En la vigile de la fête de l’apparition de Notre-Dame à Lourdes, le Pape, par l’intermédiaire des ondes, envoya le message suivant au peuple de Rome pour l’inviter à prendre part à un courant de dévotion mariale [1].
C’est du fond de Notre cœur, chers fils et chères filles de Rome, que vous est adressée cette paternelle exhortation ; de Notre cœur inquiet de voir d’une part se prolonger sans éclaircies notables une situation pleine de dangers, et d’autre part, se répandre à l’excès une torpeur qui empêche un grand nombre d’entreprendre ce retour vers Jésus-Christ, vers l’Eglise, vers la vie chrétienne, souvent indiqué par Nous comme le remède propre à résoudre la crise générale qui agite le monde. Mais la réconfortante assurance que Nous avons de vous trouver compréhensifs et prêts à l’action, Nous a poussé à vous ouvrir Notre âme. C’est un cri d’alarme que vous entendrez aujourd’hui des lèvres de votre Père et Pasteur, de Nous qui ne saurions demeurer muet et inactif devant un monde inconsciemment en marche, sur des voies qui mènent à l’abîme les âmes et les corps, les bons et les méchants, les civilisations et les peuples. Le sentiment de Notre responsabilité devant Dieu Nous impose de tout tenter, de tout entreprendre pour que soit épargnée au genre humain une si immense catastrophe.
Si Nous avons choisi pour vous confier cette anxiété de Notre cœur la fête que l’on célèbre demain, la fête de la Vierge de Lourdes, c’est qu’elle commémore les prodigieuses apparitions qui, il y a quelque cent ans, furent, en un siècle de déchaînement rationaliste et d’affaiblissement religieux, la miséricordieuse réponse de Dieu et de sa céleste Mère à la rébellion des hommes, le rappel irrésistible au surnaturel, le premier pas vers une progressive rénovation religieuse. Quel cœur chrétien, si tiède et si oublieux soit-il, pourrait résister à la voix de Marie ? Non pas, certes, le cœur des Romains, de vous qui avez reçu en héritage – transmis au cours de longs siècles en même temps que la foi des Martyrs – l’amour filial envers Marie, invoquée dans ses saintes Images sous les titres aimants et d’une lapidaire éloquence : Salus populi Romani, Portas Romanæ Securitatis, et plus récemment « Mère du divin Amour » : tous titres qui sont les monuments d’une constante piété mariale, ou, pour parler plus juste, les suaves échos d’une longue histoire d’interventions authentiques de la Vierge dans les calamités publiques qui ébranlèrent ces vieux murs de Rome toujours gardée sauve par Sa puissance. Vous n’ignorez pas combien plus étendus et plus graves que les pestes et les cataclysmes terrestres sont les dangers qui ne cessent de peser sur la génération présente, encore que la persistance de leur menace ait commencé à rendre les peuples presque insensibles et apathiques. Ne serait-ce pas là le plus funeste symptôme de la crise interminable, mais non pas apaisée pour autant, qui fait trembler les esprits clairvoyants ? Recourant donc une fois encore à la bonté de Dieu et à la miséricorde de Marie, il faut que chaque fidèle, que chaque homme de bonne volonté examine à nouveau, avec une résolution digne des plus grands moments de l’histoire humaine, ce qu’il peut et doit personnellement faire, quelle contribution apporter à l’œuvre salvifique de Dieu pour secourir un monde qui s’achemine, comme c’est le cas aujourd’hui, vers sa ruine.
A l’origine : la tiédeur religieuse d’un trop grand nombre.
Devant la persistance d’une, situation qui, Nous n’hésitons pas à le dire, peut à chaque instant provoquer une explosion et dont il faut rechercher l’origine dans la tiédeur religieuse d’un si grand nombre, dans l’abaissement du niveau moral de la vie publique et privée, dans l’entreprise systématique d’intoxication des âmes simples auxquelles on verse le poison après avoir, pour ainsi dire, anesthésié en elles le sens de la véritable liberté, les bons ne peuvent s’immobiliser dans les sentiers accoutumés, spectateurs passifs d’un avenir terrifiant.
L’Année Sainte qui, parmi vous tout d’abord, puis sur la terre entière, a produit une si prodigieuse efflorescence de vie chrétienne, ne saurait être considérée comme un météore brillant mais éphémère, ni même comme une tâche momentanée désormais accomplie, mais bien comme un premier pas, plein de promesses, vers cette restauration intégrale de l’esprit évangélique qui, outre qu’elle arrachera des millions d’âmes à la ruine éternelle, est seule à pouvoir assurer la cohabitation pacifique et la féconde collaboration des peuples.
Un monde à refaire depuis ses fondations.
Il est temps, chers fils ! Il est temps d’accomplir les autres pas décisifs ! Il est temps de secouer la funeste léthargie ! Il est temps que tous les bons, tous les hommes soucieux des destinées du monde, se reconnaissent et serrent leurs rangs ! Il est temps de répéter avec l’Apôtre : Hora est jam nos de somno surgere[2]. C’est l’heure de nous éveiller du sommeil, car voici que s’approche notre salut !
C’est tout un monde qu’il faut refaire depuis les fondations ; de sauvage, il faut le rendre humain, d’humain le rendre divin, c’est-à-dire selon le cœur de Dieu. Des millions d’hommes réclament une orientation nouvelle, tournent leurs regards vers une telle entreprise dans le respect de la liberté humaine ; ils implorent sa direction non seulement par des paroles non équivoques, mais plus encore par les larmes qu’ils ont déjà versées, par les blessures dont ils souffrent toujours, montrant du doigt les gigantesques cimetières dont la haine organisée et armée a recouvert les continents.
Levain parmi vos frères.
Comment pourrions-Nous, Nous que malgré Notre indignité, Dieu a constitué flambeau dans les ténèbres, sel de la terre, Pasteur du troupeau chrétien, comment pourrions-Nous refuser cette mission salvatrice ? De même qu’en un Jour déjà lointain Nous acceptâmes, parce qu’il plaisait à Dieu, la lourde croix du Pontificat, de même aujourd’hui assumons-Nous la tâche ardue d’être, autant que Nous le permettent Nos faibles forces, le héraut d’un monde meilleur voulu de Dieu ; et c’est à vous qu’en premier lieu Nous désirons en remettre l’étendard, à vous, chers fils de Rome, qui, étant plus proches de Nous et plus particulièrement confiés à Nos soins, êtes par-là constitués vous-mêmes flambeau sur le candélabre, levain parmi vos frères, cité sur la montagne, à vous dont les autres attendent à bon droit un plus grand courage et une promptitude plus généreuse. Sachant y reconnaître un appel de Dieu et une digne raison de vivre, accueillez avec un noble élan de dévouement la sainte consigne que vous confie aujourd’hui votre Pasteur et Père : donner le signal d’un réveil vigoureux de pensée et d’action, d’un réveil qui engage tout le monde sans nulle défection – clergé et peuple, autorités, familles et groupements divers, chaque âme chrétienne en particulier – sur le front du renouveau général de la vie chrétienne, sur la ligne de défense des valeurs morales pour la réalisation de la justice sociale, pour la reconstruction de l’ordre chrétien, en sorte que le visage même de la Ville, centre de l’Eglise depuis les temps apostoliques, paraisse d’ici peu resplendissant de sainteté et de beauté.
L’Heure de l’action.
Que la ville sur laquelle chaque âge a imprimé les marques de glorieuses réalisations, devenues ensuite l’héritage des nations, reçoive de ce siècle, des hommes qui la peuplent aujourd’hui, l’auréole promotrice du salut commun en un temps où des forces opposées se disputent le monde. Voilà ce qu’espèrent d’elle les peuples chrétiens ; et ce qu’ils attendent surtout, c’est l’action !
Ce n’est pas le moment de discuter, de chercher de nouveaux principes, d’assigner de nouveaux buts et objectifs. Les uns et les autres sont déjà connus et assurés dans leur substance, parce qu’enseignés par le Christ lui-même, mis en lumière par l’élaboration séculaire de l’Eglise, adaptés aux circonstances immédiates par les derniers Souverains Pontifes ; ils n’attendent qu’une chose : leur réalisation concrète.
A qui servirait-il de scruter les voies de Dieu et de l’esprit si en pratique, on choisit les voies de la perdition et qu’on plie docilement le dos à l’aiguillon de la chair ? Quel profit de savoir et de dire que Dieu est le Père et que les hommes sont frères, si de sa part on craint toute intervention dans la vie privée et publique ? A quoi bon discuter de la justice, de la charité, de la paix, si déjà la volonté est décidée à fuir l’immolation, le cœur déterminé à s’enfermer dans une solitude glaciale, si personne n’ose prendre l’initiative de briser les barrières de la haine qui divise, pour courir au-devant d’une sincère entente ? Tout cela ne ferait que rendre plus coupables les fils de la lumière, auxquels il sera moins pardonné, s’ils ont moins aimé. Ce n’est pas avec cette inconséquence et cette inertie que l’Eglise changea à ses débuts la face du monde, qu’elle s’étendit rapidement et continua à travers les siècles son œuvre bienfaisante qui lui valut l’admiration et la confiance des peuples.
Qu’il soit bien clair, chers fils, qu’à la racine des maux actuels et de leurs funestes conséquences, il n’y a pas, comme avant la venue du Christ ou dans les régions encore païennes, l’invincible ignorance des destinées éternelles de l’homme et des voies maîtresses pour les atteindre, mais bien la léthargie de l’esprit, l’anémie de la volonté, la froideur des cœurs. Les hommes atteints de cette contagion tentent, pour se justifier, de s’entourer des antiques ténèbres et cherchent un alibi dans de nouvelles et anciennes erreurs. C’est donc sur leurs volontés qu’il faut agir.
Se placer devant la situation concrète.
Que l’action, à laquelle Nous convions aujourd’hui pasteurs et fidèles, reflète celle de Dieu : qu’elle soit éclairante et unifiante, généreuse et aimante. A cette fin, vous plaçant devant la situation concrète de votre ville, qui est aussi la Nôtre, faites en sorte que les besoins soient bien identifiés, les buts bien clairs, les forces disponibles bien dénombrées, de façon que les ressources initiales actuelles ne soient pas négligées faute de les connaître, ni employées de manière désordonnée, ni gaspillées en activités secondaires. Qu’on invite les âmes de bonne volonté ; qu’elles s’offrent elles-mêmes spontanément. Que leur foi soit la fidélité inconditionnée à la personne de Jésus-Christ et à ses enseignements. Que leur oblation soit humble et obéissante ; que leur œuvre s’insère comme un élément actif dans le vaste courant que Dieu animera et conduira par le moyen de ses ministres.
Plan de Travail.
Dans ce but. Nous invitons Notre Vénérable Frère le Cardinal Vicaire, à assumer, pour le diocèse de Rome, la haute direction de cette action de régénération et de salut. Nous sommes certain qu’ils ne manqueront ni en nombre, ni en qualité, les cœurs généreux qui accourront à Notre appel et réaliseront Notre souhait. Des âmes ardentes attendent anxieusement d’être convoquées ; qu’on assigne à leur frémissante impatience le vaste champ à défricher. D’autres sommeillent : il faudra les réveiller ; les tièdes, il faudra les encourager ; les désorientées, il faudra les guider. Toutes ces âmes requièrent un sage encadrement, un emploi judicieux, un rythme de travail correspondant à l’urgente nécessité de défense, de conquête, de construction positive. C’est ainsi que Rome retrouvera sa mission séculaire de maîtresse spirituelle des nations, non seulement comme elle le fut et l’est, par la Chaire de vérité que Dieu établit en son centre, mais aussi par l’exemple de son peuple redevenu fervent dans la foi, exemplaire dans les mœurs, unanime dans l’accomplissement de ses devoirs religieux et civils, et s’il plaît à Dieu, prospère et heureux. Nous souhaitons volontiers que le puissant réveil auquel Nous vous exhortons aujourd’hui, suscité et poursuivi avec ténacité selon le programme tracé – et que d’autres pourront illustrer plus en détails – soit promptement imité par les diocèses proches et lointains, afin que Nos yeux puissent voir revenir au Christ, non seulement les villes, mais les nations, les continents, l’humanité entière.
Ultime appel.
Mettez donc la main à la charrue : laissez-vous inspirer par Dieu – qui le veut –, attirer par la noblesse de l’entreprise, stimuler par son urgence ; que la crainte fondée du redoutable avenir qui résulterait d’une coupable inertie, triomphe de toute hésitation et confirme toute volonté.
Votre soutien sera dans les prières des humbles et des petits, auxquels vont vos soins les plus tendres, dans les douleurs acceptées et offertes pour ceux qui souffrent. Vos efforts seront fécondés par les exemples et l’intercession des Martyrs et des Saints qui rendirent sacré le sol de Rome. L’heureux succès pour lequel Nous prions ardemment, sera béni et multiplié par la Vierge très sainte : car si en tout temps elle fut prête à étendre sa main protectrice sur les Romains, ses enfants, Nous ne doutons pas que maintenant aussi, elle voudra faire sentir sa protection maternelle sur ces fils qui montrèrent tant d’affectueuse piété lors de sa récente glorification, et dont le puissant hosanna résonne encore dans le ciel de Rome.
Que vous soit enfin un réconfort et un soutien la Bénédiction apostolique que, dans l’effusion de Notre cœur. Nous vous accordons, à vous tous qui Nous écoutez, à vos familles, à vos œuvres et à cette ville éternelle dont la foi, dès les temps de l’Apôtre, est annoncée dans le monde entier [3], et dont la grandeur chrétienne, phare de vérité, d’amour et de paix, se perpétue à travers les siècles[4].
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 158.
- De fait, en février 1952, s’ouvrait à Rome une grande mission, à la tête de laquelle Pie XII plaça son Vicaire général, pour le diocèse de Rome, le cardinal Micara. Des réunions prévoyaient comment cette mission se déroulerait. De son côté, le Père Lombardi S. J. commenta sur les ondes l’appel du Saint-Père. Dans son allocution aux curés de Rome, du 8 mars, le Pape revenait sur le même sujet (Cf. p. 61).[↩]
- Rom., XIII, 2.[↩]
- Cf. Rom., I, 8.[↩]
- La ville de Rome compte actuellement 1.800.000 habitants : en 1920, il n’y en avait que 800.000. Le développement des paroisses ne s’est pas déroulé au même rythme. En 1.900, il y avait 58 paroisses ; il y en a aujourd’hui, 127. En comptant les autres lieux de culte, on arrive au total de 420 églises, 15 oratoires et 66 chapelles.
Pour desservir les 127 paroisses, il y a 440 prêtres environ, soit un prêtre pour plus de 4.000 habitants.
Certaines paroisses ont 30 ou 40.000 âmes, avec 5 ou 6 prêtres pour en porter la charge.
On estime qu’à Rome 10% des hommes et des jeunes gens font leurs Pâques. De même 400.000 Romains assistent à la messe dominicale. De plus, une partie importante de la population de Rome vit dans une misère noire et l’immoralité des jeunes dépasse toute expression.[↩]