Le Pape a reçu 300 membres du premier Congrès international d’histopathologie du système nerveux ; à cette occasion, il a précisé les limites morales des méthodes de recherche et de traitement, notamment en mettant en garde contre « la méthode pansexuelle d’une certaine psychanalyse », le Souverain Pontife a déclaré :
Ce « premier Congrès international d’histopathologie du système nerveux » réussit à dominer une matière vraiment très vaste. Par un exposé et une démonstration approfondie, il fallait placer dans une perspective exacte les causes et les premiers débuts des maladies du système nerveux proprement dit et des maladies qu’on appelle psychiques. Aussi a‑t-on présenté un rapport et organisé un échange de vues au sujet des connaissances et découvertes récentes sur les lésions du cerveau et d’autres organes, lésions qui sont l’origine et la cause des maladies nerveuses comme des psychopathies. En fait, il s’agissait de découvertes acquises en partie par des moyens entièrement nouveaux et par de nouvelles méthodes. Le nombre et la provenance des participants et en particulier des rapporteurs montre que les savants de pays et de nations les plus divers ont échangé leurs expériences pour leur enrichissement mutuel et pour servir l’intérêt de la science, l’intérêt du malade individuel, l’intérêt de la communauté.
Vous n’attendrez pas de Nous que Nous traitions des questions médicales qui vous occupent. C’est votre domaine. Vous avez pendant ces jours pris une vue d’ensemble de votre vaste champ de recherches et de travaux. Nous voudrions maintenant – pour répondre au vœu que vous avez vous-mêmes exprimé – attirer votre attention sur les limites de ce champ, non les limites des possibilités médicales, des connaissances médicales théoriques et pratiques, mais les limites des droits et des devoirs moraux. Nous voudrions aussi Nous faire l’interprète de la conscience morale du chercheur, du savant et du praticien, de la conscience morale de l’homme comme du chrétien, qui d’ailleurs suivent ici la même voie.
Dans vos rapports et vos discussions, vous avez entrevu beaucoup de chemins nouveaux, mais il reste une quantité de questions qui ne sont pas encore résolues. L’esprit de recherche, son audace décidée incitent à s’engager sur les routes fraîchement découvertes, à les pousser plus avant, à créer d’autres itinéraires, à rénover les méthodes. Le médecin sérieux et compétent verra souvent avec une sorte d’intuition spontanée la licéité morale de l’action qu’il se propose et il agira selon sa conscience. Mais il se présente aussi des possibilités d’action où il n’a pas cette sécurité, où peut-être il voit ou croit voir avec certitude le contraire, où il doute et oscille entre le oui et le non. L’homme dans le médecin, en ce qu’il a de plus sérieux et de plus profond, ne se contente pas d’examiner au point de vue médical ce qu’il peut tenter et réussir, il veut aussi voir clair dans la question des possibilités et de l’obligation morales. Nous voudrions, en quelques traits, exposer les principes essentiels qui permettent de répondre à cette question. L’application aux cas particuliers, vous la ferez vous-mêmes en tant que médecins, parce que souvent seul le médecin pénètre à fond le donné médical, en soi et ses effets, et parce que sans une connaissance exacte du fait médical il est impossible de déterminer quel principe moral s’applique aux traitements en cause. Le médecin envisage donc l’aspect médical du cas ; le moraliste, les normes morales. Ordinairement, en s’expliquant et en se complétant mutuellement, ces données rendront possible un jugement sûr sur la licéité morale du cas dans sa situation tout à fait concrète.
Pour justifier en morale de nouveaux procédés, de nouvelles tentatives et méthodes de recherche et de traitement médicaux, on invoque surtout trois principes :
- 1° l’intérêt de la science médicale,
- 2° l’intérêt individuel du patient à traiter,
- 3° l’intérêt de la communauté, le bonum commune.
I. L’intérêt de la science comme justification de la recherche et de l’emploi de nouvelles méthodes :
La connaissance scientifique a sa valeur propre dans le domaine de la science médicale – non moins qu’en d’autres domaines scientifiques comme, par exemple, en physique, chimie, cosmologie, psychologie, – valeur qu’il ne faut certes pas minimiser et qui s’impose tout à fait indépendamment de l’utilité et de l’utilisation des connaissances acquises. Aussi la connaissance comme telle et la plénitude de la connaissance de toute vérité ne soulèvent-elles aucune objection morale. En vertu du même principe, la recherche et l’acquisition de la vérité en vue de parvenir à une connaissance et à une compréhension nouvelles, plus vastes et plus profondes de cette même vérité, sont en soi d’accord avec l’ordre moral.
Mais cela ne signifie pas que toute méthode, ou même une seule méthode bien déterminée de recherche scientifique et technique, offre toute garantie morale ou plus encore que toute méthode devient licite par le fait même qu’elle accroît et approfondit nos connaissances. Parfois il arrive qu’une méthode ne puisse être mise en œuvre sans léser le droit d’autrui ou sans violer une règle morale de valeur absolue. En ce cas, bien qu’on envisage et qu’on poursuive à bon droit l’accroissement de la connaissance, cette méthode n’est pas moralement admissible. Pourquoi donc ? Parce que la science n’est pas la valeur la plus haute, à laquelle tous les autres ordres de valeurs – ou dans un même ordre de valeurs, toutes les valeurs particulières – seraient soumises. Donc la science elle-même comme aussi sa recherche et son acquisition doivent s’insérer dans l’ordre des valeurs. Ici se dressent des frontières bien définies, que même la science médicale ne peut transgresser sans violer les règles morales supérieures. Les relations de confiance entre médecin et patient, le droit personnel du patient à la vie, physique et spirituelle, dans son intégrité psychique ou morale, voilà, parmi beaucoup d’autres, des valeurs qui dominent l’intérêt scientifique. Cette constatation deviendra plus évidente encore par la suite.
Bien qu’on doive reconnaître dans l”« intérêt de la science » une valeur authentique, que la loi morale ne défend pas à l’homme de garder, d’accroître, d’approfondir, on ne peut cependant pas concéder l’affirmation suivante : « A supposer évidemment que l’intervention du médecin soit déterminée par un intérêt scientifique et qu’il observe les règles professionnelles, il n’y a pas de limites aux méthodes d’accroissement et d’approfondissement de la science médicale ». Même à cette condition-là, on ne peut concéder tout simplement ce principe.
II. L’intérêt du patient comme justification de nouvelles méthodes médicales de recherche et de traitement :
Les considérations de base peuvent ici se formuler de la manière suivante : « Le traitement médical du malade exige telle mesure déterminée. Par le fait même, sa licéité morale est prouvée. » Ou bien : « Telle méthode nouvelle, jusqu’ici négligée ou peu utilisée, donnera des résultats possibles, probables ou certains. Par là même, toutes les considérations éthiques sur la licéité de cette méthode sont dépassées et doivent être traitées comme sans objet. »
Comment ne pas voir que le vrai et le faux sont ici mêlés ? L”« intérêt du patient » fournit en de très nombreux cas la justification morale de la conduite du médecin. La question porte ici encore, sur la valeur absolue de ce principe ; prouve-t-il par lui- même, fait-il en sorte que l’intervention envisagée par la médecine soit conforme à la loi morale ?
D’abord il faut supposer que le médecin, comme personne privée, ne peut prendre aucune mesure, tenter aucune intervention sans le consentement du patient. Le médecin n’a sur le patient que le pouvoir et les droits que celui-ci lui donne, soit explicitement, soit implicitement et tacitement. Le patient, de son côté, ne peut conférer plus de droits qu’il n’en possède. Le point décisif, dans ce débat, c’est la licéité morale du droit qu’a le patient de disposer de lui-même. Ici se dresse la frontière morale de l’action du médecin, qui agit avec le consentement de son patient.
En ce qui concerne le patient, il n’est pas maître absolu de lui-même, de son corps, de son esprit. Il ne peut donc disposer librement de lui-même, comme il lui plaît. Le motif même, pour lequel il agit, n’est à lui seul, ni suffisant ni déterminant. Le patient est lié à la téléologie immanente fixée par la nature. Il possède le droit d’usage, limité par la finalité naturelle, des facultés et des forces de sa nature humaine. Parce qu’il est usufruitier et non propriétaire, il n’a pas un pouvoir illimité de poser des actes de destruction ou de mutilation de caractère anatomique ou fonctionnel. Mais, en vertu du principe de totalité, de son droit d’utiliser les services de l’organisme comme un tout, il peut disposer des parties individuelles pour les détruire ou les mutiler, lorsque et dans la mesure où c’est nécessaire pour le bien de l’être dans son ensemble, pour assurer son existence, ou pour éviter, et, naturellement, pour réparer des dommages graves et durables, qui ne pourraient être autrement ni écartés ni réparés.
Le patient n’a donc pas le droit d’engager son intégrité physique et psychique en des expériences ou recherches médicales, quand ces interventions entraînent avec ou après elles des destructions, mutilations, blessures ou périls sérieux.
En outre, dans la mise en œuvre de son droit à disposer de lui-même, de ses facultés et de ses organes, l’individu doit observer la hiérarchie des ordres de valeurs, et, à l’intérieur d’un même ordre de valeurs, la hiérarchie des biens particuliers, pour autant que les règles de la morale l’exigent. Ainsi, par exemple, l’homme ne peut entreprendre sur soi ou permettre des actes médicaux – physiques ou somatiques – qui sans doute suppriment de lourdes tares ou infirmités physiques ou psychiques, mais entraînent en même temps une abolition permanente ou une diminution considérable et durable de la liberté, c’est-à-dire de la personnalité humaine dans sa fonction typique et caractéristique. On dégrade ainsi l’homme au niveau d’un être purement sensitif aux réflexes acquis ou d’un automate vivant. Un pareil renversement des valeurs, la loi morale ne le supporte pas ; aussi fixe-t-elle ici les limites et les frontières de l”« intérêt médical du patient ».
Voici un autre exemple : pour se délivrer de refoulements, d’inhibitions, de complexes psychiques, l’homme n’est pas libre de réveiller en lui, à des fins thérapeutiques, tous et chacun de ces appétits de la sphère sexuelle, qui s’agitent ou se sont agités en son être, et roulent leurs flots impurs dans son inconscient ou son subconscient. Il ne peut en faire l’objet de ses représentations et de ses désirs pleinement conscients, avec tous les ébranlements et les répercussions qu’entraîne un tel procède. Pour l’homme et le chrétien existe une loi d’intégrité et de pureté personnelles, d’estime personnelle de soi, qui interdit de se plonger aussi totalement dans le monde des représentations et des tendances sexuelles. L”« intérêt médical et psychothérapeutique du patient » trouve ici une limite morale. Il n’est pas prouvé, il est même inexact, que la méthode pansexuelle d’une certaine école
de psychanalyse soit une partie intégrante indispensable de toute psychothérapie sérieuse et digne de ce nom ; que le fait d’avoir dans le passé négligé cette méthode ait causé de graves dommages psychiques, des erreurs dans la doctrine et dans les applications en éducation, en psychothérapie et non moins encore dans la pastorale ; qu’il soit urgent de combler cette lacune et d’initier tous ceux qui s’occupent de questions psychiques, aux idées directrices et même, s’il le faut, au maniement pratique de cette technique de la sexualité[1].
Nous parlons ainsi parce que, aujourd’hui, ces affirmations sont trop souvent présentées avec une assurance apodictique. Il vaudrait mieux, dans le domaine de la vie instinctive, accorder plus d’attention aux traitements indirects et à l’action du psychisme conscient sur l’ensemble de l’activité imaginative et affective. Cette technique évite les déviations signalées. Elle tend à éclairer, guérir et diriger ; elle influence aussi la dynamique de la sexualité, sur laquelle on insiste tant et qui doit se trouver ou même se trouve réellement dans l’inconscient ou le subconscient.
Jusqu’à présent, Nous avons parlé directement du patient, non du médecin, et Nous avons expliqué en quel point le droit personnel du patient à disposer de lui-même, de son esprit, de son corps, de ses facultés, organes et fonctions, rencontre une limite morale. Mais en même temps Nous avons répondu à la question : où se trouve pour le médecin la frontière morale dans la recherche et l’utilisation des méthodes et procédés nouveaux dans « l’intérêt du patient » ? La frontière est la même que pour le patient ; c’est celle qui est fixée par le jugement de la saine raison, qui est tracée par les exigences de la loi morale naturelle, qui se déduit de la téléologie naturelle inscrite dans les êtres et de l’échelle de valeurs exprimée par la nature des choses. La frontière est la même pour le médecin et pour le patient, parceque, Nous l’avons déjà dit, le médecin, comme personne privée, dispose uniquement des droits concédés par le patient et parce que le patient ne peut donner plus que ce qu’il possède lui-même.
Ce que Nous disons ici doit s’étendre au représentant légal de celui qui est incapable de disposer de lui-même et de ses affaires : les enfants avant l’âge de raison, puis les faibles d’esprit, les aliénés. Ces représentants légaux, établis par une décision privée ou par l’autorité publique, n’ont sur le corps et la vie de leurs subordonnés d’autre droit qu’eux-mêmes, s’ils en étaient capables, et cela avec la même extension. Ils ne peuvent donc pas donner au médecin la permission d’en disposer en dehors de ces limites.
III. L’intérêt de la communauté comme justification de nouvelles méthodes de recherche et de traitement :
On invoque un troisième intérêt pour justifier moralement le droit de la médecine à de nouvelles tentatives et interventions, à des méthodes et procédés nouveaux : l’intérêt de la communauté, de la société humaine, le bonum commune, le bien commun, comme disent le philosophe et le sociologue.
Il est hors de doute qu’un tel bien commun existe : on ne peut non plus contester qu’il appelle et justifie des recherches ultérieures. Les deux intérêts déjà nommés, celui de la science et celui du patient, sont étroitement unis à l’intérêt général.
Cependant, pour la troisième fois, revient la question : « l’intérêt médical de la communauté » n’est-il, dans son contenu et son extension, limité par aucune barrière morale ? Y a‑t-il « pleins pouvoirs » pour chaque expérience médicale sérieuse sur l’homme vivant ? Lève-t-il les barrières qui valent encore pour l’intérêt de la science ou de l’individu ? Ou sous une autre formulation : l’autorité publique – à qui précisément incombe le souci du bien commun – peut-elle donner au médecin le pouvoir de tenter des essais sur l’individu dans l’intérêt de la science et de la communauté, afin d’inventer et d’expérimenter des méthodes et procédés nouveaux, alors que ces essais dépassent le droit de l’individu à disposer de lui-même ; l’autorité publique peut-elle réellement, dans l’intérêt de la communauté, limiter ou supprimer même le droit de l’individu sur son corps et sa vie, son intégrité corporelle et psychologique ?
Pour prévenir une objection : on suppose toujours qu’il s’agit de recherches sérieuses, d’efforts honnêtes pour promouvoir la médecine théorique et pratique, non de quelque manœuvre, qui sert de prétexte scientifique pour couvrir d’autres buts et les réaliser impunément.
En ce qui concerne les questions posées, beaucoup ont estimé, et estiment encore aujourd’hui, qu’il faut y répondre par l’affirmative. Pour étayer leur conception, ils invoquent le fait que l’individu est subordonné à la communauté, que le bien de l’individu doit céder le pas au bien commun et lui être sacrifié. Ils ajoutent que le sacrifice d’un individu aux fins de la recherche et de l’exploration scientifique profite finalement à l’individu.
Les grands procès de l’après-guerre ont mis au jour une quantité effrayante de documents attestant le sacrifice de l’individu à l”« intérêt médical de la communauté ». On trouve, dans les actes, des témoignages et des rapports qui montrent comment, avec l’assentiment et même parfois sur un ordre formel de l’autorité publique, certains centres de recherches exigeaient systématiquement qu’on leur fournît les hommes des camps de concentration pour leurs expériences médicales, et comment on les livrait à ces centres : tant d’hommes, tant de femmes, tant pour telle expérience, tant pour telle autre. Il existe des rapports sur le déroulement et le résultat des expériences, sur les symptômes objectifs et subjectifs observés chez les intéressés au cours des différentes phases de l’expérimentation. On ne peut lire ces notes sans être saisi d’une profonde compassion pour ces victimes, dont beaucoup sont allées à la mort, et sans être pris d’épouvante devant pareille aberration de l’esprit et du cœur humain. Mais Nous pouvons aussi ajouter : les responsables de ces faits atroces n’ont rien fait de plus que de répondre par l’affirmative aux questions que Nous avons posées et de tirer les conséquences pratiques de cette affirmation.
L’intérêt de l’individu est-il à ce point subordonné à l’intérêt médical commun, ou transgresse-t-on ici, de bonne foi peut-être, les exigences les plus élémentaires du droit naturel, transgression que ne peut se permettre aucune recherche médicale ?
Il faudrait fermer les yeux à la réalité pour croire qu’à l’heure actuelle, on ne trouve plus personne dans le monde de la médecine pour tenir et défendre les idées qui sont à l’origine des faits que nous avons cités. Il suffit de suivre pendant quelque temps les rapports sur les essais et les expériences médicales, pour se convaincre du contraire. On se demande involontairement ce qui a autorisé tel médecin à oser telle intervention et ce qui pourrait jamais l’y autoriser. Avec une objectivité tranquille, l’expérience est décrite dans son déroulement et dans ses effets ; on note ce qui se vérifie et ce qui ne se vérifie pas. Sur la question de la licéité morale, pas un mot. Cette question existe cependant, et l’on ne peut la supprimer en la passant sous silence.
Pour autant que, dans les cas mentionnés, la justification morale de l’intervention se tire du mandat de l’autorité publique, et donc de la subordination de l’individu à la communauté, du bien individuel au bien social, elle repose sur une explication erronée de ce principe. Il faut remarquer que l’homme dans son être personnel n’est pas ordonné en fin de compte à l’utilité de la société, mais, au contraire, la communauté est là pour l’homme.
La communauté est le grand moyen voulu par la nature et par Dieu pour régler les échanges où se complètent les besoins réciproques, pour aider chacun à développer complètement sa personnalité selon ses aptitudes individuelles et sociales. La communauté considérée comme un tout n’est pas une unité physique qui subsiste en soi, et ses membres individuels n’en sont pas des parties intégrantes. L’organisme physique des êtres vivants, des plantes, des animaux ou de l’homme possède en tant que tout une unité qui subsiste en soi ; chacun des membres, par exemple la main, le pied, le cœur, l’œil, est une partie intégrante, destinée par tout son être à s’insérer dans l’ensemble de l’organisme. Hors de l’organisme, il n’a, par sa nature propre, aucun sens, aucune finalité ; il est entièrement absorbé par la totalité de l’organisme auquel il se relie.
Il en va tout autrement dans la communauté morale et dans chaque organisme de caractère purement moral. Le tout n’a pas ici d’unité qui subsiste en soi, mais une simple unité de finalité et d’action. Dans la communauté, les individus ne sont que collaborateurs et instruments pour la réalisation du but communautaire.
Que s’ensuit-il pour l’organisme physique ? Le maître et l’usufruitier de cet organisme, qui possède une unité subsistante, peut disposer directement et immédiatement des parties intégrantes, les membres et les organes, dans le cadre de leur finalité naturelle ; il peut intervenir également, aussi souvent et dans la mesure où le bien de l’ensemble le demande, pour en paralyser, détruire, mutiler, séparer les membres. Mais, par contre, quand le tout ne possède qu’une unité de finalité et d’action, son chef, c’est-à-dire dans le cas présent l’autorité publique, détient sans doute une autorité directe et le droit de poser des exigences à l’activité des parties, mais en aucun cas il ne peut disposer directement de son être physique. Aussi toute atteinte directe à son essence constitue un abus de compétence de l’autorité.
Or, les interventions médicales, dont il s’agit ici, atteignent immédiatement et directement l’être physique, soit de l’ensemble, soit des organes particuliers de l’organisme humain. Mais en vertu du principe précité, le pouvoir public n’a en ce domaine aucun droit, il ne peut donc pas le communiquer aux chercheurs et aux médecins. C’est de l’Etat pourtant que le médecin doit recevoir l’autorisation quand il intervient dans l’organisme de l’individu pour « l’intérêt de la communauté ». Car il n’agit pas alors comme homme privé, mais comme mandataire du pouvoir public. Celui-ci cependant ne peut pas transmettre le droit qu’il ne possède pas lui-même, excepté le cas déjà mentionné plus haut, où il se comporte en suppléant, comme représentant légal en lieu et place d’un mineur, aussi longtemps qu’il n’est pas en état de décider par lui-même, d’un mineur faible d’esprit ou d’un aliéné. Même quand il s’agit de l’exécution d’un condamné à mort, l’Etat ne dispose pas du droit de l’individu à la vie. Il est réservé alors au pouvoir public de priver le condamné du bien de la vie en expiation de sa faute, après que, par son crime, il s’est déjà dépossédé de son droit à la vie.
Nous ne pouvons Nous empêcher d’éclairer encore une fois la question traitée dans cette troisième partie à la lumière du principe, auquel on fait appel d’habitude dans les cas similaires : Nous voulons dire le principe de totalité. Il affirme que la partie existe pour le tout, et que par conséquent le bien de la partie reste subordonné au bien de l’ensemble ; que le tout est déterminant pour la partie et peut en disposer dans son intérêt. Le principe découle de l’essence des notions et des choses et doit par là avoir valeur absolue.
Respect au principe de totalité en soi ! Cependant, afin de pouvoir l’appliquer correctement, il faut toujours expliquer d’abord certains présupposés. Le présupposé fondamental est de mettre au clair la quaestio facti, la question de fait : les objets, auxquels le principe est appliqué, sont-ils dans le rapport de tout à partie ? Un deuxième présupposé : mettre au clair la nature, l’extension et l’étroitesse de ce rapport. Se place-t-il sur le plan de l’essence, ou seulement sur celui de l’action, ou sur les deux ? S’applique-t-il à la partie sous un aspect déterminé où sous tous ses rapports ? Et dans le champ où il s’applique, absorbe-t-il entièrement la partie ou lui laisse-t-il encore une finalité limitée, une indépendance limitée ? La réponse à ces questions ne peut jamais être inférée du principe de totalité lui- même : cela ressemblerait à un cercle vicieux. Elle doit se tirer d’autres faits et d’autres connaissances. Le principe de totalité lui-même n’affirme rien que ceci : là où se vérifie la relation de tout à partie, dans la mesure exacte où elle se vérifie, la partie est subordonnée au tout, celui-ci peut, dans son intérêt propre, disposer de la partie. Trop souvent, hélas ! quand on invoque le principe de totalité, on laisse de côté ces considérations : non seulement dans le domaine de l’étude théorique et le champ d’application du droit, de la sociologie, de la physique, de la biologie et de la médecine, mais aussi en logique, psychologie et métaphysique.
Et le Pape de conclure :
Notre dessein était d’attirer votre attention sur quelques principes de déontologie, qui définissent les frontières et les limites dans la recherche et l’expérimentation de nouvelles méthodes médicales appliquées immédiatement à l’homme vivant.
Dans le domaine de votre science, c’est une loi évidente que l’application de nouvelles méthodes à l’homme vivant doit être précédée de la recherche sur le cadavre ou le modèle d’étude et de l’expérimentation sur l’animal. Parfois, cependant, ce procédé s’avère impossible, insuffisant ou pratiquement irréalisable. Alors la recherche médicale tentera de s’exercer sur son objet immédiat, l’homme vivant, dans l’intérêt de la science, dans l’intérêt du patient, dans l’intérêt de la communauté. Cela n’est pas à rejeter sans plus, mais il faut s’arrêter aux limites tracées par les principes moraux que Nous avons expliqués.
Sans doute, avant d’autoriser en morale l’emploi de nouvelles méthodes, on ne peut exiger que tout danger, tout risque soient exclus. Cela dépasse les possibilités humaines, paralyserait toute recherche scientifique sérieuse et tournerait très souvent au détriment du patient. L’appréciation du danger doit être laissée dans ces cas au jugement du médecin expérimenté et compétent. II y a cependant. Nos explications l’ont montré, un degré de danger que la morale ne peut permettre. Il peut arriver, dans des cas douteux, quand échouent les moyens déjà connus, qu’une méthode nouvelle, encore insuffisamment éprouvée, offre, à côté d’éléments très dangereux, des chances appréciables de succès. Si le patient donne son accord, l’application du procédé en question est licite. Mais cette manière de faire ne peut être érigée en ligne de conduite pour les cas normaux.
On objectera peut-être que les idées développées ici constituent un obstacle grave à la recherche et au travail scientifiques. Néanmoins, les limites que Nous avons tracées ne sont pas en définitive un obstacle au progrès. Dans le champ de la médecine, il n’en va pas autrement que dans les autres domaines de la recherche, des tentatives et des activités humaines : les grandes exigences morales forcent le flot impétueux de la pensée et du vouloir humains à couler, comme l’eau des montagnes, dans un lit déterminé ; elles le contiennent pour accroître son efficacité et son utilité ; elles l’endiguent pour qu’il ne déborde pas et ne cause pas de ravages, qui ne pourraient jamais être compensés par le bien spécieux qu’ils poursuivent. Apparemment, les exigences morales sont un frein. En fait, elles apportent leur contribution à ce que l’homme a produit de meilleur et de plus beau pour la science, pour l’individu, pour la communauté.
Que le Dieu tout-puissant, en sa Providence bienveillante, vous accorde à cette fin sa Bénédiction et sa Grâce.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte français des A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 779.
- L’Osservatore Romano, du 25 septembre 1952, a donné à ce sujet les précisions suivantes ;
Le Saint-Père ne traite pas de la psychanalyse en général, ni des diverses formes et techniques proposées et expérimentées au cours des dernières décades par des savants compétents, même catholiques, et il ne traite pas non plus de la nature, ni de la valeur thérapeutique de cette méthode, mais de la transgression de la part de celle-ci de la limite éthique. De même le Souverain Pontife n’interdit, ni ne condamne le traitement psycho-thérapeutique des névroses sexuelles, mais il désapprouve le mode anormal d’agir dans l’application pratique du ‑traitement.[↩]