Donnée à Rome le 21 juillet 447
Votre lettre fraternelle que m’a remise votre diacre me prouve le zèle digne d’éloges avec lequel vous défendez la vérité de la foi catholique, et la tendre sollicitude avec laquelle vous exercez vos devoirs de pasteur envers le troupeau que Dieu vous a confié. Ainsi le fléau de l’hérésie dévaste encore vos contrées ; la sentine impure du priscillianisme exhale de nouveaux miasmes. Il n’est point, en effet, d’impiété monstrueuse dont ces hérétiques ne se soient fait une règle de foi ; ils ont fouillé dans la boue de toutes les pensées mondaines pour réunir les plus infâmes, et il n’en est pas un seul qu’ils ne se soient approprié. Si l’on jette un regard sur les hérésies qui ont pris naissance avant Priscillien, on n’y trouvera point une seule erreur dont il n’ait fait usage ; et non content de profiter des mensonges de tous ceux qui s’éloignaient de l’évangile de Jésus Christ, en se cachant sous son divin Nom, il s’est lancé dans les ténèbres du paganisme, et s’est adonné à la science mystérieuse de la magie et aux vaines illusions des mathématiciens, au point de placer sous la puissance des démons et l’influence des astres la foi et la raison des événements. Selon ses dogmes impies, la vertu ne recevra point de récompense, ni le vice de châtiment. Il n’existe ni lois humaines, ni lois divines ; car quel jugement serait-il possible de porter sur les bonnes ou les mauvaises actions des hommes, si c’est la fatalité qui dirige leurs actions et les mouvements des astres qui commandent à leur pensée ? C’est cette impiété qui dans son incompréhensible folie a marqué des douze signes du ciel le corps entier de l’homme, de telle sorte qu’ils présidassent à ses diverses parties, et que la créature, que Dieu a faite à son image, fût liée aux astres aussi étroitement que ses membres le sont entre eux. C’est avec raison que nos pères, qui virent naître cette hérésie criminelle, se sont efforcés par tout l’univers de préserver les églises du monde de ses fureurs. Quand les princes de la terre ont frappé du glaive des lois Priscillien et plusieurs de ses disciples, ils avaient bien compris que, si les hommes avaient la permission de vivre selon leurs principes, il n’y avait plus ni honnêteté, ni pudeur, ni fidélité conjugale, ni respect pour les lois divines et humaines. Et cette juste rigueur a été d’un grand secours à la clémence de l’Église. Car, bien qu’elle se contente de la douceur des lois ecclésiastiques et qu’elle ne veuille point de sanglantes exécutions, cependant elle reçoit un grand secours des sévères constitutions des empereurs ; la crainte du supplice contraint les hérétiques à recourir au remède de la pénitence. Mais les priscillianistes ont profité de l’invasion des barbares dans les provinces, qui fit suspendre l’exercice des lois au milieu des désordres de la guerre, et mit obstacle aux synodes des évêques qui commencèrent dès lors à être peu fréquents, pour semer en liberté le poison de leurs doctrines perfides ; et même un grand nombre de ceux qui devaient s’opposer à leur progrès y ont contribué de toutes leurs forces. Et quelle partie du peuple pourrait être exempte de ce fléau, comme vous me le dites, lorsque les cœurs des prêtres eux-mêmes sont en proie à cette maladie mortelle, lorsqu’ils substituent eux-mêmes la doctrine de Priscillien à l’évangile du Christ, qu’ils corrompent le véritable sens des saintes Écritures par de fausses explications, et que, sous les noms des prophètes et des apôtres, ils n’enseignent pas ce que le saint Esprit nous a révélé, mais bien ce que le démon leur inspire ? Comme dans votre pieux zèle, vous m’avez adressé dix-sept chapitres qui contiennent ces erreurs déjà condamnées autrefois, je vais y répondre avec beaucoup de soin, afin de faire ressortir jusqu’à l’évidence l’impiété de tous ces blasphèmes.
Telles sont, comme vous le marquez dans votre premier chapitre, leurs croyances impies sur la divine Trinité : ils affirment que le Père, le Fils et le saint Esprit sont une seule et même personne et que ce Dieu unique est tantôt appelé Père, tantôt Fils, tantôt saint Esprit ; Celui qui créa, Celui qui fut créé et Celui qui procède de l’Un et de l’Autre ne font qu’un ; c’est une unité en trois mots, mais non pas en trois personnes. Ils ont tiré ce blasphème des sabelliens, et ils prétendent ainsi que le Père a souffert la passion. Car, si le Fils est le même que le Père, le Père a été crucifié comme le Fils ; et toutes les souffrances que le Fils a éprouvées sous sa forme d’esclave, en obéissant au Père, le Père Lui-même les a partagées. Cette doctrine est entièrement opposée à la foi catholique qui explique ainsi l’unité de la Trinité : le Père, le Fils et le saint Esprit, unis sans se confondre, sont coéternels et égaux : ce n’est pas une seule et même personne, mais une même nature qui forme l’unité de la Trinité.
Je vois dans le second chapitre qu’ils prétendent que Dieu ne posséda pas certaines vertus de toute éternité. Il paraît qu’ils ont adopté en cela cette erreur d’Arius, qui fait le Père antérieur au Fils, et ne Le regardent comme Père que lorsqu’Il eût créé le Fils. L’Église catholique les maudit, et ceux qui pensent comme eux que Celui qui est de la même essence que Dieu, fut jamais séparé de Lui, comme si Dieu pouvait changer ou augmenter. Dieu ne serait pas immuable s’Il pouvait diminuer ou augmenter.
Le troisième chapitre désigne ces insensés qui avancent que Jésus Christ est appelé Fils unique de Dieu, parce que seul Il est né d’une vierge ; ce qu’ils n’auraient pas osé dire s’ils ne s’étaient inspirés de Paul de Samosate et de Photinus, qui prétendirent que notre Seigneur Jésus Christ n’existait pas avant de naître de la Vierge. Ils donnent encore un autre sens à ces paroles ; ils disent que Dieu n’a pas eu un seul Fils, mais plusieurs autres et que Jésus, qui seul naquit d’une femme, fut appelé unique parce que seul des enfants de Dieu Il naquit de cette manière. De quelque façon qu’ils expliquent leurs paroles, soit qu’ils veuillent que Jésus Christ ait tiré son principe de sa mère, soit qu’ils nient qu’Il est Fils unique de Dieu le Père, ils sont tombés dans l’impiété la plus horrible, puisque Jésus Christ, Dieu et Verbe, est né de la vierge Marie, et que le Verbe seul est né de Dieu le Père.
Dans le quatrième chapitre il est dit qu’ils ne fêtent pas comme nous le jour de la naissance du Christ, jour que l’Église a consacré, parce que Jésus Christ prit à cette époque un corps véritable, parce que, Verbe, Il S’incarna et habita parmi nous. Ils jeûnent ce jour-là, ainsi que le dimanche qui est sanctifié par la résurrection du Christ. S’ils en agissent ainsi, c’est qu’à l’exemple des marcionites, des manichéens, leurs alliés, comme nous nous en sommes assurés nous-mêmes, ils ne croient pas que Jésus Christ soit né sous une véritable forme humaine, mais qu’Il n’en prit que les apparences. Ils passent le dimanche, consacré par la résurrection du Sauveur, dans les austérités du jeûne en l’honneur du Soleil, comme nous l’avons découvert, afin de différer en tout point de nos croyances, et donner aux austérités le jour que nous consacrons à la joie. Que ces ennemis de la Croix de Jésus Christ et de sa Résurrection soient donc jugés selon leurs doctrines.
Le cinquième chapitre se réfère à leurs assertions selon lesquelles l’âme de l’homme est d’essence divine et de même nature que le Créateur. La foi catholique condamne cette impiété tirée de certains philosophes et des manichéens, car elle sait que rien ne peut être fait d’aussi grand et aussi sublime que la nature de Dieu Lui-même. Il n’y a que le Fils et le saint Esprit qui soient de la même nature que Dieu. Excepté cette Trinité, consubstantielle, coéternelle et immuable, toutes les créatures dans le principe ont été tirées du néant. Tout ce qui brille parmi les créatures n’est pas Dieu ; tout ce qui est grand et admirable parmi elles n’est point la Divinité même qui fit toutes ces grandes et admirables choses. Aucun homme n’est la Vérité ni la Sagesse, ni la Justice elle-même ; mais beaucoup participent à la Vérité, à la Sagesse, à la Justice : Dieu seul ne participe à rien ; le Bien n’est pas une de ses Qualités, mais son Essence même. Immuable, Il ne reçoit aucune diminution, aucune augmentation ; Il reste éternellement le même. Immuable, Il crée toutes choses, et rien ne se fait qu’Il n’ait ordonné. Ils sont donc par trop superbes et par trop aveugles ceux qui disent que l’âme de l’homme est d’essence divine ; ils ne comprennent pas qu’ils attaquent l’immutabilité du Créateur, et abaissent sa Divinité à toutes les infirmités de la nature de nos âmes.
La sixième remarque indique qu’ils disent que le démon ne fut jamais bon, que Dieu ne le créa point, mais qu’il sort du chaos et des ténèbres : ainsi personne ne l’a créé ; il est le principe et la substance de tout mal. La foi catholique enseigne que la substance de toutes les créatures fut bonne, et qu’il n’existait dans le principe aucune nature du mal. Dieu, qui a créé toutes choses, n’a rien fait que de bon. Le démon serait donc bon, s’il était resté tel qu’il a été créé. Mais, parce qu’il abusa de l’excellence de sa nature et s’écarta de la vérité, il ne changea point de substance, mais il dégénéra du souverain bien, comme ces hommes qui de la vérité se précipitent dans l’erreur, et sont condamnés pour la perversité de leur propre volonté. Le mal était en eux, mais ne formait pas leur nature ; c’était seulement une condition de leur nature.
En septième lieu, ils condamnent le mariage et ont horreur de la procréation des enfants, imitant en cela, comme en presque toutes choses, l’immoralité des manichéens. Ils réprouvent ainsi l’union conjugale, comme leurs mœurs le prouvent, parce qu’ils ne trouvent pas la liberté du vice, là où la pudeur et l’espoir de la procréation doivent être conservés.
Leur huitième erreur est d’attribuer au démon la création de l’homme et du principe de la reproduction ; aussi ne croient-ils pas à la résurrection de la chair, parce que la nature du corps, selon eux, n’est pas conforme à la dignité de l’âme. Cette erreur est sans doute l’œuvre du démon ; elle tire sa source du poison immonde de la doctrine de Manichée : les catholiques en ont déjà fait justice.
La neuvième remarque manifeste leur assertion selon laquelle les prophètes sont nés, à la vérité, des femmes, mais que le saint Esprit les a conçus, pour qu’on ne croie pas qu’une race, sortie de la semence de la chair, puisse être inspirée par Dieu. La foi catholique enseigne que le Père de toutes choses a créé la substance de l’âme et du corps et qu’Il anime dans le sein de la mère le corps qui reste soumis au péché et à la mort qui nous ont été transmis par nos premiers parents. Le saint Esprit régénéra les prophètes non dans le sein de la mère, mais en vertu du baptême. C’est pourquoi David, qui était un prophète, dit à Dieu : « Tes Mains m’ont fait et façonné ». (Ps 118,73 ; Jb 10,8) C’est pourquoi le Seigneur dit à Jérémie : « Avant que Je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, Je te connaissais » (Jr 1,5).
Dans le dixième chapitre il est dit qu’ils prétendent que les âmes qui sont enfermées dans les corps des humains ont péché dans un corps et dans une demeure célestes, et que c’est en punition de ces fautes qu’elles tombent de cette condition sublime dans une inférieure. Ils ajoutent que dans les astres et dans les airs elles ont été renfermées dans des corps sous des conditions plus ou moins douces, dans un rang plus ou moins élevé, et que l’inégalité des conditions et des destinées des hommes sur cette terre n’est ainsi que la conséquence de causes précédentes. La religion catholique, qui est la vérité, a constamment prêché que les âmes n’existaient pas avant leur introduction dans les corps, et n’étaient incorporées que par l’Œuvre de Dieu, qui est leur Créateur ; et parce que la prévarication du premier homme soumit au péché toute la race humaine, on ne peut être libéré de la condition du vieil homme que par le sacrement du baptême ; et l’Apôtre dit : « Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ » (Ga 3, 27–28). Que signifient donc le cours des astres et les illusions des destins ? Qu’importe l’instabilité des choses humaines et leur diversité ? Dieu par sa Grâce a rendu tous les hommes égaux ; et ils ne peuvent être malheureux ceux qui dans les périls de cette vie resteront fidèles à sa Loi et répéteront dans la tentation ces paroles de l’Apôtre : « Qui nous séparera de l’Amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ? Selon qu’il est écrit : C’est à cause de Toi qu’on nous met à mort tout le jour, qu’on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés ». (Rm 8, 35–37) Aussi l’Église, qui est le Corps de Jésus Christ, ne redoute rien de l’inconstance des événements, car ses richesses ne sont pas de ce monde. Elle ne craint rien des destins contraires, Elle qui grandit par sa patience dans les tribulations.
Leur onzième blasphème est de penser que les corps des hommes sont soumis aux influences des astres ; aussi s’étudient-ils à se les rendre favorables par leurs prières. Ceux qui à l’exemple des païens s’adonnent à de pareilles folies, ne font point partie de l’Église, car ils se sont entièrement séparés du Corps de Jésus Christ.
En douzième lieu, ils divisent les membres des corps en douze parties, ainsi que les qualités de l’âme ; ils placent les premières sous la protection des douze signes du zodiaque, et les secondes en opposition sous celle des noms des patriarches. Aussi, confondus dans ces inextricables erreurs, ils n’entendent plus ces paroles de l’Apôtre : « Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur Christ. Car en Lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité. Vous avez tout pleinement en Lui, qui est le Chef de toute domination et de toute autorité ». (Col 2, 8–10). Ils ne comprennent pas celles-ci : « Qu’aucun homme, sous une apparence d’humilité et par un culte des anges, ne vous ravisse à son gré le prix de la course, tandis qu’il s’abandonne à ses visions et qu’il est enflé d’un vain orgueil par ses pensées charnelles, sans s’attacher au Chef, dont tout le Corps, assisté et solidement assemblé par des jointures et des liens, tire l’accroissement que Dieu donne ». (Col 2, 18–19) Qu’est-il donc besoin d’apprendre ce que la Loi n’a point enseigné, ce que les prophéties n’ont point annoncé, ce qui ne se trouve ni dans les vérités de l’évangile, ni dans la doctrine apostolique ? Certes, ils ignorent aussi le sens de cette autre phrase de l’Apôtre : « Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront pas la saine doctrine ; mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité, et se tourneront vers les fables ». (2 Tm 4, 3–4) Nous ne devons rien avoir de commun avec des gens qui veulent enseigner ou croire de semblables doctrines, et qui s’efforcent par tous les moyens possibles de persuader que la résurrection de la chair est un mensonge, et qui rejettent ainsi les bienfaits du mystère de l’Incarnation du Christ. Car Il n’aurait pas revêtu l’homme tout entier, si l’homme tout entier n’avait dû être sauvé.
Treizièmement, ils disent que chaque livre des saintes Écritures doit être placé sous le nom des patriarches, qui sont douze vertus qui opèrent la réforme de l’homme intérieur, et que, sans la science de ces livres ainsi consacrés, aucune âme ne peut retourner en cette substance dont elle est émanée, c’est-à-dire Dieu Lui-même. Elle méprise cette vanité impie, la sagesse chrétienne qui connaît la Nature inviolable et incorruptible du vrai Dieu, et qui sait que l’âme, soit dans le corps, soit séparé de lui, est soumise à la souffrance ; certes, si elle était de la même nature que le Créateur, elle serait impassible comme Lui. Il n’y a aucune comparaison à établir entre le Créateur et la créature ; le Créateur est immuable et n’éprouve par conséquent jamais aucun changement, mais la créature est muable même quand elle n’éprouve pas de changement. Car, si elle reste ainsi intacte, ce ne peut être que par la Grâce de Dieu, et non par sa propre nature.
Dans le quatorzième chapitre l’on apprend que, comme ils pensent que les actions du corps sont, à cause de la nature terrestre de celui-ci, soumises à l’influence des astres et des signes du zodiaque, ils prétendent avoir trouvé dans les Livres saints des choses qui ont été écrites par l’homme extérieur et terrestre (c’est-à-dire sous l’influence de la chair qui procède du mauvais principe, et sous ce prétexte ils rejettent l’ancien et une partie du nouveau Testament) ; de telle sorte que dans ces mêmes Écritures on remarquait une lutte entre la Divinité et l’humanité, et que le principe de l’âme était en opposition avec le principe du corps. Ces fables découlent de ce qu’ils croient l’âme d’essence divine, et la chair d’une mauvaise nature ; car selon eux, ce n’est pas Dieu qui a créé le monde, les éléments et la chair, c’est l’auteur du mal, c’est le démon. Pour donner quelque apparence de vérité à leurs mensonges sacrilèges, ils ont donné de fausses interprétations aux paroles du saint Évangile.
Le quinzième chapitre dit qu’ils publient de fausses écritures à la place des véritables, dans des livres apocryphes qu’ils font passer pour canoniques ; des personnes dignes de foi nous ont rapporté cette action détestable et digne du démon ; nous avons plusieurs exemples de ces ouvrages. En effet, comment pourraient-ils tromper les simples d’esprit s’ils ne se servaient de ce faux titre, s’ils ne frottaient de miel les bords de la coupe empoisonnée, de peur qu’on ne s’aperçût du venin qui s’y trouve et qui doit donner la mort. Il faut donc que les évêques veillent avec le plus grand soin à ce que personne ne se serve de ces fausses écritures. Il faut que tous ces livres apocryphes, mis sous les noms des apôtres, soient non seulement défendus, mais encore confisqués et livrés aux flammes. Quoiqu’il se trouve dans certains d’entre eux des apparences de piété, ils n’en sont pas moins dangereux ; le charme des fables qui s’y trouvent glisse dans le cœur à son insu le poison mortel de l’erreur. Si donc quelque évêque ne défend pas de conserver ces livres, et permet aux fidèles de lire, comme s’ils étaient canoniques, ces exemplaires que Priscillien a falsifiés, il sera jugé comme hérétique. Celui qui ne s’efforce pas de tirer les autres de leurs erreurs, fait voir qu’il les partage.
Vous me marquez, dans le seizième chapitre, votre juste chagrin de voir que les traits écrits par Dictinius, avant sa conversion, suivant les dogmes de Priscillien, sont lus avec respect par une foule de gens qui croient ainsi honorer sa mémoire, comme s’ils ne devaient pas admirer sa conversion de préférence à louer sa chute. C’est Priscillien qu’ils lisent et non pas Dictinius ; les doctrines qu’il enseigna dans son erreur ne sont pas celles qu’il professa dans son repentir. Mais cette faute ne peut pas rester impunie ; on ne doit pas tenir pour catholiques ceux qui se servent de ces livres qui ont été condamnés non seulement par l’Église, mais encore par l’auteur lui-même. On doit arracher aux méchants leur masque d’hypocrisie et ne point les laisser échapper à la justice des décrets impériaux à l’aide du nom de chrétien. S’ils se réunissent en apparence à l’Église catholique tandis que leurs cœurs en sont si éloignés, c’est pour rendre leurs complices ceux de nos frères qu’ils peuvent corrompre, et pour échapper, en se disant les nôtres, à la sévérité des lois. C’est ce que font les priscillianistes, c’est ce que font les manichéens dont les cœurs sont si étroitement unis, qu’ils ne diffèrent que de nom, et se rendent coupables des mêmes sacrilèges. Les croyances que les priscillianistes feignent de partager, les manichéens les combattent, et cependant la même pensée les conduit au même but ; ceux-ci corrompent les croyances qu’ils ont feint de recevoir, et s’efforcent de les ébranler en les combattant. Dans leurs mystères exécrables qu’ils tiennent d’autant plus secrets qu’ils sont plus immondes, on trouve chez les uns comme chez les autres la même ardeur criminelle, la même obscénité, la même turpitude. Quoique nous rougissions de honte de parler de ces choses, cependant nous avons fait de grands efforts pour découvrir ces hideux mystères, et nous les avons dévoilés au peuple. Les manichéens dont nous nous sommes emparés, nous les ont confessés. Et pour que personne ne puisse douter de notre jugement, auquel ont assisté un grand nombre de prêtres, les premiers dignitaires de Rome, une grande partie du sénat et du peuple, ceux qui avaient commis le crime l’ont déclaré eux-mêmes. La lettre que je vous écrivis alors a dû vous donner connaissance de ces faits. Mais ce crime impur des manichéens, on a découvert depuis longtemps, et beaucoup de gens le savent que c’est l’une des coutumes adultères et incestueuses des priscillianistes. En effet, ces gens qui professent les mêmes doctrines impies pourraient-ils différer par les cérémonies ? Aussi j’ai répondu dans cette instruction à chacune des questions posées dans votre libelle, et j’en ai suivi l’ordre avec exactitude. Comme je le pense, j’ai clairement exposé ma pensée sur les sujets que votre fraternité m’a soumis ; et j’ai montré qu’il ne fallait pas souffrir que les prêtres du Seigneur partageassent des erreurs si profanes ; ou, pour parler avec moins de sévérité, se laissassent entraîner vers elles. Comment osent-ils réclamer le respect dû à leur rang, ceux qui ne veillent pas sur les âmes qui leur sont confiées ? Les bêtes féroces s’élancent vers le bercail, et ils n’en ferment point les portes ; les loups dévorants rôdent autour de la bergerie, et ils ne posent pas de sentinelles pour les éloigner ; les maladies fondent sur le troupeau, et ils ne savent leur opposer aucun remède. Bien plus, ils refusent de s’unir à ceux qui remplissent leurs devoirs avec fidélité. Et ce n’est que par feinte qu’ils anathématisent par de vaines souscriptions des impiétés que tout l’univers a déjà condamnées autrefois ; que veulent-ils qu’on pense d’eux, si ce n’est qu’ils ne sont point du nombre de nos frères, mais qu’ils combattent pour nos ennemis ?
Vous m’avez annoncé à la fin de votre lettre que certains catholiques s’inquiètent de savoir si la Chair de Jésus Christ était restée dans le sépulcre quand Il descendit aux enfers, comme s’il y avait le moindre doute sur cette question. De même qu’elle est morte et qu’elle a été ensevelie réellement, de même elle a été ressuscitée réellement le troisième jour ; Le Seigneur Lui-même l’avait résolu quand Il dit aux Juifs : « Détruisez ce temple et Je le relèverai en trois jours » ; l’évangile ajoute : « Mais Il parlait du temple de son Corps ». (Jn 2,21) Le prophète David nous avait déjà prédit cette vérité ; il a dit, en parlant au Nom du Seigneur : « Aussi, ma Chair elle-même reposera dans l’espérance. Car Tu n’abandonneras pas mon Âme aux enfers, et Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption ». (Ps 15,9) Ces paroles prouvent que la Chair du Seigneur reposa réellement dans le sépulcre et ne put se corrompre, car le prompt retour de l’âme la rendit à la vie. C’est une impiété digne des priscillianistes ou des manichéens, qui feignent d’adorer le Christ, et nient son Incarnation, sa Mort et sa Résurrection, que de ne pas croire à cette vérité. Il faudra donc convoquer dans le lieu le plus convenable un concile général auquel assisteront les évêques des provinces voisines, afin d’examiner avec la plus sérieuse attention si quelques évêques ne se trouvent point souillés de quelques-unes des hérésies sur lesquelles je viens de vous faire savoir notre opinion. Si l’un d’entre eux en est infecté, il faudra le séparer de notre communion, à moins qu’il ne condamne positivement toutes les impiétés de cette secte criminelle. Sous aucun prétexte on ne doit point souffrir que celui qui a reçu la mission de prêcher les vérités de la foi ose se permettre de disputer contre l’évangile du Christ, la doctrine des apôtres et le Symbole de l’Église universelle. Quels seraient les disciples de pareils maîtres ? Quelle serait donc la religion du peuple ? Comment obtiendrait-il son salut s’il suivait les lois de ces impies qui, pour la ruine de la société, s’affranchissent des lois de la pudeur qu’ils méprisent ; brisent les liens sacrés du mariage ; défendent la propagation de l’espèce ; condamnent la nature de la chair, et qui, insultant Dieu Lui-même, rejettent la Trinité comme un mensonge ; confondent la propriété des Personnes qui la composent ; enseignent que l’âme de l’homme est d’essence divine, eux qui ont dit que sa chair était soumise au démon ; nomment Jésus Christ Fils unique, parce qu’Il est né d’une vierge, et non parce qu’Il est le Fils du Père éternel ; et qui, dans leur contradiction, vont jusqu’à dire que le Christ n’est point réellement de la race de Dieu ni de celle d’une vierge ; car ils affirment que sa Passion et sa Mort n’ont été que de trompeuses apparences, et que la résurrection de la Chair, s’élançant triomphante du sépulcre, n’est qu’un vain mensonge ? C’est en vain qu’ils portent le nom de chrétien ceux qui ne s’opposent point à ces impiétés. Il faut y croire pour ne point se sentir embrasé d’un saint zèle au récit de ces infamies. En conséquence, j’ai écrit aux frères et co-évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Lusitanie et de Galice pour les inviter à se réunir en concile général. Je laisse au zèle de votre charité le soin de communiquer ma décision aux évêques de ces provinces. Si toutefois quelque obstacle s’opposait à cette réunion générale, il faudrait du moins vous rassembler avec les évêques de la Galice et nos frères Idacius et Céponius. Vous aviseriez ensemble aux moyens les plus prompts à employer pour cicatriser les blessures de cette malheureuse province.
Léon Ier, Pape.