Dans l’encyclique « Ad cœli Reginam » du 11 octobre 1954, Pie XII disait son intention d’instituer la fête de la Royauté de Marie. Celle-ci fut proclamée en ce jour.
Les tributs d’hommage et de dévotion envers la Mère de Dieu, que l’univers catholique a multipliés au cours des derniers mois, ont manifesté de façon splendide – tant par les démonstrations publiques que par les plus modestes initiatives de la piété privée – son amour envers la Vierge Marie et sa foi en ses incomparables privilèges. Mais afin de couronner toutes ces manifestations par une solennité particulièrement expressive de l’Année Mariale, Nous avons voulu instituer et célébrer la fête de la Royauté de Marie.
Aucun de vous, chers fils et chères filles, ne s’en étonnera ni ne s’imaginera qu’il s’agissait d’attribuer à la Vierge un titre nouveau. Les chrétiens ne répètent-ils pas déjà, depuis des siècles, dans les Litanies de Lorette les invocations qui saluent Marie du nom de Reine ? Et la récitation du saint Rosaire, qui propose à notre pieuse méditation le souvenir des joies, des douleurs et des gloires de la Mère de Dieu, ne se termine-t-elle pas par la radieuse évocation de Marie accueillie par son Fils dans le ciel et ceinte du diadème royal ?
Notre intention n’était donc pas d’introduire quelque nouveauté mais bien plutôt de faire resplendir aux yeux du monde, dans les circonstances présentes, une vérité susceptible de porter remède à ses maux, de le libérer de ses angoisses et de l’engager sur le chemin du salut qu’il cherche avec anxiété.
Moins encore que celle de son Fils, la royauté de Marie ne doit pas être comprise selon l’analogie des réalités de la vie politique moderne. Sans doute les merveilles du ciel ne peuvent- elles être représentées qu’au moyen des paroles et des expressions bien imparfaites du langage humain ; mais ceci ne signifie nullement que, pour honorer Marie, on doive adhérer à une forme déterminée de gouvernement ou à une structure politique particulière. La royauté de Marie est une réalité supraterrestre qui toutefois pénètre en même temps jusqu’au plus intime des cœurs et les touche dans leur essence profonde en ce qu’ils ont de spirituel et d’immortel.
L’origine des gloires de Marie, le moment solennel qui illumine toute sa personne et sa mission, est celui où, pleine de grâce, elle répondit à l’archange Gabriel le fiat qui exprimait son acquiescement aux dispositions divines : c’est ainsi qu’elle devenait Mère de Dieu et Reine, et recevait la charge royale de veiller sur l’unité et la paix du genre humain. Par elle, nous avons la ferme confiance que l’humanité s’engagera peu à peu sur cette voie du salut ; elle guidera les chefs des nations et les cœurs des peuples vers la concorde et la charité.
Que peuvent donc faire les chrétiens en cette heure où l’unité et la paix du monde, bien plus, les sources mêmes de la vie sont en péril, sinon tourner leurs regards vers Celle qui se montre à eux revêtue de la puissance royale ? Comme elle enveloppa jadis dans son manteau l’Enfant divin, premier-né de toutes les créatures et de toute la création[1], qu’elle daigne de même envelopper maintenant tous les hommes et tous les peuples de sa virginale tendresse ; qu’elle daigne, elle qui est le Siège de la Sagesse, faire resplendir la vérité des paroles inspirées que l’Eglise applique à sa personne : « Per me reges regnant, et legum conditores justa decernunt ; per me principes imperant, et potentes decernunt justitiam [2] » « C’est par moi que régnent les rois et que les législateurs établissent la justice ; par moi les princes commandent et les souverains gouvernent avec rectitude. » Si le monde lutte actuellement sans trêve pour conquérir son unité, pour assurer la paix, l’invocation du règne de Marie est – par-delà tous les moyens terrestres et tous les desseins humains, toujours défectueux à quelque titre – le cri de la foi et de l’espérance chrétiennes, fortes des promesses divines et des secours innombrables que cet empire de Marie a prodigués pour le salut de l’humanité.
Toutefois, de l’inépuisable bonté de la Bienheureuse Vierge que Nous invoquons aujourd’hui comme la royale Mère du Seigneur, Nous attendons aussi d’autres bienfaits non moins précieux. Non seulement elle doit anéantir les plans ténébreux et les œuvres iniques des ennemis d’une humanité chrétienne et unie, mais elle doit communiquer aussi aux hommes d’aujourd’hui quelque chose de son esprit. Nous entendons par là cette volonté courageuse et même audacieuse qui, dans les circonstances difficiles, en face des périls et des obstacles, sait prendre sans hésiter les résolutions qui s’imposent et en poursuivre l’exécution avec une énergie indéfectible, entraînant sur ses traces les faibles, les découragés, les hésitants, ceux qui ne croient plus à la justice et à la noblesse de la cause qu’ils doivent défendre.
Qui ne voit à quel degré Marie a réalisé en elle-même cet esprit et a mérité les louanges dues à la « femme forte » ? Son Magnificat, cet hymne de joie et de confiance invincible dans la puissance divine, dont elle entreprend d’effectuer les œuvres, la remplit d’une sainte audace et d’une force inconnue à la nature.
Comme Nous voudrions que tous ceux qui ont aujourd’hui la responsabilité de la marche saine et ordonnée des affaires publiques imitent ce lumineux exemple de sentiment royal ! Au lieu de cela, ne remarque-t-on pas quelquefois, même parmi eux, une sorte de fatigue, de résignation, de passivité, qui les empêche d’affronter avec fermeté et persévérance les problèmes ardus du moment présent ? Certains ne laissent-ils pas parfois les événements aller à la dérive, au lieu de les dominer par une action saine et constructive ?
N’est-il pas urgent de mobiliser toutes les forces vives actuellement en réserve, de stimuler ceux qui n’ont pas encore pleine conscience de la dangereuse dépression psychologique où ils sont tombés ? Si la royauté de Marie trouve un symbole parfaitement approprié dans l”« acies ordinata », l’armée rangée en bataille [3], personne, à coup sûr, ne pensera à quelque intention belliqueuse, mais uniquement à la force d’âme que nous admirons à un degré héroïque dans la Vierge, et qui procède de la conscience de travailler efficacement pour l’ordre de Dieu dans le monde.
Puisse Notre invocation à la royauté de la Mère de Dieu obtenir aux hommes soucieux de leurs responsabilités la grâce de vaincre l’abattement et l’indolence, à une heure où nul ne peut se permettre un instant de repos, alors qu’en tant de régions, la juste liberté est opprimée, la vérité offusquée par l’action d’une propagande mensongère et que les forces du mal semblent comme déchaînées sur la terre !
Si la royauté de Marie peut suggérer à ceux qui régissent les nations des attitudes et des desseins qui répondent aux exigences de l’heure, la Vierge ne cesse de déverser sur tous les peuples de la terre et sur toutes les classes sociales l’abondance de ses grâces. Après l’atroce spectacle de la Passion au pied de la Croix où elle avait offert le plus dur des sacrifices qui puissent être demandés à une Mère, elle continua à répandre sur les premiers chrétiens, sur ses fils d’adoption, les témoignages de sa sollicitude maternelle ; Reine plus que toute autre par l’élévation de son âme et par l’excellence des dons divins, elle ne cesse de prodiguer tous les trésors de son affection et de ses douces attentions à la pauvre humanité. Loin d’être fondé sur les exigences de ses droits et la volonté d’une domination hautaine, le règne de Marie ne connaît qu’une aspiration : le don plénier de soi-même dans sa plus haute et totale générosité.
Marie exerce donc ainsi sa royauté : en acceptant nos hommages et en ne dédaignant pas d’écouter jusqu’aux plus humbles et imparfaites prières. C’est pourquoi, désireux comme Nous le sommes d’interpréter les sentiments de tout le peuple chrétien, Nous adressons à la Vierge bienheureuse cette fervente prière :
Du fond de cette terre de larmes, où l’humanité souffrante se traîne péniblement, dans les remous d’une mer sans cesse agitée par le vent des passions, nous levons les yeux vers vous, ô Marie, Mère très aimée, pour puiser du réconfort dans la contemplation de votre gloire et pour vous saluer Reine et Maîtresse des cieux et de la terre, Notre Reine et Notre Dame.
Votre Royauté, nous voulons l’exalter avec une légitime fierté de fils et la reconnaître comme due à la suprême excellence de tout votre être, ô très douce et vraie Mère de Celui qui est Roi par droit propre, par héritage, par conquête.
Régnez, ô Notre Reine et Notre Dame, nous montrant le chemin de la sainteté, nous dirigeant et nous assistant, afin que nous ne nous en éloignions jamais.
Au plus haut des cieux, vous exercez votre Royauté sur les chœurs des Anges, qui vous acclament comme leur Souveraine, sur les légions des saints, qui se réjouissent dans la contemplation de votre éclatante beauté ; régnez donc aussi sur le genre humain tout entier, surtout en ouvrant le chemin de la foi à ceux qui ne connaissent pas encore votre divin Fils.
Régnez sur l’Eglise qui professe et fête votre suave domination et qui recourt à vous comme à un sûr refuge au milieu des calamités de notre temps. Mais régnez spécialement sur cette portion de l’Eglise qui est persécutée et opprimée, lui donnant la force pour supporter les adversités, la constance pour ne pas plier sous les injustes pressions, la lumière pour ne pas tomber dans les embûches de l’ennemi, la fermeté pour résister aux attaques ouvertes, et une inébranlable fidélité de tous les instants à votre Royaume.
Régnez sur les intelligences, afin qu’elles ne cherchent que la vérité, sur les volontés, afin qu’elles ne suivent que le bien, sur les cœurs, afin qu’ils aiment uniquement ce que vous aimez vous-même.
Régnez sur les individus et sur les familles comme sur les sociétés et les nations ; sur les assemblées des puissants, sur les conseils des sages, comme sur les simples aspirations des humbles.
Régnez sur les routes et sur les places publiques, dans les cités et les villages, dans les vallées et les montagnes, dans les airs, sur terre et sur mer ; et accueillez la prière de ceux qui savent que votre Royaume est un Royaume de miséricorde, où toute supplication est entendue, toute douleur réconfortée, toute infortune soulagée, toute infirmité guérie et où, comme sur un signe de vos très douces mains, la vie renaît souriante de la mort elle-même.
Accordez-nous que ceux qui maintenant, dans toutes les parties du monde, vous acclament et vous reconnaissent Reine et Maîtresse, puissent jouir au Ciel de la plénitude de votre Royaume, dans la vision de votre divin Fils, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il !
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte Italien des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 662.