Eutychès, prêtre influent de Constantinople, répandait alors l’hérésie monophysite selon laquelle il n’y aurait qu’une seule nature en Jésus-Christ : la nature divine aurait « absorbé » sa nature humaine. Dans cette lettre de grande importance dogmatique, le pape saint Léon Ier écrit ici à Flavien, archevêque de Constantinople pour empêcher la propagation de l’hérésie monophysite, qui sera finalement condamnée au Concile de Chalcédoine, en 451.
La lettre que vous m’avez envoyée si tard, à mon grand étonnement, et les actes de votre dernier concile m’ont fait enfin connaître la cause du scandale qui a troublé votre Église, ainsi que la nouvelle hérésie qui s’est élevée contre la foi. Ces choses que je ne pouvais comprendre avant me sont à cette heure parfaitement connues. J’y vois qu’Eutychès, que son nom de prêtre rendait recommandable, est privé de l’intelligence de la religion et qu’il a montré une assez grande ignorance pour qu’on puisse lui appliquer ces paroles du prophète : « Il n’a pas voulu avoir l’intelligence pour faire le bien ; il a ruminé l’iniquité sur sa couche » (Ps 35, 4). N’est-ce pas le comble de l’injustice, que de se complaire dans l’impiété au mépris des conseils des sages et des docteurs ? Ils se rendent coupables de ce péché ceux qui, ne pouvant franchir les obstacles qui les empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, ne s’empressent pas de recourir aux écrits des prophètes, aux épîtres des apôtres et aux autorités de l’évangile, mais ne consultent qu’eux-mêmes. Ils enseignent l’erreur, parce qu’ils ne se sont pas faits disciples de la vérité. En effet, quelle étude peut-il avoir faite des pages sacrées de l’ancien et du nouveau Testament, celui qui ne comprend pas même les premières lignes du Symbole ? Ce vieillard ne sait point encore par cœur ces vérités que les chants des hommes régénérés font retentir par tout l’univers.
Eutychès ignorant donc ce qu’il devait savoir du Verbe de Dieu et refusant de s’éclairer par l’étude des saintes Écritures, aurait du moins pu rester dans la communion de l’Église et répéter avec les fidèles, s’il les avait écoutés attentivement, ces paroles qu’ils prononcent chaque jour : « Je crois en Dieu tout-puissant et en Jésus Christ son Fils unique, notre Seigneur qui est né du saint Esprit et de la vierge Marie ». Ces trois propositions détruisent toutes les erreurs des hérétiques. En croyant en Dieu tout-puissant et au Père éternel, on croit aussi au Fils coéternel, en tout semblable au Père, car Dieu, Il est né tout-puissant et coéternel de Dieu tout-puissant et éternel : égal à Dieu en éternité, en puissance, en gloire, et composé de la même essence, Il est né du saint Esprit et de la vierge Marie, Fils unique éternel de ce Père éternel. Cette existence temporelle ne porta aucun préjudice à son Existence divine et éternelle, et Il la consacra tout entière à réhabiliter l’homme qui était déchu, à vaincre la mort et à terrasser le démon qui avait l’empire de la mort. Nous ne pourrions, nous, dompter l’auteur de la mort et du péché, si le Fils de Dieu n’avait revêtu notre nature et ne Se l’était appropriée, de sorte que le péché ne pût la souiller et que la mort ne pût la retenir. En effet, Il a été conçu par le saint Esprit dans le sein de la vierge Marie, qui, vierge, Le mit au monde, comme, vierge, elle L’avait conçu. Si Eutychès, qui ne pouvait puiser la foi à cette source pure de la religion chrétienne, parce que dans son propre aveuglement il s’était dérobé aux splendeurs éclatantes de la vérité, avait eu recours à la doctrine de l’évangile et avait dit avec Matthieu : « Généalogie de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1,1) ; s’il avait cherché la lumière dans les prédications de l’Apôtre et lu cette phrase de l’Épître aux Romains : « Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l’évangile de Dieu, qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par ses prophètes dans les saintes Écritures, et qui concerne son Fils né de la postérité de David, selon la chair » (Rm 1,1 ; 3); s’il avait parcouru avec soin les pages prophétiques de l’Écriture et trouvé cette promesse de Dieu à Abraham : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité » (Gn 22,18); si, pour ne conserver aucun doute sur ce Nouveau-né, il avait cherché ces paroles de l’Apôtre : « Or les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité » (Ga 3,16); « Il n’est pas dit : et aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est-à-dire, à Christ » (Ibid.); si enfin il avait étudié dans son cœur cette prophétie d’Isaïe : « Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Is 7,14), c’est-à-dire Dieu avec nous, et qu’il se fût appliqué à lire ces paroles du même prophète : « Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la domination reposera sur son Épaule ; on L’appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix » (Is 9,6): alors, s’il avait lu et étudié toutes ces choses, il n’enseignerait point cette erreur que le Verbe S’est fait chair de cette sorte, qu’Il a pris l’apparence d’un homme dans le sein de la Vierge, mais que son Corps n’est point un vrai corps de la même nature que celui de sa mère. Peut-être aussi a‑t-il cru que notre Seigneur Jésus Christ n’avait point un corps semblable aux nôtres, parce que l’ange dit à la bienheureuse Marie toujours vierge : « Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint Enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1,35), et que, formée dans le sein de la Vierge par l’œuvre de la Divinité, la Chair de Celui qui fut conçu ne fut pas de la même nature que celle de sa mère. Ce n’est point ainsi qu’il faut comprendre cette admirable conception : on ne doit pas croire que la singularité de sa création priva ce Corps des conditions de la nature humaine. Le saint Esprit féconda la Vierge, mais la matière du Corps fut formée par le corps de celle-ci ; « La sagesse a bâti sa maison » (Pr 9,1); « Et le Verbe S’est fait chair, et Il a habité parmi nous » (Jn 1,14), dans cette chair qu’Il tira de l’homme et que le saint Esprit anima.
Les propriétés des deux natures restant ainsi intactes et se réunissant en une seule personne, la majesté, la perfection et l’éternité de la Nature divine s’unirent à la faiblesse, à l’imperfection et à la mortalité de la nature humaine. Pour acquitter la dette de notre condition, pour racheter l’homme, la nature inviolable se lia à la nature qui souffre, afin que le Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus Christ Homme, pût mourir, tandis qu’Il restait éternel comme Dieu. Homme parfait, Il est donc né Dieu véritable, parfait dans sa Nature, parfait dans la nôtre, c’est-à-dire qu’ll la revêtit pour régénérer notre nature telle qu’elle était quand Dieu la créa dans le principe ; et comme Il ne S’était point soumis aux infirmités humaines, Il vécut parmi nous sans participer à nos fautes. Il prit la forme de l’esclave, sans la souillure du péché ; Il glorifia sa Nature humaine sans porter atteinte à sa Nature divine, car cette volonté qu’Il eut de Se rendre visible, Lui qui était invisible, et de Se faire mortel, Lui le Créateur et le souverain Maître de toutes choses, fut l’effet de sa Miséricorde et non point un abaissement de sa Toute-Puissance ; ainsi Lui, qui dans sa Nature de Dieu créa l’homme, Se fit homme Lui-même dans sa Nature d’esclave. Comme le démon se glorifiait d’avoir trompé l’homme par sa ruse, de l’avoir privé des Bienfaits de la Divinité, dépouillé de son immortalité et soumis à la mort ; comme il se glorifiait, dis-je, d’avoir trouvé dans son malheur une consolation sœur de son péché et d’avoir ainsi changé à l’aide de la propre sentence de Dieu, par la raison de sa Justice, la condition de l’homme qu’Il avait rendue si glorieuse, le Seigneur, Dieu immuable, dont la bienveillance ne saurait être enchaînée, sut, dans sa Sagesse impénétrable, mettre le comble à ses Bontés pour nous par ce mystère sacré, et empêcher que l’homme, tombé dans le péché par la ruse du démon, ne pérît à l’encontre des décrets de la Divinité.
Ainsi, le Fils de Dieu entre dans ce monde corrompu ; Il descend du ciel avec toute la Gloire de son Père, et Il naît par un nouvel ordre de choses, par une nouvelle manière de naître. Par un nouvel ordre de choses ; car invisible dans sa Divinité, Il devient visible dans notre nature ; infini, Il veut être fini ; plus ancien que les temps, Il Se soumet au temps ; Maître de l’univers, Il couvre d’un voile l’immensité de sa Toute-Puissance et prend la forme d’un esclave ; Dieu impassible, Il daigne devenir un homme sujet à la souffrance ; Dieu immortel, Il Se soumet aux lois de la mort. Il vient au monde par une nouvelle manière de naître, car c’est une vierge pure, non souillée par la concupiscence, qui donne le jour à son Corps. Il prend ce Corps impeccable dans le sein de la Vierge, et ce Corps, né d’une vierge, n’en est pas moins de la même nature que le nôtre. Vrai Dieu, c’est un homme véritable ; il n’existe aucun mensonge dans cette alliance, l’humilité de l’homme et la Puissance de Dieu sont réunies. Sa Divinité n’est point altérée par son Œuvre de miséricorde, et elle laisse son humanité intacte. Chaque nature agit avec la participation de l’autre ; mais le Verbe opère comme le Verbe, et la chair comme la chair. L’une brille par des miracles, l’autre succombe sous les injures. Le Verbe partage toujours la Gloire de Dieu son Père, et la chair les faiblesses de notre nature. Jésus, comme on doit le répéter, est seul à la fois le vrai Fils de Dieu et le vrai Fils de l’homme. Dieu, car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1); homme, car « le Verbe S’est fait chair, et Il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Dieu, car « toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui » (Jn 1,3) ; homme, car Il est né d’une femme et soumis à la loi. La naissance de sa Chair prouve sa Nature humaine, et sa conception dans le sein d’une vierge, sa Nature divine. Son humble berceau montre qu’Il n’était qu’un petit enfant, et les chants des anges révèlent sa Grandeur toute puissante. Il est, comme les hommes, enveloppé dans des langes, Lui dont l’impie Hérode conspire la mort ; mais Il est le souverain Maître de tous les mortels, Lui devant qui les mages viennent se prosterner avec joie. Quand Il vint recevoir le baptême de Jean, son précurseur, on put s’assurer de la réalité de sa Nature divine, par ces mots que Dieu le Père fit retentir du haut des cieux : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J’ai mis toute mon affection » (Mt 3,17). Homme, Il est tenté par le démon ; Dieu, Il est servi par les anges. Enfin, Il donne une preuve évidente de son Humanité en étant soumis à la faim, à la soif, à la fatigue et au sommeil, et une non moins frappante de sa Divinité, lorsqu’Il rassasie cinq mille hommes avec cinq pains, qu’Il donne l’eau vive à la Samaritaine et la désaltère de telle sorte qu’elle n’ait jamais soif, qu’Il marche sur la mer sans Se mouiller les pieds et qu’Il apaise les fureurs de la tempête. Pour m’arrêter à ces derniers exemples, ce n’est pas la même nature qui pleure sur la mort de son ami Lazare, le fait sortir du sépulcre et le ressuscite quatre jours après ; qui Se laisse attacher à la croix et change le jour en ténèbres et bouleverse les éléments ; qui, fixée par des clous, ouvre les portes du ciel au bon larron. Ce n’est pas la même nature qui dit : « Moi et mon Père ne sommes qu’un » ; et ensuite : « Mon Père est plus grand que Moi ». Quoiqu’il n’y ait qu’une seule et même Personne en notre Seigneur Jésus Christ, cependant on ne doit point en conclure que ses Souffrances et sa Gloire soient communes à ses deux Natures ; car Il est inférieur à son Père comme homme, et comme Dieu Il est son égal.
Aussi, on comprend que les deux natures soient réunies en une seule personne, et on lit que le Fils de l’homme est descendu du ciel, lorsque le Fils de Dieu eut pris dans le sein de la Vierge cette chair dans laquelle Il naquit. On dit aussi que le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli et ce n’est point dans sa Nature de Fils unique de Dieu, consubstantiel et coéternel à son Père qu’Il a été soumis à ces souffrances, mais bien dans sa Nature d’homme. C’est pourquoi nous confessons tous dans le Symbole le Fils unique de Dieu, qui a été crucifié et enseveli suivant ces paroles de l’Apôtre, « car, s’ils l’eussent connue, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire » (1 Co 2,8). Lorsque le Seigneur notre Sauveur interrogeait ses disciples sur ce qu’ils pensaient de Lui, Il leur dit : « Qui croyez-vous que soit Celui qu’ils appellent le Fils de l’homme ? », les disciples Lui rapportèrent les opinions des étrangers et Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que Je suis ? », Moi qui suis en vérité Fils de l’homme et que vous voyez sous la forme d’un esclave, d’un homme véritable, dites-Moi qui Je suis ? Alors le bienheureux Pierre, inspiré par le Très-Haut, rendit ce témoignage qui devait servir à toutes les nations : « Tu es, répondit-il, le Christ, le Fils du Dieu vivant ». (Mt 16,16) C’est avec raison que le titre de bienheureux lui est donné par le Seigneur et qu’il tire la solidité de sa vertu et de son nom de la pierre même ; car éclairé par la révélation du Père tout-puissant, il avait confessé que le Fils de Dieu était le Christ, parce qu’il n’aurait rien servi à notre salut de recevoir parmi nous l’un sans l’autre, et il était aussi malheureux pour nous de croire que notre Seigneur Jésus Christ était seulement Dieu sans être homme, qu’homme seulement sans être Dieu. Après sa Résurrection, qui fut celle de sa véritable Nature humaine dans laquelle Il avait été crucifié et enseveli, pourquoi notre Seigneur resta-t-Il quarante jours sur la terre, si ce n’est pour débarrasser notre foi des ténèbres de l’incertitude ? En effet, Il S’entretenait avec ses disciples, Il habitait et mangeait avec eux, Il permettait à leur avide curiosité de Le palper de leurs propres mains, eux qui étaient tourmentés par le doute ; Il Se présentait tout à coup au milieu d’eux, les portes étant fermées ; par son Souffle, Il leur donnait l’Esprit, et en leur faisant don du feu de l’intelligence, Il leur découvrait le sens mystérieux des saintes Écritures. Il leur montrait aussi la blessure de son Côté, les marques des clous et toutes les traces de sa Passion récente, et leur disait : « Voyez mes Mains et mes Pieds, c’est bien Moi ; touchez-Moi et voyez : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que J’ai. » (Lc 24, 39) Il nous faisait connaître ainsi que les propriétés des deux natures restent indivisibles en Lui, que le Verbe n’est pas la chair, et que nous devons confesser l’union du Verbe et de la chair dans le Fils unique de Dieu. On doit croire qu’Il est trop éloigné de nos croyances, cet Eutychès, qui n’a pas reconnu notre nature dans le Fils unique de Dieu ni à l’humilité de la mort, ni à la Gloire de la résurrection. Il n’a pas non plus redouté cette sentence du bienheureux apôtre et évangéliste Jean : « Tout esprit qui confesse Jésus Christ venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu, c’est celui de l’Antichrist. » (1 Jn 4, 2–3) N’est-ce pas diviser Jésus que de nier sa Nature humaine et d’anéantir par d’odieux mensonges ce mystère de la foi qui nous a sauvés ? Puisqu’il est dans l’erreur sur la nature du Corps de Jésus Christ, il doit être nécessairement aussi dans l’erreur sur sa Passion ; car s’il ne pense point que la croix de notre Seigneur soit un mensonge et qu’il ne doute point de la vérité du supplice qu’Il a souffert pour le salut du monde, il doit reconnaître la vérité de la Chair de Celui dont il croit la mort. Il ne peut non plus douter qu’Il ne soit un homme semblable à nous, s’il admet qu’Il a souffert ; car en niant la vérité de la chair, il nie la passion du Corps de Jésus. Si la foi chrétienne est dans son cœur, s’il ne ferme point l’oreille aux enseignements de l’évangile, qu’il voie quelle nature fut attachée avec des clous au bois de la croix, et qu’il comprenne d’où coulèrent, après que le soldat eut percé le Côté du Sauveur d’un coup de lance, l’eau et le sang qui ont arrosé l’Église du Christ par le baptême et l’Eucharistie. Qu’il écoute le bienheureux apôtre Pierre enseignant que l’esprit est sanctifié par l’aspersion du Sang de Jésus Christ ; qu’il lise avec attention ces paroles du même apôtre : « sachant que ce n’est pas par des choses périssables, par de l’argent ou de l’or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous aviez héritée de vos pères, mais par le Sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache ». (1 P 1, 18 et 19) Qu’il ne résiste point non plus au témoignage du bienheureux apôtre Jean qui dit : « Le Sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché » (1Jn 1, 7); et plus loin : « la victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi. Qui est celui qui a triomphé du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C’est Lui, Jésus Christ, qui est venu avec de l’eau et du sang ; non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang ; et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage : l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois sont d’accord ». (1 Jn 5, 4 et 8) L’esprit de sainteté, le sang de la rédemption et l’eau du baptême, qui tous trois sont d’accord pour attester la même chose, et ils restent toujours unis, ils ne diffèrent point d’une syllabe de ce qu’ils prouvent ; car l’Église catholique vit et prospère dans cette croyance que dans notre Seigneur Jésus Christ l’humanité est unie à la vraie Divinité et la Divinité à la véritable humanité.
Aussi, quand Eutychès vous répondit dans son interrogatoire : « Je confesse qu’il y avait deux natures en notre Seigneur Jésus Christ avant son Incarnation, mais qu’il n’en restait qu’une seule après » ; je m’étonne qu’une profession de foi aussi perverse et aussi absurde n’ait point fait crier anathème à tous les juges ; qu’une telle folie, qu’un tel blasphème ait passé sous silence, comme si nos plus chères croyances n’étaient point attaquées. C’est une impiété aussi grande de dire qu’il y avait avant l’incarnation deux natures distinctes dans le Verbe, Fils unique de Dieu, que d’affirmer qu’Il n’en avait qu’une seule après qu’Il Se fut fait chair. De crainte qu’Eutychès ne croie que sa proposition est vraie et qu’elle ne peut être condamnée, parce que vous ne vous êtes point efforcés de la réfuter, je vous engage, très cher frère, à employer votre pieuse sollicitude, si cette affaire se termine comme elle le doit par la pénitence du coupable, à éclairer cet homme ignorant sur l’impiété des paroles qu’il a prononcées. Comme la suite des actes me l’a fait connaître, il avait presque commencé à revenir de son erreur, lorsque, menacé par votre sentence, il protesta qu’il dirait ce qu’il ne disait point auparavant et qu’il adoptait une doctrine qui n’était pas la sienne. Mais comme il refusa de prononcer l’anathème contre son dogme impie, vous avez compris avec raison qu’il persistait dans son crime et qu’il était convenable de formuler la sentence de sa condamnation. S’il élève contre ce jugement les plaintes d’un cœur fidèle et contrit ; s’il reconnaît, quoique tard, que l’autorité de son évêque l’a frappé avec justice, et si, pour accomplir entièrement l’acte de sa réconciliation avec l’Église du Christ, il condamne toutes ses erreurs de vive voix et par écrit, alors vous ne serez point répréhensible d’user de miséricorde à l’égard de ce pécheur converti, car notre Seigneur est le véritable et bon Pasteur, qui est mort pour ses brebis et qui, étant venu pour sauver et non pour perdre les âmes des hommes, veut que nous imitions sa douce Piété, et que si notre justice sait punir les pécheurs, du moins nous leur accordions leur pardon s’ils prouvent leur repentir. Mais enfin, pour défendre la vraie foi d’une manière efficace, il faut toujours condamner les hérésies dans la personne de ceux qui les professent. Pour suivre cette cause avec piété et fidélité, je vous envoie nos frères Julien, évêque, et René, prêtre du titre de saint Clément, et mon fils, le diacre Hilaire. Je leur ai adjoint notre notaire Dulcitius, dont la foi m’a été souvent prouvée. Nous espérons qu’avec l’aide de la Grâce de Dieu, celui qui est tombé dans l’erreur sera sauvé après avoir condamné son erreur.
Que Dieu vous garde, très cher frère.
Fait aux ides de juin, sous le consulat des très illustres Astère et Protogène, en l’an 456.