Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

19 septembre 1852

Lettre La lettera che

Sur un projet de loi sur les Mariages civils. Exhortation au roi afin qu'il ne donne pas sa sanction à cette loi

Cette lettre exhor­tant le roi de Sardaigne à ne pas don­ner sa sanc­tion au pro­jet de loi de mariage civil est citée comme source de la pro­po­si­tion condam­née n° 73 du Syllabus :

Par la force du contrat pure­ment civil, un vrai mariage peut exis­ter entre chré­tiens ; et il est faux, ou que le contrat de mariage entre chré­tiens soit tou­jours un sacre­ment, ou que ce contrat soit nul en dehors du sacrement

Proposition condam­née n° 73

À Sa Majesté le Roi de Sardaigne

Castelgandolfo, ce 19 sep­tembre 1852.

La lettre en date du 25 juillet der­nier que Votre Majesté Nous a fait remettre, à l’occasion d’une autre lettre que Nous lui avions adres­sée, a don­né à Notre cœur des motifs de conso­la­tion ; car Nous y avons vu une demande faite par un sou­ve­rain catho­lique au Chef de l’Eglise dans la ques­tion si grave du pro­jet de loi sur les Mariages civils. Cette preuve de res­pect en­vers notre sainte reli­gion que Nous donne Votre Majesté, témoigne d’une manière écla­tante du glo­rieux héri­tage que lui ont trans­mis ses augustes aïeux : Nous vou­lons dire l’amour pour la foi qu’ils pro­fes­saient, et qui Nous ins­pire la ferme confiance que Votre Majesté sau­ra en conser­ver le dépôt dans toute sa pure­té, pour l’avantage de tous ses sujets et mal­gré la per­ver­si­té des temps présents.

Cette lettre de Votre Majesté Nous engage à rem­plir les devoirs de Notre minis­tère apos­to­lique, en lui adres­sant une réponse franche et déci­sive ; Nous le fai­sons d’autant plus volon­tiers que Votre Majesté Nous donne l’assurance qu’elle tien­dra grand compte de cette réponse.

Sans entrer dans la dis­cus­sion de ce que contiennent les écrits des ministres royaux que Votre Majesté Nous a fait adres­ser, et où l’on pré­tend faire tout à la fois l’apologie de la loi du 9 avril 1850 et celle du pro­jet de loi sur le Ma­riage civil, repré­sen­tant cette der­nière comme une consé­quence des engage­ments pris par la publi­ca­tion de la pre­mière ; sans faire obser­ver que l’on fait cette apo­lo­gie au moment où se trouvent pen­dantes les négo­cia­tions com­mencées pour la conci­lia­tion avec les droits de l’Eglise vio­lés par ces lois ; sans qua­li­fier cer­tains prin­cipes for­mu­lés dans ces écrits, et qui sont mani­festement contraires à la sainte dis­ci­pline de l’Église, Nous Nous pro­po­sons seule­ment d’exposer, avec la briè­ve­té qu’exigent les limites d’une lettre, quelle est sur le point en ques­tion la doc­trine catho­lique. Votre Majesté trou­ve­ra dans cette doc­trine tout ce qui est néces­saire pour qu’une affaire aus­si impor­tante soit ter­mi­née confor­mé­ment aux règles. Nous sommes d’autant plus con­vaincu de pou­voir obte­nir ce résul­tat, que les ministres de Votre Majesté ont décla­ré qu’ils ne consen­ti­raient jamais à faire une pro­po­si­tion contraire aux pré­ceptes de la reli­gion, quelles que puissent être les opi­nions dominantes.

C’est un dogme de foi que le Mariage a été éle­vé par Jésus-​Christ Notre-​Seigneur à la digni­té de sacre­ment, et c’est un point de la doc­trine de l’Église catho­lique que le sacre­ment n’est pas une qua­li­té acci­den­telle sur­ajou­tée au contrat, mais qu’il est de l’essence même du Mariage, de telle sorte que l’union conju­gale entre des chré­tiens n’est légi­time que dans le Mariage-​sacrement, hors duquel il n’y a qu’un pur concubinage.

l’union conju­gale entre des chré­tiens n’est légi­time que dans le Mariage-​sacrement, hors duquel il n’y a qu’un pur concubinage.

Une loi civile qui, sup­po­sant le sacre­ment divi­sible du contrat de Mariage pour des catho­liques, pré­tend en régler la vali­di­té, contre­dit la doc­trine de l’Eglise, usurpe ses droits inalié­nables, et, dans la pra­tique, met sur le même rang le concu­bi­nage et le sacre­ment de Mariage, en les sanc­tion­nant l’un et l’autre comme éga­le­ment légitimes.

La doc­trine de l’Eglise ne serait pas sauve et les droits de l’Eglise ne seraient pas suf­fi­sam­ment garan­tis par l’adoption, à la suite de la dis­cus­sion qui doit avoir lieu au Sénat, des deux condi­tions indi­quées par les ministres de Votre Majesté, savoir : 1° que la loi recon­naî­tra comme valides les Mariages célé­brés régu­liè­re­ment devant l’Eglise, et 2° que, lorsqu’un Mariage dont l’Église ne recon­naît pas la vali­di­té aura été célé­bré, celle des deux par­ties qui vou­drait plus tard se confor­mer aux pré­ceptes de l’Eglise ne sera pas tenue de per­sé­vé­rer dans une coha­bi­ta­tion condam­née par la religion.

Quant à la pre­mière condi­tion, ou l’on entend par Mariages valides les Mariages régu­liè­re­ment célé­brés devant l’Eglise, et, dans ce cas, non seu­lement la dis­tinc­tion de la loi serait super­flue, mais il y aurait une véri­table usur­pa­tion sur le pou­voir légi­time, si la loi civile pré­ten­dait connaître et juger des cas où le sacre­ment de Mariage a été ou n’a pas été célé­bré régu­liè­re­ment devant l’Eglise : ou bien on entend par Mariages valides devant l’Église les seuls Mariages contrac­tés régu­liè­re­ment c’est-à-dire confor­mé­ment aux lois civiles, et, dans cette hypo­thèse, on est encore conduit à la vio­la­tion d’un droit qui est exclu­si­ve­ment de la com­pé­tence de l’Église.

Quant à la deuxième condi­tion, en lais­sant à l’une des deux par­ties la liber­té de ne pas per­sé­vé­rer dans une coha­bi­ta­tion illi­cite, atten­du la nul­li­té du Mariage qui n’aurait été célé­bré ni devant l’Eglise ni confor­mé­ment à ses lois, on n’en lais­se­rait pas moins sub­sis­ter comme légi­time devant le pou­voir civil une union condam­née par la religion.

Au reste, les deux condi­tions ne détruisent ni l’une ni l’autre la suppo­sition que le pro­jet de loi prend pour point de départ dans toutes ses dispo­sitions, savoir : que dans le Mariage le sacre­ment est sépa­ré du contrat, et, par cela même, elles laissent sub­sis­ter l’opposition déjà indi­quée entre ce pro­jet de loi et la doc­trine de l’Église sur le Mariage.

Que César, gar­dant ce qui est à César, laisse à l’Eglise ce qui est à l’Eglise : il n’y a pas d’autre moyen de conci­lia­tion. Que le pou­voir civil dis­pose des effets civils qui dérivent du Mariage, mais qu’il laisse l’Église régler la vali­di­té du Mariage même entre chré­tiens. Que la loi civile prenne pour point de départ la vali­di­té ou l’invalidité du Mariage comme l’Église les déter­mine, et, par­tant de ce fait, qu’elle ne peut pas consti­tuer (cela est hors de sa sphère), qu’elle en règle les effets civils.

Que César, gar­dant ce qui est à César, laisse à l’Eglise ce qui est à l’Eglise : il n’y a pas d’autre moyen de conciliation.

La lettre de Votre Majesté Nous engage encore à don­ner des éclaircisse­ments sur quelques autres pro­po­si­tions que Nous avons remar­quées. Et d’abord, Votre Majesté dit avoir appris, par un canal qu’elle doit croire offi­ciel, que Nous n’avons pas regar­dé comme nui­sible à l’Église la présenta­tion de la loi sus­dite. Nous avons vou­lu Nous entre­te­nir sur ce point, avant son départ de Rome, avec le ministre de Votre Majesté, le comte Bertone. Il Nous a assu­ré, sur l’honneur, qu’il s’était bor­né uni­que­ment à écrire aux ministres de Votre Majesté que le Pape ne pour­rait rien oppo­ser si, tout en conser­vant au sacre­ment tous ses droits sacrés et la liber­té à laquelle il a droit, on fai­sait des lois rela­tives exclu­si­ve­ment aux effets civils du Mariage.

Votre Majesté ajoute que les lois sur le Mariage, qui sont en vigueur dans cer­tains États limi­trophes du royaume du Piémont, n’ont pas empê­ché le Saint-​Siège de regar­der ces États d’un œil de bien­veillance et d’amour. A ceci Nous répon­drons que le Saint-​Siège n’est jamais demeu­ré indif­fèrent aux faits que l’on cite, et qu’il a tou­jours récla­mé contre ces lois depuis le mo­ment où leur exis­tence lui a été connue ; les docu­ments où sont consi­gnées les remon­trances faites à ce sujet se conservent encore dans Nos archives. Cela ne l’a jamais empê­ché cepen­dant, et cela ne l’empêchera jamais d’aimer les ca­tholiques des nations qui ont été contraintes de se sou­mettre aux exi­gences des lois sus­dites. Devrions-​Nous ces­ser d’aimer les catho­liques du royaume de Votre Majesté s’ils se trou­vaient dans la dure néces­si­té de subir la loi en dis­cussion ? Assurément non ! Nous dirons plus : les sen­ti­ments de cha­ri­té envers Votre Majesté devraient-​ils s’éteindre en Nous si, ce qu’à Dieu ne plaise, elle se trou­vait entraî­née à revê­tir cette loi de sa sanc­tion royale ? Notre cha­ri­té redou­ble­rait, au contraire, et ce serait avec une ardeur encore plus grande que Nous adres­se­rions à Dieu de fer­ventes prières, le sup­pliant de ne pas reti­rer de des­sus la tête de Votre Majesté sa main toute-​puissante, et de dai­gner lui accor­der plus abon­dam­ment que jamais le secours des lumières et des inspi­rations de sa grâce.

Il Nous est cepen­dant impos­sible de ne pas com­prendre dans toute son éten­due le devoir qui Nous est impo­sé, de pré­ve­nir le mal autant que cela dépend de Nous, et Nous décla­rons à Votre Majesté que si le Saint-​Siège a déjà récla­mé en diverses occa­sions contre les lois de cette nature, il est aujourd’hui plus que jamais obli­gé de récla­mer encore vis-​à-​vis du Pié­mont et de don­ner à ces récla­ma­tions la forme la plus solen­nelle, et cela pré­cisément parce que le minis­tère de Votre Majesté invoque l’exemple des autres Etats, exemple funeste dont c’est Notre devoir d’empêcher l’imitation, et aus­si parce que, le moment choi­si pour pré­pa­rer l’établissement de cette loi étant celui où des négo­cia­tions sont ouvertes pour le règle­ment d’autres affaires, cette cir­cons­tance pour­rait don­ner lieu de sup­po­ser qu’il y a en cela quelque conni­vence de la part du Saint-​Siège. Une telle déter­mi­na­tion Nous sera véri­ta­ble­ment dou­lou­reuse. Mais Nous ne pour­rons en aucune manière Nous déchar­ger de ce devoir devant Dieu, qui Nous a confié le gou­ver­ne­ment de l’Eglise et la garde de ses droits. En fai­sant dis­pa­raître la cause qui Nous oblige à le rem­plir, Votre Majesté pour­rait Nous appor­ter un grand soulage­ment, et une seule parole d’Elle sur ce point met­trait le comble à la conso­lation que Nous avons éprou­vée lorsqu’Elle s’est adres­sée direc­te­ment à Nous. Plus la réponse de Votre Majesté sera prompte, plus elle sera douce à Notre cœur, car elle vien­dra le déli­vrer d’une pen­sée qui l’accable, mais que Nous serons cepen­dant contraint de réa­li­ser dans toute son éten­due quand un devoir de conscience exi­ge­ra rigou­reu­se­ment de Nous cet acte solennel.

Il Nous reste main­te­nant à lever l’équivoque qui trompe Votre Majesté en ce qui touche l’administration du dio­cèse de Turin. Pour évi­ter des lon­gueurs super­flues, Nous Nous conten­te­rons de prier Votre Majesté d’avoir la patience de lire les deux lettres que Nous lui avons adres­sées sous les dates des 7 sep­tembre et 9 novembre 1849. Le ministre de Votre Majesté à Rome, qui se trouve aujourd’hui à Turin, pour­ra lui rap­por­ter à ce sujet une réflexion qu’il a enten­due de Notre bouche, et que Nous rap­pel­le­rons ici en toute sim­plicité. Ce ministre insis­tant pour la nomi­na­tion d’un admi­nis­tra­teur dans le dio­cèse de Turin, Nous lui fîmes obser­ver que le ministre pié­mon­tais, en pre­nant la res­pon­sa­bi­li­té de l’incarcération et de l’exil, si dignes de réproba­tion, de mon­sei­gneur l’Archevêque de Turin, avait obte­nu un résul­tat que pro­ba­ble­ment il ne se pro­po­sait pas, ces mesures ayant ren­du ce pré­lat l’ob­jet des sym­pa­thies et de la véné­ra­tion d’une si grande par­tie du catho­li­cisme, qui s’est plu à les mani­fes­ter en tant de manières. Il s’ensuit que Nous sommes aujourd’hui dans l’impossibilité de paraître Nous mettre en opposi­tion avec ce sen­ti­ment d’admiration expri­mé par le monde catho­lique, en pri­vant mon­sei­gneur l’Archevêque de Turin de l’ad­mi­nis­tra­tion de son diocèse.

Nous écri­vons à Votre Majesté que la loi n’est pas catho­lique. Or, si la loi n’est pas catho­lique, le cler­gé est obli­gé d’en pré­ve­nir les fidèles, dût-​il, en le fai­sant, s’exposer aux plus grands dangers.

Nous ter­mi­ne­rons en répon­dant à la der­nière obser­va­tion que Nous fait Votre Majesté. On accuse une par­tie du cler­gé catho­lique pié­mon­tais de faire la guerre au gou­ver­ne­ment de Votre Majesté et de pous­ser ses sujets à la révolte contre Elle et contre ses lois. Une telle accu­sa­tion Nous paraî­trait in­vraisemblable si elle n’était for­mu­lée par Votre Majesté, qui assure avoir en main les docu­ments par les­quels elle est jus­ti­fiée. Nous regret­tons de n’avoir aucune connais­sance de ces docu­ments et de Nous trou­ver ain­si dans l’impos­sibilité de savoir quels sont les membres du cler­gé qui donnent les mains à la détes­table entre­prise d’une révo­lu­tion en Piémont. Cette igno­rance ne Nous per­met pas de les punir. Toutefois, si par les mots exci­ta­tion à la révolte ou vou­lait par­ler des écrits que le cler­gé pié­mon­tais a fait paraître pour s’opposer au pro­jet de loi sur le Mariage, Nous dirons, tout en fai­sant abs­trac­tion de la manière dont quelques-​uns auront pu s’y prendre, qu’en cela le cler­gé a fait son devoir. Nous écri­vons à Votre Majesté que la loi n’est pas catho­lique. Or, si la loi n’est pas catho­lique, le cler­gé est obli­gé d’en pré­ve­nir les fidèles, dût-​il, en le fai­sant, s’exposer aux plus grands dan­gers. Majesté, c’est au nom de Jésus-​Christ, dont, mal­gré Notre indi­gni­té, Nous sommes le Vicaire, que Nous vous par­lons, et Nous vous disons en son nom sacré de ne pas don­ner votre sanc­tion à cette loi, qui sera la source de mille désordres.

Majesté, c’est au nom de Jésus-​Christ, dont, mal­gré Notre indi­gni­té, Nous sommes le Vicaire, que Nous vous par­lons, et Nous vous disons en son nom sacré de ne pas don­ner votre sanc­tion à cette loi, qui sera la source de mille désordres.

Nous prions aus­si Votre Majesté de vou­loir bien ordon­ner qu’un frein soit mis à la presse, qui regorge conti­nuel­le­ment de blas­phèmes et d’immoralités. Ah ! de grâce ! par pitié, mon Dieu, que ces péchés ne retombent point sur celui qui, en ayant la puis­sance, ne vou­drait pas mettre obs­tacle à la cause qui les pro­duit ! Votre Majesté se plaint du cler­gé ; mais ce cler­gé a été, dans ces der­nières années, per­sé­vé­ram­ment outra­gé, moqué, calom­nié, livré à l’op­probre et à la déri­sion par presque tous les jour­naux qui s’im­priment dans le Piémont ; on ne sau­rait redire toutes les infa­mies, toutes les invec­tives hai­neuses répan­dues contre lui. Et main­te­nant, parce qu’il défend la pure­té de la foi et les prin­cipes de la ver­tu, il doit encou­rir la dis­grâce de Votre Majesté ! Nous ne pou­vons le croire et Nous Nous aban­don­nons de tout cœur à l’espé­rance de voir Votre Majesté sou­te­nir les droits, pro­té­ger les ministres de l’Eglise, et déli­vrer son peuple du joug de ces lois qui attestent la déca­dence de la reli­gion et de la mora­li­té dans les Etats qui ont à les subir.

Plein de cette confiance, Nous éle­vons les mains au ciel, priant la très sainte Trinité de faire des­cendre la Bénédiction apos­to­lique sur la per­sonne auguste de Votre Majesté et sur toute sa royale famille.

PIE IX, PAPE.

La VIIe année de notre Pontificat.

Source : Recueil des allo­cu­tions consis­to­riales, ency­cliques et autres lettres apos­to­liques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.