Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

29 septembre 1963

Discours à l'ouverture de la 2e session du Concile Vatican II

Table des matières

Le dis­cours pro­non­cé par Paul VI à la reprise des tra­vaux du Concile tient lieu, dans sa pen­sée, de l’encyclique inau­gu­rale de son Pontificat. Nous don­nons ci-​après la tra­duc­tion inté­grale du dis­cours pro­non­cé en latin :

« Soyez les bien­ve­nus. Frères très chers dans le Christ, vous que Nous avons appe­lés de toutes les par­ties du monde où la sainte Eglise a éten­du sa struc­ture hié­rar­chique. Nous vous saluons, vous qui, répon­dant à Notre invi­ta­tion, êtes venus avec empres­se­ment célé­brer avec Nous la seconde ses­sion du second Concile œcu­mé­nique du Vatican. Ce Nous est une joie de l’ouvrir aujourd’­hui sous l’égide de l’archange saint Michel, pro­tec­teur céleste du peuple de Dieu.

Cette réunion solen­nelle et fra­ter­nelle, où se ren­contrent les repré­sen­tants de la terre entière, du Levant à l’Occident, des régions aus­trales au sep­ten­trion, mérite vrai­ment le nom pro­phé­tique d’« Eglise », c’est-​à-​dire de ras­sem­ble­ment, de convo­ca­tion. Maintenant se réa­lise d’une façon nou­velle le mot qui Nous revient ici à la mémoire : « La voix s’est répan­due par toute la terre, et le mes­sage est arri­vé aux extré­mi­tés de l’u­ni­vers. » (Rom., 10, 18 ; Ps., 18, 5).

Oui, vrai­ment, un mys­tère d’unité res­plen­dit au-​dessus d’un mys­tère de catho­licité, et le spec­tacle d’universalité que nous offrons rap­pelle l’o­ri­gine apostoli­que, fidè­le­ment reflé­tée et mise à l’honneur, de notre très chère Eglise de Dieu. Il rap­pelle aus­si la mis­sion sanc­ti­fi­ca­trice de l’Eglise. Celle-​ci fait briller ses notes carac­té­ris­tiques, le visage de l’é­pouse du Christ rayonne. Nos âmes s’exal­tent en une expé­rience bien connue, mais tou­jours pleine de mys­tère, par laquelle nous éprou­vons que nous sommes le Corps mys­tique du Christ et goû­tons la joie sans pareille, incon­nue au inonde du dehors, de sen­tir « comme il est bon pour des frères d’habiter ensemble » (Ps., 132, 1).

Il vaut la peine de noter et de consi­dé­rer, dès ce pre­mier ins­tant, le phéno­mène humain et divin que nous constituons.

Ici, de nou­veau, nous nous trou­vons comme en un nou­veau Cénacle. Il est ren­du presque étroit, mal­gré les dimen­sions de son impo­sant édi­fice, par le grand nombre des per­sonnes assem­blées. A notre ren­contre assiste cer­tai­ne­ment du ciel la Vierge, Mère du Christ. Ici, autour du suc­ces­seur de Pierre, le der­nier dans le temps et par le mérite, mais iden­tique en auto­ri­té et en mis­sion au pre­mier des apôtres, sont grou­pés les apôtres que vous êtes, Nos chers frères, tirant votre ori­gine du Collège apos­to­lique et conti­nua­teurs authen­tiques de ce Collège. Ici, nous prie­rons ensemble et ne ferons qu’un tous ensemble.

Dans la même foi et la même cha­ri­té, ici, nous sommes assu­rés de rece­voir le don de l’Esprit Saint. Sa pré­sence nous ani­me­ra, nous ins­trui­ra, nous for­ti­fie­ra. Ici toutes les langues ne for­me­ront qu’une seule voix, et une seule voix se fera mes­sage pour l’u­ni­vers entier. Ici arrive d’un pas ferme, après bien­tôt vingt siècles de marche, l’Eglise en pèle­ri­nage. Ici, à la source qui étanche toute soif, et l’avive en même temps, viennent se refaire toutes les forces apos­to­liques ré­pandues par le monde. D’ici, elles repar­ti­ront, pleines d’assurance, pour leur route à tra­vers le monde et le temps, vers le terme qui se trouve au-​delà de la terre et des siècles.

Soyez donc les bien­ve­nus, Frères. C’est ain­si que vous accueille celui qui est le plus petit d’entre vous, le ser­vi­teur des ser­vi­teurs de Dieu, même s’il porte les clés du pou­voir suprême confiées à Pierre par le Christ Notre-​Seigneur. Il vous remer­cie du signe d’obéissance et de confiance que lui apporte votre pré­sence. Ses actes vous le montrent dési­reux de prier avec vous, de par­ler avec vous, de déli­bé­rer avec vous, d’agir avec vous. Oui, le Seigneur Nous est témoin quand, dès le pre­mier ins­tant de ces grandes assises, Nous vous décla­rons n’avoir au cœur nul des­sein de domi­na­tion humaine, aucun atta­che­ment jaloux à un pou­voir exclu­sif, mais sim­ple­ment le désir et la volon­té d’exé­cu­ter le man­dat divin qui Nous fait pas­teur suprême par­mi vous tous et de vous tous.

Cette mis­sion du pre­mier Pasteur vous demande ce qui fait sa joie et sa cou­ronne, la « com­mu­nion des saints », votre fidé­li­té, votre atta­che­ment, votre col­laboration, et il vous offre ce qu’il se réjouit le plus de vous don­ner : sa véné­ration, son estime, sa confiance, sa charité.

Nous avions pen­sé vous envoyer à tous Notre pre­mière lettre ency­clique, comme le veut un usage res­pec­table. Mais pour­quoi, Nous sommes-​Nous dit, confier à un écrit ce que Nous pou­vons expri­mer de vive voix grâce à une occa­sion excep­tion­nelle et si heureuse.

Bien sûr, il est impos­sible de dire ora­le­ment ici tout ce qui emplit Notre cœur et qu’il est plus aisé de déve­lop­per par écrit. Du moins, que cette allo­cu­tion serve de pré­lude non seule­ment au Concile mais aus­si à Notre Pontificat. Que la parole vivante prenne la place de l’encyclique qu’après ces jours plus char­gés Nous comp­tons vous adres­ser, s’il plaît à Dieu.

Ainsi donc, après vous avoir salué, Nous Nous pré­sen­tons à vous, car Nous ne por­tons que depuis peu cette charge pon­ti­fi­cale et ne fai­sons pour ain­si dire qu’inaugurer son exer­cice. En effet, c’est le 21 juin der­nier, jour où, par une ren­contre qui Nous fut chère, Nous fêtions cette année le Cœur divin du Christ, que le Sacré Collège des car­di­naux, ici pré­sent, et à qui Nous aimons redire l’expression de Notre cor­diale véné­ra­tion, vou­lut, mal­gré Notre insuf­fi­sance, Nous élire au siège épis­co­pal de Rome et, par là même, au pon­ti­fi­cat suprême de l’Eglise universelle.

Nous ne pou­vons évo­quer ce fait sans rap­pe­ler Notre pré­dé­ces­seur d’heureuse et immor­telle mémoire, Jean XXIII, objet de Notre très pro­fond atta­che­ment. Pour Nous, et cer­tai­ne­ment pour tous ceux d’entre vous qui eurent le bon­heur de le voir ici, à Notre place, son nom évoque la figure atti­rante et hié­ra­tique qui appa­rut le 11 octobre de l’an der­nier, quand il ouvrit la pre­mière ses­sion du second Concile œcu­mé­nique du Vatican, et pro­non­ça ce dis­cours que l’Eglise et le monde accueillirent comme un mes­sage pro­phé­tique pour notre siècle. Ses paroles résonnent encore en Notre mémoire et Notre conscience, pour tra­cer au Concile la route à par­cou­rir et Nous affran­chir de toute hési­ta­tion ou las­si­tude qui Nous guet­te­rait sur le che­min difficile.

Soyez remer­cié et magni­fié, cher et véné­ré Pape Jean, vous qui, par une ins­pi­ra­tion divine, on doit le croire, avez vou­lu et convo­qué ce Concile pour ouvrir à l’Eglise des sen­tiers nou­veaux et faire jaillir sur terre de nou­veaux flots de doc­trine et de grâce du Christ Notre Seigneur, comme des sources de fraî­cheur encore cachées.

C’est par une déci­sion per­son­nelle, indé­pen­dante de toute impul­sion d’ordre humain et de toute cir­cons­tance contrai­gnante, mais comme en pres­sen­tant les des­seins de Dieu et par une intui­tion des besoins obs­curs qui tour­mentent notre époque, que vous avez repris le fil bri­sé du pre­mier Concile du Vatican. Et ain­si, vous avez spon­ta­né­ment dis­si­pé la défiance indû­ment nour­rie par cer­tains esprits du fait que les pou­voirs suprêmes qu’on recon­naît désor­mais avoir été confé­rés par le Christ au Pontife romain suf­fi­raient pour gou­ver­ner et ani­mer l’Eglise, sans l’aide des Conciles œcu­mé­niques. Vous avez appe­lé vos Frères, suc­ces­seurs des apôtres, non seule­ment à pour­suivre l’étude doc­tri­nale inter­rom­pue et le tra­vail légis­la­tif sus­pen­du, mais à se sen­tir unis au Pape dans l’unité d’un Corps pour rece­voir de sa part sou­tien et direc­tion afin « que le dépôt sacré de la doc­trine chré­tienne soit mieux conser­vé et pré­sen­té de façon plus efficace ».

Mais tout en mar­quant de la sorte l’objectif le plus éle­vé du Concile, vous lui avez joint un autre but plus urgent et de nature actuel­le­ment plus bienfai­sante, le but pas­to­ral, en décla­rant : « Nous n’a­vons pas comme pre­mier objec­tif de dis­cu­ter cer­tains cha­pitres fon­da­men­taux de la doc­trine de l’Eglise… mais plu­tôt que cette doc­trine « soit appro­fon­die et expo­sée de la façon qui répond aux exi­gences de notre époque ».

Vous avez ravi­vé dans la conscience du Magistère ecclé­sias­tique la convic­tion que la doc­trine catho­lique ne doit pas être seule­ment véri­té à explo­rer par la rai­son sous la lumière de la foi, mais parole géné­ra­trice de vie et d’ac­tion ; que l’instruction en matière de foi ne peut se limi­ter à condam­ner les erreurs qui la blessent, mais doit com­prendre la pro­cla­ma­tion des ensei­gne­ments posi­tifs, d’intérêt vital, qui rendent la foi féconde. Le rôle du Magistère ecclé­sias­tique n’est point pure­ment spé­cu­la­tif ou néga­tif en ce Concile, il doit de plus en plus mani­fes­ter la force vivi­fiante du mes­sage du Christ, qui a décla­ré : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » (Jean, 6, 63).

Aussi, n’oublierons-​Nous pas les normes que vous-​même, pre­mier Père du Concile, lui avez tra­cées avec tant de sagesse, et qu’il Nous plaît de répéter :

«… Ce tré­sor pré­cieux — celui de la doc­trine catho­lique — nous n’a­vons pas seule­ment à le gar­der comme si nous n’étions pré­oc­cu­pés que du pas­sé niais nous devons nous mettre joyeu­se­ment et sans crainte au tra­vail que réclame notre époque, en pour­sui­vant la route sur laquelle l’Eglise marche depuis près de vingt siècles. Nous n’avons pas non plus comme pre­mier but de dis­cu­ter de cer­tains cha­pitres fon­da­men­taux de la doc­trine de l’Eglise… On devra recou­rir à une façon de pré­sen­ter les choses qui cor­res­ponde mieux à un ensei­gne­ment de ca­ractère sur­tout pastoral. »

Nous ne per­drons pas de vue non plus la grave ques­tion de l’unification en un seul ber­cail de tous ceux qui croient en Jésus-​Christ et sou­haitent vive­ment être membres de son Eglise, cette Eglise que vous-​même, Jean XXIII, avez dési­gnée comme la mai­son du Père ouverte à tous de façon qu’au cours de la pré­sente ses­sion, le Concile, dont vous fûtes le pro­mo­teur et que vous avez inau­gu­ré, marche fidè­le­ment dans la ligne tra­cée par vous, et qu’avec l’aide de Dieu il puisse atteindre les résul­tats que vous avez si ardem­ment dési­rés et espérés.

Reprenons donc la marche, Frères. Cette réso­lu­tion qui naît d’elle-même sus­cite en Notre esprit une autre pen­sée. Celle-​ci s’impose avec tant de clar­té, et son objet est d’une telle impor­tance que Nous Nous sen­tons tenu d’en faire part à cette Assemblée — si plei­ne­ment aver­tie et éclai­rée que celle-​ci se trouve déjà à son égard.

Le Christ, notre principe, notre voie, notre guide, notre espérance, notre fin.

D’où part notre marche, Frères ?

Quelle voie entend-​elle suivre, s’il s’agit moins des indi­ca­tions pra­tiques rap­pelées il y a un ins­tant que des normes divines aux­quelles le Concile doit obéir ?

Et quel but assi­gner à son itinéraire ?

Au plan de l’histoire ter­restre, il s’inscrira sans doute dans le temps et sui­vant les moda­li­tés de notre exis­tence pré­sente. Mais il ne peut s’o­rien­ter en défi­ni­tive qu’en pre­nant comme point de mire le terme final et suprême qui, nous le savons, nous attend infailli­ble­ment au bout de notre pèlerinage.

Trois ques­tions, capi­tales dans leur extrême sim­pli­ci­té. Il n’y a qu’une seule réponse à leur don­ner, nous le savons bien, et ici, en ce moment, nous devons la pro­cla­mer pour nous-​mêmes et la faire entendre au monde qui nous entoure : le Christ ! le Christ ! notre prin­cipe : le Christ ; notre voie et notre guide : le Christ ; notre espé­rance et notre fin.

Puisse ce Concile avoir plei­ne­ment pré­sent à l’esprit ce rap­port entre nous et Jésus-​Christ, entre l’Eglise sainte et vivi­fiante que nous sommes et le Christ de qui nous venons, par qui nous vivons, à qui nous allons.

Rapport mul­tiple et unique, immuable et sti­mu­lant, plein de mys­tère et de clar­té, d’exigence et de bon­heur. Que sur cette Assemblée ne brille d’autre lumière que le Christ, lumière du monde. Que nulle véri­té ne retienne notre inté­rêt, hor­mis les paroles du Seigneur, notre Maître unique ! Qu’une seule ins­pi­ra­tion nous dirige : le désir de lui être abso­lu­ment fidèles ! N’ayons d’autre appui que la confiance née de sa pro­messe pour ras­su­rer notre fai­blesse irré­mé­diable. « Et main­te­nant, Moi, je serai avec vous tou­jours jusqu’à la fin du monde. » (Matth., 28, 20).

Oh ! comme Nous sou­hai­te­rions en cette heure pou­voir faire mon­ter vers Notre-​Seigneur Jésus-​Christ une voix digne de lui. Nous emprun­te­rons celle de la sainte litur­gie : « C’est toi seul, ô Christ, que nous connais­sons, c’est toi que d’un cœur simple et pur nous prions au milieu de nos pleurs et nos chants. Ecoute le cri de nos sup­pli­ca­tions, » (Hymne de Laudes, le mercredi).

Et tan­dis que s’élève Notre prière, il Nous semble qu’Il se pré­sente lui-​même à Nos yeux ravis et bou­le­ver­sés, dans la majes­té du Pantocrator de vos basili­ques, ô Frères des Eglises d’Orient, et de celles de l’Occident aus­si : ain­si dans la splen­dide mosaïque de la basi­lique de Saint-​Paul hors les Murs, Nous nous voyons repré­sen­té dans ce très humble ado­ra­teur, Notre pré­dé­ces­seur le Pape Honorius III, lequel, tout petit et comme anéan­ti à terre, baise les pieds du Christ, à l’im­mense sta­ture, qui domine et bénit avec une majes­té royale l’as­semblée réunie dans la basi­lique, c’est-​à-​dire l’Eglise. La scène, nous semble-​t-​il, se repro­duit ici, non plus sous la forme d’une image, mais bien dans une réa­li­té his­to­rique et humaine, qui connaît dans le Christ la source de l’humanité ra­chetée, de son Eglise, et dans l’Eglise comme son éma­na­tion et sa conti­nua­tion tout à la fois ter­restre et mys­té­rieuse. C’est comme la vision de l’Apocalypse qui semble se des­si­ner devant nos yeux : « II me mon­tra un fleuve d’eau vive, lim­pide comme du cris­tal, qui jaillis­sait du trône de Dieu et de l’agneau. » (Apoc., 22, 10).

Il est oppor­tun, à Notre avis, que le Concile parte de cette vision, ou plu­tôt de cette célé­bra­tion mys­tique, qui acclame en Notre-​Seigneur Jésus-​Christ le Verbe incar­né, le Fils de l’Homme, le Messie pro­mis au monde, c’est-à-dire l’espérance de l’humanité et son seul sou­ve­rain Maître : il est, lui, le Pasteur, lui, le pain de vie, lui, notre Pontife et notre vic­time. Lui, l’unique média­teur entre Dieu et les hommes. Lui, le Sauveur de la terre, lui, le Roi à venir du siècle éter­nel. Cette célé­bra­tion mys­tique affirme en même temps que nous sommes ses élus, ses dis­ciples, ses apôtres, ses témoins, ses ministres, ses repré­sentants et, avec tous les autres fidèles, ses membres vivants, unis dans cet immense et unique Corps mys­tique, que Lui, par le moyen de la foi et des sa­crements, est en train de se consti­tuer au cours des géné­ra­tions humaines, et qui est son Eglise spi­ri­tuelle et visible, fra­ter­nelle et hié­rar­chique, aujourd’hui tem­po­relle et demain éternelle.

Si nous met­tons devant nos yeux, véné­rables Frères, l’idée sou­ve­raine que le Christ est notre fon­da­teur, notre chef, invi­sible mais réel, que nous rece­vons tout de Lui, de manière à for­mer avec Lui le « Christ total » dont parle saint Augustin et dont la théo­lo­gie de l’Eglise est toute rem­plie, nous pou­vons mieux com­prendre les buts prin­ci­paux de ce Concile, que pour faire bref et être plus faci­le­ment com­pris, nous pré­sen­te­rons en quatre points : la connais­sance, ou, si l’on pré­fère, la conscience de l’Eglise, son renou­veau, l’unité des chré­tiens, le dia­logue de l’Eglise avec le monde contemporain.

I. Le thème principal, de cette session : l’Église et tout ce qui concerne sa nature intime

Il est hors de doute que c’est un désir, un besoin, un devoir pour l’Eglise de don­ner fina­le­ment d’elle-​même une défi­ni­tion plus approfondie.

Nous Nous sou­ve­nons tous de ces images admi­rables dont use la sainte Ecri­ture pour nous don­ner une idée de la nature de l’Eglise qui est appe­lée, sui­vant les cas, l’édifice construit par le Christ, la mai­son de Dieu, le temple et le taber­nacle de Dieu, son peuple, son trou­peau, sa vigne, son champ, sa cité, la colonne de la véri­té, et, fina­le­ment l’Epouse du Christ, son Corps mystique,

La richesse même de ces images lumi­neuses a conduit la médi­ta­tion de l’Eglise à se recon­naître comme une socié­té his­to­rique, visible et hié­rar­chique, mais douée d’une vie mys­té­rieuse. La célèbre ency­clique du Pape Pie XII, Mystici Corporis, a répon­du en par­tie à l’aspiration que l’Eglise éprou­vait de tra­duire enfin sa réa­li­té en un corps de doc­trine com­plet, mais, d’autre part, a ren­du encore plus vif son désir de se défi­nir elle-​même de façon plus exhaus­tive. Le pre­mier Concile du Vatican avait déjà abor­dé le sujet ; de plus, de nom­breux motifs d’ordre exté­rieur concou­raient à le recom­man­der à l’étude, tant à l’in­térieur qu’à l’extérieur de l’Eglise catho­lique : par exemple, l’accroissement du carac­tère social de la civi­li­sa­tion moderne, le déve­lop­pe­ment des com­mu­ni­ca­tions entre les hommes, le besoin de juger les diverses déno­mi­na­tions chré­tiennes selon la concep­tion vraie et uni­voque conte­nue dans la révé­la­tion divine, etc.

Il n’y a pas à s’é­ton­ner si après vingt siècles de chris­tia­nisme et d’ample déve­loppement, his­to­rique et géo­gra­phique de l’Eglise catho­lique ain­si que des autres confes­sions reli­gieuses qui se réclament du nom du Christ et portent le titre d’Eglises, le concept authen­tique, pro­fond et com­plet de l’Eglise, telle que k Christ l’a fon­dée et que les apôtres ont com­men­cé à la construire, a encore besoin d’être pré­sente d’une manière plus pré­cise. L’Eglise est un mys­tère, c’est-​à-​dire une réa­li­té impré­gnée de pré­sence divine et qui peut tou­jours être l’objet de nou­velles et plus pro­fondes recherches.

La pen­sée humaine se déploie d’une manière pro­gres­sive : elle passe d’une connais­sance empi­rique de la véri­té à des connais­sances scien­ti­fiques éla­bo­rées d’une façon plus ‑ration­nelle. Elle déduit logi­que­ment une véri­té d’une autre connue avec cer­ti­tude. Devant une réa­li­té com­plexe et per­ma­nente, elle s’arrête à consi­dé­rer tan­tôt un aspect, tan­tôt un autre. Si bien que son acti­vi­té com­porte un déve­lop­pe­ment que l’histoire enre­gistre. L’heure est venue, Nous semble-​t-​il, où la véri­té concer­nant l’Eglise du Christ doit être explo­rée, ordon­née et ex­primée, non pas peut-​être en ces for­mules solen­nelles qu’on nomme défi­ni­tions dog­ma­tiques, mais en décla­ra­tions du Magistère ordi­naire, dans les­quelles l’Eglise se dit à elle-​même, de façon plus expli­cite et tou­jours digne de foi, ce qu’elle pense d’elle-même.

L’Eglise prend d’elle-même une conscience de plus en plus claire, en adhé­rant fidè­le­ment aux paroles et à la pen­sée du Christ, en repre­nant res­pec­tueu­se­ment l’enseignement plein d’autorité de la tra­di­tion ecclé­sias­tique et en se mon­trant docile à l’illu­mi­na­tion inté­rieure de l’Esprit Saint qui semble pré­ci­sé­ment attendre aujourd’hui de l’Eglise qu’elle fasse tout son pos­sible pour être recon­nue vrai­ment telle qu’elle est.

Et Nous croyons que ce sera l’œuvre de ce Concile œcu­mé­nique de faire briller dans le corps ensei­gnant de l’Eglise la lumière de la doc­trine sur sa propre nature, comme si l’Epouse du Christ se regar­dait en lui comme un miroir et que, dans un sen­ti­ment très vif d’amour, elle vou­lût décou­vrir en Lui sa propre forme, cette beau­té qu’il veut faire res­plen­dir en elle,

De ce point de vue, le thème prin­ci­pal de cette ses­sion du Concile sera donc l’Eglise et tout ce qui concerne sa nature intime : le but est d’aboutir, dans les limites per­mises au lan­gage humain, à une défi­ni­tion qui puisse mieux nous ins­truire sur la consti­tu­tion réelle et fon­da­men­tale de l’Eglise et nous faire mieux décou­vrir les mul­tiples aspects de sa mis­sion sal­vi­fique. L’enseignement théo­lo­gique est donc sus­cep­tible de magni­fiques déve­lop­pe­ments, qui méritent atten­tive consi­dé­ra­tion de la part des frères sépa­rés et qui, comme Nous le dési­rons ardem­ment, leur fraient un che­min tou­jours plus facile vers une adhé­sion commune.

Parmi les divers pro­blèmes que ce thème pose­ra à la réflexion de l’Assemblée conci­liaire, se ren­con­tre­ra d’abord celui qui vous concerne tous, véné­rables Frè­res, en tant qu’évêques de l’Eglise de Dieu. Nous n’hésitons pas à vous dire que Nous met­tons beau­coup d’espoir et une grande confiance dans ces pro­chains débats : Tout en sau­ve­gar­dant les décla­ra­tions dog­ma­tiques du pre­mier Con­cile du Vatican Sur le Pontificat romain, il s’a­git main­te­nant d’approfondir la doc­trine sur l’é­pis­co­pat, sur ses fonc­tions et ses rap­ports avec Pierre.

Ces débats nous appor­te­ront cer­tai­ne­ment à Nous-​même des prin­cipes doctri­naux et pra­tiques, grâce aux­quels Notre charge apos­to­lique, bien que dotée par le Christ de la suf­fi­sante plé­ni­tude de pou­voir que vous connais­sez, puisse être mieux aidée et sou­te­nue, selon les moda­li­tés à éta­blir, par une plus effi­cace et res­pon­sable col­la­bo­ra­tion de Nos chers et véné­rés Frères dans l’épiscopat.

Après avoir éclair­ci ce point de doc­trine, il fau­dra trai­ter aus­si de la com­position et des élé­ments divers du Corps visible et mys­tique qu’est l’Eglise mili­tante en pèle­ri­nage sur la terre, c’est-à-dire, des prêtres, des reli­gieux, des fidèles, ain­si que des frères qui sont sépa­rés de nous, et qui sait appe­lés, eux aus­si, à en faire par­tie d’une manière pleine et complète.

A per­sonne n’échappera l’importance d’une telle mis­sion doc­tri­nale qui est confiée au Concile et dont l’Eglise peut reti­rer une conscience de soi, lumi­neuse, exal­tante et sanc­ti­fiante. Veuille Dieu que nos espé­rances soient comblées !

II. Le renouveau de l’église

Ces espé­rances se rap­portent aus­si à un autre objec­tif pri­mor­dial du Concile, celui qu’on désigne sous le nom de renou­veau de la Sainte Eglise.

Cet objec­tif devrait, lui aus­si, à Notre avis, se déga­ger de la conscience que Nous avons des rela­tions qui unissent le Christ à son Eglise. Nous disions que l’Eglise veut se voir en Lui comme dans un miroir : si ce regard révé­lait quelque ombre, quelque défi­cience sur le visage de l’Eglise ou sur sa robe nup­tiale, que devrait-​elle faire d’instinct et cou­ra­geu­se­ment ? C’est clair : elle devrait se ré­former, se cor­ri­ger, s’ef­for­cer de recou­vrer la confor­mi­té avec son divin Modèle qui consti­tue son devoir fondamental.

Rappelons-​nous les paroles du Seigneur dans la prière sacer­do­tale, à l’approche de la Passion immi­nente : « Je me sanc­ti­fie moi-​même pour qu’ils soient eux- mêmes sanc­ti­fiés en toute véri­té, » (Jean, 17, 19). Le second Concile œcuméni­que du Vatican doit se mettre, à Notre avis, sur ce plan essen­tiel vou­lu du Christ. C’est seule­ment après ce tra­vail de sanc­ti­fi­ca­tion inté­rieure que l’Eglise pour­ra se mon­trer à la face du monde entier et dire : « Qui me voit, voit le Christ », de la même manière que le Christ avait dit de lui-​même : « Qui me voit, voit le Père, » (Jean, 14, 9).

Sous cet aspect, le Concile veut être le réveil prin­ta­nier d’im­menses éner­gies spi­ri­tuelles et morales, plus ou moins cachées au sein de l’Eglise. Il se mani­feste comme un pro­pos déli­bé­ré de rajeu­nis­se­ment, soit de ses forces inté­rieures, soit des règles qui com­mandent ses struc­tures cano­niques et les formes de ses rites. Bref, le Concile tend à don­ner à l’Eglise ou à accroître en elle cette splen­deur de per­fec­tion et de sain­te­té, que seules l’i­mi­ta­tion du Christ et l’union mys­tique avec lui, dans l’Esprit Saint, peuvent lui conférer.

Oui, le Concile tend à un renou­vel­le­ment, Mais ne nous mépre­nons pas sur les dési­rs expri­més : ils n’impliquent pas l’aveu que l’Eglise catho­lique d’aujour­d’hui puisse être accu­sée d’infidélité sub­stan­tielle à la pen­sée de son divin Fon­dateur. Au contraire, la décou­verte appro­fon­die de sa fidé­li­té sub­stan­tielle la rem­plit de gra­ti­tude et d’humilité, et lui infuse la force de cor­ri­ger les imper­fections qui sont dues à la fai­blesse humaine. La réforme visée par le Concile ne consiste donc pas dans un bou­le­ver­se­ment de la vie pré­sente de l’Eglise, ni dans une rup­ture avec sa tra­di­tion dans ce que celle-​ci a d’essentiel et de véné­rable, mais elle est plu­tôt un hom­mage ren­du à cette tra­di­tion, dans l’acte même qui veut la débar­ras­ser de tout ce qu’il y a en elle de caduc et de défec­tueux, de façon à lui faire trou­ver son authen­ti­ci­té et sa fécondité.

Jésus n’a‑t-il pas dit à ses dis­ciples : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigne­ron. Tout sar­ment en Moi qui ne porte pas de fruit, il le coupe, et tout sar­ment qui porte du fruit, il l’é­monde. » (Jean, 15, 1–2). Ce texte évan­gé­lique suf­fit à nous don­ner une idée des prin­ci­paux cha­pitres de ce per­fec­tion­ne­ment auquel aspire aujourd’­hui l’Eglise. Le pre­mier concerne sa vita­li­té, inté­rieure et exté­rieure. Au Christ vivant répond l’Eglise vivante. Si la foi et la cha­ri­té sont les prin­cipes de sa vie, il est clair que rien ne devra être négli­gé pour don­ner à la foi cer­ti­tude joyeuse et nour­ri­ture nou­velle. Tout ce qui, dans l’initiation et la péda­go­gie chré­tiennes, contri­bue à ce but indis­pen­sable, devra être ren­du effi­cace. Une étude plus assi­due et une dévo­tion plus grande envers la Parole de Dieu seront cer­tai­ne­ment la base de cette pre­mière réforme. Ensuite, l’éducation de la cha­ri­té aura la place d’honneur : Nous devrons cher­cher à consti­tuer l’Ecclesia cari­ta­tis, l’Eglise de la cha­ri­té, si nous vou­lons que l’Eglise soit apte à se renou­veler pro­fon­dé­ment elle-​même et à renou­ve­ler le monde autour d’elle. Tâche im­mense ! Une autre rai­son de l’importance de l’éducation de la cha­ri­té, c’est que celle-​ci est la reine et la racine de toutes les autres ver­tus chré­tiennes : l’humilité, la pau­vre­té, la pié­té, l’esprit de sacri­fice, le cou­rage de la véri­té, l’amour de la jus­tice et de tout ce qui fait la force d’action de l’homme nouveau. -

Ici, le pro­gramme du Concile s’étend sur des domaines immenses : l’un d’eux, ter­rain de choix où fleu­rit par­tout la cha­ri­té, est la sainte litur­gie.

La pre­mière ses­sion y a déjà consa­cré de longues dis­cus­sions et Nous espé­rons que la seconde lui appor­te­ra de très heu­reuses conclusions.

D’autres matières auront cer­tai­ne­ment la même et totale atten­tion de la part des Pères du Concile : Nous crai­gnons pour­tant que le peu de temps dont Nous dis­po­sons ne nous per­mette pas de les explo­rer toutes comme il convien­drait et qu’elles nous réservent encore du tra­vail pour une future session !

III. L’unité dans une large diversité

Il y a ensuite un troi­sième objec­tif pro­po­sé au Concile et qui consti­tue, en un cer­tain sens, son drame spi­ri­tuel. Il Nous a été assi­gné lui aus­si par le Pape Jean XXIII, et il concerne « les autres chré­tiens », c’est-à-dire ceux-​là qui croient en Jésus-​Christ mais que nous n’avons pas le bon­heur de comp­ter com­me asso­ciés avec nous dans la par­faite uni­té du Christ que l’Eglise catho­lique seule peut offrir, alors que de soi cette uni­té leur serait due en rai­son de leur bap­tême, et qu’eux-mêmes y aspirent déjà virtuellement.

En effet, les mou­ve­ments qui se sont récem­ment des­si­nés et qui sont mainte­nant en plein déve­lop­pe­ment au sein des com­mu­nau­tés chré­tiennes sépa­rées de nous démontrent clai­re­ment deux choses : d’abord, il n’y a qu’une seule Eglise du Christ. Elle doit donc être unique !

Puis cette union mys­té­rieuse et visible ne peut être atteinte que dans l’unité de la foi, la par­ti­ci­pa­tion aux mêmes sacre­ments et l’harmonie orga­nique d’une direc­tion ecclé­sias­tique unique, encore que cela puisse se véri­fier dans le res­pect d’une large diver­si­té d’expressions lin­guis­tiques, de formes rituelles, de tradi­tions his­to­riques, de pré­ro­ga­tives locales, de cou­rants spi­ri­tuels, d’ins­ti­tu­tions légi­times, d’ac­ti­vi­tés préférées.

Quelle est l’attitude du Concile en face de ces immenses groupes de frères sépa­rés et de ce plu­ra­lisme pos­sible dans les réa­li­sa­tions de l’Unité ?

Elle est claire. La convo­ca­tion de ce Concile est carac­té­ris­tique sous cet aspect comme sous d’autres rap­ports. Il tend à une œcu­mé­ni­ci­té qui vou­drait être totale, uni­ver­selle. Au moins en désir, en prières, en pré­pa­ra­tion. Aujourd’hui, en espé­rance, afin que demain ce soit en réalité.

Autrement dit, ce Concile, en appe­lant, en dénom­brant, en assem­blant dans le ber­cail du Christ les bre­bis qui le com­posent et qui lui appar­tiennent à juste titre et de plein droit, ouvre les portes, élève la voix, attend anxieu­se­ment les si nom­breuses bre­bis du Christ qui ne se trouvent pas pré­sentes dans l’unique bercail.

C’est donc un Concile d’invitation, d’at­tente, de confiance, dans le sens d’une par­ti­ci­pa­tion plus large et plus fra­ter­nelle à son œcu­mé­ni­ci­té authentique.

Ici, Notre parole s’adresse avec res­pect aux repré­sen­tants que les communau­tés chré­tiennes sépa­rées de l’Eglise catho­lique ont envoyés en qua­li­té d’obser­vateurs à cette Assemblée solennelle.

Nous les saluons de tout cœur.

Nous les remer­cions d’être venus.

A tra­vers leur pré­sence, Nous envoyons Notre mes­sage pater­nel et fra­ter­nel aux véné­rables com­mu­nau­tés chré­tiennes qu’ils repré­sentent ici.

Notre voix tremble et Notre cœur est ému, car le fait de les trou­ver si pro­ches aujourd’­hui Nous apporte autant d’in­di­cible récon­fort et de très douce espé­rance que leur sépa­ra­tion qui dure encore Nous cause de pro­fonde, souffrance.

Si, dans les causes de cette sépa­ra­tion, une faute pou­vait nous être impu­tée, nous en deman­dons hum­ble­ment par­don à Dieu et nous sol­li­ci­tons aus­si l’in­dulgence des frères qui se sen­ti­raient offen­sés par nous. Et nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à par­don­ner les offenses dont l’Eglise catho­lique a été l’objet et à oublier les dou­leurs qu’elle a éprou­vées dans la longue série des dis­sensions et des séparations.

Que le Père céleste accueille Notre pré­sente décla­ra­tion et nous ramène tous à une paix véri­ta­ble­ment fraternelle.

Nous le savons : il reste à étu­dier des ques­tions objec­tives, graves et com­pliquées, à les trai­ter et à les résoudre. Nous vou­drions que cela se fît tout de suite, en ver­tu de la cha­ri­té du Christ qui « nous presse », mais Nous sommes per­sua­dé que la mise au point et la solu­tion de tels pro­blèmes sup­posent beau­coup de condi­tions. Celles-​ci ne sont pas mûres à l’heure actuelle et nous n’avons pas peur d’attendre patiem­ment l’heure bénie de la récon­ci­lia­tion parfaite.

Mais en même temps, Nous vou­lons confir­mer aux obser­va­teurs ici pré­sents, afin qu’ils s’en fassent l’écho auprès de leurs com­mu­nau­tés chré­tiennes respec­tives, et pour que Notre voix atteigne aus­si les autres véné­rables com­mu­nau­tés chré­tiennes, qui n’ont pas accueilli l’invitation que Nous leur adres­sions — sans enga­ge­ment de part ni d’autre — à assis­ter à ce Concile.

Nous vou­lons donc confir­mer quelques prin­cipes qui ins­pirent Notre atti­tude concer­nant la res­tau­ra­tion de l’unité ecclé­sias­tique avec les frères séparés.

Ils connaissent déjà ces prin­cipes, croyons-​Nous, mais il peut être bien­fai­sant de les énon­cer ici.

En second lieu, nous consi­dé­rons avec res­pect le patri­moine reli­gieux, ori­gi­nel et com­mun, qui, chez nos frères sépa­rés, se trouve conser­vé, et même pour une part, heu­reu­se­ment développé.

Notre manière de leur par­ler veut être paci­fique, abso­lu­ment sin­cère et loyale. Pas de pièges dis­si­mu­lés, pas d’intérêts tem­po­rels en cause. A notre foi, que nous tenons pour divine, nous devons l’adhésion la plus franche et la plus ferme. Mais nous sommes convain­cus qu’elle n’est pas un obs­tacle à l’en­tente sou­hai­tée avec les frères sépa­rés, pré­ci­sé­ment parce qu’elle est véri­té du Seigneur et qu’elle est donc prin­cipe d’union, non de dif­fé­rence ou de sépa­ra­tion. En tout cas, nous ne vou­lons pas faire de notre foi un motif de polémique.

En second lieu, nous consi­dé­rons avec res­pect le patri­moine reli­gieux, ori­gi­nel et com­mun, qui, chez nos frères sépa­rés, se trouve conser­vé, et même pour une part, heu­reu­se­ment développé.

Nous sommes heu­reux de voir l’effort stu­dieux des hommes qui cherchent en toute pro­bi­té à mettre en relief et à exal­ter les richesses authen­tiques de véri­té et de vie spi­ri­tuelle que pos­sèdent ces frères sépa­rés, et cela, dans l’in­tention d’améliorer nos rap­ports avec eux.

Nous vou­lons espé­rer que ces der­niers, de leur côté, ani­més du même désir, aime­ront étu­dier de plus près notre doc­trine et mieux voir comme elle découle logi­que­ment du dépôt de la révé­la­tion divine, tout comme ils vou­dront connaître mieux notre his­toire et notre vie religieuse.

Enfin, Nous dirons à ce pro­pos que, conscient des dif­fi­cul­tés énormes qui s’opposent actuel­le­ment à l’unification dési­rée, Nous met­tons hum­ble­ment notre confiance en Dieu. Nous conti­nue­rons de prier. Nous tâche­rons de don­ner un meilleur témoi­gnage de notre effort de vie chré­tienne authen­tique et de cha­ri­té fra­ter­nelle. Et pour le cas où la réa­li­té his­to­rique mena­ce­rait de déce­voir notre espé­rance, nous nous rap­pel­le­rons le mot si encou­ra­geant du Christ : « Ce qui, pour les hommes, est impos­sible, est pos­sible à Dieu. » (Luc, 18, 27).

IV. Jeter un pont vers le monde contemporain

Ensuite, et c’est le der­nier point que Nous avons annon­cé, le Concile travail­lera à jeter un pont vers le monde contemporain.

Phénomène sin­gu­lier ; tan­dis que l’Eglise, en tâchant d’animer sa vie interne de l’Esprit du Seigneur, se dif­fé­ren­cie et se détache de la socié­té pro­fane où elle est plon­gée, en même temps elle se carac­té­rise comme levain vivi­fiant et organe de salut de ce même monde. Elle découvre de plus en plus et elle con­firme sa voca­tion mis­sion­naire, c’est-à-dire la des­ti­na­tion essen­tielle qui la voue à faire de l’humanité, en quelque condi­tion que celle-​ci se trouve, l’objet de sa mis­sion et de son zèle pas­sion­né d’évangélisation.

vous avez pareille­ment vou­lu tout d’abord vous occu­per non pas de vos affaires mais de celles du monde, et enga­ger le dia­logue non pas entre vous mais avec le monde

Vous-​mêmes, véné­rables Frères, vous avez l’expérience de ce pro­dige. En effet, au seuil des tra­vaux de la pre­mière ses­sion, enflam­més par les paroles que le Pape Jean XXIII avait pro­non­cées pour inau­gu­rer ces assises, vous avez immé­dia­te­ment éprou­vé le besoin d’ouvrir en quelque sorte les portes de l’As­semblée pour lan­cer au monde un vibrant mes­sage de salu­ta­tion, de fra­ter­ni­té et d’espérance.

Cela signi­fie, véné­rables Frères, que ce Concile se carac­té­rise par l’amour, l’amour plus large et plus pres­sant, par l’amour qui pense aux autres avant de pen­ser à soi, par l’amour uni­ver­sel du Christ.

Geste inso­lite mais admi­rable. On dirait que le cha­risme pro­phé­tique de l’Eglise a subi­te­ment explo­sé ! Et comme Pierre, au jour de la Pentecôte, se sen­tit pous­sé à éle­ver tout de suite la voix et à par­ler au peuple, vous avez pareille­ment vou­lu tout d’abord vous occu­per non pas de vos affaires mais de celles du monde, et enga­ger le dia­logue non pas entre vous mais avec le monde.

Cela signi­fie, véné­rables Frères, que ce Concile se carac­té­rise par l’amour, l’amour plus large et plus pres­sant, par l’amour qui pense aux autres avant de pen­ser à soi, par l’amour uni­ver­sel du Christ.

C’est cet amour qui nous sou­tient pré­sen­te­ment, car à regar­der le spec­tacle de la vie des hommes d’aujourd’hui, nous aurions de quoi être épou­van­tés plu­tôt qu’encouragés, affli­gés plu­tôt que réjouis, por­tés à une atti­tude de défense et de répro­ba­tion plu­tôt que de confiance et d’amitié.

Il nous faut être réa­listes et ne point cacher les coups qui, de régions assez nom­breuses, viennent bles­ser même ce Concile uni­ver­sel. Pouvons-​nous être aveugles et ne pas remar­quer qu’en cette réunion beau­coup de places res­tent vides ?

Où sont nos frères de cer­tains pays où l’Eglise est persécutée ?

Et en quelles condi­tions se trouve la reli­gion en ces territoires ?

A ce sujet, Nos pré­oc­cu­pa­tions s’aggravent de tout ce que Nous savons et davan­tage encore de tout ce qu’il ne Nous est pas don­né de savoir concer­nant la hié­rar­chie, les reli­gieux et reli­gieuses et tant de Nos fils sou­mis à des me­naces, vexa­tions, pri­va­tions et contraintes à cause de leur fidé­li­té au Christ et à l’Eglise.

Quelle tris­tesse devant tant de souf­frances ! Quelle afflic­tion de voir qu’en cer­tains pays la liber­té reli­gieuse, comme aus­si d’autres droits fon­da­men­taux de l’homme sont étouf­fés en ver­tu de prin­cipes et de méthodes d’intolérance poli­tique, raciale ou anti­re­li­gieuse ! C’est une peine pro­fonde de devoir consta­ter com­bien il se com­met encore dans le monde d’atteintes à la libre et hon­nête pro­fes­sion de la foi reli­gieuse personnelle.

Mais Notre plainte attris­tée, plu­tôt que de Nous dic­ter des paroles sévères, veut s’exprimer une fois de plus en un appel plein de fran­chise et d’humanité adres­sé à tous les res­pon­sables éven­tuels pour les exhor­ter à mon­trer de la gran­deur d’âme et à renon­cer à leur hos­ti­li­té injus­ti­fiée à l’égard de la reli­gion catho­lique. Les fidèles de celle-​ci ne doivent pas être consi­dé­rés comme des enne­mis ou des citoyens déloyaux, mais bien plu­tôt comme des membres hon­nêtes et labo­rieux de la socié­té civile à laquelle ils appartiennent.

Et aux catho­liques qui souffrent pour leur foi, Nous adres­sons en cette nou­velle occa­sion Notre salut affec­tueux. Pour eux, Nous deman­dons à Dieu un récon­fort particulier.

Mais il y a encore pour Nous d’autres sujets d’amertume.

Notre regard découvre à tra­vers le monde bien d’autres mal­heurs, immensé­ment attris­tants. L’athéisme gagne une par­tie de l’humanité, intro­dui­sant le désé­quilibre dans l’ordre intel­lec­tuel, moral et social, ordre dont le monde perd l’exacte notion. Tandis que croissent les lumières de la science des choses, la science de Dieu s’obscurcit, et par consé­quent la vraie science de l’homme. Tandis que le pro­grès per­fec­tionne de façon admi­rable les ins­tru­ments de tout genre dont l’homme dis­pose, le cœur humain glisse vers le vice, la tris­tesse, le désespoir.

Sur cette condi­tion de l’homme moderne, condi­tion com­plexe et si triste pour tant de rai­sons, Nous aurions beau­coup à dire, mais ce n’est pas le moment. Pour l’heure, disions-​Nous, l’amour emplit Notre âme et l’âme de l’Eglise ras­semblée en Concile. Nous regar­dons Notre temps et ses mani­fes­ta­tions diverses et contras­tantes avec une très grande sym­pa­thie et un immense désir de pré­senter aux hommes d’aujourd’hui le mes­sage d’amour, de salut et d’espoir que le Christ a appor­té au monde : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condam­ner le monde, mais pour que le monde soit sau­vé par lui. » (Jean, 3, 17).

Que le monde le sache : L’Eglise le regarde avec une pro­fonde compréhen­sion, avec une admi­ra­tion sin­cère, sin­cè­re­ment dis­po­sée non à le sub­ju­guer, mais à le ser­vir ; non à le dépré­cier, mais à le mettre en valeur ; non à le condam­ner, mais à le sou­te­nir et à le sauver.

De cette fenêtre ouverte sur le monde qu’est le Concile, l’Eglise regarde avec un inté­rêt par­ti­cu­lier plu­sieurs caté­go­ries de per­sonnes. Elle regarde les pauvres, les indi­gents, les mal­heu­reux ; ceux qui souffrent de la faim, les malades, les déte­nus, bref, toute l’humanité qui souffre et qui pleure. Celle-​ci appar­tient à l’Eglise par droit évan­gé­lique, et l’Eglise se plaît à répé­ter à tous ceux qui en font par­tie : « Venez à moi. » (Matth., 11, 28).

L’Eglise regarde les arti­sans de la culture humaine, les hommes d’étude et de science, les artistes.

A leur égard aus­si, elle pro­fesse une haute estime et le très vif désir d’ac­cueillir leurs espoirs, d’affermir leur pen­sée, de sau­ve­gar­der leur liber­té, de ména­ger, dans les sphères lumi­neuses de la parole et de la grâce de Dieu, l’épa­nouissement de leurs esprits tourmentés.

L’Eglise regarde les tra­vailleurs, leur digni­té de per­sonnes, la digni­té de leur tra­vail ; elle s’intéresse à leurs légi­times aspi­ra­tions, au besoin de pro­mo­tion sociale et d’élévation inté­rieure qui les éprouve encore cruel­le­ment, à la mis­sion qu’on peut leur recon­naître, si elle est conçue de façon saine et chré­tienne, de créer un monde nou­veau, un monde d’hommes libres et vrai­ment frères. L’Eglise, mère et édu­ca­trice, est près d’eux !

Aux paroles sévères et aux aver­tis­se­ments qu’elle est sou­vent tenue de leur adres­ser, elle pré­fère aujourd’hui un mot d’encouragement et de confiance

Elle regarde les chefs des peuples.

Aux paroles sévères et aux aver­tis­se­ments qu’elle est sou­vent tenue de leur adres­ser, elle pré­fère aujourd’hui un mot d’encouragement et de confiance : Courage, vous qui diri­gez les peuples, vous pou­vez pro­cu­rer main­te­nant à vos nations un grand nombre des biens néces­saires à l’existence : le pain, l’instruction, le tra­vail, l’ordre, la digni­té de citoyens libres et unis. Pourvu que vous sachiez vrai­ment qui est l’homme, et seule la sagesse chré­tienne peut vous le dire en plé­ni­tude de lumière. Vous pou­vez, tra­vaillant ensemble dans la jus­tice et l’amour, créer la paix, ce sou­ve­rain bien qui est tant dési­ré et dont le main­tien et le pro­grès doivent tant à l’Eglise. Vous pou­vez faire de l’humanité une seule cité. Dieu soit avec vous !

Et puis, l’Eglise catho­lique regarde plus loin, par-​delà l’horizon de la chré­tienté. Comment pourrait-​elle mettre des limites à son amour, si elle doit faire sien celui de Dieu le Père, qui fait pleu­voir ses grâces sur tous les hommes (Matth., 5, 48) et qui a aimé le monde au point de don­ner pour lui son Fils unique (Jean, 3, 16) ? L’Eglise porte donc son regard au-​delà de sa sphère propre. Elle consi­dère les autres reli­gions qui gardent le sens et la notion du Dieu unique, suprême et trans­cen­dant, Créateur et Providence. Ces reli­gions rendent à Dieu un culte par des actes de pié­té sin­cère et elles appuient sur leurs croyan­ces et leurs pra­tiques les bases de la vie morale et sociale.

L’Eglise catho­lique relève sans doute, non sans dou­leur, des lacunes, des in­suffisances et des erreurs dans beau­coup de ces formes reli­gieuses. Mais elle ne manque pas de se tour­ner vers elles et de leur rap­pe­ler que le catho­li­cisme estime comme il se doit tout ce qu’elles pos­sèdent de vrai, de bon et d’humain.

L’Eglise leur répète que pour sau­ve­gar­der dans la socié­té moderne le sens reli­gieux et le culte de Dieu — obli­ga­tion et besoin de la vraie civi­li­sa­tion, — elle-​même se tient en pre­mière ligne, comme le plus ferme défen­seur des droits de Dieu sur l’humanité.

Le regard de l’Eglise embrasse encore d’autres champs immenses de l’humanité : les géné­ra­tions nou­velles qui montent, cette jeu­nesse qui aspire à vivre et à s’affirmer. Les peuples nou­veaux qui prennent conscience d’eux-mêmes, acquièrent leur indé­pen­dance et déve­loppent leurs struc­tures. Les innom­brables créa­tures humaines qui se sentent iso­lées au milieu même du tour­billon d’une socié­té qui n’a point pour leur âme une parole de véri­té. Et l’Eglise les salue tous. A tous, à tous, elle lance sa pro­cla­ma­tion d’espérance ! A tous, elle sou­haite et elle offre la lumière de véri­té, de vie et de salut, parce que Dieu « veut que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té » (I Tim., 2, 4).

Vénérables Frères, Notre mis­sion de ministres du salut est grande et lourde.

C’est afin de mieux y répondre que nous nous trou­vons réunis en cette Assemblée solen­nelle. Que la com­mu­nion pro­fonde et fra­ter­nelle qui règne entre nos âmes oriente nos forces. Que la com­mu­nion avec l’Eglise du ciel nous soit pro­pice ! Que nous aident les saints de nos dio­cèses et de nos familles reli­gieuses, tous les anges et tous les saints, spé­cia­le­ment saint Pierre et saint Paul, saint Jean-​Baptiste, et en par­ti­cu­lier saint Joseph qui a été décla­ré patron de ce Concile.

Que Notre-​Dame, invo­quée de tout cœur, nous accorde son assis­tance mater­nelle et puis­sante. Que le Christ pré­side à nos tra­vaux, et que tout se passe à la gloire de Dieu, de la très sainte Trinité. C’est sa Bénédiction que Nous n’hésitons pas à vous don­ner à tous, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Source : Nouvelle revue théo­lo­gique 85 N°9 1963 – L’Oss. Rom., 30 sept. 1963. — La Doc. Cath., 1963, col. 1345–1361

12 Janvier 1966
Les enseignements du Concile sont inscrits dans le patrimoine de l'Église
  • Paul VI