Allons au fond du débat car en fait, il agit ici de la prétention de l’homme moderne à une nouvelle liberté : celle de disposer de sa vie comme il l’entend.
Peut-il exister un droit au suicide ?
Il n’existe pas de liberté entière sans réelle autonomie. Il est, en effet, impossible de dépendre d’autrui tout en prétendant à l’indépendance totale vis-à-vis de lui. Il est, en particulier, déraisonnable pour l’homme de vouloir s’affranchir du respect de la loi divine alors qu’il dépend de Dieu, son créateur, pour tout jusqu’à sa propre existence. Celui-ci a inscrit dans le monde une loi naturelle que l’homme se doit de respecter. Celle-ci nous enseigne que nous ne sommes pas maître de notre propre vie au point de pouvoir volontairement y mettre fin. Reprenant Aristote, Saint Thomas d’Aquin condamne le suicide pour trois raisons. D’abord, il est contraire à l’inclination naturelle de l’homme et « contre la charité dont chacun doit s’aimer soi-même » [1]. Ensuite, « chaque homme est dans la société comme une partie dans un tout ; ce qu’il est appartient donc à la société. Par le suicide, l’homme se rend donc coupable d’injustice envers la société à laquelle il appartient » [2]. Enfin, « la vie est un don de Dieu accordé à l’homme et qui demeure toujours soumis au pouvoir de celui qui « fait mourir et qui fait vivre ». Aussi quiconque se prive soi-même de la vie pèche contre Dieu, (…) comme pèche encore celui qui s’arroge le droit de juger une cause qui ne lui est pas confiée. Décider de la mort ou de la vie n’appartient qu’à Dieu seul, selon le Deutéronome (32, 30) : « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » ». Il est à noter que, malgré cette référence à la Bible, parole de Dieu ; ces différents arguments relèvent de la raison humaine et non de la foi. Ils s’adressent donc à tout homme, croyant ou non. Ils seront, cependant, plus faciles à admettre au chrétien qui est habitué à méditer sur sa dépendance à Dieu en toute chose. De plus, Saint Augustin rattache la prohibition du suicide au cinquième commandement : « C’est de l’homme que doit s’entendre le précepte : « Tu ne tueras point. » Ni ton prochain par conséquent, ni toi-même ; car c’est tuer un homme que se tuer soi-même. »
Les faits eux-mêmes témoignent de cette limite à la liberté de l’homme. Peut-il prétendre être libre face à la mort, alors qu’il lui est impossible de la conjurer ? Tout au plus peut-il la devancer, mais jamais y échapper quoiqu’en disent certains transhumanistes utopiques qui nous font miroiter une conquête prochaine de l’immortalité. En se suicidant, l’homme agit à l’instar d’un petit enfant qui entend affirmer sa puissance en détruisant ce sur quoi il n’a pas de prise. Frustré de ne pouvoir mener sa vie comme il l’entend, il préfère la détruire plutôt que d’en accepter les aléas.
Le piège des restrictions
Mais une contradiction interroge : Si l’on affirme la liberté de l’homme à disposer de sa vie, pourquoi limiter l’“aide à mourir” à certains cas bien précis ? Les requérants, nous dit M. Macron dans son interview à La Croix et Libération, devront être « majeurs », « capables d’un discernement plein et entier », ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer. Ensuite, il faut une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Enfin, le quatrième critère est celui de la souffrance – physique ou psychologique, les deux vont souvent ensemble – réfractaire, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande. » Voilà qui a de quoi rassurer ! Avec toutes ces restrictions, cette “aide à mourir” ne devrait pas concerner beaucoup de malades. Parler d’elle comme d’une liberté – celle de disposer de sa vie – paraît même incongru ?
Ne nous laissons pas tromper ! Ne vous fatiguez pas à retenir toutes ces restrictions ; elles auront bientôt disparu pour faire place à une pratique toujours plus étendue. On argue des limites de la loi actuelle pour justifier une exception au code civil destinée à « traiter des situations humainement très difficiles » (ibid.). Mais promis, juré, cela n’ira pas plus loin. Il y a là une ligne rouge qui ne sera pas franchie ! Hélas, cette promesse n’engage que ceux qui y croient, par excès de naïveté ajouterais-je. Une fois inscrite la loi dans le code civil même avec de nombreuses restrictions ; on aura beau jeu d’élargir petit à petit son champ d’application. Cela ne sera pas bien difficile car le principe général derrière la loi est désormais acquis. Les restrictions n’étaient là que pour calmer les inquiétudes des récalcitrants, sans vocation à la permanence.
Cette stratégie a déjà fait ses preuves avec l’avortement. Il s’agissait d’offrir une solution compatissante aux femmes enceintes à la suite d’un viol ou dont la vie était menacée par leur grossesse, etc. Une fois admis le principe que l’on peut attenter à la vie du fœtus lors de la grossesse de sa mère pour le bien de celle-ci, il n’y avait plus qu’à passer des raisons objectives invoquées à une appréciation subjective par la femme du bien recherchée par l’IVG, un terme suffisamment désincarné pour masquer la terrifiante réalité. Citons juste un cas, certes extrême, qui a vu une femme avorter d’un enfant longtemps désiré car il serait né pendant les grandes vacances ! L’esprit de la loi est détourné, dira-t-on ; il n’en reste pas moins qu’en l’état actuel, elle s’avère incapable d’empêcher une telle monstruosité.
Pour l’euthanasie ou le suicide assisté – les deux termes sont quasiment identiques – on procède de la même manière. L’expérience, nous dit M. Macron, toujours dans la même interview, nous a permis de « constater que la loi Claeys-Leonetti, qui fixe le cadre légal actuel, avait conduit à beaucoup d’avancées (Positives ? demandons donc à la famille Lambert qui n’a pu protéger Vincent de ses bourreaux qui ont fini par le mettre à mort en lui refusant des soins élémentaires) mais ne permettait pas de traiter des situations humainement très difficile. On peut penser aux cas de patients atteints d’un cancer au stade terminal qui, pour certains, sont obligés d’aller à l’étranger pour être accompagnés. Il fallait donc aller plus loin. » Ce qui est visé ici est l’acceptation par le peuple et surtout les députés du principe de libre disposition de sa propre vie. Comme il s’agit tout de même d’une importante avancée éthique qui pourrait susciter l’opposition de conservateurs immobilistes, on cherche à les rassurer en insinuant, – mais rien n’est moins vrai dans l’esprit des promoteurs de la loi – qu’il ne s’agirait que d’inscrire dans le code une exception limitée à très peu de cas extrêmes.
La banalisation de l’euthanasie
L’exemple des pays qui ont déjà légiféré est ici très instructif. Donnons l’exemple de la Hollande, premier pays européen à avoir dépénalisé l’euthanasie et le suicide assisté par une loi du 12 avril de 2001. En 2017, une note rédigée par Alliance Vita [3] constate que le nombre d’euthanasies pratiquées a plus que triplé, en raison d’une interprétation toujours plus large des conditions requises et d’une banalisation de cette pratique. Dans une tribune publié dans Le Monde [4] Theo Boer, ancien contrôleur des cas d’euthanasie met en garde notre pays :
J’ai soutenu, écrit-il, la loi et travaillé, de 2005 à 2014, pour les autorités chargées de contrôler les cas d’euthanasie. J’étais convaincu que les Néerlandais avaient trouvé le bon équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et la garantie des libertés individuelles. Cependant, au fil des années, certaines évolutions m’ont inquiété de plus en plus.
Après une période initiale de stabilisation, nous avons assisté à une augmentation spectaculaire du nombre d’euthanasies qui sont passées de 2000, en 2002, à 7800, en 2021, avec une augmentation continue en 2022. Dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15% des décès résultent d’une mort administrée. Le directeur sortant du Centre d’expertise sur l’euthanasie – qui fournit une aide à mourir à plus de 1000 patients par an – s’attend à ce que le nombre d’euthanasies double, à brève échéance.
Nous avons également assisté à des évolutions dans la manière d’interpréter les critères juridiques. Au cours des premières années de l’euthanasie aux Pays-Bas, celle-là concernait presque exclusivement les adultes mentalement aptes et en phase terminale. Après quelques décennies, la pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants (sic !). Actuellement, nous discutons d’une extension aux personnes âgées sans pathologie. »
Nous voilà prévenus. On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas !
- IIa IIæ, q.64, a.5[↩]
- Ethique à Nicomaque, XI, 3 , 1138a : « Mais est-il possible ou non de commettre l’injustice envers soi-même ? La réponse à cette question résulte clairement de ce que nous avons dit. En effet, parmi les actions justes figurent les actions conformes à quelque vertu, quelle qu’elle soit, qui sont prescrites par la loi : par exemple, la loi ne permet pas expressément le suicide, et ce qu’elle ne permet pas expressément, elle le défend. En outre, quand, contrairement à la loi, un homme cause du tort (autrement qu’à titre de représailles) et cela volontairement, il agit injustement, — et agir volontairement c’est connaître à la fois et la personne qu’on lèse et l’instrument dont on se sert ; or celui qui, dans un accès de colère, se tranche à lui-même la gorge, accomplit cet acte contrairement à la droite règle, et cela la loi ne le permet pas ; aussi commet-il une injustice. Mais contre qui ? N’est-ce pas contre la cité, et non contre lui-même ? Car le rôle passif qu’il joue est volontaire, alors que personne ne subit volontairement une injustice. Telle est aussi la raison pour laquelle la cité inflige une peine ; et une certaine dégradation civique s’attache à celui qui s’est détruit lui-même, comme ayant agi injustement envers la cité. »[↩]
- alliancevita.org[↩]
- 1er décembre 2022 sur lemonde.fr[↩]