« Présent » du mercredi 9 mars 2005
Alain Sanders : Monsieur l’abbé, vous avez encouragé récemment diverses initiatives laïques, en particulier celle du comité contre l’homofolie, et fait publier d’importants dossiers dans la revue Fideliter, spécialement dans les deux derniers numéros, l’un sur le combat pour la vie, l’autre sur l’engagement chrétien en politique. Dans quel esprit ?
Abbé Régis de Cacqueray : Tout d’abord, je voudrais remercier le journal Présent, et tout spécialement son directeur Jean Madiran, d’avoir souligné et commenté cette invitation que j’ai faite aux laïcs de s’engager plus fortement dans le combat politique et social, orientation nouvelle à certains égards, ancienne à d’autres égards
Son fondement premier est tout simplement la vocation même de la Fraternité Saint-Pie X, telle que la Providence nous l’a marquée par l’intermédiaire de notre fondateur, Mgr Marcel Lefebvre.
En effet, nous sommes voués à l’apostolat au cœur du monde, comme l’expriment de façon éclatante nos Constitutions « La Fraternité est essentiellement apostolique, parce que le sacrifice de la messe l’est aussi et parce que ses membres auront généralement à exercer un ministère extérieur. »
D’autres, dans l’Eglise, comme les ordres cloîtrés, réalisent un apostolat magnifique exclusivement orienté vers la prière. La Fraternité Saint-Pie X, elle, n’est pas une société religieuse, même si ses membres doivent s’efforcer de cultiver un esprit religieux. Elle ne l’est pas parce que son apostolat très actif ne permettrait pas à ses membres de satisfaire à toutes les exigences du vœu de pauvreté, ni non plus de pratiquer l’obéissance telle qu’elle est professée dans un monastère.
C’est en raison de cette dimension essentiellement missionnaire de la Fraternité Saint-Pie X que nous encourageons les laïcs à une action politique. En tant que supérieur du District de France, alors que trop souvent les autorités religieuses sont désespérément muettes, j’estime primordial de rappeler aux fidèles leurs devoirs de catholiques et de Français. Dans toute la mesure de leurs moyens, ils doivent s’opposer à l’avalanche des lois antichrétiennes, si déshonorantes pour notre pays, qui ne cessent d’être votées. Je m’insurge contre ceux qui considèrent la partie comme perdue. Bien plus qu’une sottise, le désespoir en politique est un péché. N’oublions pas que, si les vrais catholiques , sont faibles par leur nombre, ils sont puissants, par la grâce de Dieu, par la justesse de leurs convictions et par leur zèle pour le Christ-Roi.
Alain Sanders : Mgr. Lefebvre, qui était un religieux et un missionnaire, se serait-il engagé en politique ?
Abbé Régis de Cacqueray : Le tout est de bien définir ce que nous entendons par cette orientation « politique », par cet « engagement ». Il ne s’agit nullement pour la Fraternité Saint-Pie X de fonder un parti politique, de militer aux élections, etc. Tout cela est parfaite¬ment étranger à notre société sacer¬dotale, et le restera. Une telle orien¬tation politique concerne les laïcs.
Ce dont il s’agit est la prise en compte de la dimension collective, sociale, « politique » de la foi, ce que la doctrine catholique appelle tout simplement le règne du Christ sur les personnes et les sociétés, ce qu’a rappelé le pape Pie XI en particulier par l’encyclique Quas primas et par l’institution de la fête du Christ-Roi.
Et là, nous retrouvons au contraire une préoccupation majeure de Mgr Lefebvre. Celui-ci, dans la ligne même des enseignements pontificaux, qu’il avait étudiés au Séminaire français de Rome sous la direction du Père Le Floch, avait le souci, disons même la hantise, de ne pas laisser « privatiser » la foi catholique, comme le veut la funeste loi de Séparation dont on célèbre actuellement le centenaire, mais de défendre le droit de la foi à s’étendre, à se répandre, à se réaliser jusque dans la sphère publique, sociale, politique.
Beaucoup des discours de Mgr Lefebvre, une majeure partie de son action, ont eu pour objet la dimension publique de la foi, la nécessité pour la société de reconnaître son Créateur et son Rédempteur, le bienfait des institutions chrétiennes pour le salut du plus grand nombre. Son combat contre la fausse liberté religieuse au concile Vatican II, son combat pour la messe traditionnelle après le concile, par exemple, expriment cette dimension « politique » de son action. C’est dans cet esprit que je souhaite inviter les laïcs chrétiens à s’investir davantage en politique.
Puisque nous fêtons cette année le centenaire de la naissance de Mgr Lefebvre, il m’a semblé opportun de mettre en lumière cette dimension de sa personnalité et de sa vie. J’ai cité mon éditorial du dossier consacré à « l’engagement chrétien en politique », une exhortation de Mgr Lefebvre aux laïcs, en 1979, où il leur disait : « Vous devez militer au moment des élections pour avoir des maires catholiques… Vous devriez vous organiser, vous réunir, vous entendre pour arriver à ce que la France redevienne chrétienne, redevienne catholique… C’est faire de la bonne politique, la politique comme l’ont faite les saints… Cette politique, nous en voulons, nous voulons que Notre Seigneur Jésus¬Christ Christ règne. »
Alain Sanders : Votre projet peut donc se résumer en un appel à l’engagement a des laïcs ?
Abbé Régis de Cacqueray : Selon la saine doctrine politique, il n’existe que deux sociétés parfaites, qui englobent les autres : ce sont l’Eglise sur le plan spirituel et surnaturel, la Cité sur le plan temporel et naturel. L’action dans l’Eglise est de la responsabilité première des clercs, en union avec les laïcs ; l’action dans la Cité est de la responsabilité première des laïcs, en union avec les clercs. Ceci appartient à la nature des choses. Mais des circonstances concrètes, pendant , ces dernières années, ont provisoirement modifié en partie la situation.
La terrible crise de l’Eglise que nous traversons a obligé les laïcs fidèles, depuis près d’un demi-siècle, à se préoccuper de chapelles à acheter et à restaurer, de catéchismes à assurer, de cierges et d’hosties à acheter, de prêtres à loger et à nourrir, bien au-delà de ce qui est requis lorsque l’Eglise fonctionne normalement. Comme le temps et la disponibilité ne sont pas indéfiniment extensibles, ces laïcs, pris par ces tâches plutôt ecclésiastiques, dirons¬nous, ont été peu ou prou obligés de mettre de côté les responsabilités qui leur sont plus adéquates par nature, et notamment tout ce qui touche au domaine politique.
Aujourd’hui, la Tradition en France, grâce aux immenses efforts dé déployés par de nombreux prêtres et laïcs méritants, est sortie, au moins en partie, de l’état d’extrême urgence. Il existe un réseau assez serré de prieurés, de chapelles et d’églises qui fonctionne de façon régulière. Un certain nombre de laïcs retrouvent alors peu à peu la disposition d’une partie de leur temps, prennent mieux conscience de la dimension politique du combat à mener et peuvent songer à s’investir dans ce qui leur est plus propre, c’est-à-dire l’action politique et sociale pour le règne du Christ-Roi.
Quand donc j’évoque une dimension plus « politique » de l’action de la Fraternité Saint-Pie X, il ne s’agit pas que notre société sacerdotale se mette à faire de la politique au sens usuel : il s’agit qu’un certain nombre de laïcs catholiques, un peu soulagés des charges de suppléance qu’ils ont dû assumer ces dernières années, puissent reprendre davantage l’initiative sur le terrain politique et social, dans le droit fil de leur vocation.
Alain Sanders : On entend dire, en résumé, qu’après avoir mobilisé les fidèles pour le religieux durant quarante ans, la Fraternité Saint Pie X entend désormais les mobiliser pour la politique ?
Abbé Régis de Cacqueray : Ce résumé n’est pas tout à fait exact.
D’abord, ce n’est pas la Fraternité Saint-Pie X qui a pris l’initiative de mobiliser les fidèles au début de la crise de l’Eglise, puisque cette mobilisation est antérieure à sa fondation en 1970. Des revues (par exemples, Itinéraires, Nouvelles de chrétienté, Courrier de Rome, etc.), des prêtres (abbés de Nantes, Dulac, etc., le P. Calmel…), des laïcs éminents, des groupes de laïcs institutionnels ou spontanés, des personnes individuelles ont oeuvré largement avant la Fraternité Saint-Pie X.
Ensuite, si l’action dans l’Eglise est de la responsabilité première des clercs, cela s’entend dans la situation normale. En cas de crise, chaque baptisé trouve dans sa foi les ressources et les obligations nécessaires pour réaliser son propre salut comme pour se porter au secours des âmes et de l’Eglise, selon ses moyens. Pour reprendre une tarte à la crème conciliaire, mais qui s’applique parfaitement en cas de crise, nous sommes tous « coresponsables », les laïcs ne pouvant se décharger sur les clercs, ni les clercs se décharger sur les laïcs.
Cela ne signifie ni l’anarchie ni la confusion des rôles entre clercs et laïcs. Il est évident que, par nature, dans l’Eglise, il appartient aux clercs de guider les laïcs. C’est donc tout naturellement que Mgr Lefebvre et son œuvre, la Fraternité Saint-Pie X, ont pris une place centrale dans le combat, de la Tradition catholique. Mais tant Mgr Lefebvre en son temps que la Fraternité Saint-Pie X aujourd’hui ont accueilli et encouragé de multiples et excellentes initiatives des laïcs. C’est le cas tout particulièrement lorsque des laïcs, sur le terrain qui leur est propre, entendent reprendre le flambeau en matière politique.
Il est évident qu’il ne peut être question, ni pour la Fraternité Saint-Pie X d’entrer en politique au sens propre, ni aux clercs « d’enrôler » les laïcs dans une action politique. C’est aux laïcs eux-mêmes que reviennent les initiatives politiques, leur forme, leur moment, leur objet, tout ceci dans le respect de la doctrine à laquelle, clercs comme laïcs, nous adhérons. Ce que je fais, ce que fait la Fraternité Saint-Pie X, c’esr de les encourager à reprendre ce rôle, lorsque les circonstances manifestent que cela est possible et nécessaire.
Alain Sanders : Concrètement, comment se réalise ce « tournant politique » ?
Abbé Régis de Cacqueray : Autour du dossier du Fideliter 162 sur le « combat pour la vie », j’ai encouragé les fidèles à s’investir de nouveau sur ce combat essentiel de la lutte contre la culture de mort. Parmi les diverses initiatives (et dont les laïcs restent juges, sur ce terrain qui leur est propre, bien entendu à la lumière de la doctrine politique et sociale de l’Eglise), j’ai indiqué comme me paraissant particulièrement intéressant le combat du docteur Dor. A la suite de quoi, ses effectifs sur le terrain ont doublé, et je m’en félicite.
Au mois de septembre dernier, j’ai encouragé dans toute la mesure de mes moyens l’initiative du Collectif contre l’homofolie, qui se mettait en place pour faire barrage à la promotion aussi insensée que scandaleuse du mariage homosexuel. J’ai tenu à participer moi¬même au congrès de Bruxelles sur l’homofolie, et je regrette d’avoir été le seul supérieur ecclésiastique présent. Ce Collectif a très bien fonctionné, même s’il disposait de peu d’expérience et de peu de moyens, et il a participé à sa modeste place à la mobilisation qui a entraîné la reculade partielle du gouvernement. J’espère que les organisateurs de ce Collectif vont continuer leur combat contre toutes les dérives légales qui accélèrent de façon, chaque jour plus effrayante, la décadence de notre pays.
Pour clarifier encore mon propos, j’ai demandé à Fideliter de publier dans son numéro de janvier dernier un dossier complet sur « l’engagement chrétien en politique », qui poussera chacun, je l’espère, à prendre ses responsabilités.
Alain Sanders : D’autres initiatives en vue ?
Abbé Régis de Cacqueray : Bien sûr ! Nous ne sommes qu’au début d’un nouveau moment de l’histoire de la Tradition catholique en France, et les choses ne vont faire que s’accentuer.
En ce qui concerne la Fraternité Saint-Pie X, la prochaine action est le pèlerinage de Pentecôte, qui revêt cette année une dimension plus spécialement « politique », pour deux raisons. D’abord, à cause de l’offensive du gouvernement contre le lundi de Pentecôte j’invite à ce propos les fidèles à employer tous les moyens à leur disposition pour ne pas travailler ce jour-là et pour venir le sanctifier au pied de Montmartre, afin de manifester que la France veut rester chrétienne. Ensuite, à cause du thème choisi : « Par ce signe, tu vaincras », In hoc signo vinces, la devise donnée par le Ciel à l’empereur Constantin et qui fut le début de la christianisation des institutions et de la société politique. Nous invitons tous les fidèles à venir marcher pour expier les péchés publics de la France et des nations et, en ce trentenaire de la loi Veil, pour expier le massacre des enfants innocents.
En ce qui concerne les actions propres aux laïcs, je ne veux pas faire de cléricalisme : c’est aux laïcs eux-mêmes, initiateurs et organisateurs, qu’il appartiendra de dévoiler, au moment opportun les actions qui leur paraissent nécessaires et possibles.
Pour notre part, nous les y encourageons, certes, mais nous poursuivons surtout notre mission propre d’apostolat, coude à coude avec les congrégations amies, ce qui représente désormais plus de 500 prêtres, religieux et religieuses qui oeuvrent dans un même combat authentiquement catholique.
En particulier, rappelons que la Fraternité Saint-Pie X scolarise 1 700 enfants, et que les écoles des Dominicaines enseignantes comme les écoles amies réunissent un nombre similaire d’élèves : la Tradition en France offre donc une éducation réellement catholique, fondée sur la foi et la vie chrétienne, à environ 3 500 jeunes, qui seront les prêtres, les religieux et les laïcs chrétiens de demain.
Par ailleurs, chaque jour, avec nos prieurés, églises, chapelles, retraites spirituelles, écoles, revues, éditions, maison de vieillards, nous travaillons à la sanctification des dizaines de milliers de fidèles de la Tradition. Avec l’expérience, j’ai appris à y distinguer deux cercles concentriques. Il y a, dans le premier cercle, les fidèles réguliers, qui réalisent leur sanctification exclusivement dans le cadre de nos églises, de nos chapelles et de nos prieurés. Mais, tout autour, il y a ce qu’on peut appeler les « amis », les fidèles plus ou moins irréguliers, qui s’intéressent à ce que nous faisons, qui lisent nos revues, qui achètent les livres que nous éditons, qui participent à des activités exceptionnelles comme nos pèlerinages, qui viennent de temps en temps dans nos chapelles, etc. Même si je souhaiterais, tout simplement pour le bien de leurs âmes, qu’ils s’engagent plus fortement, qu’ils pratiquent plus régulièrement, je suis attentif à l’œuvre de la grâce qui s’accomplit dans les âmes. Après tout, la sanctification est l’œuvre de Dieu, nous n’en sommes que les instruments très imparfaits et, dans tous les cas, personne n’est propriétaire des âmes.
Ma conviction est que l’œuvre de Dieu progresse lorsque, chacun à sa place et selon sa vocation, tous les membres de la « république chrétienne » travaillent à l’extension du règne du Christ dans toutes ses dimensions, y compris la dimension politique et sociale.
Propos recueillis par Alain Sanders
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