Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

9 avril 1950

Homélie prononcée le jour de Pâques

Le jour de la Résurrection, le Pape célé­bra en la Basilique de Saint-​Pierre la Messe Pontificale, au cours de laquelle il pro­non­ça l’ho­mé­lie suivante :

Nous apprê­tant à com­mé­mo­rer et à véné­rer aujourd’­hui le divin Rédempteur qui res­sus­cite vic­to­rieux de la mort, les pa­roles pleines de sagesse de l’Apôtre des nations qui écri­vait du Christ Nous viennent à l’es­prit : « Il fut livré à la mort pour nos péchés et il res­sus­ci­ta pour notre jus­ti­fi­ca­tion. » (Rom., IV, 25.) C’est lui, en effet, par ses souf­frances libre­ment accep­tées et par son sang pré­cieux ver­sé jus­qu’à la mort, qui a expié nos péchés et nous a rache­tés de l’es­cla­vage du démon, pour nous redon­ner à la liber­té des enfants de Dieu.

Il est sor­ti triom­phant du Sépulcre. Par ce fait, non seule­ment il a ali­men­té et for­ti­fié la foi des apôtres et la nôtre, non seule­ment, il nous a invi­tés à son exemple à mon­ter au ciel en sa com­pa­gnie, mais il nous a révé­lé par l’é­clat de son corps glo­rieux quelque chose du bon­heur éter­nel à atteindre, mais il a ré­pandu aus­si la plé­ni­tude des cha­rismes divins et confié à l’Eglise fon­dée par lui la tâche de nour­rir de la grâce céleste et de conduire à la vie nou­velle tous les hommes qui obéissent de bon gré à tous ses com­man­de­ments. A ce sujet, le Docteur Angélique observe avec une clar­té péné­trante ; « Du point de vue de l’ef­fi­ca­ci­té, qui vient de la force de Dieu, aus­si bien la Passion que la Résurrection du Christ sont causes de jus­ti­fi­ca­tion… Mais du point de vue de « l’exem­pla­ri­té », la Passion et la mort du Christ sont causes du par­don de la faute et c’est par elles que nous sommes morts au péché. La résur­rec­tion du Christ, elle, est cause de la vie nou­velle, qui nous vient par le moyen de la grâce, c’est-​à-​dire par le moyen de la jus­tice. » [1]

Dans les jours pas­sés, et spé­cia­le­ment pen­dant la Semaine Sainte, nous avons tous rap­pe­lé d’une manière par­ti­cu­lière les dou­leurs et les angoisses de Jésus-​Christ et exci­té nos âmes d’une façon par­ti­cu­lière à se puri­fier de leurs fautes et à détruire les péchés qui pro­vo­quèrent la divine Rédemption. Aujourd’hui, dans la lumière et dans la joie pas­cales, par la célé­bra­tion même des divins mys­tères, nous sommes très sua­ve­ment inci­tés à une res­tau­ra­tion et à un renou­vel­le­ment de vie.

Nous sommes le Corps mys­tique de Jésus : là où est arri­vée la gloire du Chef, là aus­si est invi­tée à s’é­le­ver l’es­pé­rance du Corps. « Comme le Christ est res­sus­ci­té de la mort… ain­si vivons, nous aus­si, d’une vie nou­velle. » (Rom., VI, 4.) Et comme « le Christ res­sus­ci­té de la mort ne meurt plus, la mort n’a plus sur lui d’empire » (Ibid., VI, 9.), ain­si devons-​nous, atti­rés par son exemple et nour­ris de sa grâce, non seule­ment nous dépouiller « du vieil homme, cor­rom­pu par les convoi­tises trom­peuses » (Eph., IV, 22.) ; mais aus­si « nous renou­ve­ler dans notre esprit et dans nos pen­sées pour revê­tir l’homme nou­veau créé selon Dieu dans une jus­tice et une sain­te­té véri­tables » (Ibid., IV, 24.).

Ces mer­veilleuses maximes et exhor­ta­tions de l’Apôtre des gen­tils semblent plus que jamais oppor­tunes dans la solen­ni­té pas­cale de l’Année Sainte, quand les fidèles du monde entier — les tré­sors spi­ri­tuels de l’Eglise leur étant ouverts — sont appe­lés non seule­ment à l’ex­pia­tion de leurs propres péchés et à une forme plus par­faite de vie, mais à s’employer, cha­cun selon ses propres forces, à ce que tous les autres, après s’être puri­fiés de leurs fautes et dépouillés des erreurs et des pré­ju­gés, s’appro­chent avec un cœur bien dis­po­sé de Celui qui est la voie, la véri­té, la vie [2].

Que tous sachent bien qu’il ne peut y avoir de tran­quilli­té sereine pour les esprits ni pour les peuples, ni pour les nations, sinon à condi­tion que tout soit éta­bli dans l’ordre qui naît des pré­ceptes de l’Evangile et qui est confir­mé et for­ti­fié par la grâce divine.

Que tous réflé­chissent à ce que le Christ a dit aux Apôtres : « Je vous laisse le paix, je vous donne ma paix ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. » (Joh., XIV, 27.) Nous savons par une triste expé­rience, com­bien de dis­cordes, de meurtres et de guerres eurent pour cause le fait que les hommes aban­don­nèrent la route magis­trale que le divin Rédempteur indi­qua par la splen­deur de sa lumière et consa­cra par son sang.

C’est à cette route qu’il faut reve­nir en pri­vé et en public, et ne pas oublier que la paix stable ne pour­ra gou­ver­ner les Etats si elle n’ins­pire d’a­bord et ne guide l’es­prit de cha­cun. Pour cela, il est néces­saire de les sou­mettre à la rai­son, et la rai­son à Dieu et à la loi divine. De ce point de vue, l’enseigne­ment du grand ora­teur romain, bien qu’il soit païen, est excellent : « A ces per­tur­ba­tions que la sot­tise intro­duit dans la vie et excite comme des furies, nous devons résis­ter de toutes nos forces et par tous les moyens, si nous vou­lons par­cou­rir dans la tran­quilli­té le peu de temps qui est concé­dé à notre vie. » [3]

Mais la « gué­ri­son de ces maux ne réside que dans la ver­tu » (Ibid. IV, c. XV.).

Que brille donc dans les esprits, que fleu­risse dans la vie fami­liale, que triomphe au milieu de la socié­té civile cette ver­tu chré­tienne dont seule il est per­mis d’es­pé­rer le renou­vel­le­ment des mœurs et la res­tau­ra­tion juste et ordon­née du bien-​être des nations, qui sont dans les dési­rs de tous.

Le Christ, comme vous le savez, ne se limite pas, à la manière des sages de ce monde, à ensei­gner la ver­tu, mais pour nous enga­ger à la conqué­rir labo­rieu­se­ment, il nous ins­truit par son exemple, sti­mule notre volon­té et la for­ti­fie par sa grâce céleste. En outre, il nous attire et nous sti­mule en nous indi­quant le but et la récom­pense que consti­tue le bon­heur éternel.

Si tous se déci­daient à le suivre, ils auraient part à l’in­time séré­ni­té qui est la per­fec­tion de la joie [4], même s’ils devaient subir des peines, des per­sé­cu­tions et l’in­jus­tice humaine ; en fait, il leur arri­ve­rait ce qui est déjà arri­vé en d’autres temps aux apôtres qui « s’en allèrent joyeux de devant le Sanhédrin, heu­reux d’a­voir été jugés dignes de subir des souf­frances pour le nom de Jésus » (Act., V, 41.).

De plus, si tous jouis­saient réel­le­ment de cette vraie paix intime qui se base sur la loi divine et trouve son ali­ment éter­nel dans la grâce divine, alors, une fois éteintes les haines, cal­mées les pas­sions, dis­tri­buées les richesses selon un cri­tère plus équi­table de jus­tice et de cha­ri­té, pour­rait fina­le­ment avec une cer­ti­tude infaillible et une assu­rance sereine se lever pour les classes sociales, les peuples et les nations, ce que saint Augustin a appe­lé « la concorde orga­ni­sée » [5].

Telle est la fer­vente prière que Nous adres­sons au divin Rédempteur dont Nous célé­brons aujourd’­hui le triomphe sur la mort, tan­dis que Nous ne ces­sons de répé­ter à Vous, Vénérables Frères et Fils Bien-​aimés, les inou­bliables paroles de l’Apôtre, plus que jamais adap­tées à la célé­bra­tion d’au­jourd’­hui : « Soyez dans la joie, rendez-​vous par­faits, consolez-​vous, ayez un même sen­ti­ment, soyez en paix, et le Dieu d’a­mour et de paix sera avec vous. » (II. Cor., XIII, 2.)

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-​Maurice Saint-​Augustin. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXII, 1950, p. 279.

Notes de bas de page
  1. Sum. Theol. III, q LVI, a. 2 ad quar­tum.[]
  2. Cf. Joh„ XIV, 6.[]
  3. Cicéron, Tusc. III, c. II.[]
  4. Cf. Sum. Theol., I‑II, q. LXX, a. 3.[]
  5. De Civitate Dei, l. XIX, c. XIII.[]