Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

9 avril 1939

Homélie de Pâques

Prononcée à la messe pontificale solennelle

Table des matières

En la solen­ni­té de Pâques, le Saint-​Père célé­bra le saint sacri­fice dans la Basilique Vaticane et pro­non­ça en latin l’ho­mé­lie dont voi­ci la traduction :

La paix de Pâques.

La fête de Pâques Nous offre l’occasion de vous adres­ser, avec la plus grande joie de Notre cœur pater­nel, Notre salut, à vous, très digne Sénat de l’Eglise, à vous tous qui êtes ici pré­sents, Véné­rables Frères dans l’épiscopat, pré­lats ou prêtres du cler­gé romain, et enfin, vous Nos très chers fils, reli­gieux ou simples laïcs. Pour con­tenir cette pieuse mul­ti­tude, la très vaste église de Saint-​Pierre paraît aujourd’hui trop étroite. Nous ne croyons pas pou­voir mieux com­mencer ce dis­cours qu’en redi­sant les paroles sublimes que le divin Maître, res­sus­ci­té des morts, adresse à ses dis­ciples : Pax vobis (Jean, xx, 19). Voilà le sou­hait et la salu­ta­tion de paix.

Annoncé dans les temps d’attente de sa venue comme « le prince de la paix » (Isaïe, ix, 6) ; accueilli, lors de sa nais­sance, par ces chants angé­liques : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; sur terre, paix aux hommes de bonne volon­té » (Luc, ii, 14), le Rédempteur du monde fut le héraut et l’ambassadeur de la paix, selon cette parole de l’Apôtre des nations : « Il est venu annon­cer la paix » (Eph., ii, 17). Cette paix n’a pas été cepen­dant exempte de luttes et de com­bats, puisque Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, lorsque « la mort et la vie se livrèrent à un duel extra­or­di­naire » [1], en lut­tant jusqu’à la mort, l’obtint comme le prix de son sang et de la vic­toire rem­por­tée, « récon­ci­liant toutes choses avec Dieu, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en fai­sant la paix par le sang de sa croix » (Col., i, 20).

C’est donc à bon droit et avec rai­son que l’apôtre saint Paul non seule­ment répète très sou­vent la conso­lante invo­ca­tion : « Dieu de la paix, Seigneur de la paix » (Rom., xv, 33 ; xvi, 20 ; i Cor., xiv, 33 ; Philip., iv, 9 ; i Thess., v, 23 ; ii Thess., iii, 16 ; Hébr., xiii, 20) mais encore, fai­sant écho à la parole des pro­phètes (Mich., v, 5), appelle Jésus-​Christ notre paix : « Lui est notre paix » (Eph. ii, 14).

Les causes du manque de paix.

Prendre garde à ces choses, les exa­mi­ner atten­ti­ve­ment dans la situa­tion pré­sente, Nous semble apte à rele­ver et à for­ti­fier les âmes au moment où la paix est tant pro­cla­mée, dési­rée, invo­quée par tous. « La paix est un bien si grand qu’il n’est rien de plus agréable à entendre, rien de plus sou­hai­table à dési­rer, rien enfin de meilleur à trou­ver » [2].

Mais aujourd’hui, plus qu’à une autre époque, ne se véri­fient que trop ces paroles du pro­phète Jérémie, qui parle d’hommes disant : « Paix, paix, et il n’y avait point de paix » [3]. En effet, si nous regar­dons tout autour de nous, quel triste spec­tacle s’offre à notre vue ! De fait, l’on voit dans beau­coup de pays les hommes agi­tés, inquiets sur leur sort, an­goissés par la crainte de troubles qui semblent annon­cer les pires mal­heurs. Les esprits sont en proie à l’anxiété et à l’inquiétude, comme si des dan­gers plus graves mena­çaient et déjà étaient imminents.

Tout cela est bien loin de cette sereine et sûre « tran­quilli­té dans l’ordre » 4 qui consti­tue la vraie paix. Et vrai­ment peut-​on avoir la paix com­plète et durable si les fils d’une même nation, oublieux sou­vent de leur ori­gine com­mune et de leur com­mune patrie, sont entraî­nés et divi­sés par les inté­rêts, les riva­li­tés, les luttes des par­tis politiques ?

Comment avoir la paix alors que tant d’hommes, des cen­taines de mille, manquent de tra­vail, de ce tra­vail qui non seule­ment per­met à chaque citoyen de vivre d’une façon conve­nable, mais grâce auquel les mul­tiples éner­gies et res­sources dont la nature, l’étude et l’art ont hono­ré la digni­té de la per­sonne humaine, pour­ront néces­sairement s’exercer avec l’éclat et l’honneur qui conviennent ?

Qui ne voit que cet état de choses a pour effet de grou­per des foules énormes dont la misère et le déses­poir — qui forment un contraste si violent avec l’aisance exces­sive de ceux qui vivent dans le luxe sans four­nir le moindre secours aux indi­gents — font des proies faciles pour ces pro­pa­gan­distes rusés et sédui­sants qui offrent aux intel­li­gences trom­pées par les fausses appa­rences de la véri­té, des doc­trines dissolvantes.

De plus, com­ment pourrait-​on avoir la paix, si ne règnent pas aus­si entre les nations et cette com­pré­hen­sion mutuelle et cet accord des volon­tés qui seuls peuvent conduire les peuples dans les voies lumi­neuses du pro­grès civil ? L’on voit, au contraire, les pactes solen­nel­le­ment sanc­tion­nés ain­si que la parole don­née perdre par­fois leur valeur et leur cer­ti­tude qui consti­tuent la base et la force de la légi­time confiance réci­proque : cette der­nière une fois enle­vée, il devient de jour en jour plus dif­fi­cile de réduire ou de sus­pendre les arme­ments et de paci­fier les esprits, chose cepen­dant si dési­rée par tous.

Le pape lance un appel à la paix et en indique les conditions…

Devant la menace d’une tem­pête si ter­rible, Nous exhor­tons vive­ment tous les hommes à reve­nir au Roi de la paix, au Vainqueur de la mort, dont les lèvres nous ont fait entendre ces conso­lantes paroles : Pax vobis. Que lui, comme il l’a pro­mis, nous accorde la paix, sa paix, cette paix, disons-​Nous, que le monde ne peut don­ner, celle qui, seule assu­ré­ment, peut apai­ser tous les troubles et dis­si­per toutes les craintes : « Je vous donne ma paix, je ne la donne pas comme la donne le monde. Que votre cœur ne se trouble point et ne s’effraye point » (Jean, xiv, 27).

… la paix intérieure

Mais puisque la tran­quilli­té exté­rieure ne peut être que le reflet ou la consé­quence de la paix inté­rieure, il est néces­saire de s’occuper tout d’abord de la paix de l’âme : se la pro­cu­rer le plus tôt possi­ble si on ne l’a pas ; veiller sur elle avec soin, la défendre et la gar­der intacte, si on l’a déjà. Ce n’est pas, en effet, sans une très grave rai­son que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, en ce jour, en se mon­trant pour la pre­mière fois aux apôtres après sa résur­rec­tion, vou­lut ajou­ter à son salut de paix un don ines­ti­mable de paix, à savoir le sacre­ment de péni­tence, de telle sorte qu’au jour solen­nel de sa résur­rec­tion prit aus­si nais­sance cette ins­ti­tu­tion salu­taire qui rend aux âmes la grâce divine ou la renou­velle, cette grâce qui consti­tue le triomphe de la vie sur la mort, c’est-à-dire sur le péché.

C’est à cette source inépui­sable de par­don et de paix que l’Eglise, Notre pieuse Mère, appelle avec ins­tance tous ses enfants en ce saint temps pas­cal. Si cha­cun et tous répon­daient libre­ment et de bon gré à cet appel très affec­tueux, ils acquer­raient une vie chré­tienne plus flo­ris­sante et plus féconde, avec la jouis­sance joyeuse et très douce de cette paix qui, par l’obéissance très aimante et par­faite au divin Rédempteur, per­met de domi­ner l’attrait des pas­sions et des volup­tés. « Ton âme veut-​elle être capable de vaincre tes débau­ches ou tes pas­sions ? pour emprun­ter l’interrogation de saint Augus­tin. Qu’elle se sou­mette à Celui qui est plus grand et elle vain­cra celui qui est au-​dessous, infé­rieur. Et il y aura en toi une paix vraie, assu­rée et très bien ordon­née. Quel est l’ordre ou l’arrangement de cette paix ? Dieu com­mande à l’âme, l’âme au corps : rien de plus ordon­né » [4].

… l’obéissance à Dieu

Vous voyez donc, Vénérables Frères et très chers fils, sur quelle base unique et inébran­lable repose la véri­table paix, à savoir sur la majes­té éter­nelle de Dieu que tous ont le devoir de recon­naître, de res­pec­ter, d’honorer et dont ils sont tenus d’exécuter les commande­ments. Affaiblir ou détruire tota­le­ment cette obéis­sance due au Dieu créa­teur équi­vaut cer­tai­ne­ment à trou­bler ou à rui­ner com­plè­te­ment la paix des indi­vi­dus comme celle de la famille, la paix des nations et celle enfin du monde entier. A la véri­té, Dieu seul « aura des paro­les de paix pour son peuple et pour ses fidèles et pour ceux qui retournent vers lui leur cœur » (Ps., lxxxiv, 9). C’est seule­ment par la volon­té du Dieu tout-​puissant, gar­dien suprême de la jus­tice et suprême dona­teur de paix, « que la jus­tice et la paix s’embrasseront » (Ps., lxxxiv, 11) ; parce que, comme l’annonce le pro­phète Isaïe : « Le pro­duit de la jus­tice sera la paix, et le fruit de la jus­tice le repos et la sécu­ri­té pour jamais » (Is., xxxii, 17).

…la recherche de la justice

Comme, en effet, il n’est pas pos­sible d’a­voir la paix si les choses ne sont pas dans l’ordre, de même il ne peut pas y avoir d’ordre si l’on écarte la jus­tice. Mais celle-​ci exige que l’on donne à l’auto­rité légi­ti­me­ment éta­blie le res­pect et l’obéissance qui lui sont dus ; elle exige que les lois soient faites avec sagesse pour le bien com­mun et que tous les observent par devoir de conscience. La jus­tice demande que tous recon­naissent et res­pectent les droits sacrés de la liber­té et de la digni­té humaines ; que les innom­brables res­sources et riches­ses que Dieu a répan­dues dans le monde entier soient répar­ties, pour l’utilité de tous ses enfants, d’une façon équi­table et avec droi­ture. La jus­tice veut enfin que l’action bien­fai­sante de l’Eglise catho­lique, non sujette à l’erreur quand elle enseigne la véri­té, source inépuisa­ble de vie pour les âmes, bien­fai­trice insigne de la com­mu­nau­té humaine, ne soit ni atta­quée ni empê­chée. Car si l’on sub­sti­tue au noble sceptre de la jus­tice les armes de la vio­lence, qui pour­rait dès lors s’étonner que les temps qui se lèvent apportent non pas la lumière si dési­rée de la paix radieuse, mais les sombres et cruelles incen­dies des guerres ?

A la véri­té, la jus­tice a pour tâche d’établir et de gar­der intacts les prin­cipes de cet ordre de choses qui est la base pre­mière et prin­cipale d’une solide paix. Cependant, elle ne peut à elle seule triom­pher des dif­fi­cul­tés et des obs­tacles qui bien sou­vent s’opposent à l’établissement et à la conso­li­da­tion de la paix.

… la charité

C’est pour­quoi, si à l’inflexible et rigou­reuse jus­tice ne s’unit pas, dans une fra­ter­nelle alliance, la cha­ri­té, très faci­le­ment les yeux de l’esprit sont empê­chés, comme par l’écran d’un nuage, de voir les droits d’autrui ; les oreilles deviennent sourdes à la voix de cette équi­té qui, dans une sage et bien­veillante appli­ca­tion, peut débrouil­ler et résoudre avec ordre et selon la droite rai­son les contro­verses les plus âpres et les plus compliquées.

Lorsque Nous disons ici la cha­ri­té, Nous vou­lons par­ler de cette cha­ri­té féconde et géné­reuse que le Christ a appor­tée — de cette cha­ri­té qui a pous­sé le divin Rédempteur à mou­rir pour notre salut : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal., ii, 20) — de cette cha­ri­té qui « nous presse » (ii Cor., v, 14) et fait que « ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-​mêmes, mais pour celui qui est mort et res­sus­ci­té pour eux » (ii Cor., v, 15) — de cette cha­ri­té enfin par laquelle le Christ fut pous­sé à prendre la « condi­tion d’esclave » (Philip., ii, 7), afin que nous deve­nions tous frères en lui qui est « le premier-​né » (Rom., viii, 29), et par consé­quent fils du même Dieu, héri­tiers du même royaume et appe­lés aux joies de la même éter­nelle béatitude.

Si les hommes goû­taient enfin les dou­ceurs de cet amour et se repo­saient en lui, alors sans aucun doute le soleil radieux de la paix s’élèverait sur le monde souf­frant. A la colère désor­don­née qui irrite suc­cé­de­rait le calme de l’esprit qui rai­sonne avec sagesse ; à la concur­rence vio­lente et effré­née suc­cé­de­rait la col­la­bo­ra­tion cor­diale ; enfin la com­pré­hen­sion équi­table et réci­proque des choses et des argu­ments rem­pla­ce­rait les ini­mi­tiés ou les brouilles, de telle façon à la véri­té que la tran­quilli­té confiante et le calme pren­draient la place de cette ter­rible exci­ta­tion des esprits.

Que les hommes reprennent le che­min par lequel on revien­dra à des ententes mutuelles ami­cales dans les­quelles les inté­rêts et les avan­tages de cha­cun des contrac­tants sont éva­lués d’une façon équi­table et avec une bien­veillante appré­cia­tion ; dans les­quelles cha­cun ne se refuse pas à faire des sacri­fices pour pro­cu­rer à la famille humaine des biens supé­rieurs ; des ententes enfin où la fidé­li­té à la parole publi­que­ment don­née, tous le vou­lant ain­si, res­plen­di­ra com­me un exemple.

Afin que ces choses s’accomplissent et que Nos vœux très ardents se réa­lisent favo­ra­ble­ment, Nous ne pou­vons Nous rete­nir de répé­ter aux indi­vi­dus, aux peuples et à leurs gou­ver­nants la très cha­leureuse invi­ta­tion ou exhor­ta­tion à la paix, à la paix basée sur la jus­tice et la cha­ri­té, que Nous vou­lûmes leur adres­ser à tous, aussi­tôt après Notre élé­va­tion à la suprême digni­té du sou­ve­rain pontificat.

Mais Nous éle­vons sur­tout Nos mains et Nos yeux vers « le Roi des rois et le Seigneur des sei­gneurs » (i Tim., vi, 15) en lui adres­sant, sur un ton sup­pliant, les prières qu’en cette solen­ni­té pas­cale la litur­gie sacrée du Sacrifice eucha­ris­tique Nous four­nit : « Seigneur Dieu qui, par la voix de l’Eglise, convo­quez, en ces jours, tous vos enfants aux très saints mys­tères, c’est-à-dire à se nour­rir de votre chair divine, à s’abreuver de votre sang très pur ; vous qui dési­rez les voir réunis autour de votre Sacrement de l’autel, Sacrement qui est le don le plus pré­cieux de votre amour pour nous tous, et aus­si le signe et le lien de cet amour qui nous groupe dans une union fra­ter­nelle ; vous, Seigneur Dieu, « répan­dez sur nous l’Esprit de votre cha­ri­té, afin que votre grâce fasse un même cœur et une même âme de ceux que vous avez nour­ris du même Sacrement pas­cal ». Ainsi soit-il.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-​Augustin Saint-​Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXI, 1939, p. 145 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise de la Documentation Catholique, t. XL, col. 547.

Notes de bas de page
  1. Séquence de la messe de Pâques.[]
  2. Saint Augustin, De civ. Dei, XIX, ii. Id., ibid., XIX, 13.[]
  3. Jér., vi, 14 ; viii, 11 ; Ezéch., iii, 10[]
  4. Miscellanea Agostiniana, vol. I, S. Augustin Sermones post Maurinos reper­ti, p. 633, 15–18.[]