
Compte tenu de ce qui précède, Nous demandons : lorsque des lettres de dispense matrimoniale sont conçues en ces termes et envoyées de cette manière, si l’on apprend plus tard que les parties contractantes sont hérétiques, ou que l’une d’elles est catholique et l’autre hérétique, et que néanmoins la dispense est exécutée, à qui la faute et qui peut être accusé d’avoir délivré une dispense inappropriée ? Est-ce celui qui, de bonne foi, l’a accordée après avoir appliqué des garanties opportunes et ajouté des conditions légitimes ; ou n’est-ce pas plutôt celui qui, sans tenir compte de ces conditions et sans examen préalable des parties contractantes, exécute la dispense et lui permet d’avoir un effet indu contraire à la volonté de celui qui l’accorde ?
Les filles de moins de douze ans
Mais quelqu’un pourra objecter que toutes les dispenses envoyées pour être exécutées n’étaient pas armées de telles clauses ; car dans le royaume de Pologne même, il y a peu d’années, une certaine dispense fut envoyée de Rome qui ne présentait aucune condition de ce genre. La dispense concernait l’âge en faveur d’une jeune fille à qui il manquait six mois pour atteindre l’âge de 12 ans, qui est l’âge légal pour les filles pour entrer dans le mariage. Dans la concession il était expliqué que « l’artisanat complétait l’âge de sorte que légalement elle pouvait contracter le mariage ». Il faut donc la considérer comme un document déclaratif plutôt que comme une dispense, puisque la faculté de contracter le mariage avant le temps prescrit, aussi souvent que l’artisanat fournit à l’âge, provient des dispositions mêmes de la loi et des canons. En effet, les évêques eux-mêmes et les ordonnateurs des lieux peuvent décider de cette question, qui est une question de fait : si effectivement le métier, comme il est dit, a suppléé à l’âge. Par conséquent, ils ont le pouvoir de donner la permission de contracter le mariage. Il n’est pas nécessaire de faire appel au Siège Apostolique, sauf pour une plus grande solennité de l’acte ou « de peur qu’il ne soit question de la validité d’un tel mariage pour cause d’âge insuffisant », comme le dit la formule qui est habituellement utilisée dans les lettres déclaratives concernant l’âge insuffisant. Les canonistes enseignent en effet qu’il existe un droit étranger au Siège apostolique et aux juges ordinaires de décider en la matière, si en effet l’artisanat, comme on l’affirme, peut suppléer à l’âge. Mais seul le Saint-Siège a le droit d’accorder une dispense pour contracter le mariage à un mineur, qui n’est pas encore mûr pour l’union conjugale, mais qui a atteint l’usage de la raison suffisant pour en comprendre le but et la nature. En effet, pour la validité du mariage, de même que le droit naturel et divin exige l’usage de la raison, de même le droit canonique positif exige le pouvoir naturel de l’union conjugale. Le Pontife romain est au-dessus du droit canonique, mais tout évêque est inférieur à ce droit et ne peut donc le modifier.
Mais passons sur la question de savoir si la permission de contracter un mariage avant l’âge légal, lorsque l’artisanat pourvoit à l’âge, est proprement appelée dispense ou a plutôt la force d’une déclaration, et donc si elle doit être qualifiée d’acte de grâce ou de justice. Lorsque l’une des parties contractantes ou les deux sont infectées d’hérésie, et que cela n’est pas mentionné dans la demande et ne pourrait être connu d’aucune autre manière, les lettres apostoliques accordées en cette matière manquent des mots et des conditions qui sont habituellement ajoutés aux autres dispenses. Voyons néanmoins s’il en existe d’autres d’égale force par lesquelles l’exécuteur de ces lettres devrait s’abstenir de les exécuter. Il n’y a cependant aucun doute à ce sujet, si l’on se réfère à ce qui a été demandé à l’exécuteur testamentaire dans de telles lettres, « qu’il s’informe diligemment sur les lieux » et voit « s’il est réellement et légitimement évident dans un tel mineur que l’artisanat supplée au défaut d’âge. » Le même exécuteur est chargé de permettre au demandeur de se marier « à condition qu’il n’y ait pas d’autre empêchement canonique à contracter le mariage avec une personne légalement libre de se marier, ou avec une personne à laquelle une dispense apostolique a été accordée, selon les normes du Concile de Trente ». Ces mots indiquent certainement qu’il ne doit en aucun cas permettre à un mineur de bénéficier d’une telle dispense ou déclaration s’il apprend que le mineur avait l’intention d’épouser un hérétique.
Le Pape espère que sa lettre dissipera les malentendus et fera taire les calomniateurs du Saint-Siège
Mais notre discussion a été plus longue que ce que Nous avions prévu au début de nos lettres. Nous ne le regrettons pas du tout. Nous tenons à ce que la vérité sur les faits et les événements soit connue et que les fausses rumeurs répandues contre la Chaire sacrée de Pierre ne trouvent pas de crédit. Si quelque chose est fait quelque part contre les canons sacrés, que la faute n’en soit pas imputée à l’innocent.
Mais pour que la fin de Nos lettres revienne à son point de départ, à vous, vénérables frères, et aux autres évêques ordinaires de ce royaume, Nous ordonnons à nouveau instamment que vous et vos fonctionnaires respectifs étudiiez les lettres apostoliques de dispense qui vous sont envoyées pour exécution ; certes, si vous y trouvez quelque chose d’anormal et de nouveau, vous devez en rechercher la vérité ou la fausseté. Il y a beaucoup de malice parmi les hommes sur la terre, et il ne nous est pas donné de savoir jusqu’où peut aller l’audace des hommes fourbes. En effet, il est parvenu à nos oreilles que quelqu’un, sans tenir compte de l’empêchement du grade, a marié un hérétique à une catholique ; ensuite, quand il a appris que son acte était critiquable, il n’a pas hésité à affirmer qu’il était justifié dans cette affaire par une dispense apostolique qu’il avait reçue de Rome. Cependant, lorsqu’on lui demanda de produire ces lettres de dispense, il ne fut jamais en mesure de le faire, car, en fait, il ne les avait jamais reçues.
Nous croyons sincèrement qu’un crime aussi détestable que celui-ci n’aurait pas pu être commis au milieu de la nation renommée du peuple polonais, que Nous embrassons avec un amour paternel. Les évêques de ce royaume, que Nous tenons tous ensemble et individuellement en grand honneur, n’auraient pas pu non plus y participer. Mais à vous, vénérables frères, et au troupeau qui vous est confié, Nous accordons du fond de l’âme la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 29 juin 1748, en la huitième année de Notre Pontificat.
- Cardinal Franciscus ALBITIUS/François ALBIZZI, De Inconstantia in fide, chap. XXXVII, n°127[↩]
- Bullaire, tome Ier, n° XXIV, §3[↩]
- Ibid.[↩]
- Cardinal Franciscus ALBITIUS/François ALBIZZI, De Inconstantia in fide, chap. XVIII, n°14[↩]
- Cf. Vincent PETRA, Commentaire sur la Constitution de Jean XXII (Œuvres, t. IV, p. 76) [↩]