Depuis bientôt cinquante ans, dans l’Église, les autorités officielles ne facilitent pas la vie des fidèles qui désirent accéder à la doctrine traditionnelle et recevoir les sacrements comme leurs ancêtres les ont reçus. Non seulement ces autorités ont béni le Concile, mais elles donnent mauvaise conscience à ceux qui y résistent et qui donnent leur confiance aux prêtres voulant « dire comme toujours » et « faire comme toujours ».
L’une des menaces avec lesquelles on effraie ces âmes, c’est la peur d’un mariage invalide. « Si vous vous mariez devant les prêtres de la Fraternité Saint- Pie X, votre mariage sera invalide : vous serez donc non pas mariés mais concubins. » Pour asséner avec la force de l’autorité ces boniments, ceux qui n’ont que le mot « charité » à la bouche manifestent parfois une malveillance et un sectarisme paradoxaux.
Qu’en est-il en vérité ? Les mariages consentis devant les prêtres de la Fraternité sont-ils valides ?
L’argument que l’on oppose à cette validité est tiré du Droit :
Seuls sont valides les mariages contractés devant le curé, ou l’Ordinaire du lieu, ou un prêtre délégué par l’un ou par l’autre, et devant au moins deux témoins, selon cependant les règles exprimées dans les canons qui suivent, et étant sauves les exceptions prévues aux canons 1098 et 1099.
Canon 1094 du code de 1917 [1]
Les canons 1095, 1096 et 1097 ajoutent certaines règles qui importent peu quant à la question qui nous occupe [2].
Dans la Fraternité il n’y a pas de curé, ni d’Ordinaire du lieu, et rares sont les prêtres de la Fraternité qui reçoivent délégation d’un curé. Les mariages célébrés dans le cadre de la Fraternité ne peuvent donc pas prétendre à la validité selon la règle générale donnée par le canon 1094, mais il convient de montrer qu’ils le peuvent en vertu des exceptions prévues au canon 1098, cité par le canon 1094, comme on vient de le voir.
Le grave inconvénient
Selon le canon 1098 § 1,
« S’il n’est pas possible de faire venir ou d’aller trouver sans grave inconvénient un curé, ou un Ordinaire, ou un prêtre délégué qui puissent assister au mariage selon les normes des canons 1095 et 1096 :
« 1° En péril de mort, un mariage contracté seulement devant des témoins est valide et licite ; et cela est permis même en dehors d’un péril de mort, à condition que l’on puisse prévoir, en prudence, que cette condition des choses va durer un mois.
« 2° Dans l’un et l’autre cas, si un autre prêtre non qualifié peut être présent à l’échange des consentements, on doit l’appeler et il doit assister au mariage avec les témoins, sans que cette démarche soit requise pour la validité du mariage [3]. »
L’alinéa 1° envisage donc deux cas : le péril de mort et l’absence de péril de mort. Laissant le premier cas de côté, relevons le deuxième : il assure que, si les futurs estiment en prudence que l’absence du prêtre habilité (curé, ou Ordinaire du lieu…) ou l’impossibilité d’aller le trouver sans inconvénient grave durera pendant un mois, il leur est permis de se marier uniquement devant les témoins (§ 1°, 2e partie).
Le code de droit canon n’est pas plus précis. Pour en approfondir la pensée, nous recourons à Raoul Naz, dont l’autorité est indiscutable. Dans son Dictionnaire de droit canonique, il commente ce canon à l’article Clandestinité et à l’article Mariage. Il explique qu’en dehors du péril de mort, pour qu’un mariage soit valide (c’est-à-dire vrai), il faut trois conditions cumulées [4] :
- a. Le curé, ou l’Ordinaire du lieu… bref, un prêtre ayant les pouvoirs ne peut pas venir et on ne peut pas non plus aller à lui ; soit que le temps fasse matériellement défaut, soit que sa présence entraîne pour lui-même ou pour les fiancés un dommage qui soit grave, matériellement (frais engagés) ou moralement (les italiques sont de notre rédaction).
- b. Que l’absence de ce prêtre habilité (ou : « ayant juridiction ») dure au moins un mois. Cette absence peut être d’ailleurs physique (en temps de guerre ou de persécution, de culte interdit, d’épidémie) ou bien morale (le prêtre pourrait être présent physiquement mais ne pourrait qu’avec un grave inconvénient demander ou recevoir le consentement des contractants).
- c. Que l’impossibilité de recourir à un prêtre ayant juridiction touche au moins les deux futurs, même si d’autres personnes n’en souffrent pas (impossibilité au moins « personnelle », même si elle n’est pas « commune »).
Ces trois conditions suffisent pour que le mariage soit valide. Pour qu’il soit non seulement valide mais permis (« licite »), il faut que, si un prêtre sans juridiction peut être présent, on l’appelle.
Aller aux faits
Considérons à présent l’une après l’autre ces trois conditions à la lumière de la situation actuelle dans l’Église.
a. Il y a, dans l’Église, des prêtres et des évêques ayant juridiction, sur à peu près toute la planète, mais leur présence au mariage de catholiques de Tradition implique, dans l’immense majorité des cas, un grave dommage moral pour les fiancés. En effet, ces prêtres…
- presque toujours attachent au mariage la célébration d’une messe Paul VI gravement dangereuse pour la foi et responsable de la perte du sens catholique chez un très grand nombre d’âmes ;
- presque toujours, dans leur prédication au moment du mariage et dans la préparation, enseignent la conception du mariage que promeut le code canonique de 1983 et qui a été dénoncée par Pie XII comme une erreur formelle et grave [5] ;
- presque toujours, dans la préparation du mariage et dans leur pastorale, recommandent la régulation naturelle des naissances d’une façon systématique qui contredit les prescriptions de Pie XII et de la morale traditionnelle [6] ;
- parfois même bénissent l’union libre, le « mariage à l’essai [7] », la pratique de la pilule contraceptive, les divorcés remariés [8] et distribuent la communion aux concubins ;
- toujours [9] adoptent à l’égard des graves erreurs diffusées depuis Vatican II une attitude répréhensible, soit qu’ils les diffusent volontiers (clergé ouvertement conciliaire), soit qu’ils se taisent à leur égard, approuvant ainsi plus ou moins implicitement le tour moderne donné au gouvernement de l’Église par les prélats et ses conséquences pour le salut des âmes (clergé d’apparence traditionnelle et approuvé officiellement) [10].
b. Cette absence, non pas physique mais morale (il y a en effet un grave inconvénient à ce que ces prêtres reçoivent le consentement des mariés, pour reprendre les termes de Naz), dure bien plus qu’un mois.
c. Elle entraîne une impossibilité personnelle (et même commune) touchant les futurs mariés qui veulent se marier de façon parfaitement traditionnelle, au regard de la foi, de la morale et de la liturgie.
d. Par ailleurs il peuvent aisément avoir recours à un prêtre traditionnel sans juridiction (parmi ceux de la Fraternité ou bien d’autres). Pour que leur mariage soit non seulement valide, mais licite, ils doivent donc contracter mariage devant ce prêtre qu’ils auront trouvé.
La tradition ou l’absurde
Un mariage ainsi contracté ressemble à tout mariage, en ce qui concerne les contractants : ce sont, dans l’un et l’autre cas, l’homme et la femme qui se donnent le mariage. Mais tandis que, dans la forme canonique usuelle (prévue par le canon 1094), ce mariage se fait devant un témoin (prêtre ou évêque) ayant juridiction, dans la forme exceptionnelle (prévue par le canon 1098 § 1), ce mariage se fait devant un prêtre n’ayant pas juridiction pour le faire.
Un mariage célébré dans le cadre de la Fraternité est certainement valide : d’une part parce que les principes sont certains et affirmés par le droit (« La réponse ne semble pas faire de doute » dit Naz qui est afffirmatif parce qu’il s’appuie sur des décrets de la Commission d’interprétation du code) ; ensuite parce que la situation dans laquelle nous nous trouvons engendre objectivement, pour les fiancés, les graves dommages et inconvénients indiqués par le Droit.
En définitive, la possibilité de se marier sans prêtre ayant juridiction est si certainement et nettement prévue par le Droit, que ceux qui nient la validité des mariages devant les prêtres de la Tradition, ne le peuvent faire qu’à une seule condition : nier aussi l’ampleur de la crise dans l’Eglise. Ou bien l’on ne voit pas dans toute son ampleur cette crise tragique, profonde et durable, et l’on est touché par le doute. Ou bien l’on perçoit la situation telle qu’elle est, et nul argument ne peut empêcher la conclusion qui s’impose, claire et indubitable : tant que la crise durera, les mariages célébrés devant des prêtres de la Tradition seront pleinement valides et licites.
N. B. Sur ce sujet, on pourra lire Les Mariages dans la Tradition sont-ils valides, Grégoire Celier, éditions Clovis.
Extrait du Fideliter n° 203 de septembre-octobre 2011
- Le canon 1108 § 1 du code de 1983 dit la même chose, en étendant au diacre les pouvoirs du prêtre.[↩]
- La disposition du canon 1094 date du concile de Trente. Adrien Cance, rappelant que les ministres du sacrement de mariage sont les époux eux-mêmes, explique en effet : « De droit naturel, le mariage est pour tous un contrat, et pour les chrétiens un contrat sacrement ; il consiste essentiellement dans l’échange du mutuel consentement que se donnent en vue de la vie conjugale deux personnes d’ailleurs « habiles » : il existe donc dès que l’homme et la femme ont exprimé et réciproquement accepté leur consentement, même d’une manière clandestine, c’est-à-dire sans la présence d’aucun témoin. Cependant la société religieuse et la société civile sont intéressées à ce que la preuve du mariage puisse être faite et peuvent défendre les mariages clandestins. L’Eglise les avait prohibés avant le Concile de Trente, mais sans les déclarer invalides. [Mais] dans le célèbre décret Tametsi (session XIV, ch. 1), il fut décidé que les mariages devraient, à peine de nullité, être célébrés devant le curé ou un prêtre délégué par le curé ou l’Ordinaire et devant deux ou trois témoins. [Enfin, pour accélérer l’application du concile de Trente], la Congrégation du Concile publia, le 2 août 1907, le décret Ne temere (…) : désormais, quel que soit le domicile ou le quasi-domicile des contractants, le mariage est invalide s’il n’est pas fait devant le curé ou l’Ordinaire du territoire ou devant un prêtre par eux délégué… » (Commentaire du code de droit canonique, Lecoffre, Paris, 1930, § 320) Le prêtre n’est de toute façon jamais ministre du sacrement de mariage. Il est témoin officiellement délégué par l’Église.[↩]
- Le canon 1116 du code de 1983 ne dit pas autre chose. Sur toute cette matière, il n’y a aucune réelle différence entre les dispositions de l’ancien et du nouveau code.[↩]
- « En dehors du péril de mort, pour qu’un mariage ne soit pas invalide pour cause de clandestinité il faut : a) le manque de témoin qualifié compétent, b) la prévision d’une absence d’un mois, c) que l’impossibilité soit personnelle et d) autant que possible, s’assurer la présence d’un prêtre non compétent. « a) L’absence du témoin qualifié. (…) Le témoin qualifié ne peut haberi [se rendre au mariage] lorsqu’il est impossible de l’appeler, de le mander par d’autres que les parties, ou si, convoqué pour assister au mariage, il n’est radicalement pas capable de venir à temps. Il ne peut adiri [être accessible] lorsque ceux qui doivent contracter ne sont pas à même de se rendre devant lui pour échanger leur consentement. « L’absence « haberi vel adiri nequeat » est absolue ou relative. Elle est absolue si le temps matériel fait défaut pour que les parties et le témoin qualifié se réunissent ou si les moyens ordinaires tels qu’une lettre ne permettent pas de parer à la situation. (…). L’absence est relative si, pour y obvier, le témoin qualifié ou les contractants doivent subir un grave dommage matériel ou moral. Les dépenses à engager, la fatigue ou les dangers du chemin, la bonne renommée du pénitent, etc., doivent ici être pris en considération. « En toutes ces hypothèses l’impossibilité personnelle suffit : il n’est nullement exigé qu’elle soit également commune. « b) La prévision d’une absence d’un mois. Prudemment on doit prévoir que l’absence du curé, de l’Ordinaire ou de leur délégué durera un mois continu et moralement complet. (…) « Le défaut de témoin qualifié pour assister au mariage se produit surtout en pays de missions, à cause du manque de prêtre. Cependant en temps de guerre ou de persécution, lorsque l’exercice du culte religieux est interdit ou en période d’épidémie, cette situation pourrait également se rencontrer ailleurs, car en ces circonstances il est parfois moralement, sinon physiquement, impossible de trouver un prêtre compétent sans attendre un mois. « Ce passage de l’absence physique à l’absence morale est-il légitime ? La réponse ne semble pas faire de doute. Il est vrai que la commission pontificale d’interprétation du Code a décrété le 10 mars 1928 (Acta Apostolicae Sedis, t. xx, p. 120) qu’il fallait entendre le canon 1098 comme se référant exclusivement à l’absence physique du curé ou de l’Ordinaire du lieu, mais le 25 juillet 1931, la même commission donnait une interprétation en sens opposé en répondant affirmativement à la question suivante : An ad physicam parochi et ordinarii absentiam de qua in interpretatione d. 10 mart. 1928 ad canonem 1098 referendus sit etiam casus quo parochus vel ordinarius licet materialiter praesens in loco, ob grave tamen incommodum, celebrationi matrimonii assistere nequeat requirens et excipiens contrahentium consensum ? [Le décret du 10 mars 1928, interprétant le canon 1098, et faisant référence à une absence physique du curé et de l’Ordinaire, doit-on assimiler à cette absence physique également le cas où le curé ou bien l’Ordinaire, bien que matériellement présents dans le lieu, ne peuvent cependant pas, en raison d’un grave inconvénient, assister à la célébration du mariage pour y demander et y recevoir le consentement des parties contractantes ?] (Commission pontificale, 25 juillet 1931, dans AAS, t. xxiii, p. 288). « On peut donc considérer que le curé ou l’Ordinaire compétents sont moralement absents, bien qu’ils soient matériellement présents, lorsque par suite d’un grave inconvénient ils ne peuvent demander et recevoir le consentement matrimonial des contractants (voir J.-A. Couly, « A propos des mariages clandestins », dans Revue catholique des institutions et du droit, juillet-août 1934, p. 340–354). « c) L’impossibilité doit être personnelle. C’est-à- dire résulter du défaut de prêtre, d’une maladie contagieuse, d’un état de persécution, etc. Remarquons-le avec soin dans le cas exceptionnel qui nous occupe, pour éviter que le mariage ne soit clandestin, il faut que l’impossibilité d’avoir ou de trouver un prêtre compétent soit réellement personnelle. L’impossibilité commune ou locale n’est pas requise : celle-ci d’ailleurs ne suffirait pas pour que le mariage puisse être célébré sans le témoin qualifié si elle n’était pas également personnelle et particulière. Quand toutes ces conditions sont réalisées, le mariage contracté sans le témoin qualifié est donc valide. « d) La présence d’un prêtre non compétent. La présence de ce prêtre est obligatoire lorsqu’elle est possible et qu’il n’existe aucune juste cause pour s’en dispenser, mais elle n’est requise que pour la licéité et non pour la validité du mariage. » (article « Clandestiné », Letouzey, 1935, tome iii, colonnes 813–816). « b. Ne sont pas tenus d’observer le can. 1099 : « ?) Ceux qui sont en péril de mort, ou qui sont dans l’impossibilité de s’assurer la présence du curé, de l’Ordinaire, de leur délégué ou même d’un simple prêtre, peuvent délaisser les formes ordinaires du can. 1094 et se marier selon les formes extraordinaires du can. 1098 : ils contractent validement mariage en présence de deux témoins, si l’absence du curé doit durer un mois (voir supra, ni, 812). « Plusieurs décisions du S.-Siège donnent les précisions suivantes : le can. 1098 ne doit pas s’entendre seulement de l’impossibilité physique pour le curé, l’Ordinaire ou leur délégué d’être présents. Leur absence peut résulter aussi du grave inconvénient qui s’oppose à leur participation au mariage (Comm. d’interprét. du Code, 25 juill. 1931 ; AAS, xxv, 388). (…) « Enfin la Commiss. d’interprét. du Code, le 3 mai 1945, a déclaré que l’obstacle prohibitif peut être pris en considération aussi bien quand il concerne les époux ou l’un d’entre eux, que quand il concerne le curé, l’Ordinaire ou leur délégué (AAS, xxxv ir, 149).» (article « Mariage », Letouzey, 1935, tome vi, colonne 772).[↩]
- La doctrine traditionnelle dit que le mariage a pour fin principale la procréation puis l’éducation des enfants ; le code de 1983 affirme au contraire que la fin principale est le bien des conjoints (c. 1055). L’auteur de ces lignes a vu un jour deux jeunes gens lui demander de commencer une préparation au mariage en parallèle avec une préparation que leur donnait déjà, depuis quelque temps, un prêtre de la communauté Saint-Jean : ces fiancés avaient décelé le personnalisme de sa préparation au mariage et le lui avaient reproché.[↩]
- La régulation naturelle est bonne si elle est pratiquée dans les conditions définies par Pie XII ; aujourd’hui on réduit à presque rien ces conditions, pour le motif, certes réel mais insuffisant, que la chasteté est rendue plus difficile dans le monde moderne.[↩]
- J’ai connu une femme d’origine polonaise qui souhaitait se marier dans la loi de Dieu et qui, dans le diocèse de Paris, s’est tournée successivement vers deux ou trois prêtres de paroisse qui lui ont conseillé ou imposé le mariage à l’essai.[↩]
- Qui n’a pas rencontré des divorcés remariés recevant une sorte de bénédiction nuptiale, ou bien l’absolution sans quitter leur état, ou encore la communion sacramentelle ?[↩]
- Non de droit, mais de fait. Les exceptions existent peut-être et gagneraient à être rendues publiques.[↩]
- On peut considérer que, pour des fidèles qui savent la crise extraordinaire que vit l’Église aujourd’hui, et qui peut-être fréquentent habituellement les chapelles desservies par la Fraternité Saint-Pie X, il y a un grave inconvénient à se marier devant un prêtre qui célèbre la messe de Saint-Pie V mais qui jette un injuste et calmonieux discrédit sur Mgr Lefebvre, sur son action pour la vérité et le salut des âmes, et sur la société religieuse qu’il a fondée.[↩]