L’obéissance

Giuseppe Bonito, 1707-1789, Allégorie de l'Obéissance et de la Tempérance

Une ver­tu pour les âmes libres.

Nous avons peut-​être trop ten­dance à croire que la ver­tu d’obéissance est réser­vée à la période de l’en­fance. Cette période pas­sée, nous récla­mons une auto­no­mie que les autres sont priés de res­pec­ter, même si nous sommes encore obli­gés par­fois de nous confor­mer à la volon­té d’au­trui. En réa­li­té, nous avons tous à pra­ti­quer l’o­béis­sance à des supé­rieurs humains durant toute notre vie. L’obéissance au chef de famille, au patron, à l’of­fi­cier, au supé­rieur reli­gieux ou ecclé­sias­tique, aux lois civiles justes sont des réa­li­tés avec les­quelles nous devons vivre et nous sanc­ti­fier. Certes, cer­tains sont pla­cés en haut de la pyra­mide sociale : il n’empêche qu’ils ont la stricte obli­ga­tion et de se sou­mettre à la volon­té divine et de n’exi­ger de leurs infé­rieurs que ce qui est conforme à cette même volonté.

Cette obéis­sance aux hommes n’est pas abso­lue. Les théo­lo­giens pré­cisent tou­jours que pour qu’un ordre nous oblige en conscience il faut d’une part qu’il ne contre­dise pas la volon­té d’un supé­rieur plus haut pla­cé, en par­ti­cu­lier un ordre de Dieu, et d’autre part que le supé­rieur n’ou­tre­passe pas le domaine de son auto­ri­té. Un ins­pec­teur de l’Éducation Nationale qui deman­de­rait à un enfant pour qui votent ses parents devrait se voir oppo­ser un silence répro­ba­teur. Mgr Ducaut-​Bourget l’ex­pose avec sa verve habi­tuelle : « « On ne se damne pas en obéis­sant. » C’est donc que vous n’êtes que des ani­maux sans esprit, sans volon­té, sans âme spi­ri­tuelle, intel­lec­tuelle ou morale […] sans per­son­na­li­té. Êtes-​vous donc des bêtes inca­pables de dis­cer­ner le vrai et le faux, le bien et le mal, l’en­sei­gne­ment de Jésus et celui du démon ? ».

Giuseppe Bonito, 1707–1789, Allégorie de l’Obéissance et de la Tempérance

Il est cer­tains cas où l’ordre que nous avons reçu ne va pas contre la foi et les mœurs et ne sort pas du domaine de com­pé­tence du supé­rieur, mais nous esti­mons que ce que l’on nous demande de faire est mal­adroit, inutile voire com­plè­te­ment idiot. Le père de famille tranche un conflit et ordonne une puni­tion qui semble inadap­tée à la maman, le patron impose un nou­veau pro­ces­sus de fabri­ca­tion bien moins effi­cace, le supé­rieur décide de chan­ger les horaires de messe alors que les pré­cé­dents satis­fai­saient la plu­part des parois­siens. Dans ce cas, notre devoir est bien d’o­béir, d’ac­com­plir loya­le­ment la volon­té du supé­rieur sans cher­cher abso­lu­ment à sabo­ter notre tra­vail pour mon­trer que ces nou­velles dis­po­si­tions sont ridi­cules et inef­fi­caces. Mais il est aus­si de notre devoir de faire connaître à notre supé­rieur, avec tout le res­pect qui lui est dû, notre sen­ti­ment sur ce qu’il nous demande et de pré­sen­ter nos rai­sons pour cri­ti­quer cette dis­po­si­tion. Une fois la dis­cus­sion ter­mi­née et si le supé­rieur ne revient pas sur sa déci­sion, l’o­béis­sance est de mise. L’avenir dira qui, du supé­rieur ou de l’in­fé­rieur, avait rai­son. L’obéissance est bien une ver­tu de la volon­té, non de l’in­tel­li­gence. Celui qui obéit reste un homme doué d’in­tel­li­gence et de juge­ment, capable d’ap­pré­cier les ordres qu’il reçoit d’un de ses semblables.

Saint Thomas, à pro­pos de l’o­béis­sance, cite l’o­pi­nion de ceux qui estiment qu’o­béir à un ordre qui nous plaît, qui cor­res­pond à nos goûts, est moins méri­toire que d’o­béir à un ordre qui nous répugne. Il semble en effet qu’en obéis­sant à un ordre qui nous plaît, nous fai­sons fina­le­ment notre propre volon­té et l’acte perd de son mérite d’o­béis­sance qui consiste à plier sa volon­té devant celle d’un autre homme. Cela est sans doute vrai dans la plu­part des cas et saint Grégoire le Grand peut dire : « l’o­béis­sance qui trouve son compte dans un ordre qui lui agrée est nulle ou dimi­nuée ». Mais saint Thomas remarque que même un ordre agréable peut être accom­pli avec une grande per­fec­tion et un grand mérite si celui qui obéit ne voit que l’ordre don­né et met toute sa bonne volon­té à l’accomplir.

Faisons atten­tion éga­le­ment à ce que notre obéis­sance ne soit pas une façade de ver­tu qui cache un gouffre d’a­mour propre et d’es­prit d’in­dé­pen­dance. Notre Seigneur raconte la para­bole des deux jeunes gens qui reçoivent l’ordre de leur père d’al­ler tra­vailler dans le jar­din toute la jour­née. L’un mau­grée contre cet ordre qui contra­rie ses pro­jets, l’autre répond d’une voix miel­leuse que, bien sûr, il fera ce que son père lui demande. Mais de fait, le pre­mier fils rentre en lui-​même, recon­naît que son père est en droit de lui deman­der ce tra­vail et bêche avec cou­rage toute la jour­née dans le jar­din pater­nel. L’autre par contre, mal­gré ses bonnes paroles, n’a pas mis un pied dans ce fameux jar­din et a pas­sé sa jour­née à faire ce qu’il vou­lait. Le pre­mier fils s’est fina­le­ment mon­tré obéis­sant mal­gré son mou­ve­ment d’hu­meur, l’autre n’en a fait qu’à sa tête mal­gré une sou­mis­sion ostentatoire.

Un point sur lequel nous avons à faire des pro­grès, c’est celui de l’ac­com­plis­se­ment de la tâche, de sa réa­li­sa­tion com­plète qui par­fois contient une phase de compte-​rendu pré­sen­té à l’au­to­ri­té. Nous le voyons sou­vent avec des élèves : les feuilles mortes à ramas­ser dans la cour ont bien été mises en tas, mais les outils res­tent épar­pillés sur le chan­tier et le tas, certes impres­sion­nant, s’é­ta­le­ra de nou­veau au pre­mier coup de vent, ren­dant tout ce tra­vail inutile. Il faut donc aller jus­qu’au bout, ran­ger le maté­riel, net­toyer le chantier.

Notre obéis­sance aux hommes va de pair avec notre obéis­sance à Dieu. D’une part, en accom­plis­sant les ordres de mon supé­rieur, j’o­béis ulti­me­ment à Dieu qui dans sa Providence m’a pla­cé sous l’au­to­ri­té de cette per­sonne. D’autre part, en mor­ti­fiant ma volon­té propre, j’offre un sacri­fice d’a­gréable odeur à Dieu, sacri­fice qui lui est sou­ve­rai­ne­ment agréable. De même que l’a­mour envers Dieu ne peut exis­ter sans la cha­ri­té envers le pro­chain, l’o­béis­sance à Dieu est un vain mot si nous ne savons pas obéir aux chefs que Dieu nous a donnés.

Que Notre Dame, qui se défi­nit comme la « ser­vante du Seigneur » et qui fut par­fai­te­ment sou­mise à son mari, nous apprenne l’o­béis­sance joyeuse, spon­ta­née et entière à ceux qui ont auto­ri­té sur nous.

Source : Le Sainte-​Anne n°363