N° 31 – Février 2013
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hère Madame,
Arrive le moment de rompre le long silence dû à l’impossibilité dans laquelle je me suis trouvée, faute de temps, de satisfaire à la demande de certaines d’entre vous qui s’inquiétaient de ne plus recevoir cette lettre – et que je tiens, ici, à remercier tout spécialement pour l’intérêt qu’elles y portent.
Vous ayant fait attendre, aujourd’hui j’aimerais vous entretenir justement de « l’attente ».
« Savoir attendre » est un art difficile, il faut en convenir, parce qu’à son origine se trouvent deux vertus contrariantes pour la nature : la patience et l’humilité.
Voyez cet enfant qui trépigne et qui crie : « Je veux ça, vite, tout de suite ! » Ou bien cet élève qui, en classe, lève le doigt, interrompt le cours et interroge sans attendre que la maîtresse le nomme. Que d’exemples il serait possible de vous donner ! Mais vous les connaissez également et suffisamment dans votre vie quotidienne.
Il en va de même pour nous. Ne sommes-nous pas, à nos heures, identiques à cet enfant mal élevé : nous ne savons pas attendre ! Et, comme je n’ai cessé de le répéter bien souvent dans mes précédentes lettres, les enfants nous imitent ! A peine avons-nous conçu un désir, formulé une demande, que nous exigeons la satisfaction immédiate. Un projet n’est pas plutôt formé dans notre esprit, que nous voulons le voir se réaliser sans délai.
Notre amour-propre est-il blessé au cours d’un entretien ? Nous ripostons à la hâte, sans réflexion, avec amertume. Lorsque les agissements de l’autorité ne nous conviennent pas, nous les attribuons sans examen à la malveillance, etc.
Avec le temps et du recul, tout cela se serait éclairé, expliqué…. nous aurions évité une foule de démarches maladroites, de jugements erronés et superficiels…et de fautes contre la charité.
Mais hélas ! dans notre vie quotidienne aussi trépidante et fiévreuse, telle qu’elle est devenue ! le mot « attendre » signifie, pour bien des gens « perdre son temps ». La précipitation, l’empressement, la nervosité sont à l’ordre du jour. Et les progrès de la technique (l’ordinateur, internet, et autres) ne font qu’accentuer le problème.
Pour réagir contre ce mal, comprenons qu’il est possible de faire beaucoup….. en ne faisant rien… qu’attendre. Comment ? me direz-vous. « Penser à Dieu est une action » a dit l’écrivain Joseph Joubert. Y a‑t-il une action plus belle, plus sanctifiante que celle-là ?
Apprenons à penser à Dieu, en insérant des actes d’amour, en faisant une communion spirituelle, un retour de notre cœur vers la Sainte Trinité qui habite en notre âme par le baptême : Que d’occasions dans une journée pour meubler ces temps « creux » où il faut attendre. Ils sont si fréquents, et surtout : apprenons à nos enfants à faire de même. Rien n’est plus agaçant pour l’enfant que d’être sage dans les rangs à la fin d’une récréation ; pour lui c’est difficile surtout quand l’attente est parfois longue ; mais s’il prie le Seigneur qui habite en lui, alors quel changement ! Comptez sur la grâce qui viendra à son secours. Je dis souvent aux enfants : quand vous élevez votre âme vers Dieu qui habite dans votre cœur, le Bon Dieu « si bon » n’est pas insensible à cet acte de foi et d’amour et Il sait vous récompenser pour cet acte gratuit d’amour, en vous donnant une grâce : déjà celle de savoir attendre patiemment et d’être sages. Mais votre enfant ne le fera que si vous avez pris l’habitude de le faire. J’insiste, à temps et à contretemps, sur le fait que l’enfant imite l’adulte.
Ces moments d’attente ne seront pas perdus : loin de là ! Pour qui sait patienter en pensant à Dieu, ces minutes sont riches d’éternité.
Nous sommes pressés ?… allons doucement. Telle était la conduite de Saint Vincent de Paul qui disait à ceux qui s’en étonnaient : « C’est ainsi que Dieu lui-même fait ses œuvres, peu à peu…. Voyez l’Incarnation : quatre mille ans d’attente l’ont préparée ! Et Notre-Seigneur, venant sur terre, aurait pu y paraître tout de suite dans un âge parfait et commencer sans retard l’œuvre de notre Rédemption. Non ! La Sainte Vierge le porte neuf mois en son sein. Il naît petit enfant, il grandit peu à peu à la façon des hommes et – sublime leçon – Il s’attarde trente ans à Nazareth dans une vie cachée et soumise à ses parents, avant de se produire au monde. »
Les saints l’avaient bien compris. Aussi, plus ils avaient du travail, des soucis…. et plus ils augmentaient le temps de la prière ou de l’oraison : Saint François de Sales, Saint Vincent de Paul et même Saint Louis Roi de France qui assistait à plusieurs messes chaque jour ! Ils savaient qu’en donnant du temps au Seigneur, en sachant « attendre » en présence de Dieu, ils y gagnaient pour leur apostolat auprès des âmes.
Suivons de si beaux exemples en prenant le temps de consulter, de réfléchir et de prier : c’est assurer à son travail le maximum de réussite.
Savoir attendre dans l’éducation, savoir patienter devant l’effort de l’enfant, dans la correction de ses défauts…. Savoir attendre est souvent la clé maîtresse du succès. Un enfant qui se sent coupable d’une faute ne se livre pas du premier coup. Le presser avec rudesse (par manque de temps !) serait maladroit. Il ne faut pas chercher ailleurs la méfiance ou la résistance chez l’enfant. N’oublions pas que Dieu nous supporte longtemps, avant de nous ouvrir les yeux sur certaines de nos misères personnelles dont tout le monde s’aperçoit avant nous.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus disait :« Dieu n’aime pas à tout montrer aux âmes en même temps : il ne donne ordinairement sa lumière que petit à petit. » Savoir attendre, simplement, sans dépit ni inquiétude, mais en persévérant dans l’effort. Devant Dieu, tout effort est un succès, ne l’oublions pas.
Sachons donc patienter, comme Lui, avec nos enfants. Il faut, dans l’éducation, consentir à perdre beaucoup de temps, surtout avec les tout-petits (car les bonnes habitudes s’impriment très tôt, je le réitère)….. pour en gagner beaucoup.
Que de fois n’ai-je pas entendu de la part de mamans : « Il faut toujours répéter la même chose ! Il recommence toujours. » Et oui ! Notre-Seigneur aussi, nous pardonne toujours les mêmes fautes qu’on accuse à chacune de nos confessions, alors que nous prenons la ferme résolution – avec le secours de sa sainte grâce – de ne plus recommencer : et Il ne se lasse pas, Lui, depuis des siècles ! Nous sommes de pauvres pécheurs, et nos enfants aussi. Soyons indulgents tout en étant fermes.
Rappelons-nous que « la patience obtient tout » et que les heures sacrifiées en répétitions, en corrections, aboutiront certainement à changer l’enfant ; on n’obtient rien sans mal : mais la persévérance nous est difficile parce que nous sommes pressés ! Au contraire, comptons sur l’aide de Dieu qui vient toujours au secours de l’âme qui l’appelle. Dans cette grande œuvre de l’éducation, nous ne sommes jamais seuls ; Dieu n’abandonne jamais son œuvre ; c’est nous qui manquons de foi, d’amour et d’espérance envers un si bon Père. Nous comptons trop sur les moyens humains que nous offrent la société et le monde moderne… au lieu de compter d’avantage sur l’aide divine : nous avons tort.
Savoir attendre dans la confiance et la paix ! Dans l’Ecriture Sainte, Dieu donne ce conseil :« Mon fils, humilie ton cœur et attends, incline l’oreille et reçois les paroles de la sagesse, et ne te hâte point dans le temps de l’obscurcissement. Supporte les délais de Dieu, reste uni à Dieu et attends. Un jour, la vie doit grandir en toi pour l’éternité. Accepte tout ce qui t’arrive ; souffre et attends, et dans le temps de l’humiliation, garde la patience…O vous tous qui craignez le Seigneur, attendez, attendez sa miséricorde. » (Eccl. II, 1 à 7)
Le malheur est qu’on ne sait ni prier ni attendre ou bien notre prière manque de persévérance : on veut être exaucé tout de suite ! On voudrait être affranchi immédiatement de son mal. On voudrait que notre enfant change sans délai, qu’il se corrige de tel défaut instantanément, qu’il grandisse plus vite, qu’il écoute « enfin » et fasse attention, qu’il ne recommence plus, etc.… Que dit le Seigneur ? « Attendez, attendez-moi, je viendrai et je vous guérirai. » La demi-confiance qu’on donne à cette promesse divine équivaut à un doute. On ne connaît pas le Cœur du Bon Dieu. Saint Paul disait : « Je sais à qui je me suis fié » (II Tim. 1, 12) Tous les saints l’ont dit après lui. Ils ont patienté dans les difficultés. Et Dieu est, tôt ou tard, intervenu en leur faveur. Oui, ce qui nous manque, c’est la foi vivante et confiante en Dieu, dans l’éducation de nos chers petits. Dieu est là dans l’âme de chacun de ses enfants : Sachons Le voir et L’y faire grandir.
Savoir attendre Dieu, ce n’est pas simplement pratiquer la vertu de patience, c’est être filialement abandonné à Lui ! Il faut en venir là, sa grâce aidant. Mais ce ne sera pas sans nous être jetés à corps perdu dans une aveugle confiance en l’amour de notre Père céleste. Oh ! qu’il faut être sûr du Cœur de Dieu pour vivre d’abandon !
En résumé, la patience, c’est se confier entièrement à Dieu en tout et malgré tout et se défier de soi. L’humilité nous garde dans la patience. La société actuelle nous enseigne tout le contraire. Or, les enfants et nous-mêmes vivons dans une société déchristianisée. C’est la raison pour laquelle, Chère Madame, vous avez tellement de mal à réagir devant le manque de patience…. Je ne nie pas les difficultés. Mais Dieu est Tout-Puissant ; Lui seul est le Maître aimé et aimant sur qui nous pouvons et devons nous reposer. Il nous attend pour nous aider, pour vous aider dans cette si belle œuvre de l’éducation des enfants. Sachons avoir recours à Lui par l’intermédiaire de Marie Immaculée. Il est là : ne doutez jamais de Lui et de sa Toute Puissance infinie, ni de son Amour infini.
(à suivre)
Une Religieuse.