Une vertu pour les âmes libres.
Nous avons peut-être trop tendance à croire que la vertu d’obéissance est réservée à la période de l’enfance. Cette période passée, nous réclamons une autonomie que les autres sont priés de respecter, même si nous sommes encore obligés parfois de nous conformer à la volonté d’autrui. En réalité, nous avons tous à pratiquer l’obéissance à des supérieurs humains durant toute notre vie. L’obéissance au chef de famille, au patron, à l’officier, au supérieur religieux ou ecclésiastique, aux lois civiles justes sont des réalités avec lesquelles nous devons vivre et nous sanctifier. Certes, certains sont placés en haut de la pyramide sociale : il n’empêche qu’ils ont la stricte obligation et de se soumettre à la volonté divine et de n’exiger de leurs inférieurs que ce qui est conforme à cette même volonté.
Cette obéissance aux hommes n’est pas absolue. Les théologiens précisent toujours que pour qu’un ordre nous oblige en conscience il faut d’une part qu’il ne contredise pas la volonté d’un supérieur plus haut placé, en particulier un ordre de Dieu, et d’autre part que le supérieur n’outrepasse pas le domaine de son autorité. Un inspecteur de l’Éducation Nationale qui demanderait à un enfant pour qui votent ses parents devrait se voir opposer un silence réprobateur. Mgr Ducaut-Bourget l’expose avec sa verve habituelle : « « On ne se damne pas en obéissant. » C’est donc que vous n’êtes que des animaux sans esprit, sans volonté, sans âme spirituelle, intellectuelle ou morale […] sans personnalité. Êtes-vous donc des bêtes incapables de discerner le vrai et le faux, le bien et le mal, l’enseignement de Jésus et celui du démon ? ».
Il est certains cas où l’ordre que nous avons reçu ne va pas contre la foi et les mœurs et ne sort pas du domaine de compétence du supérieur, mais nous estimons que ce que l’on nous demande de faire est maladroit, inutile voire complètement idiot. Le père de famille tranche un conflit et ordonne une punition qui semble inadaptée à la maman, le patron impose un nouveau processus de fabrication bien moins efficace, le supérieur décide de changer les horaires de messe alors que les précédents satisfaisaient la plupart des paroissiens. Dans ce cas, notre devoir est bien d’obéir, d’accomplir loyalement la volonté du supérieur sans chercher absolument à saboter notre travail pour montrer que ces nouvelles dispositions sont ridicules et inefficaces. Mais il est aussi de notre devoir de faire connaître à notre supérieur, avec tout le respect qui lui est dû, notre sentiment sur ce qu’il nous demande et de présenter nos raisons pour critiquer cette disposition. Une fois la discussion terminée et si le supérieur ne revient pas sur sa décision, l’obéissance est de mise. L’avenir dira qui, du supérieur ou de l’inférieur, avait raison. L’obéissance est bien une vertu de la volonté, non de l’intelligence. Celui qui obéit reste un homme doué d’intelligence et de jugement, capable d’apprécier les ordres qu’il reçoit d’un de ses semblables.
Saint Thomas, à propos de l’obéissance, cite l’opinion de ceux qui estiment qu’obéir à un ordre qui nous plaît, qui correspond à nos goûts, est moins méritoire que d’obéir à un ordre qui nous répugne. Il semble en effet qu’en obéissant à un ordre qui nous plaît, nous faisons finalement notre propre volonté et l’acte perd de son mérite d’obéissance qui consiste à plier sa volonté devant celle d’un autre homme. Cela est sans doute vrai dans la plupart des cas et saint Grégoire le Grand peut dire : « l’obéissance qui trouve son compte dans un ordre qui lui agrée est nulle ou diminuée ». Mais saint Thomas remarque que même un ordre agréable peut être accompli avec une grande perfection et un grand mérite si celui qui obéit ne voit que l’ordre donné et met toute sa bonne volonté à l’accomplir.
Faisons attention également à ce que notre obéissance ne soit pas une façade de vertu qui cache un gouffre d’amour propre et d’esprit d’indépendance. Notre Seigneur raconte la parabole des deux jeunes gens qui reçoivent l’ordre de leur père d’aller travailler dans le jardin toute la journée. L’un maugrée contre cet ordre qui contrarie ses projets, l’autre répond d’une voix mielleuse que, bien sûr, il fera ce que son père lui demande. Mais de fait, le premier fils rentre en lui-même, reconnaît que son père est en droit de lui demander ce travail et bêche avec courage toute la journée dans le jardin paternel. L’autre par contre, malgré ses bonnes paroles, n’a pas mis un pied dans ce fameux jardin et a passé sa journée à faire ce qu’il voulait. Le premier fils s’est finalement montré obéissant malgré son mouvement d’humeur, l’autre n’en a fait qu’à sa tête malgré une soumission ostentatoire.
Un point sur lequel nous avons à faire des progrès, c’est celui de l’accomplissement de la tâche, de sa réalisation complète qui parfois contient une phase de compte-rendu présenté à l’autorité. Nous le voyons souvent avec des élèves : les feuilles mortes à ramasser dans la cour ont bien été mises en tas, mais les outils restent éparpillés sur le chantier et le tas, certes impressionnant, s’étalera de nouveau au premier coup de vent, rendant tout ce travail inutile. Il faut donc aller jusqu’au bout, ranger le matériel, nettoyer le chantier.
Notre obéissance aux hommes va de pair avec notre obéissance à Dieu. D’une part, en accomplissant les ordres de mon supérieur, j’obéis ultimement à Dieu qui dans sa Providence m’a placé sous l’autorité de cette personne. D’autre part, en mortifiant ma volonté propre, j’offre un sacrifice d’agréable odeur à Dieu, sacrifice qui lui est souverainement agréable. De même que l’amour envers Dieu ne peut exister sans la charité envers le prochain, l’obéissance à Dieu est un vain mot si nous ne savons pas obéir aux chefs que Dieu nous a donnés.
Que Notre Dame, qui se définit comme la « servante du Seigneur » et qui fut parfaitement soumise à son mari, nous apprenne l’obéissance joyeuse, spontanée et entière à ceux qui ont autorité sur nous.
Source : Le Sainte-Anne n°363