Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

11 septembre 1947

Discours à l'union internationale des ligues féminines catholiques

Table des matières

Dans l’après-​midi du jeu­di 11 sep­tembre, le Souverain Pontife quit­ta sa rési­dence de Castelgandolfo et se ren­dit au Palais apos­to­lique du Vatican pour rece­voir en audience les délé­guées des Congrès de l’Union inter­na­tio­nale des Ligues fémi­nines catho­liques, aux­quelles il s’a­dres­sa en ces termes :

Vous vous pré­sen­tez à Nous, chères filles, sous le nom fiè­re­ment auda­cieux d’Union inter­na­tio­nale des Ligues fémi­nines catho­liques. C’est à ce titre que Nous sommes heu­reux de vous sou­hai­ter la bien­venue et de vous adres­ser quelques paroles d’encouragement et de conseils. Ce nom dit, en effet, le carac­tère mili­tant de votre coa­li­tion, son uni­ver­sa­li­té, la sou­plesse har­mo­nieuse et solide de votre collaboration.

Femmes et jeunes filles catho­liques, vous n’auriez son­gé, jadis, qu’à jouer digne­ment votre rôle, rôle sacré et fécond, dans le gou­vernement d’un foyer sain, fort, rayon­nant, ou bien vous auriez voué votre vie au ser­vice de Dieu dans le recueille­ment du cloître ou dans les œuvres de l’apostolat et de la cha­ri­té. Bel idéal où la femme, à sa vraie place et de sa vraie place, exer­ce­rait sans bruit une action puis­sante tout autour d’elle. Et voi­ci que vous parais­sez au-​dehors, que vous des­cen­dez dans l’arène pour prendre part à la lutte ; vous ne l’avez ni cher­chée ni pro­vo­quée ; vaillam­ment vous l’acceptez, non en vic­times rési­gnées ou seule­ment dans une résis­tance vigou­reuse, encore pure­ment défen­sive ; vous enten­dez bien pas­ser à la contre-​attaque pour la conquête.

Telle est la pen­sée qui res­sort de toute la docu­men­ta­tion substan­tielle, d’où se dégagent, lumi­neu­se­ment tra­cées, les grandes lignes du pro­gramme et où se trouve, net­te­ment des­si­née, l’allure de vos jour­nées romaines et de votre congrès. Cette riche docu­men­ta­tion réflé­chit, comme en un miroir, la situa­tion actuelle, il fau­drait dire, hélas ! le drame actuel du monde fémi­nin ; en son centre convergent tous les rayons de l’activité de la femme dans sa vie sociale et poli­tique, acti­vi­té dont l’objet est, avant tout : pro­té­ger la digni­té de la fille, de l’épouse, de la mère ; main­te­nir le foyer, la mai­son, l’enfant à leur rang pri­mor­dial dans l’ensemble du rôle de la femme ; sau­ve­gar­der les pré­ro­ga­tives de la famille ; ten­dre tous les efforts à y assu­rer l’enfant sous la garde de ses parents.

Nous-​même avons trai­té naguère cet argu­ment capi­tal de la femme dans sa vie sociale et poli­tique. Il y a de cela deux ans. Deux ans : pour une évo­lu­tion dans tout l’ordre social et pré­ci­sé­ment dans un domaine aus­si vaste et aus­si impor­tant que celui de la ques­tion fémi­nine, c’est un laps de temps bien court, insuf­fi­sant, semblerait-​il, à des varia­tions appré­ciables soit dans la situa­tion, soit même dans l’orientation de l’opinion. Et pour­tant, voyez, consta­tez les faits. Nous avions signa­lé des dan­gers mena­çants ; et Nous visions alors tout spé­cia­le­ment ce qu’on pour­rait appe­ler la sécu­la­ri­sa­tion, la maté­ria­li­sa­tion, l’asservissement de la femme, tous les atten­tats diri­gés contre sa digni­té et ses droits en tant que per­sonne et en tant que chré­tienne. Les dan­gers sont deve­nus de jour en jour plus graves et la menace de jour en jour plus pres­sante. Mais, en revanche, grâce à Dieu, loin de s’atténuer, les efforts pour la défense se sont inten­si­fiés de plus en plus. Votre ras­sem­ble­ment à Rome, votre pré­sence devant Nous, veulent être une attes­ta­tion solen­nelle et du sérieux de ces efforts et de leur effi­ca­ci­té pour cette défense.

Nous en sai­sis­sons volon­tiers l’occasion pour com­plé­ter, fort de l’expérience des der­nières années, et en par­cou­rant les points prin­cipaux de votre pro­gramme, ce que Nous disions alors aux femmes catho­liques d’Italie.

Les années de la seconde guerre mon­diale et celles d’après-guerre ont pré­sen­té et pré­sentent encore pour la femme, dans des groupes entiers de nations, presque sur toute l’étendue des conti­nents, un aspect tra­gique sans pré­cé­dent. Jamais, croyons-​Nous, jamais au cours de l’histoire de l’humanité, les évé­ne­ments n’ont exi­gé de la part de la femme autant d’initiative et d’audace, autant de sens de sa res­pon­sa­bi­li­té, autant de fidé­li­té, de force morale, d’esprit de sacri­fice, d’endurance à toutes sortes de souf­frances, en un mot autant d’héroïsme. Les rela­tions, les lettres dans les­quelles des femmes Nous révèlent quel était et est encore, en ces temps cruels, leur propre sort, le sort de leur famille, sont tel­le­ment impression­nantes qu’on en vient à se deman­der si l’on n’est pas le jouet d’un cau­che­mar et com­ment de pareilles choses ont pu se pas­ser à notre époque et dans le monde où nous vivons. Au cours de ces affreuses années, la femme, la jeune fille se sont trou­vées en demeure de pra­tiquer des ver­tus plus que viriles et de les pra­ti­quer à un degré où elles ne sont requises de l’homme même que dans des cas exceptionnels.

Or, qui pré­ten­dra que tout ait été fait, tout l’humainement pos­sible, pour mettre la femme à même de pui­ser dans la foi chré­tienne, dans l’éducation chré­tienne, l’énergie, la constance, la per­sé­vé­rance, les forces sur­na­tu­relles néces­saires à gar­der sans faillir, sous le coup d’épreuves sans fin, sa fidé­li­té conju­gale, sa sol­li­ci­tude mater­nelle ? De la part de l’Eglise, du minis­tère pas­to­ral, des œuvres de cha­ri­té, beau­coup a été fait, beau­coup a été réa­li­sé. En dépit de rares défail­lances indi­vi­duelles, on peut, de ce côté, affron­ter la tête haute et sans rou­gir, le juge­ment tou­jours sévère de l’histoire. D’autre part, les faits par mil­liers ont mon­tré et montrent d’une manière émou­vante com­ment, dans les milieux même de la misère, l’amour de la mère et des parents pour leurs enfants est vrai­ment sans limite.

Mais voi­ci le plus tra­gique : sans la foi, sans l’éducation chré­tienne, où donc la femme, sevrée des secours de l’Eglise, désem­parée, trouvera-​t-​elle le cou­rage de ne point faillir à des exi­gences morales qui dépassent les forces pure­ment humaines ? Et cela sous les rafales d’un assaut vigou­reux lan­cé contre les fon­de­ments chré­tiens du mariage, de la famille, de toute la vie per­son­nelle et sociale, par des enne­mis qui savent habi­le­ment exploi­ter contre la pauvre femme et la pauvre jeune fille les angoisses, les affres de la misère qui, sous toutes les formes, les tenaillent ? Qui pour­rait espé­rer les voir tou­jours tenir avec les seules forces de la nature ?

Hélas ! com­bien ne tiennent pas ! Dieu seul sait le nombre de ces pauvres épaves déses­pé­rées, décou­ra­gées, ou tris­te­ment per­dues à la suite du nau­frage de leur pure­té, de leur honneur.

Les larmes montent aux yeux et le rouge au front à consta­ter et à confes­ser, il le faut bien pour­tant, que jusque dans les sphères catho­liques, les doc­trines per­verses sur la digni­té de la femme, sur le mariage et la famille, sur la fidé­li­té conju­gale et le divorce, même sur la vie et la mort, s’infiltrent insen­si­ble­ment dans les esprits et, à la façon du ver ron­geur, attaquent dans ses racines la vie chré­tienne de la famille et de la femme.

Il Nous semble oppor­tun de signa­ler ici, parce que leur aspect inof­fen­sif et spé­cieux en voile les consé­quences fatales, les « périls du cœur » aux­quels, de nos jours, la femme est par­ti­cu­liè­re­ment expo­sée. Nous pen­sons à cette ten­dance géné­reuse qui nous fait éprou­ver comme nôtres les sen­ti­ments d’autrui, com­pa­tir à leurs angoisses, par­ta­ger leurs peines, leurs joies, leurs espé­rances. Ainsi disait saint Paul : « Qui est faible que je me sente faible aus­si ? Qui vient à tom­ber sans que le feu me dévore ? » (II Cor., XI, 29). Et comme il nous recom­mande d’avoir en nous les sen­ti­ments dont était péné­tré le Christ (Phil., II, 5) ! Qu’y a‑t-​il donc à craindre pour le cœur ain­si com­pris ? Des illu­sions sub­tiles. Il ne suf­fit pas qu’il soit bon, sen­sible, géné­reux ; il doit être sage et fort. L’indulgente fai­blesse des parents les aveugle et fait le mal­heur de leurs enfants. Dans l’ordre social, une pareille sen­si­bi­li­té aveugle l’esprit et lui fait sou­te­nir en théo­rie des thèses mons­trueuses, prô­ner des pra­tiques im­morales et néfastes. N’en est-​ce pas une que cette fausse pitié qui pré­tend jus­ti­fier l’euthanasie et sous­traire l’homme à la souf­france puri­fi­ca­trice et méri­toire, non par un cha­ri­table et louable soulage­ment, mais par la mort telle qu’on la donne à un ani­mal sans rai­son et sans immor­ta­li­té ? N’en est-​ce pas une que cette com­pas­sion, exces­sive en ses conclu­sions, pour les épouses mal­heu­reuses, par où l’on pré­tend légi­ti­mer le divorce ? N’en est-​ce pas une que cette dévia­tion d’une juste sol­li­ci­tude pour les vic­times de l’iniquité sociale qui, gri­sée par de vaines et décla­ma­toires pro­messes, les arrache aux bras mater­nels de l’Eglise pour les jeter dans les griffes d’un maté­rialisme athée, vul­gaire exploi­teur de la misère ?

De toutes les par­ties du monde, les lettres de Nos Frères dans l’épiscopat, leurs visites, Nous apportent au jour le jour la confi­dence navrante de leurs pré­oc­cu­pa­tions au sujet de la détresse morale et spi­rituelle de la jeune fille et de la femme. Et, tan­dis que cha­cun, tour à tour, épanche dans Notre cœur la tris­tesse de son propre cœur, la charge de tous pèse sur le Nôtre qui porte devant Dieu la responsabi­lité du Pasteur suprême, sol­li­ci­tu­do omnium eccle­sia­rum (II Cor., XI, 28). C’est pour cela que, à maintes reprises, Nous avons, dans Nos mes­sages au cours de toutes ces années, et récem­ment encore le 2 juin der­nier dans Notre allo­cu­tion au Sacré Collège [1], aver­ti, prié, sup­plié tous les chré­tiens, toutes les âmes hon­nêtes, en par­ti­cu­lier ceux qui ont la direc­tion de la chose publique, de por­ter leur atten­tion sur l’œuvre dévas­ta­trice accom­plie, au cours de la guerre et de l’après-guerre, pour la ruine de la femme et de la famille. En ce moment même Nous éprou­vons une conso­la­tion, un sou­la­ge­ment à vous expo­ser, à vous, chères filles, ras­sem­blées de tout l’univers catho­lique, Nos sou­cis et Notre appel, sachant bien avec quel esprit de foi et de cha­ri­té vous l’écoutez, avec quelle ardeur de zèle vous vous en ferez par­tout l’écho.

Témoins d’une crise de cette gra­vi­té, nous ne pou­vons nous con­tenter de la déplo­rer ni de for­mu­ler des vœux sté­riles. Le point capi­tal est d’unir et de tendre toutes les forces vives vers le sau­vetage de l’éducation fémi­nine et fami­liale chré­tienne. C’est là l’objectif de votre congrès ici, à Rome, au centre même de la chré­tienté. Vous avez dési­ré rece­voir de Nous quelques direc­tives en vue de l’exécution pra­tique et effi­cace de vos réso­lu­tions. Nous les expri­me­rons et les grou­pe­rons sous les chefs suivants :

1. — Une foi vive et surnaturelle

Avant tout, foi fière, alerte, intré­pide, ferme et vive à la véri­té, au triomphe de la doc­trine catho­lique. Les forces intel­lec­tuelles et poli­tiques plus ou moins impré­gnées d’athéisme s’appliquent à extir­per la civi­li­sa­tion chré­tienne. En face d’elles, nous aper­ce­vons la classe nom­breuse de ceux pour qui les fon­de­ments spé­ci­fi­que­ment reli­gieux de cette civi­li­sa­tion chré­tienne, depuis long­temps péri­més, sont désor­mais sans valeur objec­tive, mais qui vou­draient néan­moins en conser­ver le rayon­ne­ment exté­rieur pour main­te­nir debout un ordre civique qui ne sau­rait s’en pas­ser. Corps sans vie, frap­pés de para­ly­sie, ils sont eux-​mêmes inca­pables de rien oppo­ser aux forces sub­ver­sives de l’athéisme !

Ah ! tout autres êtes-​vous ! Assurément, la bataille peut être rude, et pré­ci­sé­ment la bataille pour les droits de la famille, pour la digni­té de la femme, pour l’enfant et pour l’école. Mais vous avez de votre côté la saine nature et par consé­quent les esprits droits et de bon sens qui sont, après tout, la majo­ri­té ; vous avez sur­tout Dieu. Donnez donc rai­son à cette pen­sée de saint Paul : votre foi a fait de vous des héros dans le com­bat (Hebr., XI, 33 ss.).

Nous appe­lons foi ferme : une foi abso­lue, sans réserves et sans réti­cences, une foi qui ne bronche pas devant les ultimes consé­quences de la véri­té, qui ne recule pas devant ses plus rigou­reuses appli­ca­tions. Ne vous lais­sez pas duper, comme tant d’autres, après mille expé­riences désas­treuses, par le songe creux de gagner à vous l’adversaire à force de mar­cher à sa remorque et de vous mode­ler sur lui. Votre jeune géné­ra­tion exprime, dans sa charte, l’espérance de « ral­lier à vos prin­cipes toute la jeu­nesse fémi­nine du monde qui accepte comme fon­de­ment la loi natu­relle dont la source est en Dieu et, à plus forte rai­son, toutes celles qui en tant que chré­tiennes croient au Christ Rédempteur ». Nous applau­dis­sons à votre entrain, à votre opti­misme juvé­nile et Nous louons votre inten­tion. Mais prenez‑y garde : le grand secret pour gagner les autres c’est, avant tout, de leur don­ner l’évidence que, pour une catho­lique, sa foi est une solide et pleine réalité.

Nous appe­lons foi ferme et vive enfin : une foi qui, au jour le jour, se tra­duit en acte par l’humilité, la prière, le sacri­fice. Pré­cisément parce que vous enten­dez livrer bataille aux forces anti­chrétiennes qui sont « tota­li­taires », la pre­mière condi­tion est de leur oppo­ser la loi de Dieu spon­ta­né­ment, joyeu­se­ment, intégrale­ment embras­sée et obser­vée dans votre vie. La prendre à la légère, cette loi, équi­vau­drait à l’aveu d’une déplo­rable fri­vo­li­té, d’une funeste incon­sis­tance. Ne l’oubliez pas : — Nous Nous adres­sons en ce moment, à celles qui, par leur âge et en rai­son du milieu dans lequel elles vivent, sont plus spé­cia­le­ment expo­sées à ces dan­gers — si bien inten­tion­nées que vous soyez, vous par­ti­ci­pez comme les autres aux fai­blesses d’une nature déchue ; de son côté, le ser­pent mau­dit ne se tient pas pour bat­tu ; il conti­nue comme au para­dis d’enjôler la femme pour la faire tom­ber et ne trouve en elle que trop d’inclinations, trop d’attraits, dont il s’assure la com­pli­ci­té pour la séduire. Vous connais­sez assez le monde d’aujourd’hui, chères filles, pour vous rendre compte que vous-​mêmes qui y vivez avez besoin de force et de cou­rage pour, à chaque pas, triom­pher des ten­ta­tions, des séduc­tions, de vos propres ten­dances, par un éner­gique « non » ! Mais com­ment le dire ce « non », com­ment le répé­ter indé­fi­ni­ment sans vous las­ser, à moins de com­prendre et de recon­naître humble­ment en pré­sence de Dieu que, créa­tures humaines, vous êtes impuis­santes et que vous avez besoin de la grâce de Dieu. Or, cette grâce, vous ne pou­vez comp­ter l’obtenir sans la prière et le sacrifice.

Vous qui vou­lez, et cela est bien digne d’éloge, mener une vie apos­to­lique, cha­cune de vous selon sa situa­tion per­son­nelle, vous ne pou­vez tel­le­ment igno­rer le monde que vous n’ayez conscience, dans votre lutte contre l’incrédulité et l’immoralité actuelles, de l’insuffisance radi­cale de toutes les res­sources natu­relles et de tous les moyens pure­ment humains ; il y faut, de toute néces­si­té, l’union intime avec le Christ ; et cette union intime éga­le­ment sup­pose la prière et le sacrifice.

Chaque pas que vous avez fait ces jours-​ci dans Rome, a dû lais­ser une impres­sion pro­fonde dans vos esprits et dans vos cœurs en y fai­sant revivre par le sou­ve­nir les chré­tiens des pre­miers siècles du chris­tia­nisme. Ces chrétiens-​là furent hommes et femmes de sacri­fice ; autre­ment il leur eût été impos­sible de rem­por­ter sur la haine, l’im­piété, la luxure, les triomphes splen­dides dont le récit seul vous ravit d’admiration, comme il frappe de stu­peur même les incroyants. La situa­tion pré­sente est-​elle si dif­fé­rente de celle d’alors ? On l’a dit avec rai­son : pour pas­ser de nos jours par les rues des grandes villes sans lais­ser ébré­cher l’intégrité de sa foi, écla­bous­ser la pure­té de sa vie, il ne faut pas un moindre héroïsme que pour leur rendre le témoi­gnage du sang.

2. — Pas de faux spiritualisme

Si Nous tou­chons cette ques­tion ce n’est pas que Nous croyons néces­saire de vous mettre en garde sur ce point ; Nous sommes, Dieu mer­ci, plei­ne­ment ras­su­ré à votre sujet.

Sous cou­leur de défendre l’Eglise contre le risque de se four­voyer dans la sphère du « tem­po­rel », un mot d’ordre, lan­cé il y a quel­que dizaines d’années, conti­nue de s’accréditer dans le monde : retour au pur « spi­ri­tuel ». Et l’on entend par là la confi­ner étroi­tement sur le ter­rain de l’enseignement stric­te­ment dog­ma­tique, l’offrande du saint sacri­fice, l’administration des sacre­ments, lui inter­dire toute incur­sion, tout droit de regard même, sur le domaine de la vie publique, toute inter­ven­tion dans l’ordre civil ou social.

Comme si le dogme n’avait rien à voir dans tous les champs de la vie humaine, comme si les mys­tères de la foi avec leurs riches­ses sur­na­tu­relles devaient s’abstenir de main­te­nir et toni­fier la vie des indi­vi­dus et, par consé­quence logique, d’harmoniser la vie publi­que avec la loi de Dieu, de l’imprégner de l’esprit du Christ ! Pareille vivi­sec­tion est tout sim­ple­ment anticatholique.

Le mot d’ordre doit être, tout au rebours : pour la foi, pour le Christ, dans toute la mesure du pos­sible, pré­sence par­tout où sont en cause les inté­rêts vitaux, où sont en déli­bé­ra­tion les lois qui regar­dent le culte de Dieu, le mariage, la famille, l’école, l’ordre social, par­tout où se forge, par l’éducation, l’âme d’un peuple. Et malheu­reusement, l’on n’a que trop sou­vent à y déplo­rer l’absence des orga­ni­sa­tions catho­liques. Lourde est, par consé­quent, la responsa­bilité de qui­conque, homme ou femme, jouit du droit poli­tique d’élec­tion, là sur­tout où les inté­rêts reli­gieux sont en jeu ; l’abstention, en ce cas est, en soi, qu’ils le sachent bien, un grave et fatal péché d’omission. Faire au contraire usage, et bon usage, de ce droit, c’est tra­vailler effec­ti­ve­ment pour le vrai bien du peuple, c’est agir en loyaux défen­seurs de la cause de Dieu et de l’Eglise.

3. — Fidélité dans l’activité sociale au programme social de l’Église

A maintes reprises Nous avons, ces der­niers temps, insis­té sur cette recom­man­da­tion. C’est que, jusque dans les rangs des catholi­ques, cer­taines ten­dances se font jour qui vou­draient assi­mi­ler la doc­trine de l’Eglise à des théo­ries incon­ci­liables avec la pen­sée chrétienne.

En main­te­nant la ligne de démar­ca­tion entre la concep­tion chré­tienne et de telles théo­ries, l’Eglise a tou­jours en vue le vrai bien du peuple entier, le vrai bien com­mun. Dès lors qu’il s’agit de justes reven­di­ca­tions sociales, elle est tou­jours en tête pour les pro­mou­voir. Et celle en par­ti­cu­lier que vous-​mêmes, chères filles, arti­cu­lez expres­sé­ment dans votre pro­gramme : une plus équi­table répar­ti­tion des richesses, a tou­jours été et reste tou­jours un des objec­tifs princi­paux de la doc­trine sociale catho­lique. Nous pou­vons en dire tout autant de « la pari­té du salaire, à tra­vail et ren­de­ment égal, entre l’homme et la femme », récla­ma­tion que l’Eglise a faite sienne depuis longtemps.

4. — La place et le rôle de la femme dans la vie politique

Reste enfin le domaine de la vie poli­tique. En bien des circons­tances, Nous en avons déjà tou­ché cer­tains points. Ce domaine a plu­sieurs aspects dis­tincts : la sau­ve­garde et le soin des inté­rêts sacrés de la femme par le moyen d’une légis­la­tion et d’un régime res­pec­tueux de ses droits, de sa digni­té, de sa fonc­tion sociale ; la par­ti­ci­pa­tion de quelques femmes à la vie poli­tique en vue du bien, du salut et du pro­grès de toutes.

Votre rôle, à vous, est d’une manière géné­rale de tra­vailler à rendre la femme tou­jours plus consciente de ses droits sacrés, de ses devoirs, de sa puis­sance soit sur l’opinion publique dans les rela­tions quo­ti­diennes, soit sur les pou­voirs publics et la légis­la­tion par le bon usage de ses pré­ro­ga­tives de citoyenne.

Tel est votre rôle com­mun. Il ne s’agit pas en effet pour vous d’entrer en masse dans la car­rière poli­tique, dans les assem­blées publiques. Et vous devrez, du moins la plu­part d’entre vous, don­ner le meilleur de votre temps et de votre cœur au soin de la mai­son et de la famille. Nous ne per­dons pas de vue que l’édification d’un foyer où tous se sentent à l’aise et heu­reux, l’éducation des enfants sont, en réa­li­té, une contri­bu­tion de pre­mière valeur au bien com­mun, un ser­vice appré­ciable dans l’intérêt du peuple entier. Et Nous trou­vons un grand motif de joie dans ce fait, vous-​mêmes le remar­quez avec rai­son, que, au sein des familles rurales, c’est-à-dire dans une grande par­tie de l’humanité, l’action de la femme au foyer domes­tique coïn­cide encore fort heu­reu­se­ment avec sa coopéra­tion à l’économie fami­liale et nationale.

Celles d’entre vous qui, plus libres de leur per­sonne, plus aptes et mieux pré­pa­rées, assu­me­ront ces lourdes tâches de l’intérêt géné­ral, seront vos repré­sen­tantes et comme vos délé­guées. Faites-​leur confiance, com­pre­nez les dif­fi­cul­tés, les peines et les sacri­fices de leur dévoue­ment ; soutenez-​les, aidez-les.

Un mot suf­fit en ter­mi­nant pour sou­li­gner ce que Nous appe­lions, en com­men­çant, l’universalité, la sou­plesse har­mo­nieuse et solide de votre col­la­bo­ra­tion. Elle est uni­ver­selle, sans dis­tinc­tion de natio­na­li­tés, de classes, de condi­tions. Elle est souple et har­mo­nieuse parce qu’elle consiste dans le concours d’œuvres, d’organisations, d’institutions les plus variées, dont cha­cune garde son carac­tère et son acti­vi­té propres, son inté­gri­té et sa sphère d’action, sans aucune absorp­tion, sans aucune domi­na­tion d’une part, aucune sujé­tion de l’autre, toutes unies par le lien d’une fédé­ra­tion libre­ment accep­tée en vue de coor­don­ner l’action com­mune. Rien ne sau­rait mieux répondre à Nos intentions.

Et cette action propre de cha­cune dans la col­la­bo­ra­tion géné­rale, vous l’étendez encore, vous en assu­rez la cohé­sion ; vous en mul­ti­pliez l’efficacité grâce à votre « bureau de ren­sei­gne­ments », heu­reuse ini­tia­tive qui impose certes, à celles qui en ont la charge un labeur consi­dé­rable, mais incon­tes­ta­ble­ment très fructueux.

Il y a trois jours, Nous célé­brions la nati­vi­té de celle dont la venue a été pour le monde entier l’aurore de la joie. Demain, nous fête­rons son nom glo­rieux et le sou­ve­nir des vic­toires qu’il a rem­por­tées sur les enne­mis de la chré­tien­té. Que Marie, auxi­lium chris­tia­no­rum soit votre force dans la lutte pour la res­tau­ra­tion d’une socié­té saine et pros­père, pour le triomphe de Dieu et de l’Eglise, Nous l’invoquons pour vous et, de tout cœur, Nous vous don­nons à toutes, à toutes celles qui vous sont unies, à vos œuvres et ins­ti­tu­tions, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de sa Sainteté Pie XII, année 1947, Edition Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte fran­çais des A. A. S., XXXIX, 1947, p. 480.

Notes de bas de page
  1. Cf. ci-​dessus, p. 156 et ss.[]