Vers une fin de vie « à la française » ? 3/​3

Crédit : Pascal Deloche / Godong

Réflexions com­plé­men­taires sur le pro­jet de loi sur la fin de vie.

Les conséquences sur les soins palliatifs

il ne fait pas de doute que la pra­tique de l’“aide à mou­rir” frei­ne­ra le déve­lop­pe­ment des soins pal­lia­tifs dont elle amè­ne­ra à contes­ter l’opportunité. Ainsi, dans son avis 121 de 2013, le comi­té natio­nal d’éthique aver­tis­sait que « toute évo­lu­tion vers une auto­ri­sa­tion de l’aide active à mou­rir pour­rait être vécue par des per­sonnes vul­né­rables comme un risque de ne plus être accom­pa­gnées et trai­tées par la méde­cine si elles mani­fes­taient le désir de pour­suivre leur vie jusqu’à la fin ». Bien plus les clas­se­ments inter­na­tio­naux de la Belgique et du Canada (deux pays ayant légi­fé­ré sur l’aide à mou­rir) montrent le recul pro­gres­sif de l’investissement de la prise en charge de la fin de vie et donc des soins pal­lia­tifs dans ces pays. Pourtant l’accès à ces soins est déter­mi­nant. Les gériatres spé­cia­listes du sou­la­ge­ment de la dou­leur témoignent que beau­coup de per­sonnes ayant fait une demande d’euthanasie se rétractent une fois qu’elles sont prises en charge et sou­la­gées de leurs souf­frances. La SFAP (voir ci-​dessous) com­mente : « Supprimer les malades pour sup­pri­mer le pro­blème à moindre coût, voi­là ce que pro­pose cette annonce. »

Le travail contesté de la Convention citoyenne

Pour garan­tir la légi­ti­mi­té du pro­ces­sus de consul­ta­tion et leur neu­tra­li­té, les membres choi­sis devaient être pro­fanes par rap­port au thème étu­dié par la conven­tion [1]. Ont donc été volon­tai­re­ment choi­sies des per­sonnes n’ayant aucune exper­tise sur le sujet à débattre ! Elles n’en seront que plus faci­le­ment influen­çables pour leur faire dire ce que l’on veut entendre. La mani­pu­la­tion a été dénon­cée par Patrick Hetzel, dépu­té du Bas-​Rhin et vice-​président du groupe « Les répu­bli­cains » à l’Assemblée natio­nale. Dans une tri­bune sur Figarovox[2], il écrit que « le cor­tège de leurs mani­pu­la­tions [les membres de la conven­tion] est long : opa­ci­té sur les cri­tères de choix des ora­teurs, exclu­sion d’ouvrages hos­tiles à la légis­la­tion de l’euthanasie dans la biblio­gra­phie à dis­po­si­tion des conven­tion­nels, inter­ven­tions de pro­mo­teurs des sys­tèmes belge et suisse dès le début de la pro­cé­dure, absence de débat contra­dic­toire avec les pro­mo­teurs de légis­la­tions étran­gères de léga­li­sa­tion de l’euthanasie : Belgique, Québec, Suisse), emploi sys­té­ma­tique du terme “d’aide active à mou­rir” au cours des débats, dis­cus­sion limi­tée à une 1h15 sur 27 jours de phase déli­bé­ra­tive entre tenants et adver­saires de l’euthanasie, mise à l’écart de phi­lo­sophes et éthi­ciens réser­vés sur la légis­la­tion de l’euthanasie, limi­ta­tion de la voix des méde­cins à une seule mati­née, refus d’organiser des visites d’unités de soins pal­lia­tifs sur le terrain. »

Des membres de la conven­tion ont sai­si le pré­sident du CESE (le conseil éco­no­mique et social choi­si pour orga­ni­ser la conven­tion) pour dénon­cer « une for­mu­la­tion fer­mée des ques­tions, un temps impar­ti très court pour répondre aux ques­tions (quinze secondes à la hui­tième ses­sion !), dys­fonc­tion­ne­ment des votes sur des ques­tions essen­tielles, orga­ni­sa­tion de vote de ten­dances en pré­sence de la presse sans quo­rum, avant même que les par­ti­ci­pants ne se soient pro­non­cés sur l’encadrement de l’euthanasie et du sui­cide assisté. »

Dans une autre tri­bune publiée elle aus­si sur Figarovox [3], Damien le Guay dénonce la manière contes­table avec laquelle fut orga­ni­sé le vote du dimanche 19 février. « Les condi­tions du vote étaient étranges, pour ne pas dire orien­tées, avec des ques­tions bizar­re­ment posées et des alter­na­tives entre deux réponses qui n’en étaient pas, ce qui a sus­ci­té la per­plexi­té de nom­breux votants. Quand au sui­cide assis­té la ques­tion posée lais­sait le choix entre deux réponses : devait-​il être auto­ri­sé seule­ment pour les majeurs (choix 1) ou pour les majeurs et les mineurs (choix 2). La seule autre alter­na­tive était l’abstention, sans pos­si­bi­li­té de mani­fes­ter son oppo­si­tion au sui­cide assis­té par une réponse négative. »

Autre exemple, il a été deman­dé à la conven­tion s’il fal­lait impo­ser des condi­tions à l’euthanasie ou au sui­cide assis­té, mais l’élaboration de ces “condi­tions”, pour­tant déter­mi­nante, a été repor­tée à plus tard. Les membres de la conven­tion n’ont donc pas pu débattre de ce point crucial.

Une com­pa­rai­son avec le vote du jour pré­cé­dent sur les soins pal­lia­tifs est très ins­truc­tive. D’abord celui-​ci pré­sen­tait 41 ques­tions contre 5 pour le sui­cide assis­té et 4 pour l’euthanasie. C’est pour­tant bien ces deux sujets qui étaient les plus contro­ver­sés. Une majo­ri­té des deux tiers était exi­gée, si bien que si l’on avait res­pec­té ce même taux pour l’euthanasie, il aurait fal­lut conclure à l’opposition des votants car ceux-​ci ne se sont pro­non­cés qu’à 65% en faveur de l’euthanasie.

Dans ces condi­tions, le fait que 35% se soient pro­non­cés contre l’euthanasie et 28% contre le sui­cide assis­té mani­feste une forte oppo­si­tion à ces pra­tiques au sein de la conven­tion citoyenne.

De fait, deux asso­cia­tions diver­gentes ont vu le jour après la sépa­ra­tion de la com­mis­sion. La pre­mière s’appelle “les 184”. Elle regroupe 70 membres sur les 184 ayant par­ti­ci­pé aux débats et s’est don­né pour but de faire connaître leur tra­vail. Constatant que « ce sont les citoyens avec l’opinion la plus extrême sur la fin de vie qui prennent le pou­voir dans cette pre­mière asso­cia­tion », 23 conven­tion­nels oppo­sés à l’euthanasie ont créé en juillet une seconde asso­cia­tion : “184 conven­tion­nels pour une faim de vie”. Volcy G., l’un des fon­da­teurs de cette asso­cia­tion, déclare : « L’idée que la conven­tion citoyenne s’est ras­sem­blée sur l’aide active à mou­rir est un faux-​semblant. Ce n’est qu’une par­tie de notre rap­port. La vraie una­ni­mi­té était sur le néces­saire déve­lop­pe­ment des soins pal­lia­tifs et la meilleure connais­sance de la loi actuelle sur la fin de vie. »

La mise à l’écart des soignants

Les soi­gnants sont gran­de­ment mis à contri­bu­tion dans la réa­li­sa­tion pra­tique de l’“aide à mou­rir”. Ils pour­ront être ame­nés, dans cer­tains cas, à admi­nis­trer la sub­stance létale. A tout le moins, il leur revien­dra de pré­pa­rer en amont l’“aide à mourir”.

Ils sont pour­tant très mécon­tents et se plaignent de ne pas être écou­tés. Dans un com­mu­ni­qué du 11 mars 2024 signé par un grand nombre d’associations repré­sen­tant 800 000 soi­gnants (sur 1 360 000, soit plus d’un sur deux) la SFAP (Société fran­çaise d’accompagnements et de soins pal­lia­tifs) écrit : « c’est avec conster­na­tion, colère et tris­tesse que les soi­gnants réunis au sein du col­lec­tif sur la fin de vie ont pris connais­sance de l’interview du pré­sident de la République publiée par Libération et La Croix. » et reproche à celui-​ci d’“agir avec grande vio­lence”. Il dénonce « un aveu­gle­ment sur les condi­tions de l’élaboration du texte » : « Le pré­sident fait l’éloge d’un che­min démo­cra­tique et d’une réflexion trans­par­ti­sane alors même que le gou­ver­ne­ment a fait le choix de la bru­ta­li­té en igno­rant la parole des soi­gnants, qui n’ont pas été consul­tés depuis sep­tembre der­nier. » « Ceux qui devront appli­quer cette loi n’ont jamais été asso­ciés à sa rédac­tion et n’ont pas été consul­tés sur un texte à l’évidence déjà rédigé. »

Ils ont pour­tant bien des choses à objec­ter, eux qui seront en pre­mière ligne pour appli­quer la loi. Dans un avis éthique publié le 16 février 2023, la SFAP affirme que « le cor­pus déon­to­lo­gique et légis­la­tif défi­nis­sant et enca­drant la pra­tique soi­gnante est incom­pa­tible avec la mise en œuvre de l’euthanasie et du sui­cide médi­ca­le­ment assis­té. En consé­quence, ces actes ne peuvent être en aucune manière consi­dé­rés comme des soins, sauf à en sub­ver­tir fon­da­men­ta­le­ment la défi­ni­tion. » En effet, le ser­ment d’Hypocrate, prê­té par tous les soi­gnants, déclare : « Je ferai tout pour sou­la­ger les souf­frances. Je ne pro­lon­ge­rai pas abu­si­ve­ment les ago­nies. Je ne pro­vo­que­rai jamais la mort déli­bé­ré­ment. »[4]

Ces soi­gnants refusent donc d’être ceux qui met­tront à mort le requé­rant de l’« aide à mou­rir » ; et ils refusent aus­si d’examiner et de vali­der les dos­siers en amont. « Nous, soi­gnants, nous ne vou­lons pas avoir à déci­der qui doit vivre et qui peut mou­rir. » conclut Claire Fourcade, pré­si­dente de la SFAP.

La place de la famille du malade

La loi envi­sage de faire admi­nis­trer la potion létale par un proche du malade, ce qu’aucun autre pays n’a fait, pré­cise le com­mu­ni­qué de la SFAP. A‑t-​on bien pris la mesure de la charge émo­tion­nelle et des séquelles psy­cho­lo­giques pou­vant résul­ter d’un tel geste ? Tuer quelqu’un, qui plus est un proche, n’est pas un acte natu­rel et anodin.

Anecdote qui pour­rait faire sou­rire si elle n’é­tait pas tra­gique (de fait, elle a fait scan­dale) : au Canada, un salon funé­raire pro­po­sait un for­fait “clés en main” pour la fin de vie. Pour 700$, vous pou­vez louer un salon qui sera amé­na­gé selon vos dési­rs : des divans ou des plantes peuvent être mis autour du fau­teuil réser­vé au “patient”. Café, vien­noi­se­ries, piz­za, film, musique peuvent être pré­vus (Sic !). Le salon, est-​il pré­ci­sé, dis­pose de toutes les ins­tal­la­tions néces­saires pour assu­rer la suite du “par­cours ». Il serait dom­mage de ne pas exploi­ter une telle source de reve­nu. Comme quoi, on a bien rai­son de dire que la réa­li­té dépasse la fiction.

Un processus menant à la fin de vie très rapide

On ne peut qu’être inter­pel­lé par la rapi­di­té du pro­ces­sus de déci­sion menant à la fin de vie. En effet, si un délai est pré­vu pour tes­ter la soli­di­té de la déter­mi­na­tion, celui-​ci n’est que de deux jours ! Autant dire que rien d’autre n’ait pré­vu pour répondre à la détresse du patient qui accom­pagne sou­vent cette demande. Deux jours : c’est à peine le temps d’en dis­cu­ter avec ses proches ; c’est insuf­fi­sant pour pro­po­ser un pro­to­cole de soins pal­lia­tifs, encore moins le mettre en place et le tes­ter, etc… Mais non, tout ce qui est garan­ti au “patient”, c’est une prompte réponse ; dans un délai de quinze jours.

Conclusion

Cette loi sur la fin de vie est une de ces lois qui façonnent et défi­nissent les socié­tés car elles mettent en appli­ca­tion les prin­cipes sur les­quels celles-​ci reposent. Dans ce que l’on pré­tend être une démo­cra­tie, cette loi devrait être au centre des dis­cus­sions des poli­tiques et des citoyens en lieu et place des ques­tions éco­no­miques qui, nous dit-​on, sont la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion des fran­çais. Et pour­tant, tout est fait pour évi­ter un vrai débat. On influence l’opinion publique par les médias et une conven­tion citoyenne hon­teu­se­ment mani­pu­lée ; on enlève la parole aux soi­gnants qui sont pour­tant les mieux à même de dis­cer­ner les tenants et les abou­tis­sants de cette loi ; on refuse de s’inspirer des expé­riences d’autres pays ayant déjà légi­fé­ré. C’est que cette loi a tout d’une déci­sion idéo­lo­gique à impo­ser à tout prix. Elle sym­bo­lise le rejet ultime de Dieu par la néga­tion de son sou­ve­rain domaine sur sa créa­tion. Quelle iro­nie ! L’homme se sert de l’élan même que Dieu lui donne pour le reje­ter. Ne nous y trom­pons pas ! Une socié­té qui pro­meut la « culture de mort » ne peut ni pros­pé­rer, ni durer.

Notes de bas de page
  1. site inter­net consult​vox​.co[]
  2. lefi​ga​ro​.fr[]
  3. le 21/​02/​2023[]
  4. Sell​-natio​nal​.mede​cin​.fr[]