Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905
Aux Evêques d’Italie,
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.
Le ferme propos que Nous avons formé, dès les débuts de Notre Pontificat, de consacrer à la restauration de toutes choses dans le Christ toutes les forces que Nous tenons de la bonté du Seigneur, éveille en Notre cœur une grande confiance dans la grâce puissante de Dieu, sans laquelle Nous ne pouvons ici-bas concevoir ni entreprendre rien de grand et de fécond pour le salut des âmes. En même temps, Nous sentons plus vivement que jamais, pour ce noble dessein, le besoin de votre concours unanime et constant, Vénérables Frères appelés à partager Notre charge Pastorale, du concours de chacun des clercs et des fidèles confiés à vos soins. Tous, en vérité, dans la Sainte Eglise de Dieu, nous sommes appelés à former ce corps unique dont la tête est le Christ ; corps étroitement organisé, comme l’enseigne l’apôtre saint Paul [1], et bien coordonné dans toutes ses articulations, et cela en vertu de l’opération propre de chaque membre, d’où le corps tire son propre accroissement et peu à peu se perfectionne dans le lien de la charité.
Et si dans cette œuvre d” »édification du Corps du Christ » [2] Notre premier devoir est d’enseigner, d’indiquer la méthode à suivre et les moyens à employer, d’avertir et d’exhorter paternellement, c’est également le devoir de tous Nos Fils bien-aimés, répandus dans le monde entier, d’accueillir Nos paroles, de les réaliser d’abord en eux-mêmes et de contribuer efficacement à les réaliser aussi chez les autres, chacun selon la grâce qu’il a reçue de Dieu, selon son état et ses fonctions, selon le zèle dont son cœur est enflammé.
Ici, Nous voulons seulement rappeler ces multiples œuvres de zèle, entreprises pour le bien de l’Eglise, de la société et des individus, communément désignées sous le nom d’Action Catholique, qui, par la grâce de Dieu, fleurissent en tout lieu et abondent pareillement en notre Italie.
Vous comprenez bien, Vénérables Frères, à quel point elles doivent Nous être chères, et quel est Notre intime désir de les voir affermies et favorisées. Non seulement, à maintes reprises, Nous en avons traité de vive voix au moins avec quelques-uns d’entre vous et avec vos principaux représentants en Italie quand ils Nous présentaient en personne l’hommage de leur dévouement et de leur affection filiale, mais de plus Nous avons, sur cette question, publié, ou fait publier par Notre autorité, certains actes que vous connaissez tous déjà. Il est vrai que certains de ces actes, comme l’exigeaient des circonstances douloureuses pour Nous, étaient plutôt destinés à écarter les obstacles qui entravaient la marche de l’action catholique et à condamner certaines tendances indisciplinées, qui allaient s’insinuant, au grave détriment de la cause commune.
Il tardait donc à Notre cœur d’envoyer à tous une parole de réconfort et de paternel encouragement, afin que, sur le terrain débarrassé autant qu’il dépend de Nous de tout obstacle, on continue à édifier le bien et à l’accroître largement. Nous sommes donc très heureux de le faire à présent par cette lettre, pour la consolation commune, avec la certitude que Notre parole sera de tous docilement écoutée et obéie.
Immense est le champ de l’action catholique ; par elle-même, elle n’exclut absolument rien de ce qui, d’une manière quelconque, directement ou indirectement, appartient à la mission divine de l’Eglise.
On reconnaît sans peine la nécessité de concourir individuellement à une œuvre si importante non seulement pour la sanctification de nos âmes, mais encore pour répandre et toujours mieux développer le règne de Dieu dans les individus, les familles et la société, chacun procurant selon ses propres forces le bien du prochain, par la diffusion de la vérité révélée, l’exercice des vertus chrétiennes et les œuvres de charité ou de miséricorde spirituelle et corporelle. Telle est la conduite digne de Dieu à laquelle nous exhorte saint Paul, de façon à lui plaire en toutes choses en produisant les fruits de toutes les bonnes œuvres et en progressant dans la science de Dieu : « Ut ambuletis digne Deo placentes : in omni opere bono fructificantes, et crescentes in scientia Dei » [3].
Outre ces biens, il en est un grand nombre de l’ordre naturel, qui, sans être directement l’objet de la mission de l’Eglise, en découlent cependant comme une de ses conséquences naturelles. La lumière de la Révélation catholique est telle qu’elle se répand très vive sur toute science ; si grande est la force des maximes évangéliques que les préceptes de la loi naturelle y trouvent un fondement plus sûr et une plus puissante vigueur ; telle est enfin l’efficacité de la vérité et de la morale enseignées par Jésus-Christ, que même le bien-être matériel des individus, de la famille et de la société humaine en reçoit providentiellement soutien et protection.
L’Eglise, tout en prêchant Jésus crucifié, scandale et folie pour le monde [4], est devenue la première inspiratrice et la promotrice de la civilisation. Elle l’a répandue partout où ont prêché ses apôtres, conservant et perfectionnant les bons éléments des antiques civilisations païennes, arrachant à la barbarie et élevant jusqu’à une forme de société civilisée les peuples nouveaux qui se réfugiaient dans son sein maternel, et donnant à la société entière, peu à peu sans doute, mais d’une marche sûre et toujours progressive, cette empreinte si caractéristique qu’encore aujourd’hui elle conserve partout.
La civilisation du monde est une civilisation chrétienne ; elle est d’autant plus vraie, plus durable, plus féconde en fruits précieux, qu’elle est plus nettement chrétienne ; d’autant plus décadente, pour le grand malheur de la société, qu’elle se soustrait davantage à l’idée chrétienne.
Aussi, par la force intrinsèque des choses, l’Eglise devient-elle encore en fait la gardienne et la protectrice de la civilisation chrétienne. Et ce fait fut reconnu et admis dans d’autres siècles de l’histoire ; il forme encore le fondement inébranlable des législations civiles. Sur ce fait reposèrent les relations de l’Eglise et des Etats, la reconnaissance publique de l’autorité de l’Eglise dans toutes les matières qui touchent de quelque façon à la conscience, la subordination de toutes les lois de l’Etat aux divines lois de l’Evangile, l’accord des deux pouvoirs, civil et ecclésiastique, pour procurer le bien temporel des peuples de telle manière que le bien éternel n’en eût pas à souffrir.
Nous n’avons pas besoin de vous dire, Vénérables Frères, la prospérité et le bien-être, la paix et la concorde, la respectueuse soumission à l’autorité et l’excellent gouvernement qui s’établiraient et se maintiendraient dans ce monde si l’on pouvait réaliser partout le parfait idéal de la civilisation chrétienne. Mais, étant donnée la lutte continuelle de la chair contre l’Esprit, des ténèbres contre la lumière, de Satan contre Dieu, Nous ne pouvons espérer un si grand bien, au moins dans sa pleine mesure. De là, contre les pacifiques conquêtes de l’Eglise, d’incessantes attaques, d’autant plus douloureuses et funestes que la société humaine tend davantage à se gouverner d’après des principes opposés au concept chrétien et à se séparer entièrement de Dieu.
Ce n’est pas une raison pour perdre courage. L’Eglise sait que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle ; mais elle sait aussi que dans ce monde elle trouvera l’oppression, que ses apôtres sont envoyés comme des agneaux au milieu des loups, que ses fidèles seront toujours couverts de haine et de mépris, comme fut rassasié de haine et de mépris son divin Fondateur. L’Eglise va néanmoins en avant sans crainte, et, tandis qu’elle étend le règne de Dieu dans les régions où il n’a pas encore été prêché, elle s’efforce par tous les moyens de réparer les pertes éprouvées dans le royaume déjà conquis.
Tout restaurer dans le Christ a toujours été la devise de l’Eglise, et c’est particulièrement la Nôtre, dans les temps périlleux que Nous traversons. Restaurer toutes choses, non d’une manière quelconque, mais dans le Christ ; « ce qui est sur la terre et ce qui est dans le ciel en lui » [5], ajoute l’Apôtre ; restaurer dans le Christ non seulement ce qui incombe directement à l’Église en vertu de sa divine mission qui est de conduire les âmes à Dieu, mais encore, comme Nous l’avons expliqué, ce qui découle spontanément de cette divine mission, la civilisation chrétienne dans l’ensemble de tous et de chacun des éléments qui la constituent.
Et pour Nous arrêter à cette seule dernière partie de la restauration désirée, vous voyez bien, Vénérables Frères, quel appui apportent à l’Eglise ces troupes choisies de catholiques qui se proposent précisément de réunir ensemble toutes leurs forces vives dans le but de combattre par tous les moyens justes et légaux la civilisation antichrétienne ; réparer par tous les moyens les désordres si graves qui en dérivent ; replacer Jésus-Christ dans la famille, dans l’école, dans la société ; rétablir le principe de l’autorité humaine comme représentant celle de Dieu ; prendre souverainement à cœur les intérêts du peuple et particulièrement ceux de la classe ouvrière et agricole, non seulement en inculquant au cœur de tous le principe religieux, seule source vraie de consolation dans les angoisses de la vie, mais en s’efforçant de sécher leurs larmes, d’adoucir leurs peines, d’améliorer leur condition économique par de sages mesures ; s’employer, par conséquent, à rendre les lois publiques conformes à la justice, à corriger ou supprimer celles qui ne le sont pas ; défendre enfin et soutenir avec un esprit vraiment catholique les droits de Dieu en toutes choses et les droits non moins sacrés de l’Eglise.
L’ensemble de toutes ces œuvres, dont les principaux soutiens et promoteurs sont des laïques catholiques, et dont la conception varie suivant les besoins propres de chaque nation et les circonstances particulières de chaque pays, constitue précisément ce que l’on a coutume de désigner par un terme spécial et assurément très noble : Action catholique ou Action des catholiques. Elle est toujours venue en aide à l’Eglise, et l’Eglise l’a toujours accueillie favorablement et bénie, bien qu’elle se soit diversement exercée selon les époques.
Et ici, il faut remarquer tout de suite qu’il est aujourd’hui impossible de rétablir sous la même forme toutes les institutions qui ont pu être utiles et même les seules efficaces dans les siècles passés, si nombreuses sont les modifications radicales que le cours des temps introduit dans la société et dans la vie publique, et si multiples les besoins nouveaux que les circonstances changeantes ne cessent de susciter. Mais l’Eglise, en sa longue histoire, a toujours et en toute occasion lumineusement démontré qu’elle possède une vertu merveilleuse d’adaptation aux conditions variables de la société civile : sans jamais porter atteinte à l’intégrité ou l’immutabilité de la foi, de la morale, et en sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle se plie et s’accommode facilement, en tout ce qui est contingent et accidentel, aux vicissitudes des temps et aux nouvelles exigences de la société.
La piété, dit saint Paul, se prête à tout, possédant les promesses divines pour les biens de la vie présente comme pour ceux de la vie future : « Pietas autem ad omnia utilis est, promissionem habens vitæ, quæ nunc est et futuræ » [6]. Et donc aussi, l’action catholique, tout en variant, quand il est opportun, ses formes extérieures et ses moyens d’action, reste toujours la même dans les principes qui la dirigent et le but très noble qu’elle poursuit. Et pour qu’en même temps elle soit vraiment efficace, il conviendra d’indiquer avec soin les conditions qu’elle exige elle-même si l’on considère bien sa nature et sa fin.
Avant tout, il faut être profondément convaincu que l’instrument est inutile s’il n’est approprié au travail que l’on veut exécuter. L’action catholique (comme il ressort jusqu’à l’évidence de ce qui vient d’être dit), se proposant de restaurer toutes choses dans le Christ, constitue un véritable apostolat à l’honneur et la gloire du Christ lui-même. Pour bien l’accomplir, il nous faut la grâce divine, et l’apôtre ne la reçoit point s’il n’est uni au Christ. C’est seulement quand nous aurons formé Jésus-Christ en nous que nous pourrons plus facilement le rendre aux familles, à la société. Tous ceux donc qui sont appelés à diriger ou qui se consacrent à promouvoir le mouvement catholique, doivent être des catholiques à toute épreuve, convaincus de leur foi, solidement instruits des choses de la religion, sincèrement soumis à l’Eglise et en particulier à cette suprême Chaire apostolique et au Vicaire de Jésus-Christ sur la terre ; ils doivent être des hommes d’une piété véritable, de mâles vertus, de mœurs pures et d’une vie tellement sans tache qu’ils servent à tous d’exemple efficace.
Si l’esprit n’est pas ainsi réglé, il sera non seulement difficile de promouvoir les autres au bien, mais presque impossible d’agir avec une intention droite, et les forces manqueront pour supporter avec persévérance les ennuis qu’entraîne avec lui tout apostolat, les calomnies des adversaires, la froideur et le peu de concours des hommes de bien eux-mêmes, parfois enfin les jalousies des amis et des compagnons d’armes, excusables sans doute, étant donnée la faiblesse de la nature humaine, mais grandement préjudiciables et causes de discordes, de heurts et de querelles intestines. Seule, une vertu patiente et affermie dans le bien, et en même temps suave et délicate, est capable d’écarter ou de diminuer ces difficultés de façon que l’œuvre à laquelle sont consacrées les forces catholiques ne soit pas compromise. La volonté de Dieu, disait saint Pierre aux premiers chrétiens, est qu’en faisant le bien vous fermiez la bouche aux insensés : « Sic est voluntas Dei, ut bene facientes obmutescere faciatis imprudentium hominum ignorantiam » [7].
Il importe, en outre, de bien définir les œuvres pour lesquelles les forces catholiques se doivent dépenser avec toute énergie et constance. Ces œuvres doivent être d’une importance si évidente, répondre de telle sorte aux besoins de la société actuelle, s’adapter si bien aux intérêts moraux et matériels, surtout ceux du peuple et des classes déshéritées, que, tout en excitant la meilleure activité chez les promoteurs de l’action catholique pour les résultats importants et certains qu’elles font espérer d’elles-mêmes, elles soient aussi par tous facilement comprises et volontiers accueillies.
Précisément parce que les graves problèmes de la vie sociale d’aujourd’hui exigent une solution prompte et sûre, tout le monde a le plus vif intérêt à savoir et connaître les divers modes sous lesquels ces solutions se présentent en pratique. Les discussions dans un sens ou dans l’autre se multiplient de plus en plus et se répandent facilement au moyen de la presse. Il est donc souverainement nécessaire que l’action catholique saisisse le moment opportun, marche en avant avec courage, propose elle aussi sa solution et la fasse valoir par une propagande ferme, active, intelligente, disciplinée, capable de s’opposer directement à la propagande adverse.
La bonté et la justice des principes chrétiens, la droite morale que professent les catholiques, leur entier désintéressement pour ce qui leur est personnel, la franchise et la sincérité avec laquelle ils recherchent uniquement le vrai, le solide, le suprême bien d’autrui, enfin leur évidente aptitude à servir mieux encore que les autres les vrais intérêts économiques du peuple, tout cela ne peut manquer de faire impression sur l’esprit et le cœur de tous ceux qui les écoutent, d’en grossir les rangs de manière à faire d’eux un corps solide et compact, capable de résister vigoureusement au courant contraire et de tenir les adversaires en respect.
Ce besoin suprême, Notre prédécesseur Léon XIII, de sainte mémoire, le perçut pleinement en indiquant, surtout dans la mémorable Encyclique Rerum Novarum et dans d’autres documents postérieurs, l’objet autour duquel doit principalement se déployer l’action catholique, à savoir la solution pratique de la question sociale selon les principes chrétiens. Et Nous-même, suivant ces règles si sages, Nous avons, dans Notre Motu proprio du 18 décembre 1903, donné à l’action populaire chrétienne, qui comprend en elle tout le mouvement catholique social, une constitution fondamentale qui pût être comme la règle pratique du travail commun et le lien de la concorde et de la charité. Sur ce terrain donc, et dans ce but très saint et très nécessaire, doivent avant tout se grouper et s’affermir les œuvres catholiques, variées et multiples de forme, mais toutes également destinées à promouvoir efficacement le même bien social.
Mais pour que cette action sociale se maintienne et prospère avec la nécessaire cohésion des œuvres diverses qui la composent, il importe par-dessus tout que les catholiques observent entre eux une concorde exemplaire ; et, par ailleurs, on ne l’obtiendra jamais s’il n’y a en tous unité de vues. Sur une telle nécessité il ne peut y avoir aucune sorte de doute, tant sont clairs et évidents les enseignements donnés par cette Chaire apostolique, tant est vive la lumière qu’ont répandue, sur ce sujet, par leurs écrits, les plus remarquables catholiques de tous les pays, tant est louable l’exemple – plusieurs fois proposé par Nous-même – des catholiques d’autres nations, qui, précisément par cette concorde et unité de vues, ont, en peu de temps, obtenu des fruits féconds et très consolants !
Pour assurer ce résultat, parmi les diverses œuvres également dignes d’éloge on a constaté ailleurs la singulière efficacité d’une institution de caractère général, qui, sous le nom d” »Union populaire », est destinée à réunir les catholiques de toutes les classes sociales, mais spécialement les grandes masses du peuple, autour d’un centre unique et commun de doctrine, de propagande et d’organisation sociale.
Elle répond à un besoin également senti presque dans tous les pays ; la simplicité de sa constitution résulte de la nature même des choses, qui se rencontre également partout ; aussi ne peut-on dire qu’elle soit propre à une nation plutôt qu’à une autre, mais elle convient à toutes celles où se manifestent les mêmes besoins et surgissent les mêmes périls. Son caractère éminemment populaire la fait facilement aimer et accepter ; elle ne trouble ni ne gêne aucune autre institution, mais elle donne plutôt aux autres institutions force et cohésion, car son organisation strictement personnelle pousse les individus à entrer dans les institutions particulières, les forme à un travail pratique et vraiment profitable, et unit tous les esprits dans une même pensée et une même volonté.
Ce centre social ainsi établi, toutes les autres institutions de caractère économique destinées à résoudre pratiquement et sous ses aspects variés le problème social se trouvent comme spontanément groupées ensemble pour le but général qui les unit ; ce qui ne les empêche pas de prendre, suivant les divers besoins auxquels elles pourvoient, des formes diverses et des moyens d’action différents, comme le réclame le but particulier de chacune d’elles.
Et ici il Nous est fort agréable d’exprimer, avec Notre satisfaction pour le grand progrès qui sur ce point a déjà été fait en Italie, la ferme espérance que, Dieu aidant, on fera encore beaucoup plus à l’avenir en affermissant le bien obtenu et en l’étendant avec un zèle toujours croissant.
C’est cette ligne de conduite qui a mérité les plus grands éloges à l’Œuvre des Congrès et Comités catholiques, grâce à l’activité intelligente des hommes excellents qui la dirigeaient et qui ont été préposés à ses diverses institutions particulières ou les dirigent encore actuellement.
C’est pourquoi, de même que, en vertu de Notre propre volonté, un pareil centre ou union d’œuvres de caractère économique a été expressément maintenu lors de la dissolution de la susdite Œuvre des Congrès, ainsi il devra fonctionner encore dans l’avenir sous la diligente direction de ceux qui lui sont préposés.
En outre, pour que l’action catholique soit de tous points efficace, il ne suffit pas qu’elle soit proportionnée aux nécessités sociales actuelles ; il convient encore qu’elle soit mise en valeur par tous les moyens pratiques que lui fournissent aujourd’hui le progrès des études sociales et économiques, les expériences déjà faites ailleurs, les conditions de la société civile, la vie publique même des États.
Autrement l’on s’expose à marcher longtemps à tâtons, à la recherche de choses nouvelles et hasardées, alors que l’on en a sous la main de bonnes et certaines qui ont déjà fait excellemment leurs preuves ; ou bien l’on court encore le danger de proposer des institutions et des méthodes qui convenaient peut-être à d’autres époques, mais qui aujourd’hui ne sont pas comprises par le peuple ; on risque enfin de s’arrêter à mi-chemin parce qu’on n’use pas, même dans la mesure légitime, de ces droits de citoyen que les constitutions civiles modernes offrent à tous et par conséquent même aux catholiques.
Et, pour Nous arrêter à ce dernier point, il est certain que les constitutions actuelles des Etats donnent indistinctement à tous la faculté d’exercer une influence sur la chose publique, et les catholiques, tout en respectant les obligations imposées par la loi de Dieu et les prescriptions de l’Eglise, peuvent en user en toute sûreté de conscience pour se montrer, tout autant et même mieux que les autres, capables de coopérer au bien-être matériel et civil du peuple, et acquérir ainsi une autorité et une considération qui leur permettent aussi de défendre et de promouvoir les biens d’un ordre plus élevé, qui sont les biens de l’âme.
Ces droits civils sont multiples et de différente nature, jusqu’à celui de participer directement à la vie politique du pays par la représentation du peuple dans les Assemblées législatives. De très graves raisons Nous dissuadent, Vénérables Frères, de Nous écarter de la règle jadis établie par Notre Prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, et suivie ensuite, durant son long pontificat, par Notre autre Prédécesseur Léon XIII, de sainte mémoire ; selon cette règle il reste en général interdit aux catholiques d’Italie de participer au pouvoir législatif.
Toutefois, d’autres raisons pareillement très graves, tirées du bien suprême de la société, qu’il faut sauver à tout prix, peuvent réclamer que dans des cas particuliers on dispense de la loi, spécialement dans le cas où Vous, Vénérables Frères, vous en reconnaissiez la stricte nécessité pour le bien des âmes et les intérêts suprêmes de vos Églises, et que vous en fassiez la demande.
Or, la possibilité de cette bienveillante concession de Notre part entraîne pour tous les catholiques le devoir de se préparer prudemment et sérieusement à la vie politique, pour le moment où ils y seraient appelés.
D’où il importe beaucoup que cette même activité, déjà louablement déployée par les catholiques pour se préparer, par une bonne organisation électorale, à la vie administrative des Communes et des Conseils provinciaux, s’étende encore à la préparation convenable et à l’organisation pour la vie politique, comme la recommandation en fut faite opportunément par la Présidence générale des Œuvres économiques en Italie dans sa Circulaire du 3 décembre 1904.
En même temps, il faudra inculquer et suivre en pratique les principes élevés qui règlent la conscience de tout vrai catholique : il doit se souvenir avant tout d’être en toute circonstance et de se montrer vraiment catholique, assumant et exerçant les charges publiques avec la ferme et constante résolution de promouvoir autant qu’il le peut le bien social et économique de la patrie et particulièrement du peuple, suivant les principes de la civilisation nettement chrétienne, et de défendre en même temps les intérêts suprêmes de l’Eglise, qui sont ceux de la religion et de la justice.
Tels sont, Vénérables Frères, les caractères, l’objet et les conditions de l’action catholique considérée dans sa partie la plus importante, qui est la solution de la question sociale, et qui, à ce titre, mérite l’application la plus énergique et la plus constante de toutes les forces catholiques.
Cela n’exclut pas que l’on favorise et développe aussi d’autres œuvres de genre différent, d’organisation variée, mais qui visent toutes également tel ou tel bien particulier de la société et du peuple et une nouvelle efflorescence de la civilisation chrétienne, sous divers aspects déterminés.
Ces œuvres surgissent la plupart grâce au zèle de quelques particuliers, se répandent dans chaque diocèse, et quelquefois se groupent en fédérations plus étendues. Or, toutes les fois que le but en est louable, que les principes chrétiens sont fermement suivis et que les moyens employés sont justes, il faut les louer elles aussi et les encourager de toute façon.
Il faudra aussi leur laisser une certaine liberté d’organisation, car il n’est pas possible que là où plusieurs personnes se rencontrent elles se modèlent toutes sur le même type, ou se concentrent sous une direction unique. Quant à l’organisation, elle doit surgir spontanément des œuvres mêmes ; sinon l’on aurait des édifices de belle architecture mais privés de fondement réel, et partant tout à fait éphémères.
Il convient aussi de tenir compte du caractère de chaque population ; les usages, les tendances varient suivant les lieux. Ce qui importe, c’est que l’on édifie sur un bon fondement, avec de solides principes, avec zèle et constance ; et, si cela est obtenu, la manière et la forme que prennent les différentes œuvres sont et demeurent accidentelles.
Pour renouveler enfin et pour accroître la vigueur nécessaire dans toutes les œuvres catholiques indistinctement, pour offrir à leurs promoteurs et à leurs membres l’occasion de se voir et de se connaître mutuellement, de resserrer toujours plus étroitement entre eux les liens de la charité fraternelle, de s’animer les uns les autres d’un zèle toujours plus ardent à l’action efficace, et de pourvoir à une meilleure solidité et à une diffusion des œuvres mêmes, il sera d’une merveilleuse utilité d’organiser de temps en temps, selon les instructions déjà données par ce Saint-Siège apostolique, des Congrès généraux ou particuliers de catholiques italiens, qui doivent être la solennelle manifestation de la foi catholique et la fête commune de la concorde et de la paix.
Il Nous reste, Vénérables Frères, à traiter un autre point de la plus grande importance : les relations que toutes les œuvres de l’action catholique doivent avoir avec l’autorité ecclésiastique.
Si l’on considère bien les doctrines que Nous avons développées dans la première partie de Notre Lettre, l’on conclura facilement que toutes les œuvres qui viennent directement en aide au ministère spirituel et pastoral de l’Eglise, et qui par suite se proposent une fin religieuse visant directement le bien des âmes, doivent dans tous leurs détails être subordonnées à l’autorité de l’Eglise et, partant, également à l’autorité des évêques, établis par l’Esprit-Saint pour gouverner l’Eglise de Dieu dans les diocèses qui leur ont été assignés.
Mais, même les autres œuvres qui, comme Nous l’avons dit, sont principalement fondées pour restaurer et promouvoir dans le Christ la vraie civilisation chrétienne, et qui constituent, dans le sens donné plus haut, l’action catholique, ne peuvent nullement se concevoir indépendantes du conseil et de la haute direction de l’autorité ecclésiastique, d’autant plus d’ailleurs qu’elles doivent toutes se conformer aux principes de la doctrine et de la morale chrétiennes ; il est bien moins possible encore de les concevoir en opposition plus ou moins ouverte avec cette même autorité.
Il est certain que de telles œuvres, étant donnée leur nature, doivent se mouvoir avec la liberté qui leur convient raisonnablement, puisque c’est sur elles-mêmes que retombe la responsabilité de leur action, surtout dans les affaires temporelles et économiques ainsi que dans celles de la vie publique, administrative ou politique, toutes choses étrangères au ministère purement spirituel. Mais puisque les catholiques portent toujours la bannière du Christ, par cela même ils portent la bannière de l’Eglise ; et il est donc raisonnable qu’ils la reçoivent des mains de l’Eglise, que l’Eglise veille à ce que l’honneur en soit toujours sans tache, et qu’à l’action de cette vigilance maternelle les catholiques se soumettent en fils dociles et affectueux.
D’où il apparaît manifestement combien furent mal avisés ceux-là, peu nombreux à la vérité, qui, ici en Italie et sous Nos yeux, voulurent se charger d’une mission qu’ils n’avaient reçue ni de Nous ni d’aucun de nos Frères dans l’épiscopat, et qui se mirent à la remplir non seulement sans le respect dû à l’autorité, mais même en allant ouvertement contre ce qu’elle voulait, cherchant à légitimer leur désobéissance par de futiles distinctions. Ils disaient eux aussi, qu’ils levaient une bannière au nom du Christ ; mais une telle bannière ne pouvait pas être du Christ parce qu’elle ne portait point dans ses plis la doctrine du divin Rédempteur qui, encore ici, a son application : « Celui qui vous écoute, m’écoute ; et celui qui vous méprise, me méprise » [8]; « celui qui n’est pas avec moi, est contre moi, et celui qui n’amasse pas avec moi, dissipe » [9]; doctrine donc d’humilité, de soumission, de filial respect.
Avec une extrême amertume de cœur Nous avons dû condamner une pareille tendance et arrêter avec autorité le mouvement pernicieux qui déjà se dessinait. Et Notre douleur était d’autant plus vive que Nous voyions imprudemment entraînés par une voix aussi fausse bon nombre de jeunes gens qui Nous sont très chers, dont beaucoup ont une intelligence d’élite, un zèle ardent, et qui sont capables d’opérer efficacement le bien pourvu qu’ils soient bien dirigés.
Et, pendant que Nous montrons à tous la ligne de conduite que doit suivre l’action catholique, Nous ne pouvons dissimuler, Vénérables Frères, le sérieux péril auquel la condition des temps expose aujourd’hui le clergé : c’est de donner une excessive importance aux intérêts matériels du peuple en négligeant les intérêts bien plus graves de son ministère sacré.
Le prêtre, élevé au-dessus des autres hommes pour remplir la mission qu’il tient de Dieu, doit se maintenir également au-dessus de tous les intérêts humains, de tous les conflits, de toutes les classes de la société. Son propre champ d’action est l’Eglise, où, ambassadeur de Dieu, il prêche la vérité et inculque, avec le respect des droits de Dieu, le respect aux droits de toutes les créatures. En agissant ainsi, il ne s’expose à aucune opposition, il n’apparaît pas homme de parti, soutien des uns, adversaire des autres ; et, pour éviter de heurter certaines tendances ou pour ne pas exciter sur beaucoup de sujets les esprits aigris, il ne se met pas dans le péril de dissimuler la vérité ou de la taire, manquant dans l’un et dans l’autre cas à ses devoirs ; sans ajouter que, amené à traiter bien souvent de choses matérielles, il pourrait se trouver impliqué solidairement dans des obligations nuisibles à sa personne et à la dignité de son ministère. Il ne devra donc prendre part à des Associations de ce genre qu’après mûre délibération, d’accord avec son évêque, et dans les cas seulement où sa collaboration est à l’abri de tout danger et d’une évidente utilité.
On ne met pas, de cette façon, un frein à son zèle. Le véritable apôtre doit « se faire tout à tous, pour les sauver tous » [10] : comme autrefois le divin Rédempteur, il doit se sentir ému d’une profonde pitié en « contemplant les foules ainsi tourmentées, gisant comme des brebis sans pasteur » [11].
Que, par la propagande efficace de la presse, les exhortations vivantes de la parole, le concours direct dans les cas indiqués plus haut, chacun s’emploie donc à améliorer, dans les limites de la justice et de la charité, la condition économique du peuple en favorisant et propageant les institutions qui conduisent à ce résultat, celles surtout qui se proposent de bien discipliner les multitudes en les prémunissant contre la tyrannie envahissante du socialisme, et qui les sauvent à la fois de la ruine économique et de la désorganisation morale et religieuse. De cette façon, la participation du clergé aux œuvres de l’action catholique a un but hautement religieux ; elle ne sera jamais pour lui un obstacle, mais, au contraire, une aide dans son ministère spirituel, dont elle élargira le champ d’action et multipliera les fruits.
Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous avions à cœur d’exposer et d’inculquer relativement à l’action catholique telle qu’il faut la soutenir et la promouvoir dans notre Italie.
Montrer le bien ne suffit pas ; il faut le réaliser dans la pratique. A cela aideront beaucoup vos encouragements et Nos exhortations paternelles et immédiates à bien faire. Les débuts pourront être humbles ; pourvu que l’on commence réellement, la grâce divine les fera croître en peu de temps et prospérer. Que tous Nos fils chéris qui se dévouent à l’action catholique, écoutent à nouveau la parole qui jaillit si spontanément de Notre cœur. Au milieu des amertumes qui Nous environnent chaque jour, si Nous avons quelque consolation dans le Christ, s’il Nous vient quelque réconfort de votre charité, s’il y a communion d’esprit et compassion de cœur, vous dirons-Nous avec l’apôtre saint Paul [12], rendez complète Notre joie par votre concorde, votre charité mutuelle, votre unanimité de sentiments, l’humilité et la soumission due, en cherchant non pas l’intérêt propre mais le bien commun, et en faisant passer dans vos cœurs les sentiments mêmes qui étaient ceux de Jésus-Christ Notre Sauveur. Qu’il soit le principe de toutes vos entreprises : « Tout ce que vous dites ou faites, que tout soit au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » [13], qu’il soit le terme de toute votre activité : « Que tout absolument soit de Lui, pour Lui, à Lui ; à Lui gloire dans les siècles » [14] ! En ce jour, très heureux, qui rappelle le moment où les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint, sortirent du Cénacle pour prêcher au monde le règne du Christ, que descende pareillement sur vous tous la vertu du même Esprit ; qu’Il adoucisse toute dureté, qu’Il réchauffe les âmes froides, et qu’Il remette dans les droits sentiers tout ce qui est dévoyé : « Flecte quod est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium ».
Comme signe de la faveur divine, et gage de Notre très spéciale affection, Nous vous accordons du fond du cœur, Vénérables Frères, à vous, à votre clergé et au peuple italien, la Bénédiction Apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Pentecôte, le 11 juin 1905, l’an II de Notre Pontificat.
Pie X, pape