Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

1er novembre 1954

Discours à l'occasion de la cérémonie mariale proclamant la royauté de Marie

Dans l’en­cy­clique « Ad cœli Reginam » du 11 octobre 1954, Pie XII disait son inten­tion d’ins­ti­tuer la fête de la Royauté de Marie. Celle-​ci fut pro­cla­mée en ce jour.

Les tri­buts d’hom­mage et de dévo­tion envers la Mère de Dieu, que l’u­ni­vers catho­lique a mul­ti­pliés au cours des der­niers mois, ont mani­fes­té de façon splen­dide – tant par les démons­trations publiques que par les plus modestes ini­tia­tives de la pié­té pri­vée – son amour envers la Vierge Marie et sa foi en ses incom­pa­rables pri­vi­lèges. Mais afin de cou­ron­ner toutes ces mani­fes­ta­tions par une solen­ni­té par­ti­cu­liè­re­ment expres­sive de l’Année Mariale, Nous avons vou­lu ins­ti­tuer et célé­brer la fête de la Royauté de Marie.

Aucun de vous, chers fils et chères filles, ne s’en éton­ne­ra ni ne s’i­ma­gi­ne­ra qu’il s’a­gis­sait d’at­tri­buer à la Vierge un titre nou­veau. Les chré­tiens ne répètent-​ils pas déjà, depuis des siècles, dans les Litanies de Lorette les invo­ca­tions qui saluent Marie du nom de Reine ? Et la réci­ta­tion du saint Rosaire, qui pro­pose à notre pieuse médi­ta­tion le sou­ve­nir des joies, des dou­leurs et des gloires de la Mère de Dieu, ne se termine-​t-​elle pas par la radieuse évo­ca­tion de Marie accueillie par son Fils dans le ciel et ceinte du dia­dème royal ?

Notre inten­tion n’é­tait donc pas d’in­tro­duire quelque nou­veauté mais bien plu­tôt de faire res­plen­dir aux yeux du monde, dans les cir­cons­tances pré­sentes, une véri­té sus­cep­tible de por­ter remède à ses maux, de le libé­rer de ses angoisses et de l’en­ga­ger sur le che­min du salut qu’il cherche avec anxiété.

Moins encore que celle de son Fils, la royau­té de Marie ne doit pas être com­prise selon l’a­na­lo­gie des réa­li­tés de la vie poli­tique moderne. Sans doute les mer­veilles du ciel ne peuvent- elles être repré­sen­tées qu’au moyen des paroles et des expres­sions bien impar­faites du lan­gage humain ; mais ceci ne signi­fie nul­le­ment que, pour hono­rer Marie, on doive adhé­rer à une forme déter­mi­née de gou­ver­ne­ment ou à une struc­ture poli­tique par­ti­cu­lière. La royau­té de Marie est une réa­li­té supra­ter­restre qui tou­te­fois pénètre en même temps jus­qu’au plus intime des cœurs et les touche dans leur essence pro­fonde en ce qu’ils ont de spi­ri­tuel et d’immortel.

L’origine des gloires de Marie, le moment solen­nel qui illu­mine toute sa per­sonne et sa mis­sion, est celui où, pleine de grâce, elle répon­dit à l’ar­change Gabriel le fiat qui expri­mait son acquies­ce­ment aux dis­po­si­tions divines : c’est ain­si qu’elle deve­nait Mère de Dieu et Reine, et rece­vait la charge royale de veiller sur l’u­ni­té et la paix du genre humain. Par elle, nous avons la ferme confiance que l’hu­ma­ni­té s’en­ga­ge­ra peu à peu sur cette voie du salut ; elle gui­de­ra les chefs des nations et les cœurs des peuples vers la concorde et la charité.

Que peuvent donc faire les chré­tiens en cette heure où l’u­ni­té et la paix du monde, bien plus, les sources mêmes de la vie sont en péril, sinon tour­ner leurs regards vers Celle qui se montre à eux revê­tue de la puis­sance royale ? Comme elle enve­loppa jadis dans son man­teau l’Enfant divin, premier-​né de toutes les créa­tures et de toute la créa­tion[1], qu’elle daigne de même enve­lop­per main­te­nant tous les hommes et tous les peu­ples de sa vir­gi­nale ten­dresse ; qu’elle daigne, elle qui est le Siège de la Sagesse, faire res­plen­dir la véri­té des paroles ins­pirées que l’Eglise applique à sa per­sonne : « Per me reges regnant, et legum condi­tores jus­ta decer­nunt ; per me prin­cipes impe­rant, et potentes decer­nunt jus­ti­tiam [2] » « C’est par moi que régnent les rois et que les légis­la­teurs éta­blissent la jus­tice ; par moi les princes com­mandent et les sou­ve­rains gou­vernent avec rec­ti­tude. » Si le monde lutte actuel­le­ment sans trêve pour conqué­rir son uni­té, pour assu­rer la paix, l’in­vo­ca­tion du règne de Marie est – par-​delà tous les moyens ter­restres et tous les des­seins humains, tou­jours défec­tueux à quelque titre – le cri de la foi et de l’es­pé­rance chré­tiennes, fortes des pro­messes divines et des secours innom­brables que cet empire de Marie a pro­di­gués pour le salut de l’humanité.

Toutefois, de l’i­né­pui­sable bon­té de la Bienheureuse Vierge que Nous invo­quons aujourd’­hui comme la royale Mère du Sei­gneur, Nous atten­dons aus­si d’autres bien­faits non moins pré­cieux. Non seule­ment elle doit anéan­tir les plans téné­breux et les œuvres iniques des enne­mis d’une huma­ni­té chré­tienne et unie, mais elle doit com­mu­ni­quer aus­si aux hommes d’au­jourd’­hui quelque chose de son esprit. Nous enten­dons par là cette volon­té cou­ra­geuse et même auda­cieuse qui, dans les cir­cons­tances diffi­ciles, en face des périls et des obs­tacles, sait prendre sans hési­ter les réso­lu­tions qui s’im­posent et en pour­suivre l’exé­cu­tion avec une éner­gie indé­fec­tible, entraî­nant sur ses traces les faibles, les décou­ra­gés, les hési­tants, ceux qui ne croient plus à la jus­tice et à la noblesse de la cause qu’ils doivent défendre.

Qui ne voit à quel degré Marie a réa­li­sé en elle-​même cet esprit et a méri­té les louanges dues à la « femme forte » ? Son Magnificat, cet hymne de joie et de confiance invin­cible dans la puis­sance divine, dont elle entre­prend d’ef­fec­tuer les œuvres, la rem­plit d’une sainte audace et d’une force incon­nue à la nature.

Comme Nous vou­drions que tous ceux qui ont aujourd’­hui la res­pon­sa­bi­li­té de la marche saine et ordon­née des affaires publiques imitent ce lumi­neux exemple de sen­ti­ment royal ! Au lieu de cela, ne remarque-​t-​on pas quel­que­fois, même par­mi eux, une sorte de fatigue, de rési­gna­tion, de pas­si­vi­té, qui les empêche d’af­fron­ter avec fer­me­té et per­sé­vé­rance les pro­blèmes ardus du moment pré­sent ? Certains ne laissent-​ils pas par­fois les événe­ments aller à la dérive, au lieu de les domi­ner par une action saine et constructive ?

N’est-​il pas urgent de mobi­li­ser toutes les forces vives actuel­lement en réserve, de sti­mu­ler ceux qui n’ont pas encore pleine conscience de la dan­ge­reuse dépres­sion psy­cho­lo­gique où ils sont tom­bés ? Si la royau­té de Marie trouve un sym­bole par­faitement appro­prié dans l”« acies ordi­na­ta », l’ar­mée ran­gée en bataille [3], per­sonne, à coup sûr, ne pen­se­ra à quelque inten­tion bel­li­queuse, mais uni­que­ment à la force d’âme que nous admi­rons à un degré héroïque dans la Vierge, et qui pro­cède de la conscience de tra­vailler effi­ca­ce­ment pour l’ordre de Dieu dans le monde.

Puisse Notre invo­ca­tion à la royau­té de la Mère de Dieu obte­nir aux hommes sou­cieux de leurs res­pon­sa­bi­li­tés la grâce de vaincre l’a­bat­te­ment et l’in­do­lence, à une heure où nul ne peut se per­mettre un ins­tant de repos, alors qu’en tant de régions, la juste liber­té est oppri­mée, la véri­té offus­quée par l’ac­tion d’une pro­pa­gande men­son­gère et que les forces du mal semblent comme déchaî­nées sur la terre !

Si la royau­té de Marie peut sug­gé­rer à ceux qui régissent les nations des atti­tudes et des des­seins qui répondent aux exi­gences de l’heure, la Vierge ne cesse de déver­ser sur tous les peuples de la terre et sur toutes les classes sociales l’a­bon­dance de ses grâces. Après l’a­troce spec­tacle de la Passion au pied de la Croix où elle avait offert le plus dur des sacri­fices qui puis­sent être deman­dés à une Mère, elle conti­nua à répandre sur les pre­miers chré­tiens, sur ses fils d’a­dop­tion, les témoi­gnages de sa sol­li­ci­tude mater­nelle ; Reine plus que toute autre par l’é­lé­va­tion de son âme et par l’ex­cel­lence des dons divins, elle ne cesse de pro­di­guer tous les tré­sors de son affec­tion et de ses douces atten­tions à la pauvre huma­ni­té. Loin d’être fon­dé sur les exi­gences de ses droits et la volon­té d’une domi­na­tion hau­taine, le règne de Marie ne connaît qu’une aspi­ra­tion : le don plé­nier de soi-​même dans sa plus haute et totale générosité.

Marie exerce donc ain­si sa royau­té : en accep­tant nos hom­mages et en ne dédai­gnant pas d’é­cou­ter jus­qu’aux plus humbles et impar­faites prières. C’est pour­quoi, dési­reux comme Nous le sommes d’in­ter­pré­ter les sen­ti­ments de tout le peuple chré­tien, Nous adres­sons à la Vierge bien­heu­reuse cette fer­vente prière :

Du fond de cette terre de larmes, où l’hu­ma­ni­té souf­frante se traîne péni­ble­ment, dans les remous d’une mer sans cesse agi­tée par le vent des pas­sions, nous levons les yeux vers vous, ô Marie, Mère très aimée, pour pui­ser du récon­fort dans la con­templation de votre gloire et pour vous saluer Reine et Maîtresse des cieux et de la terre, Notre Reine et Notre Dame.

Votre Royauté, nous vou­lons l’exal­ter avec une légi­time fier­té de fils et la recon­naître comme due à la suprême excel­lence de tout votre être, ô très douce et vraie Mère de Celui qui est Roi par droit propre, par héri­tage, par conquête.

Régnez, ô Notre Reine et Notre Dame, nous mon­trant le che­min de la sain­te­té, nous diri­geant et nous assis­tant, afin que nous ne nous en éloi­gnions jamais.

Au plus haut des cieux, vous exer­cez votre Royauté sur les chœurs des Anges, qui vous acclament comme leur Souveraine, sur les légions des saints, qui se réjouissent dans la contempla­tion de votre écla­tante beau­té ; régnez donc aus­si sur le genre humain tout entier, sur­tout en ouvrant le che­min de la foi à ceux qui ne connaissent pas encore votre divin Fils.

Régnez sur l’Eglise qui pro­fesse et fête votre suave domi­nation et qui recourt à vous comme à un sûr refuge au milieu des cala­mi­tés de notre temps. Mais régnez spé­cia­le­ment sur cette por­tion de l’Eglise qui est per­sé­cu­tée et oppri­mée, lui don­nant la force pour sup­por­ter les adver­si­tés, la constance pour ne pas plier sous les injustes pres­sions, la lumière pour ne pas tom­ber dans les embûches de l’en­ne­mi, la fer­me­té pour résis­ter aux attaques ouvertes, et une inébran­lable fidé­li­té de tous les ins­tants à votre Royaume.

Régnez sur les intel­li­gences, afin qu’elles ne cherchent que la véri­té, sur les volon­tés, afin qu’elles ne suivent que le bien, sur les cœurs, afin qu’ils aiment uni­que­ment ce que vous aimez vous-même.

Régnez sur les indi­vi­dus et sur les familles comme sur les socié­tés et les nations ; sur les assem­blées des puis­sants, sur les conseils des sages, comme sur les simples aspi­ra­tions des humbles.

Régnez sur les routes et sur les places publiques, dans les cités et les vil­lages, dans les val­lées et les mon­tagnes, dans les airs, sur terre et sur mer ; et accueillez la prière de ceux qui savent que votre Royaume est un Royaume de misé­ri­corde, où toute sup­pli­ca­tion est enten­due, toute dou­leur récon­for­tée, toute infor­tune sou­la­gée, toute infir­mi­té gué­rie et où, comme sur un signe de vos très douces mains, la vie renaît sou­riante de la mort elle-même.

Accordez-​nous que ceux qui main­te­nant, dans toutes les par­ties du monde, vous acclament et vous recon­naissent Reine et Maîtresse, puissent jouir au Ciel de la plé­ni­tude de votre Royaume, dans la vision de votre divin Fils, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-​Esprit, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-​il !

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-​Augustin Saint-​Maurice – D’après le texte Italien des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 662.

Notes de bas de page
  1. Col., I, 15.[]
  2. Prov., VIII, 15–16.[]
  3. Office de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, pas­sim.[]