Des délégués de quatorze nations prirent part à ce Congrès ; et les participants, reçus en audience à Castelgandolfo, entendirent l’allocution que voici :
Voici donc le cinq cent vingt-cinquième anniversaire de l’institution par Martin V du vénérable collège des pharmaciens de Rome, Il a paru opportun de célébrer la mémoire de cet événement par la réunion d’un Congrès International de Pharmaciens qui exposât et rappelât l’histoire de la pharmacopée. Vous- mêmes, chers Fils, membres de ce Congrès, avez sollicité la faveur d’une audience, désireux de Nous entendre vous porter la parole de consolation et de lumière. Que les vœux que Nous formons répondent à votre attente : c’est hautement et publiquement que Nous tenons à vous confirmer la grande estime en laquelle Nos Prédécesseurs, depuis Martin V jusqu’à Pie IX, ont toujours tenu les pharmaciens.
L’origine des apothicaires, experts dans le soin des maladies, remonte aux temps les plus lointains de l’antiquité romaine. Cet art, fondé sur des bases solides et sans cesse enrichi d’expériences, rendit célèbres les noms d’Aulus Comelius, Lergus Scribonius, Diosconde, Pline, Galien. C’est donc par une heureuse inspiration de Martin V, Notre Prédécesseur, que votre siège fut fixé en l’église Saint-Laurent in Miranda, jadis temple d’Antonin et Faustine, le long du forum romain. Ce site merveilleux par la silencieuse majesté de ses ruines symbolise parfaitement l’étroite continuité qui unit le grand édifice aux institutions du passé.
Qu’il Nous soit permis maintenant de rappeler à votre mémoire ces vers de Virgile : ils magnifient Japyx, fils de Jason, en train de soigner les blessures d’Enée — et par là votre art salutaire –. Japyx, tenté par la prophétie, la lyre, les flèches rapides, « pour prolonger le destin de son père mourant, préféra connaître la puissance des plantes, la science de guérir et, méprisant la gloire, exercer un art silencieux » [1].
Comme cette expression virgilienne « art silencieux » exprime bien ce qu’est votre profession ! Vous êtes assurément de cette catégorie de citoyens qui consacrent temps, esprit et forces au soulagement des souffrances humaines ; vos remèdes chassent les maladies en cours, tandis qu’une prophylaxie scientifique et prudente s’emploie à les prévenir. La charge que vous avez acceptée est bien lourde et exige une attention vigilante et inlassable ; redoutable est votre responsabilité. Et pourtant, votre activité diligente se revêt de silence, loin de toute agitation publique et voilée aux regards, dans une officine discrète, témoin muet et fidèle de votre labeur assidu. Même, les consolations vous manquent, qui adoucissent d’ordinaire la rude tâche des médecins ou infirmiers, à la vue d’un soulagement chez leurs malades ou leurs infirmes.
Cependant, malgré Virgile, Nous ne pensons pas qu’aujourd’hui, alors que la loi de la charité chrétienne resplendit comme le soleil, vous n’ayez aucun titre de gloire en comparaison des hommes de guerre ou des artistes. Le Christ Rédempteur, médecin de toute l’humanité, qui a prêché l’Evangile du Royaume et guéri toute infirmité [2], qui a donné ce commandement : « Soignez les malades » [3] — a voulu étendre la sollicitude assidue de la charité fraternelle à l’innombrable foule des malades du corps ou de l’esprit. Si celui qui nous a rendu le salut a confié aux prêtres le pouvoir de guérir les âmes corrompues par le péché, au moyen des divins sacrements et de la prédication des vérités révélées et des paroles de vie — plus parfumées et efficaces que les herbes aromatiques — c’est aux médecins et à vous, pharmaciens, qu’il a réservé l’étude et la méditation des soins corporels. C’est du même précepte de charité que procède donc le devoir, pour les ministres de l’autel, de vous tenir en grande considération, de vous manifester leur respect, mais aussi de vous conseiller, guider et aider d’autant plus qu’à l’heure actuelle, vous êtes moins considérés que par le passé. La plupart vous traitent en commerçants, en raison du nombre sans cesse croissant des médicaments spécialisés, produits par des sociétés et que vous revendez sans qu’ils aient passé par vos mains comme jadis les prescriptions magistrales exécutées sur ordonnance médicale. Mais il importe de savoir qu’un bon nombre d’entre vous ont contribué à la découverte ou à l’étude des formules de ces médicaments aujourd’hui fameux. De plus, vous bénéficiez encore d’une large marge où peut s’exercer votre compétence personnelle ; ainsi, du dosage des anesthésiques dans les grandes interventions chirurgicales, de l’application aux blessés de préparations antiseptiques, antibiotiques ou analgésiques.
Recevez donc Nos louanges et Notre encouragement à poursuivre la recherche assidue de nouveaux remèdes et de méthodes encore plus efficaces, même contre ces affections qui jusqu’ici ont toujours résisté obstinément à la thérapeutique ; c’est le vœu de Notre cœur. Quoi de plus désirable pour l’homme qu’atteindre un âge avancé dans l’intégrité de son corps et de son esprit, pourvu qu’avec le nombre de ses cheveux blancs croisse aussi l’étendue de sa sagesse de vieillard ? Pour parvenir à ce résultat, utile à tous, il faudra qu’imitent votre vigilance assidue à écarter les maladies législateurs, magistrats, éducateurs et bien d’autres dont c’est la charge de former les mœurs ; de peur qu’on en vienne, par coupable négligence ou damnable séduction — en appelant liberté une perversité impunie — à infecter de vice un caractère qui se forme et une volonté encore tendre.
C’est donc tout à la fois le devoir et la gloire du pharmacien de s’enrichir d’une vaste science et de ne pas dévier d’un trait des exigences d’une conscience droite. Car il pourrait arriver à l’inattentif ou à l’ignorant — cas d’exception, mais combien funeste ! — de se tromper, si peu que ce soit, dans la composition, le dosage ou la date limite d’efficacité d’un médicament. Mais personne n’oserait assumer une telle responsabilité, qu’il n’ait acquis au préalable une expérience consommée de l’étude de l’herboristerie et de la physique, de la chimie et la biologie !
Puis, à notre époque où s’étalent volontiers la luxure et le mépris des lois, vous êtes tenus par le sens de votre dignité humaine et par la loi chrétienne à ne pas faillir à vos devoirs. Il peut même se présenter des clients qui vous supplient d’être complices de leurs méfaits — alors que vous savez pertinemment que tel ou tel produit, par sa nature même ou par l’usage mauvais qu’on en fera, nuira à la santé, à l’intégrité, à la vie, ou provoquera l’expulsion fœtale du sein maternel ; gardez-vous alors de faire bon marché du précepte ou du conseil de la loi éternelle, au profit de l’esprit de lucre, ou par charité et générosité mal entendues.
Que personne ne songe à envier le fameux thérapeute qui offrit à Fabricius de le débarrasser — contre récompense — du roi Pyrrhus ; mais, bien plutôt, que chacun cherche à mériter la louange que Pyrrhus décerna à Fabricius pour l’exalter, parce qu’il lui avait révélé l’infâme tractation, « Ah, ce Fabricius ! on verrait le soleil dévier de sa route plutôt que lui-même se départir de sa droiture ! »
Nous voudrions encore, chers Fils, ajouter un mot, comme par parenthèse ; de grâce, et dans le souci de votre propre dignité, veuillez ne pas exiger un prix supérieur au juste prix. Non que Nous ignorions quelle pénétration d’esprit requiert des savants la préparation des remèdes, non plus que les longs travaux nécessités par l’établissement des formules ou la rareté des éléments qui entrent dans leur composition. Pourtant, dans la balance où vous pesez goutte à goutte vos médicaments, placez aussi les gouttes de sueur de ceux qui doivent gagner leur vie dans les mines, les usines, au prix d’un écrasant labeur ; ajoutez‑y les larmes des parents prêts à tous les sacrifices pour arracher leurs chers petits à la mort, et faites que le prix exigé ne l’emporte pas sur le juste prix. Qu’il y ait une marge humanitaire sur les prix imposés : d’homme à homme, la pitié est un devoir sacré. Vous Nous pardonnerez, Nous en sommes assuré, si Notre parole a été trop sévère. Mais Nous Nous devions, en raison même de Notre charge apostolique, de plaider la cause des pauvres et de les protéger de tout Notre pouvoir.
Il ne Nous reste plus qu’à vous bénir, vous et votre activité, de toute Notre paternelle affection, en invoquant l’aide du Dieu tout-puissant et le patronage de la Sainte Vierge, sa Mère, à laquelle est consacrée cette année ; le nom de Notre-Dame est efficace aux oreilles, aux lèvres et aux cœurs de tous ses enfants, tout comme la cannelle et le baume, tout comme une myrrhe de choix exhalant un subtil parfum[4], car c’est dans le cœur très pur de Notre-Dame que réside toute espérance de vie et de vérité [5].
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 536.