Le XIIe Congrès de l’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques se tint à Rome. Le Saint-Père reçut en audience les participantes et leur adressa l’allocution suivante :
Certain comme Nous le sommes de la grande contribution que les femmes peuvent apporter à la cause de la paix, Nous vous adressons ce paternel message à vous, mères, épouses, jeunes filles de toutes nations, et particulièrement à vous, femmes catholiques, dont Nous est bien connue la filiale dévotion au Vicaire du Christ, et par lui, à Jésus même, qui eut tant de délicats témoignages de la piété féminine au cours de sa vie mortelle.
Toujours soucieux de soutenir par tous les moyens l’œuvre de la paix, tant que son arc-en-ciel n’enveloppera pas la terre de façon stable, Nous voulons confier également à vous, chères filles – qui peut-être mieux que d’autres estimez le prix de la tranquillité de l’ordre, celle-ci étant la condition essentielle d’une sainte vie féminine – la tâche ardue mais sublime, de travailler pour la paix.
Dans cette Rome même, que le Roi pacifique de la famille humaine fit sienne, comme pour consacrer et élever la paix Universelle que l’Empire d’Auguste s’était proposée et avait en quelque sorte réalisée, s’est réuni un Congrès, représentant les Femmes Catholiques du monde entier, pour exprimer solennellement leur désir de paix, affirmer leur volonté de l’exiger de ceux qui ont le pouvoir de la donner ici-bas, étudier les moyens concrets et offrir leur action pour l’obtenir, au nom de Dieu et sur la base des principes chrétiens.
Ce n’est point en vérité une voix nouvelle que la vôtre ; ni non plus la dernière venue parmi tant qui, de tous côtés, s’élèvent en faveur de la paix ; mais elle est certainement parmi les plus sincères et elle sera. Nous avons raison de l’espérer, féconde. Qui pourrait, en effet, douter de la sincérité d’une femme, quand elle invoque la paix, dont elle est la première à bénéficier, ou quand elle déteste la guerre, dont elle serait la victime la plus pitoyable ? Elle fut toujours ainsi. L’antique mythe de la douloureuse Andromaque, condamnée par une funeste guerre aux larmes de la veuve, de la mère de l’orphelin, puis de l’exilée et de l’esclave, demeure, fût-ce comme légende épique, la personnification des immenses tragédies dans lesquelles les conflits de tout temps entraînèrent la femme, et de celles encore plus atroces qui lui sont réservées par les guerres totales modernes.
Des millions d’hommes et de femmes qui peuvent se dire survivants de la dernière conflagration, en conservent encore vives dans la mémoire les horribles images. Mères avec des enfants dans les bras, écrasées sous les décombres de leurs maisons ; d’autres lacérées par des blessures ; d’autres pétrifiées par la douleur de deuils soudains, comme si quelque chose de leur vie s’était tout à coup brisé. Ailleurs, par théories innombrables, elles, pour qui la maison est tout, obligées à aller errantes de lieu en lieu, chassées par les armées, talonnées par l’épouvante avec des enfants pendus au cou et que font pleurer la faim et la maladie. Mères, épouses, ignorant pendant de longues années le sort de ceux qui leur sont chers ; certaines même, du fait de l’incroyable insensibilité des gouvernants, dont les actes contrastent trop avec les paroles, jusqu’à ce jour dans l’atroce angoisse du doute : mon fils est-il en vie ? Vierges vouées au déshonneur, familles laissées sans soutien, jeunes filles qui voient brisé pour toujours le rêve de leur vie, voilà la femme en temps de guerre.
Qui est responsable de la guerre ?
Ont-ils jamais réfléchi avec un cœur de fils à de telles tragédies ces dirigeants de peuples, dont Nous ne dirons pas qu’ils caressent des pensées et des désirs de guerre, mais qui posent et maintiennent des conditions de choses telles qu’elles suscitent le danger de guerre, et peut-être de la part des peuples, injustement opprimés (c’est horrible à dire !) jusqu’à son désir, comme ultime espérance de légitime libération ? Mais sur qui retombe la responsabilité d’un désir si exaspéré ?
Le Pape en appelle aux gouvernants :
Ces circonstances de vie qu’imposent les guerres, comme les difficultés, les rigueurs, les peurs soudaines, les anomalies en général, même si elles trouvent dans l’homme, qui se fait un honneur de s’endurcir aux épreuves une certaine adaptation, sont en revanche bien souvent désastreuses physiquement et moralement pour la femme.
Actuellement la crainte que (ce qu’à Dieu ne plaise !) tous ces maux puissent se renouveler, incite les femmes de toutes les régions du monde à invoquer ardemment la paix. Cette invocation, Nous l’avons souvent recueillie de leurs lèvres et Nous la faisons Nôtre aujourd’hui, pour dire à ceux qui portent en leurs mains le choix fatal entre l’épée et le rameau d’olivier : Regardez avec des yeux de fils les angoisses de tant de mères et d’épouses, parmi lesquelles sont également les vôtres, et faites que sur la balance de vos décisions elles aient un plus grand poids que les raisons de prestiges, les avantages immédiats, ou bien, si c’est le cas, les rêves utopistes inspirés par des théories mal fondées sur la nature réelle des hommes et des choses. Ne demandez pas aux femmes des héroïsmes inutiles ; elles en ont déjà tant à accomplir dans la vie ordinaire pour la patrie et la famille humaine !
Les femmes chrétiennes veulent répandre l’esprit de fraternité et de charité.
Toutefois, le sentiment qui inspire les femmes à avoir la guerre en horreur n’aboutirait à rien, ni ne deviendrait jamais une contribution valable à la cause de la paix, s’il n’était transformé en désir positif de restaurer partout le sens de la fraternité, soutenu par la conscience d’un devoir supérieur de charité, renforcé par l’empressement à pratiquer autour de soi la justice dont la paix est l’œuvre ; en un mot, si le sentiment ne devenait une action conduite selon les principes chrétiens essentiels. Quels sont en particulier ces principes et comment déterminent-ils
Faction de l’Eglise et des catholiques ? Nous l’avons exposé récemment dans Notre Message de Noël, du 24 décembre dernier sur la mission de l’Eglise en faveur de la paix [1].
C’est en cela que votre cri de paix, chères filles, se distingue nettement de l’appel d’autres femmes, dont Nous sommes loin de mettre en doute la sincérité, mais que Nous voyons malheureusement profané et orienté vers des fins différentes, si même il n’en arrive pas à se transformer en clameur d’exacerbation et de haine. De toute façon, il est certain que toute invocation de paix, à laquelle est retirée la base de la conception chrétienne du monde, est condamnée à retentir dans le désert des cœurs, comme un cri de naufragés dans les étendues vides de l’océan.
Le devoir donc des femmes catholiques est de promouvoir la paix.
C’est ainsi, femmes catholiques, que vous êtes des messagères et des ouvrières de la paix en vertu du titre même dont vous vous honorez, parce que catholique est en quelque sorte synonyme de pacifique. Et bien que le devoir de citoyennes de votre pays exige de vous la prompte résolution à vous immoler pour la patrie, si celle-ci était vraiment injustement attaquée et menacée dans ses droits vitaux, en revanche plus naturellement et avec une plus grande ferveur vous êtes disposées à apporter votre contribution pour créer les conditions intérieures et extérieures qui assurent la tranquillité de l’ordre.
Cette action, visant à apaiser les haines, à unir fraternellement les peuples, à supprimer les causes matérielles des conflits, telles que la misère, le chômage, les obstacles à l’émigration et d’autres semblables, l’Eglise et l’humanité l’attendent de vous.
C’est pourquoi il faut faire œuvre moralisatrice :
C’est une double action. D’un côté, une action psychologique et moralisatrice, que mieux que d’autres votre tact délicat peut entreprendre : attirer les hommes à apprécier les biens célestes ; les inciter doucement à l’austérité, ou au moins à la gravité et à la moralité de la vie ; faire rayonner partout l’esprit de douceur, le sentiment de la fraternité entre tous les fils de Dieu, la conscience du devoir de renoncer à des richesses injustes, en renonçant vous-mêmes les premières à un niveau de vie luxueux ; surtout comme synthèse et couronnement de faction spirituelle, éduquer chrétiennement l’enfance selon la vision chrétienne du monde qui nous est révélée par le Sauveur. A qui est pratiquement confiée sinon aux mères la première transmission du message évangélique ? Sagesse et bonté de la Providence divine ! Elle a disposé que toute génération, à sa naissance, doive passer par la suave école de la femme – à qui s’unit la Mère commune, l’Eglise – pour qu’elle en reçoive chaque fois la bonté, la douceur, la piété innées chez elle. Sans ce retour périodique à la bonne source, l’humanité en peu de temps, cédant aux rigueurs et aux âpres luttes de la vie, tomberait dans la plus misérable sauvagerie. Orientez donc, vous qui, par devoir naturel et par mission divine, modelez les âmes des enfants, la nouvelle génération vers des sentiments de fraternité universelle et d’horreur de la violence. Action trop éloignée, dira-t-on peut-être. Non ; c’est une action qui construit en profondeur, et par conséquent fondamentale et urgente. De même que les guerres, tout au moins modernes, n’éclatent pas à l’improviste, mais pendant de longues années développent leur germe dans les cœurs, ainsi la paix véritable, stable et juste, n’éclôt pas au premier rayon de soleil d’un sentiment ou d’un appel.
La femme usera aussi de son influence sur le plan public pour faire œuvre de paix :
Il y a aussi une action extérieure, car, si en d’autres temps l’influence de la femme se limitait au foyer et à l’entourage de la maison, à notre époque elle s’étend (que cela plaise ou non) à un domaine de plus en plus vaste : la vie sociale et publique, les parlements, les tribunaux, le journalisme, les professions, le monde du travail. Que la femme apporte dans chacun de ces secteurs son œuvre de paix. Si vraiment toutes les femmes passaient de ce sentiment inné qui leur fait détester la guerre à l’action concrète pour l’empêcher il serait impossible que la somme de tant d’efforts, qui s’appuient sur ce qui plie le mieux les volontés, c’est-à-dire la piété et l’amour, il serait impossible, disons-Nous, qu’elle n’atteigne pas son but.
Il faudra encore y ajouter la prière :
Que ces efforts soient rendus plus féconds par l’aide divine invoquée dans la prière que la femme, pieuse par nature, a l’habitude d’élever avec une plus grande constance vers Dieu ! De même que la prière de votre miséricordieuse Reine et Mère, soucieuse et inquiète aux noces de Cana à cause de l’embarras et du trouble des époux, sut inciter la volonté de Jésus à changer l’eau en vin, « le vin que les raffinés appellent l’âme des banquets [2] », que votre prière suppliante, modelée sur la ferveur de foi de la Sainte Vierge fasse ainsi passer la volonté des hommes de la haine à l’amour, de l’avidité à la justice.
Le Pape rappelle la place faite par le christianisme à la femme dans la vie sociale.
Chères filles ! Vous connaissez les grands biens que la femme doit au christianisme. Quand il parut sur la terre, la culture païenne n’exaltait souvent la femme que pour l’ensemble de ses dons extérieurs et éphémères ou pour la finesse de ses sentiments. Cette conception esthétique et ce sentiment intime s’élevèrent même jusqu’aux formes les plus hautes et les plus délicates. La passion jaillit en vers d’un art consommé dans les œuvres immortelles de poètes de l’ère d’Auguste, et les statues des dieux embellissaient, créations divines de l’art, les voies et les forums, les temples et les atriums des somptueux palais. Et pourtant même tout cela était vide et superficiel. Ni Athènes, ni Rome, phares de civilisation qui, d’un point de vue naturel, mirent en si vive lumière les liens de la famille, ne réussirent par les hautes spéculations de la philosophie ou la sagesse des législations, à élever la femme à la hauteur qui convient à sa nature. Le christianisme, au contraire, le premier et lui seul, sans méconnaître d’ailleurs ces valeurs extérieures et intérieures, a découvert et cultivé chez la femme des missions et des tâches qui sont le vrai fondement de sa dignité et la raison d’une plus authentique exaltation. Ainsi surgissent et s’affirment dans la civilisation chrétienne de nouveaux types de femmes, comme ceux de martyre de la religion, de sainte, d’apôtre, de vierge, d’auteur de vastes renouveaux, de consolatrice de toutes les souffrances humaines, de sauvegarde des âmes perdues, d’éducatrice. A mesure qu’apparaissent de nouveaux besoins sociaux, sa mission bienfaisante s’étend également et la femme chrétienne devient, autant que l’homme, comme c’est le cas aujourd’hui à bon droit, un facteur nécessaire de civilisation et de progrès.
C’est justement dans ce cadre que Nous voyons votre œuvre pacificatrice actuelle, la plus vaste peut-être qui vous ait été assignée jusqu’ici par la Providence, la plus sociale et salutaire que vous ayez jamais eue dans le passé. Embrassez-la comme une mission que vous confient Dieu et l’humanité ; consacrez-lui vos soins les plus assidus, appuyant les suggestions qu’une élite d’entre vous a entrepris d’étudier et de promouvoir dans le Congrès International des Femmes Catholiques, persuadées que vous ne pourrez rien faire de mieux pour le salut de votre Patrie et de vos enfants ni de plus conforme aux désirs du Vicaire de Jésus-Christ.
Sur vous toutes, donc, chères filles dispersées dans le monde entier, et sur vous en particulier, femmes catholiques, comme sur toutes celles qui participent au Congrès de Rome, Nous invoquons du Tout-Puissant lumière et grâce, en gage desquelles Nous vous donnons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1955, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien des A. A. S., 1952, XXXXIV, p. 420.