Léon XII

252ᵉ Pape ; de 1823 à 1829

5 mai 1824

Lettre encyclique Ubi primum

Condamnation de l'indifférentisme en matière de religion

Aux Vénérables Frères Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques.

Léon XII.
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

Dès que nous avons été éle­vés à la haute digni­té du pon­ti­fi­cat, nous nous sommes immé­dia­te­ment mis à nous excla­mer avec saint Léon le Grand : « Seigneur, j’ai enten­du votre voix et j’ai eu peur ; j’ai regar­dé votre œuvre et j’ai été rem­pli de crainte. Car quoi de plus extra­or­di­naire et de plus effrayant que le tra­vail pour les faibles, l’é­lé­va­tion pour les humbles, la digni­té pour les non méri­tants ? Cependant, ne déses­pé­rons pas et ne nous décou­ra­geons pas, car nous ne comp­tons pas sur nous-​mêmes, mais sur Celui qui agit en nous » [1]. C’est ain­si que, par modes­tie, ce Pontife jamais assez loué a par­lé ; Nous, en hom­mage à la véri­té, nous le disons et le confirmons.

Nous aus­si, Vénérables Frères, nous étions impa­tients de vous par­ler dès que pos­sible, et de vous ouvrir notre cœur, vous qui êtes notre cou­ronne et notre joie ; tout comme nous avons confiance que vous trou­ve­rez votre joie et votre cou­ronne dans le trou­peau qui vous est confié. Mais en par­tie d’autres tra­vaux impor­tants de Notre mis­sion apos­to­lique, et en par­tie sur­tout les dou­leurs d’une longue mala­die, Nous ont empê­ché jus­qu’à pré­sent, à Notre peine et à Notre regret, de réa­li­ser Nos dési­rs. Mais Dieu, qui est géné­reux en misé­ri­corde et abon­dam­ment géné­reux envers les sup­pliants et ceux qui prient avec confiance, Dieu, qui nous a ins­pi­ré cette inten­tion, nous accorde aujourd’­hui de la réa­li­ser. Cependant, le silence que nous avons gar­dé de force jus­qu’à pré­sent n’a pas été entiè­re­ment sans récon­fort. Celui qui console les humbles nous a conso­lés par l’af­fec­tion reli­gieuse de votre dévoue­ment et de votre zèle pour Nous : dans de tels sen­ti­ments nous recon­nais­sons bien la pié­té de l’u­ni­té chré­tienne, si bien que nous nous sommes réjouis et avons remer­cié Dieu de plus en plus. Ainsi, en témoi­gnage de Notre affec­tion, Nous vous envoyons cette lettre pour vous inci­ter à pour­suivre sur la voie des com­man­de­ments divins et à mener avec plus de vigueur les com­bats du Seigneur. De cette façon, la vic­toire du trou­peau du Seigneur glo­ri­fie­ra le zèle du berger.

Vous n’i­gno­rez pas, Vénérables Frères, ce que l’Apôtre Pierre a ensei­gné aux évêques en ces termes : « Faites paître en vous le trou­peau de Dieu, non pas par la force, mais de bon gré, selon la volon­té de Dieu ; non pas dans l’es­poir d’un gain hon­teux, mais de bon gré ; non en domi­nant sur ceux qui sont votre par­tage, mais deve­nant les modèles du trou­peau, du fond du cœur. » [I P, 5, 2–3].

De ces paroles, vous com­pre­nez clai­re­ment quelle conduite vous est pro­po­sée, de quelles ver­tus vous devez de plus en plus enri­chir votre cœur, de quelles abon­dantes connais­sances vous devez orner votre esprit, et quels fruits de pié­té et d’af­fec­tion vous devez non seule­ment pro­duire, mais par­ta­ger avec votre trou­peau. C’est ain­si que vous attein­drez le but de votre minis­tère, car, étant deve­nu dans vos âmes la forme de votre trou­peau, et don­nant du lait aux uns, et une nour­ri­ture plus solide aux autres, vous ne vous conten­te­rez pas d’in­for­mer ce même trou­peau de la doc­trine, mais vous le condui­rez par vos tra­vaux et vos exemples à une vie tran­quille en Jésus-​Christ et à l’ob­ten­tion de la féli­ci­té éter­nelle avec vous, comme l’ex­prime le chef des Apôtres lui-​même : « Et quand le prince des ber­gers paraî­tra, vous obtien­drez une cou­ronne de gloire impé­ris­sable » [1 P, 5, 4].

Nous vou­drions vrai­ment vous rap­pe­ler tant de consi­dé­ra­tions, mais nous n’en abor­de­rons que quelques-​unes, car nous devrons nous étendre plus lon­gue­ment sur des sujets de plus grande impor­tance, comme l’exige la néces­si­té de ces temps malheureux.

C’est ain­si que l’Apôtre, en écri­vant à Timothée, nous a ensei­gné quelles sages pré­cau­tions et quel sérieux exa­men sont néces­saires pour confé­rer les ordres mineurs, et sur­tout les ordres sacrés : « Ne te hâte pas d’im­po­ser les mains à quel­qu’un trop tôt » [1 Tm, 5, 22].

Quant au choix des pas­teurs qui, dans vos dio­cèses, doivent être char­gés du soin des âmes, et en ce qui concerne les sémi­naires, le Concile de Trente a don­né des règles pré­cises [2], pré­ci­sées ensuite par Nos Prédécesseurs : tout cela vous est si bien connu qu’il n’est pas néces­saire de s’y attar­der davantage.

Vous savez, Vénérables Frères, com­bien il est impor­tant que vous rési­diez constam­ment et per­son­nel­le­ment dans vos dio­cèses ; c’est une obli­ga­tion que vous avez contrac­tée en accep­tant votre minis­tère, comme le déclarent plu­sieurs décrets des Conciles et les Constitutions Apostoliques, confir­mées en ces termes par le saint Concile de Trente : « Car, par un pré­cepte divin, il a été ordon­né à tous ceux à qui est confié le soin des âmes de connaître leurs bre­bis, d’of­frir pour elles le saint Sacrifice, de les nour­rir par la pré­di­ca­tion de la parole divine, par l’ad­mi­nis­tra­tion des Sacrements et par l’exemple de toute bonne œuvre, d’a­voir une sol­li­ci­tude pater­nelle pour les pauvres et pour toutes les autres per­sonnes qui sont dans l’af­flic­tion », et pour pour­voir à tous les autres devoirs pas­to­raux, qui ne peuvent cer­tai­ne­ment pas être assu­rés et rem­plis par ceux qui ne veillent pas sur leur trou­peau, ni ne l’as­sistent, mais l’a­ban­donnent comme des mer­ce­naires, le saint Synode les exhorte et les exhorte afin que, atten­tifs aux pré­ceptes divins, et s’é­tant vrai­ment fait les modèles de leur trou­peau, ils le nour­rissent et le guident dans la jus­tice et la véri­té » [3]. Nous aus­si, impres­sion­nés par l’o­bli­ga­tion d’un devoir si grand et si grave, pleins de zèle pour la gloire de Dieu, nous louons de tout cœur ceux qui observent scru­pu­leu­se­ment ce pré­cepte. Si cer­tains n’o­béissent pas plei­ne­ment à cette obli­ga­tion (dans un si grand nombre de ber­gers, il peut y en avoir : cela ne doit pas sur­prendre, si pénible que cela puisse être), par les entrailles de la misé­ri­corde de Jésus-​Christ, nous les aver­tis­sons, les exhor­tons et les sup­plions de pen­ser sérieu­se­ment que le juge suprême cher­che­ra dans leurs mains le sang de ses bre­bis et pro­non­ce­ra un juge­ment très sévère contre ceux qui en ont la charge.

Cette ter­rible sen­tence, comme vous le savez sans doute, tou­che­ra non seule­ment ceux qui négligent per­son­nel­le­ment leur rési­dence, ou tentent de s’y sous­traire sous quelque vain pré­texte, mais aus­si ceux qui refusent sans rai­son valable de prendre sur eux la tâche de la visite pas­to­rale et de l’ac­com­plir selon les pres­crip­tions cano­niques. Ils ne seront jamais obéis­sants au décret tri­den­tin s’ils ne prennent pas soin de s’ap­pro­cher per­son­nel­le­ment des bre­bis et, comme le fait le bon ber­ger, de nour­rir les bonnes, de recher­cher les dis­per­sées et, enfin, en les rap­pe­lant et en agis­sant tan­tôt avec dou­ceur, tan­tôt avec force, de les rame­ner au bercail.

En véri­té, les évêques qui n’o­béissent pas avec la sol­li­ci­tude vou­lue aux obli­ga­tions de rési­dence et de visite pas­to­rale n’é­chap­pe­ront pas au juge­ment redou­table du Pasteur suprême notre sau­veur, en pré­ten­dant comme jus­ti­fi­ca­tion qu’ils ont rem­pli ces devoirs par l’in­ter­mé­diaire de ministres spéciaux.

Car c’est à eux, et non aux ministres, qu’est confié le soin du trou­peau ; c’est à eux qu’ont été pro­mis les cha­rismes. Il s’en­suit que les bre­bis sont beau­coup plus dis­po­sées à entendre la voix de leur ber­ger que celle d’un sub­sti­tut, et qu’elles prennent avec plus de confiance et reçoivent d’un cœur plus joyeux la nour­ri­ture salu­taire de la main du pre­mier plu­tôt que du second, comme de la main de Dieu, dont elles recon­naissent l’i­mage dans leur évêque. Tout cela, en plus de ce qui a été dit jus­qu’à pré­sent, est abon­dam­ment confir­mé par l’ex­pé­rience elle-​même, qui est la maî­tresse des choses.

Il suf­fi­rait d’a­voir écrit ce qui pré­cède, Vénérables Frères : à vous, dis-​je, qui n’êtes pas ingrats en tai­sant les dons, ni orgueilleux en pré­su­mant des mérites [4]. Tels doivent être, sans doute, ceux qui veulent pas­ser de ver­tu en ver­tu [Ps 83, 8], pro­gres­ser avec un esprit ardent, et imi­tant les exemples des saints évêques anciens et récents, se glo­ri­fient d’a­voir vain­cu les enne­mis de l’Église et d’a­voir réfor­mé en Dieu les cou­tumes cor­rom­pues. Que la phrase d’or de saint Léon le Grand soit tou­jours pré­sente à votre esprit : « Dans cette bataille, on n’ob­tient jamais une vic­toire si heu­reuse que, après le triomphe, le besoin ne se fasse pas sen­tir de sou­te­nir de nou­velles batailles » [5].

Combien de batailles, en véri­té, et com­bien cruelles ont été allu­mées à notre époque, et se mani­festent presque chaque jour contre la Religion Catholique ! Qui, en se les remé­mo­rant et en les médi­tant, peut rete­nir ses larmes ?

Prenez garde, Vénérables Frères, « Ce n’est pas la petite étin­celle » dont parle saint Jérôme [6] ; ce n’est pas – dis-​je – la petite étin­celle que l’on voit à peine quand on regarde, mais une flamme qui cherche à dévo­rer la terre entière, à détruire les murs, les villes, les plus vastes forêts et toute la terre ; c’est un levain qui, joint à la farine, cherche à cor­rompre toute la pâte. Dans cette situa­tion alar­mante, le ser­vice de notre apos­to­lat serait tota­le­ment inadé­quat si Celui qui veille sur Israël et qui dit à ses dis­ciples : « Voici, je suis avec vous tous les jours jus­qu’à la fin des temps » [Mt, 28, 20], ne dai­gnait pas être non seule­ment le gar­dien des bre­bis, mais aus­si le ber­ger des ber­gers eux-​mêmes [7].

Mais, qu’est-​ce que tout cela signi­fie ? Il y a une secte, connue de vous, qui, s’ap­pe­lant à tort phi­lo­so­phique, a exhu­mé des cendres les pha­langes éparses de presque toutes les erreurs. Cette secte, se pré­sen­tant sous les appa­rences cares­santes de la pié­té et de la libé­ra­li­té, pro­fesse le tolé­ran­tisme (comme elle l’ap­pelle), ou l’in­dif­fé­ren­tisme, et l’é­tend non seule­ment aux affaires civiles, dont nous ne par­lons pas, mais encore aux affaires reli­gieuses, ensei­gnant que Dieu a don­né à tous les hommes une large liber­té, afin que cha­cun puisse sans dan­ger embras­ser et pro­fes­ser la secte et l’o­pi­nion qu’il pré­fère, selon son propre juge­ment. L’apôtre Paul nous met en garde contre de telles illu­sions impies : « Je vous exhorte, frères, à contrô­ler ceux qui sus­citent des divi­sions et des scan­dales contre la doc­trine que vous avez apprise, et à vous en détour­ner. Ainsi, ils ne servent pas notre Seigneur Jésus-​Christ, mais leur propre ventre, et par des paroles douces et des béné­dic­tions, ils séduisent les âmes simples » [Rm 16, 17–18].

Cette secte [les « phi­lo­sophes »] pro­fesse le tolé­ran­tisme […] ou l’in­dif­fé­ren­tisme, et l’é­tend […] aux affaires reli­gieuses, ensei­gnant que Dieu a don­né à tous les hommes une large liber­té, afin que cha­cun puisse sans dan­ger embras­ser et pro­fes­ser la secte et l’o­pi­nion qu’il pré­fère, selon son propre jugement.

Il est vrai que cette erreur n’est pas nou­velle, mais à notre époque, elle fait rage contre la sta­bi­li­té et l’in­té­gri­té de la foi catho­lique. En effet, Eusèbe [8], citant Rodon, rap­porte que cette folie avait déjà été pro­pa­gée par Apelles, un héré­tique du IIe siècle, qui affir­mait qu’il n’é­tait pas néces­saire d’ap­pro­fon­dir la foi, mais que cha­cun devait s’ac­cro­cher à l’o­pi­nion qu’il s’é­tait for­gée. Apelles sou­te­nait que ceux qui pla­çaient leur espoir dans le Crucifié seraient sau­vés, à condi­tion que la mort les atteigne au cours des bonnes œuvres. Rhétorius aus­si, comme l’at­teste Augustin [9], babillait que tous les héré­tiques mar­chaient dans le droit che­min et prê­chaient des véri­tés. « Mais c’est tel­le­ment absurde, observe le Saint-​Père, que cela me semble incroyable ». Par la suite, cet indif­fé­ren­tisme s’est tel­le­ment répan­du et accru que ses adeptes non seule­ment recon­naissent toutes les sectes qui, en dehors de l’Église catho­lique, admettent ora­le­ment la révé­la­tion comme base et fon­de­ment, mais encore affirment sans ver­gogne que les socié­tés qui, reje­tant la révé­la­tion divine, pro­fessent le simple déisme et même le simple natu­ra­lisme sont éga­le­ment dans la bonne voie. L’indifférentisme de Rhétorius a été jugé par Saint Augustin comme absurde en droit et en mérite, même s’il était cir­cons­crit dans cer­taines limites. Mais une tolé­rance s’é­ten­dant au déisme et au natu­ra­lisme – théo­ries qui étaient reje­tées même par les anciens héré­tiques – pourrait-​elle jamais être admise par une per­sonne uti­li­sant la rai­son ? Cependant (Oh temps ! Oh phi­lo­so­phie men­son­gère !) une pareille pseudo-​philosophie est approu­vée, défen­due et soutenue.

Par la suite, cet indif­fé­ren­tisme s’est tel­le­ment répan­du et accru que ses adeptes non seule­ment recon­naissent toutes les sectes […] mais encore affirment sans ver­gogne que les socié­tés qui, reje­tant la révé­la­tion divine, pro­fessent le simple déisme et même le simple natu­ra­lisme sont éga­le­ment dans la bonne voie

En effet, il n’a pas man­qué d’é­cri­vains qua­li­fiés qui, pro­fes­sant la vraie phi­lo­so­phie, ont atta­qué ce monstre et démo­li cer­taines œuvres avec des argu­ments invin­cibles. Mais il est évi­dem­ment impos­sible que Dieu, qui est suprê­me­ment vrai, et lui-​même la Vérité suprême, la Providence la plus excel­lente et la plus sage, et le rému­né­ra­teur des bonnes œuvres, puisse approu­ver toutes les sectes qui prêchent des prin­cipes faux, sou­vent contra­dic­toires, et qu’il puisse assu­rer la récom­pense éter­nelle à ceux qui les pro­fessent ; et il est de même super­flu de faire d’autres consi­dé­ra­tions sur ce sujet. Car nous avons des pro­phé­ties bien plus cer­taines, et en vous écri­vant, nous par­lons de sagesse entre savants, non de la sagesse de ce monde, mais de la sagesse du mys­tère divin, dans lequel nous sommes ins­truits ; par la foi divine, nous croyons qu’il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul bap­tême, et qu’au­cun autre nom n’a été don­né aux hommes sur la terre pour opé­rer leur salut que celui de Jésus-​Christ de Nazareth : nous décla­rons donc qu’en dehors de l’Église il n’y a pas de salut.

nous croyons qu’il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul bap­tême, et qu’au­cun autre nom n’a été don­né aux hommes sur la terre pour opé­rer leur salut que celui de Jésus-​Christ de Nazareth : nous décla­rons donc qu’en dehors de l’Église il n’y a pas de salut.

Pour la véri­té, oh, richesses sans limites de la sagesse et de la connais­sance de Dieu ! Oh, incom­pré­hen­sible pen­sée de Lui ! Dieu, qui anéan­tit la sagesse des sages (cf. 1 Co 1, 18), semble avoir consi­gné les enne­mis de son Église et les détrac­teurs de la Révélation sur­na­tu­relle à ce sens réprou­vé [Rm 1, 28] et à ce mys­tère d’i­ni­qui­té qui était ins­crit sur le front de la femme impu­dente dont parle Jean [Ap 1, 5]. Car quelle plus grande ini­qui­té que celle de ces orgueilleux, qui non seule­ment se détachent de la vraie reli­gion, mais encore veulent trom­per les simples par toutes sortes d’ar­gu­ties, par des paroles et des écrits pleins de sophismes ? Que Dieu se lève et empêche, vainque et anni­hile cette licence débri­dée de par­ler, d’é­crire et de dif­fu­ser de tels écrits.

Que dire de plus main­te­nant ? L’iniquité de nos enne­mis aug­mente tel­le­ment que, outre la col­lu­sion de livres per­ni­cieux et contraires à la foi, ils vont jus­qu’à détour­ner au détri­ment de la Religion les écrits sacrés qui nous ont été accor­dés d’en haut pour l’é­di­fi­ca­tion de la Religion elle-même.

Vous savez bien, Vénérables Frères, qu’une socié­té vul­gai­re­ment appe­lée Biblique se répand aujourd’­hui har­di­ment sur toute la terre, et que, au mépris des tra­di­tions des Saints Pères et contre le décret bien connu du Concile de Trente [10], elle entre­prend de toutes ses forces et avec tous les moyens dont elle dis­pose de tra­duire, ou plu­tôt de cor­rompre la Sainte Bible, en la trans­for­mant en la langue ver­na­cu­laire de toutes les nations. De là découle une rai­son fon­dée de craindre que, comme dans cer­taines tra­duc­tions déjà connues, pour d’autres il faille dire, comme consé­quence d’une inter­pré­ta­tion per­ver­tie, qu’au lieu de l’Évangile du Christ nous trou­vons l’Évangile de l’homme ou, pire encore, l’Évangile du diable [11].

Pour conju­rer ce fléau, plu­sieurs de nos pré­dé­ces­seurs ont publié des Constitutions, et dans ces der­niers temps, Pie VII, de sainte mémoire, a envoyé deux pro­jets de loi, l’un à Ignace, arche­vêque de Gnesna, et l’autre à Stanislas, arche­vêque de Mohilow. Nous y trou­vons de nom­breux témoi­gnages, soi­gneu­se­ment et sage­ment tirés des écri­tures divines et de la tra­di­tion : ils nous montrent com­bien cette sub­tile inven­tion peut nuire à la foi et aux mœurs.

Nous aus­si, Vénérables Frères, en ver­tu de Notre enga­ge­ment, nous vous exhor­tons à tenir votre trou­peau soi­gneu­se­ment éloi­gné de ces pâtu­rages mor­tels. Faites-​le savoir, priez, insis­tez sur le sujet et sur le tort, avec patience et doc­trine, afin que vos fidèles, se réfé­rant scru­pu­leu­se­ment aux règles de notre Congrégation de l’Index, soient per­sua­dés que « si l’on per­met que la Bible soit tra­duite en langue vul­gaire sans per­mis­sion, il en résul­te­ra, à cause de l’im­pru­dence des hommes, plus de mal que de bien ».

L’expérience prouve la véra­ci­té de cette hypo­thèse. Saint Augustin, ain­si que d’autres Pères, le confirme par ces mots : « Les héré­sies et cer­tains dogmes per­vers qui empêchent les âmes et les plongent dans l’a­bîme naissent chez ceux qui ne com­prennent pas bien les écri­tures sacrées : les ayant mal com­prises, ils sou­tiennent l’er­reur avec témé­ri­té et arro­gance » [12].

Voilà, ô Vénérables Frères, où va cette socié­té qui ne néglige rien pour par­ve­nir à l’af­fir­ma­tion de son but impie. Car elle se plaît non seule­ment à impri­mer ses propres ver­sions, mais aus­si à les dif­fu­ser dans toutes les villes par­mi le peuple. De plus, afin de séduire les âmes des simples, elle prend soin tan­tôt de les vendre, tan­tôt, avec une per­fide libé­ra­li­té, de les dis­tri­buer gratuitement.

Si quel­qu’un veut cher­cher la véri­table ori­gine de tous les maux que nous avons déplo­rés jus­qu’i­ci, et d’autres que, par sou­ci de briè­ve­té, nous avons omis, il sera sans doute convain­cu que c’est aux ori­gines mêmes de l’Église, comme aujourd’­hui, qu’il faut la cher­cher dans le mépris obs­ti­né de l’au­to­ri­té de l’Église : de cette Église qui, comme l’en­seigne saint Léon le Grand [13], « par la volon­té de la Providence recon­naît Pierre dans le Siège Apostolique, et dans la per­sonne du Pontife Romain voit et honore son suc­ces­seur : celui en qui résident le soin de tous les pas­teurs et la pro­tec­tion des bre­bis qui leur sont confiées, et dont la digni­té n’est pas dimi­nuée même si c’est un héri­tier indigne » [14].

« En Pierre, donc (comme l’af­firme à ce pro­pos le saint doc­teur sus­men­tion­né), la force de tous est conso­li­dée, et l’aide de la grâce divine est diri­gée afin que la fer­me­té accor­dée à Pierre au nom du Christ, par Pierre soit trans­mise aux Apôtres ».

Il est donc évident que ce mépris de l’au­to­ri­té de l’Église s’op­pose au com­man­de­ment du Christ aux Apôtres, et en leur per­sonne aux ministres de l’Église qui leur suc­cèdent : « Celui qui vous écoute m’é­coute ; celui qui vous méprise me méprise ». [Lc 10, 16]. Ce mépris s’op­pose aux paroles de l’a­pôtre Paul : « L’Église est la colonne et le fon­de­ment de la véri­té » [1 Tm 3, 15]. Augustin, médi­tant sur ces indi­ca­tions, dit : « Si quel­qu’un se trouve en dehors de l’Église, il sera exclu du nombre de ses enfants ; il n’au­ra pas Dieu pour père s’il n’au­ra pas l’Église pour mère » [15].

Si quel­qu’un se trouve en dehors de l’Église, il sera exclu du nombre de ses enfants ; il n’au­ra pas Dieu pour père s’il n’au­ra pas l’Église pour mère

Saint Augustin

C’est pour­quoi, Vénérables Frères, gar­dez en mémoire avec Augustin et médi­tez fré­quem­ment les paroles du Christ et de l’Apôtre Paul, afin d’ap­prendre aux per­sonnes qui vous sont confiées à res­pec­ter l’au­to­ri­té de l’Église vou­lue direc­te­ment par Dieu lui-​même. Mais vous, Vénérables Frères, ne per­dez pas cou­rage. De toutes parts, déclarons-​nous encore avec saint Augustin [16], les eaux du déluge (c’est-​à-​dire la mul­ti­pli­ci­té des doc­trines dif­fé­rentes) mur­murent autour de nous. Nous ne sommes pas immer­gés dans le déluge, mais nous sommes entou­rés par lui : ses eaux nous pressent, mais ne nous touchent pas ; elles nous pour­suivent, mais ne nous sub­mergent pas.

Par consé­quent, nous vous invi­tons une fois de plus à ne pas perdre cou­rage. Vous aurez pour vous – et nous avons cer­tai­ne­ment confiance dans le Seigneur – l’aide des princes ter­restres, qui, comme le prouvent la rai­son et l’his­toire, en défen­dant leur propre cause défendent l’au­to­ri­té de l’Église. Car il ne sera jamais pos­sible de rendre à César ce qui appar­tient à César, si nous ne ren­dons pas à Dieu ce qui appar­tient à Dieu. De plus, pour reprendre les mots de saint Léon, les bons offices de Notre minis­tère seront pour vous tous. Dans les adver­si­tés, dans les doutes, dans tous vos besoins, ayez recours à ce Siège Apostolique. « Dieu, comme le dit saint Augustin, a pla­cé la doc­trine de la véri­té sur la chaire de l’u­ni­té » [17].

il ne sera jamais pos­sible de rendre à César ce qui appar­tient à César, si nous ne ren­dons pas à Dieu ce qui appar­tient à Dieu

Enfin, nous vous implo­rons par la misé­ri­corde du Seigneur. Aidez-​nous par vos vœux et vos prières adres­sés à Dieu, afin que l’Esprit de grâce demeure en nous et que vos juge­ments ne soient pas incer­tains : que Celui qui vous a ins­pi­ré le plai­sir de l’u­na­ni­mi­té sol­li­cite le don de la paix en com­mun avec nous, afin que dans tous les jours de Notre vie pas­sée au ser­vice du Dieu tout-​puissant, prêts à vous prê­ter notre appui, nous puis­sions éle­ver avec confiance cette prière au Seigneur : « Père saint, gar­dez en Votre nom ceux que Vous m’a­vez confiés » [18]. En gage de Notre confiance et de Notre amour, Nous vous accor­dons de tout cœur la Bénédiction apos­to­lique, à vous et à votre troupeau.

Donné à Rome, à Sainte-​Marie-​Majeure, le 5 mai 1824, la pre­mière année de Notre Pontificat.

Source : Traduit de l’Italien par nos soins avec l’aide de deepl.

Notes de bas de page
  1. Saint Léon le Grand, Serm. 3, De nata­li ipsius habit. in anniv. assumpt. suae ad sum­mi Pontificii munus[]
  2. Sess. 23, ch. 18[]
  3. Sess. 23, De Reform, ch. 1[]
  4. St Léon le Grand, Serm. 5, De nat. ipsius[]
  5. saint Léon le Grand, Serm. 5, De nat. ipsius[]
  6. In epist. ad Galat., lib. 3, cap. 5[]
  7. St Léon le Grand., cit., Serm. 5[]
  8. Hist. eccl., lib. 5[]
  9. De hae­re­si­bus, n° 72[]
  10. Sess. 4, De edit. et usu sacro­rum libro­rum[]
  11. S. Hier. in cap. 1, Epist. ad Galat.[]
  12. Tract. 18 in Joannis, ch. 5[]
  13. saint Léon le Grand, Serm. 2 De nat. eiusd.[]
  14. S. Léon M., Serm. 3 super, eodem[]
  15. De Symb. ad Catech., lib. 4, cap. 13[]
  16. Enarrat. in psalm., 2, 31[]
  17. Epist. 103 ad Donatist., Alias 166[]
  18. Saint Léon le Grand, Serm. 1, De nat. ipsius ; et saint Jean, ch. 17[]
25 juin 1834
Condamnation de l'indifférentisme et du libéralisme de Lamennais et de son livre "Paroles d'un croyant"
  • Grégoire XVI
4 octobre 1833
Condamnation d'un mouvement de fausse réforme menaçant l'Eglise
  • Grégoire XVI