Résumé par Gervais Dumeige, S. J., La foi catholique, 1960
Nier toute révélation surnaturelle amène à nier l’Église, l’unique communauté que Dieu a voulu nécessaire pour le salut. Il existe une étroite relation entre le rationalisme et l’indifférentisme, qui accorde la même valeur à toutes les formes de religion. Constamment dans les documents du XIXe siècle, les deux sont unis en une même condamnation. Ce qui donne toute son importance au document ci-dessous, c’est que la nécessité du salut par l’Église objectivement voulue par Dieu et la culpabilité ou l’innocence subjectives de ceux qui sont hors de l’Église y sont très nettement distinguées.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 24 septembre 1912
A S. Em. le cardinal Georges Kopp, évêque de Breslau, et aux autres archevêques et évêques d’Allemagne.
PIE X, PAPECher Fils et Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.
Une spéciale affection et bienveillance pour les catholiques d’Allemagne, qu’un grand esprit de foi et d’obéissance unit à ce Siège apostolique et qui ont accoutumé de lutter avec force et générosité pour l’Eglise, Nous a poussé, Vénérables Frères, à consacrer tout Notre zèle et Notre sollicitude à l’examen de leur controverse sur les associations ouvrières ; controverse dont Nous avaient entretenu plusieurs fois déjà, ces dernières années, la plupart d’entre vous, ainsi que des hommes prudents et graves des deux parties en cause. Et Nous y avons apporté d’autant plus d’application que, dans la pleine conscience de Notre charge apostolique, Nous comprenons que le plus sacré de Nos devoirs est de tendre et d’aboutir à ce que la doctrine catholique demeure chez Nos bien-aimés Fils dans sa pureté et son intégrité, et de ne permettre d’aucune manière que leur foi même soit mise en danger.
S’ils ne sont excités à temps à la vigilance, il n’est pas douteux qu’ils soient exposés à adhérer peu à peu, et presque sans s’en apercevoir, à une sorte de christianisme vague et non défini que l’on appelle d’ordinaire interconfessionnel et qui se répand sous la fausse étiquette d’une foi chrétienne commune, alors que manifestement il n’est rien de plus contraire à la prédication de Jésus-Christ. En outre, le plus ardent de Nos désirs étant de favoriser et d’affermir la concorde parmi les catholiques, Nous voulons écarter toutes les causes de dissension qui, divisant les forces des bons, ne peuvent servir que les adversaires de la religion. Bien plus, Nous désirons et souhaitons que Nos Fils gardent avec leurs concitoyens étrangers à la foi catholique la paix indispensable au gouvernement de la société et à la prospérité de la cité. Quoique, Nous l’avons dit, l’état de la question Nous fût connu, il Nous plut, avant de porter un jugement, de Nous enquérir de l’opinion de chacun d’entre vous, Vénérables Frères ; et chacun de vous a répondu à Notre demande avec la promptitude et le soin que comportait la gravité de la question.
Aussi, tout d’abord, Nous proclamons hautement que le devoir de tous les catholiques – devoir qu’il faut remplir religieusement et inviolablement dans toutes les circonstances tant de la vie privée que de la vie sociale et publique – est de garder fermement et de professer sans timidité les principes de la vérité chrétienne, enseignés par le magistère de l’Eglise catholique, ceux-là particulièrement que Notre prédécesseur a formulés avec tant de sagesse dans l’Encyclique Rerum novarum ; principes, du reste, que les évêques de Prusse, réunis à Fulda en 1900, appliquèrent, Nous le savons, avec le plus grand soin dans leurs décisions [1] et dont vous-mêmes, en Nous faisant connaître votre sentiment sur cette controverse, avez exposé les points principaux, à savoir :
Quoi qu’il fasse, même dans l’ordre des choses temporelles, le chrétien n’a pas le droit de mettre au second rang les intérêts surnaturels ; bien plus, les règles de la doctrine chrétienne l’obligent à tout diriger vers le souverain bien comme vers la fin dernière ; toutes ses actions, en tant que moralement bonnes ou mauvaises, c’est-à-dire en accord ou en désaccord avec le droit naturel et divin, tombent sous le jugement et la juridiction de l’Eglise. Quiconque, qu’il s’agisse des individus pris isolément ou des membres d’une association comme tels, se glorifie du titre de chrétien doit, s’il n’oublie point ses devoirs, entretenir non les inimitiés et les jalousies entre les classes sociales, mais la paix et la charité mutuelle. La question sociale et les controverses qui s’y rattachent relativement à la nature et à la durée du travail, à la fixation du salaire, à la grève, ne sont pas purement économiques et susceptibles, dès lors, d’être résolues en dehors de l’autorité de l’Eglise, « attendu que, bien au contraire, et en toute vérité, la question sociale est avant tout une question morale et religieuse, et que, pour ce motif, il faut surtout la résoudre d’après les règles de la morale et le jugement de la religion » [2].
Quant aux associations ouvrières, bien que leur but soit de procurer des avantages temporels à leurs membres, celles-là cependant méritent une approbation sans réserve et doivent être regardées comme les plus propres de toutes à assurer les intérêts vrais et durables de leurs membres, qui ont été fondées en prenant pour principale base la religion catholique et qui suivent ouvertement les directions de l’Eglise ; Nous l’avons fréquemment déclaré Nous-même lorsque l’occasion s’en est offerte dans un pays ou l’autre. II s’ensuit qu’il est nécessaire d’établir et de favoriser de toute manière ce genre d’associations confessionnelles catholiques, comme on les appelle, dans les contrées catholiques, certes, et, en outre, dans toutes les autres régions, partout où il paraîtra possible de subvenir par elles aux besoins divers des associés.
Que s’il s’agisse d’associations touchant directement ou indirectement à la religion et à la morale, ce serait faire œuvre qui ne pourrait être approuvée d’aucune façon, dans les pays susmentionnés, que de vouloir favoriser et propager des associations mixtes, c’est-à-dire composées de catholiques et de non-catholiques. En effet, pour Nous borner à ce point, c’est incontestablement à de graves périls que les associations de cette nature exposent ou peuvent certainement exposer l’intégrité de la foi de nos catholiques et la fidèle observance des lois et préceptes de l’Eglise catholique. Et ces périls, Vénérables Frères, beaucoup parmi vous Nous les ont expressément signalés dans leurs réponses sur ce sujet.
En conséquence, à toutes les associations purement catholiques d’ouvriers existant en Allemagne, c’est du fond du cœur que Nous adressons tous Nos éloges ; Nous faisons des vœux pour le succès de toutes leurs entreprises en faveur des ouvriers, et leur souhaitons des développements toujours plus heureux. Cependant, en parlant ainsi, Nous ne nions pas qu’il soit permis aux catholiques, tonte précaution prise, de travailler au bien commun avec les non-catholiques, pour ménager à l’ouvrier un meilleur sort, arriver à une plus juste organisation du salaire et du travail, ou pour toute autre cause utile et honnête. Mais, en pareil cas, Nous préférons la collaboration de Sociétés catholiques et non-catholiques unies entre elles au moyen de ce pacte heureusement imaginé qu’on appelle un Cartel.
A ce sujet, Vénérables Frères, beaucoup d’entre vous Nous demandent que, en ce qui concerne les Syndicats dits chrétiens, tels qu’ils sont établis aujourd’hui dans vos diocèses, Nous vous permettions de les tolérer, parce que le nombre des ouvriers qu’ils comprennent est bien supérieur à celui des associations catholiques et que de graves inconvénients résulteraient du refus de cette permission. Cette demande, eu égard à la situation particulière du catholicisme en Allemagne, Nous croyons devoir l’accueillir, et Nous déclarons qu’on peut tolérer et permettre que les catholiques entrent aussi dans les Syndicats mixtes existant dans vos diocèses, tant que de nouvelles circonstances n’auront pas rendu cette tolérance ou inopportune ou illégitime ; à condition, toutefois, que des précautions spéciales soient prises pour éviter les dangers qui, ainsi que Nous l’avons dit, sont inhérents aux associations de cette nature.
De ces garanties, voici les principales. Avant tout, il est nécessaire de veiller à ce que les ouvriers catholiques membres de ces Syndicats soient inscrits aussi dans les associations catholiques d’ouvriers appelées Arbeitervereine. Que si, pour cela, ils doivent faire quelque sacrifice, surtout un sacrifice d’argent, Nous sommes convaincu que, dans leur zèle pour la pureté de leur foi, ils le feront sans peine. Car c’est un fait d’heureuse expérience que les associations catholiques, sous l’impulsion du clergé qui les conduit et gouverne avec vigilance, contribuent puissamment à sauvegarder la pureté de la foi et l’intégrité des mœurs de leurs membres, comme elles fortifient leur esprit religieux par de multiples exercices de piété. Aussi n’est-il point douteux que les directeurs de ces associations, conscients des besoins de notre époque, voudront enseigner aux ouvriers, en particulier sur les devoirs de justice et de charité, les préceptes et lois qu’il leur est nécessaire ou utile de bien connaître pour se comporter dans les Syndicats selon le droit et les principes de la doctrine catholique.
En outre, il est nécessaire que ces mêmes Syndicats – pour qu’ils soient tels que les catholiques puissent s’y inscrire – s’abstiennent de toute théorie et de tout acte ne concordant pas avec les enseignements et les ordres de l’Eglise ou de l’autorité religieuse compétente, et qu’il ne s’y rencontre rien de tant soit peu répréhensible de ce chef ou dans leurs écrits, ou dans leurs paroles, ou dans leurs actes. Aussi, que les évêques placent au rang de leurs devoirs les plus sacrés d’observer avec soin la manière dont se comportent ces Syndicats, et de veiller à ce que les catholiques ne souffrent aucun dommage de leurs rapports avec eux. Quant aux catholiques inscrits dans les Syndicats, qu’ils ne permettent jamais aux Syndicats, même comme tels, dans la recherche des avantages temporels de leurs membres, de professer ou de faire quoi que ce soit en opposition d’une manière ou de l’autre avec les principes enseignés par le suprême magistère de l’Eglise, ceux-là particulièrement que Nous avons rappelés plus haut. Dans ce dessein, chaque fois que seront soulevées des discussions sur les questions qui ont trait à la morale, c’est-à-dire à la justice ou à la charité, les évêques veilleront avec la plus grande attention à ce que les fidèles ne négligent point la morale catholique ni ne s’en écartent si peu que ce soit.
Certes, Nous n’en doutons pas, Vénérables Frères, ces prescriptions, vous veillerez à leur observation religieuse et inviolable, et vous serez zélés et assidus à Nous informer sur une question d’une telle gravité. Mais puisque Nous avons évoqué cette cause et que, les évêques consultés, c’est à Nous de prononcer le jugement, Nous enjoignons à tous les hommes de bien qui comptent dans les rangs catholiques de s’abstenir désormais de toute controverse sur ce point ; et il Nous plait d’augurer que, zélés pour la charité fraternelle et pleinement soumis à Notre autorité ainsi qu’à celle de leurs pasteurs, ils se conformeront entièrement et sincèrement à Nos prescriptions. Que si une difficulté s’élève entre eux, ils ont à leur disposition le moyeu de la trancher : ils iront consulter leurs évêques, et ceux-ci déféreront le litige au Siège apostolique, qui rendra le jugement. Au surplus – on le déduit aisément de ce que Nous avons dit, – de même que, d’une part, il ne serait permis à personne d’accuser de foi suspecte et de combattre à ce titre ceux qui, fermes dans la défense des doctrines et des droits de l’Eglise, veulent cependant, avec des intentions droites, appartenir aux Syndicats mixtes et en font partie, là où les circonstances locales ont conduit l’autorité religieuse à permettre l’existence de ces Syndicats sous certaines conditions ; de même, d’un autre côté, il faudrait réprouver hautement ceux qui poursuivraient de sentiments hostiles les associations purement catholiques – alors qu’au contraire on doit de toute manière aider les associations de ce genre et les propager, – ainsi que ceux qui voudraient établir et presque imposer le Syndicat interconfessionnel, et cela même sous le spécieux prétexte de réduire à un seul et même type toutes les Sociétés catholiques de chaque diocèse.
En attendant, Nous faisons des vœux pour l’Allemagne catholique, afin qu’elle accomplisse de grands progrès, tant dans l’ordre religieux que dans Tordre civil ; pour qu’ils se réalisent, Nous appelons sur cette nation aimée le secours spécial du Dieu tout-puissant et le patronage de la Vierge Mère de Dieu, qui est aussi la Reine de la paix, et comme gage des faveurs divines et aussi en témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous vous accordons de grand Cœur la Bénédiction apostolique, à vous, cher Fils et Vénérables Frères, à votre clergé et à votre peuple.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 24 septembre 1912, la dixième année de Notre Pontificat.
PIE X, PAPE
- cf. dans Questions Actuelles t. LVII, p.34–41, traduction française de la lettre que l’épiscopat de Prusse adressa de Fulda à son clergé le 22 août 1900[↩]
- Encycl. Graves de communi[↩]