Sermon donné lors du pèlerinage du Christ-Roi à Lourdes, le samedi 22 octobre 2016.
Le secret de la souffrance vécue chrétiennement
Au nom du père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi-soit-il.
Nous savons tous que la première apparition de la Très Sainte Vierge Marie à sainte Bernadette a consisté à lui réapprendre à faire le signe de la croix. Sainte Bernadette était illettrée, mais elle connaissait parfaitement son catéchisme, et en découvrant ce phénomène extraordinaire, elle se souvient que pour en vérifier l’origine, il fallait faire le signe de croix ; et elle raconte elle-même qu’elle eût l’idée, qu’elle prît l’initiative de faire ce signe de croix, et le bras lui tomba comme immobilisé. Alors l’apparition commença à faire le signe de croix, et alors Bernadette pût l’imiter en la suivant. Cela comporte bien sûr une leçon profonde : sainte Bernadette était une jeune fille pieuse qui faisait certainement le signe de croix avec beaucoup de dévotion. Sans doute, Notre-Dame a voulu la préparer ainsi à sa mission de pénitence ; à travers ce signe de croix qu’il fallait réapprendre, la Très Sainte Vierge Marie voulait lui dévoiler le secret de la souffrance, le secret de la Croix.
Au début de ce pèlerinage, chers pèlerins, je vous propose justement de redécouvrir avec vous le secret de la souffrance vécue chrétiennement. Nous devons sanctifier nos épreuves, nos croix, nos peines, nos difficultés, les valoriser. Non, toute souffrance n’a pas valeur en soi, toute souffrance n’est pas agréable à Dieu par elle-même. Que peut valoir la souffrance, les tourments d’un mercenaire, d’un détenu, d’un galérien, qui subit sa souffrance, et qui la traîne comme un boulet, avec autant de rage que de désespoir ? Il faut donc redécouvrir la place de la souffrance dans la doctrine chrétienne, dans le plan de Dieu.
La souffrance d’abord est un mystère. Comment Notre-Seigneur-Jésus-Christ a choisi de mourir sur la Croix pour nous racheter ? C’est le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption ! La souffrance est donc un mystère, mais il y a dans la souffrance aussi une réalité évidente. La souffrance peut être une preuve d’amour. La souffrance de Notre-Seigneur-Jésus-Christ s’explique « parce que Dieu a tant aimé le monde qu’Il a envoyé son Propre Fils », parce qu” « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Mes frères, dans la souffrance, il ne faut pas chercher le pourquoi en un seul mot, c’est-à-dire que nous ne devons pas chercher, dans la souffrance, son origine, sa cause, parce que ça c’est le mystère de Dieu, et ce serait blasphémer, et ce serait offenser Dieu que d’exiger de Lui qu’Il se justifie, qu’Il explique pourquoi Il permet la souffrance. Mais nous devons au contraire chercher le pour quoi en deux mots de la souffrance, c’est à dire en découvrir le but, les effets, les fruits, l’objectif, alors oui.
Mes frères, pour développer un peu ce thème, je m’inspirerai du père Philipon dans son ouvrage sur les sacrements, père Philipon, dominicain contemporain du père Calmel. Il dit que la souffrance, elle est réparatrice et expiatrice d’abord, parce que nous sommes pécheurs, et que la souffrance doit d’abord avoir une valeur de rachat, de relèvement, de restauration. Ensuite, la souffrance est sanctificatrice, est divinisatrice, parce qu’elle a une valeur de mérite. La souffrance nous donne droit à une récompense ; en temps que nous sommes élus de Dieu, choisis pour participer à son propre bonheur, il nous faut le mériter, et par la souffrance. Enfin la souffrance, elle est co-rédemptrice. Oui, par la souffrance, nous pouvons, nous, racheter, devenir nous-mêmes des co-rédempteurs, des sauveteurs.
Et d’abord, mes frères, voyons ce premier point ; la souffrance, elle est réparatrice et expiatrice. Le pape saint Pie X, dans son encyclique « Ad diem illum », en 1904, déclare à la suite de monseigneur Pie, que le point de départ commun de toutes ces monstruosités, de toutes ces doctrines mensongères qui ont engendré les révolutions modernes, le point de départ commun du naturalisme, du rationalisme, et du communisme, ce point commun, c’est la négation du péché originel, la négation de la perte de l’état de justice et de sainteté initial, la négation de la déchéance de la nature humaine, la négation de l’existence du mal qui souille notre âme par le péché, par nos fautes. Donc la source commune, c’est d’abord cette négation de la chute, et c’est en même temps le refus de la grâce, le rejet de l’intervention divine par la Révélation, par l’Evangile, c’est le refus de ce rachat, de cette Rédemption, qui nous est offerte en Notre-Seigneur-Jésus-Christ, c’est le refus des remèdes et des secours qui nous sont donnés par le Saint Sacrifice de la Messe, par l’Eglise, par les sacrements.
Alors saint Pie X montre combien le dogme de l’Immaculée Conception venait parfaitement à temps pour répondre à cette négation de la chute et à ce refus de la grâce. Immaculée Conception ! C’est professé justement que la Vierge Marie, elle seule, fait exception à cette condition générale que nous partageons tous. Conception immaculée donc, qui n’a pas été touché par cette chute, par cette déchéance. Mais conception, c’est-à-dire que ce n’est pas par elle-même, c’est par grâce ; la Très Sainte Vierge Marie, Immaculée Conception, est la première des rachetés. La Rédemption s’applique en elle d’une manière suréminente, par préservartion, alors que nous, la Rédemption s’applique par purification. Alors, chers pèlerins, en ce début de pèlerinage, nous devrons justement nous aussi à notre manière répondre à cette négation de la chute, et à ce refus de la grâce, en faisant profession que nous sommes pécheurs, mais des pécheurs rachetés. Nous devons donc reconnaître notre misère, c’est-à-dire ces tendances désordonnées qui sont en nous, ces inclinations vicieuses, et malheureusement, ce ne sont pas simplement des inclinations, ça nous pousse à des actes délictueux, à des offenses, à des péchés, à des fautes.
Mais en même temps, dans ce pèlerinage, nous devons manifester, faire profession de notre foi, de notre confiance dans les moyens de salut qui nous sont offerts. Voyez, l’Eglise, dans ses oraisons liturgiques, nous inspire toujours cette double disposition d’aveu de notre misère, et de confiance dans le salut qui nous est offert. Par exemple, dans une oraison de l’Avent, l’Eglise nous fait dire : « Ô mon Dieu, dans les grands périls où nous sommes tombés à cause de nos péchés, venez comme un défenseur qui nous délivre, comme un libérateur qui nous sauve. » Voilà, mes frères, vous avez les deux aspects. Dans une oraison de la Septuagésime, nous disons : « Ô il est juste que nous soyons châtiés à cause de nos péchés, mais dans votre bonté, Seigneur, délivrez-nous pour la gloire de votre Nom. » Dans la Quinquagésime : « Seigneur, après nous avoir délivrés des liens du péché, protégez-nous contre toute difficulté. »
Voilà, mes frères, la vraie pénitence réparatrice. De grâce, mes frères, ayons horreur de la fausse pénitence de Judas. L’Evangile nous dit : « Penitentia ductus », pris de remords, « confessus dicens : « Peccavi tradens sanguinem justi », j’ai péché en livrant le sang du juste, « retuli triginta argenteos », il vient rendre les trente deniers, « et laqueo se suspendit ». Il semble que c’est une pénitence complète : il est pris de remords, il avoue, il répare, et il s’impose une réparation qu’aucun confesseur n’aurait pu lui imposer tout de même. Eh bien, ça ne vaut rien, parce que ça c’est la matière de la pénitence, il y faut la forme, l’absolution. Il n’y a pas eu chez Judas cette confiance, cet acte de foi ; lui aussi il a refusé, il a refusé la grâce du pardon. Voilà, mes frères, le désespoir de Judas. Mais il y a aussi l’aveuglement, l’endurcissement des pharisiens. Notre-Seigneur-Jésus-Christ les traite de « sépulcres blanchis », parce que justement ils ont cette pourriture intérieure qu’ils dissimulent à travers ces apparences flatteuses ; alors eux n’ont pas cette pénitence d’aveu de misère, ce sont des consciences inversées, « ils filtrent le moucheron et ils avalent le chameau ». Cette présomption ridicule parce qu’ils sont fils d’Abraham, alors ils ont un droit inné à rentrer dans le Royaume, ces maîtres hypocrites qui imposent aux autres des fardeaux insupportables qu’ils ne remuent même pas du petit doigt. Alors, mes frères, chers pèlerins, nous venons à Lourdes vraiment pour accepter cette souffrance réparatrice, expiatrice. A Lourdes sans doute, bien sûr mes frères, il y a la sainte grotte, il y a les piscines, il y a l’eau prodigieuse, il y a les processions, mais n’oublions pas, à Lourdes surtout, il y a les confessionaux. Nous qui sommes prêtres, nous passerons avant vous, après vous, mais nous passerons au confessional. Ne passons pas à côté de cette grâce, mes frères, de rédemption vraiment, d’aveu de notre misère, mais aussi cette grâce d’absolution. Voilà le bonheur du prêtre, mes frères ; ils sont là nombreux, ils vous attendent, pour être à leur tour ces co-rédempteurs.
Et la souffrance n’a pas seulement cette valeur de réparation, d’expiation, c’est mon deuxième point. La souffrance aussi, elle est divinisatrice, elle est sanctificatrice. C’est le plan de Dieu ; dans l’état actuel de l’humanité, la souffrance est nécessaire pour l’épanouissement de notre vie chrétienne, pour l’achèvement de ces dons que nous avons reçus de Dieu, pour parvenir à notre destinée. Eh oui, le Bon Dieu a voulu nous donner ses dons sous forme de germes, qu’il faut faire pousser, qu’il faut mener à maturité, et c’est difficile, ça demande des efforts coûteux. Les dons de Dieu sont des talents, qu’il faut faire fructifier, qu’il faut exploiter, cela demande du courage, de l’énergie. Les dons de Dieu nous sont donnés comme une puissance qu’il faut faire passer à l’acte, en s’imposant des devoirs, des exigences. Chers pèlerins, le Ciel est une récompense qu’il faut conquérir par le mérite, et donc par l’effort, par la souffrance.
Saint Paul disait : « J’achève en mon corps ce qui manque à la Passion de Notre-Seigneur-Jésus-Christ. » Mais cette Passion de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, elle est surabondante, pleinement suffisante, mais elle ne se passera pas de notre coopération, de notre collaboration. Saint Augustin, de son côté, nous dit : « Celui qui t’a créé sans toi, qui t’a racheté sans toi, ne te sauvera pas sans toi. » Mes frères, en Enfer, en Enfer, la souffrance est un but, eh oui ; en Enfer, la souffrance est un châtiment, une punition, une damnation ; la souffrance, en Enfer, elle est accablante, dégradante, anéantissante, destructrice. Mais, mes frères, sur terre, la souffrance n’a jamais ces caractères-là. La souffrance permise par Dieu, prévue dans son plan, la souffrance doit être enrichissante, ennoblissante, positive, constructive, et j’oserai dire, mes frères, si nous la comprenons bien, si nous rentrons dans le plan de Dieu, la souffrance peut même devenir réjouissante, enthousiasmante. J’admire beaucoup la liturgie, dans la préface du Carême.
L’Eglise ne veut pas nous faire rentrer dans ce temps de pénitence en larmoyant, en soupirant, en reniflant ; elle nous fait chanter par la pénitence : « Vitia comprimis, mentem elevas, virtutem largiris et praemia. » (Chanté) Eh oui ! On rentre dans la pénitance du Carême avec beaucoup de confiance, on va gagner, nos vices vont être opprimés, nos esprits vont s’élever, et nous allons gagner beaucoup en force, en courage, en énergie, et en récompense. Que c’est beau, mes frères ! Alors sur cette valeur de la souffrance qui est sanctificatrice, qui est divinisatrice, Notre-Seigneur-Jésus-Christ n’hésite pas à nous montrer ce que font les mondains ; les mondains, « les enfants de ce siècle, sont » souvent « plus habiles que les fils de lumière ». Eh oui, ces mondains, pour avoir un peu plus de popularité, de renommée, pour avoir des jouissances plus raffinées, avoir une fortune encore plus abondante dans le luxe et dans le superflu, ces gens-là sont capables de s’imposer toute sorte de restrictions, d’exigences ; ces idoles, ces vedettes, ces champions, sans doute peuvent s’attirer leur gloire par certaines tricheries, par une certaine immoralité malheureusement, mais reconnaissons-leur un véritable courage, une véritable énergie. Saint Paul à l’entrée du Carême nous montre les athlètes dans un stade ; un athlète oui, il est capable de s’imposer les restrictions les plus rigoureuses, les exercices les plus pénibles, les risques les plus dangereux, et cela pour une couronne périssable. Alors nous, mes frères, qui attendons une récompense éternelle, Notre-Seigneur-Jésus-Christ, pour nous encourager à accepter cette souffrance qui nous épanouit, qui nous enrichit, mais il nous montre la nature. Regardez la semence : « Si le grain jeté en terre ne meure, il est stérile, il ne peut pas porter du fruit. » Et c’est vrai que le grain tombé en terre semble, eh bien, pourrir, être détruit. Mais non ! « Le grain jeté en terre, s’il meure, il porte beaucoup de fruit. »
Eh bien c’est cela, mes frères ; la souffrance, en apparence, nous mutile, la souffrance nous diminue, mais en apparence. La maternité, quel bel exemple, bien sûr ! Magnifique ! Une mère est dans la tristesse, une future mère, au moment où elle va enfanter, « elle est dans la tristesse parce que son heure est venue ». Mais Notre-Seigneur-Jésus-Christ nous dit : « Mais après, elle oublie sa souffrance dans la joie qu’elle a d’avoir donné la vie à un homme. » Voilà, mes frères, la souffrance, la belle souffrance, qui est source de vie.
Et puis l’émondage, un dernier exemple de la nature ; Notre-Seigneur-Jésus-Christ nous dit que lorsqu’un vigneron voit un sarment qui porte du fruit, il l’émonde, il le coupe, pour le rendre encore plus fécond.
Mes frères, chers pèlerins, il nous faut imiter l’audace du larron. Le larron a accepté sa souffrance d’abord en esprit d’expiation, en esprit de réparation, mais il s’est pas arrêté là. Il a eu le courage de dire l’audace, l’espérance, de dire à Notre-Seigneur-Jésus-Christ : « Souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre royaume. » Notre-Seigneur-Jésus-Christ ne lui a pas répondu : « Ecoute, larron, tu es un peu incohérent. Tu viens de dire que tu as mérité l’Enfer. Pour moi, c’est justice. Et en ce moment, tu es en train de me demander le Ciel. Tu as pas eu beaucoup de cours de catéchisme, mais tu devrais savoir qu’entre les deux, y a le purgatoire, et pour toi, ça va être salé. » Mais non ! « Aujourd’hui même, tu seras avec moi en Paradis. » Voilà la sagesse du larron ! Il a compris que ce châtiment, s’il le sanctifiait, s’il l’unissait au sacrifice de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, ce châtiment devenait mérite, un droit à la récompense, au Ciel lui-même, et il l’obtenût le jour même.
Chers pèlerins, dans ce pèlerinage, au début de ce pèlerinage, reconnaissons que souvent nos échecs, nos défaites sont peut-être la cause, sont plutôt l’effet de notre négligence, de notre laisser-aller, de notre démission, de nos capitulations. Alors demandons, au début de ce pèlerinage, cette véritable pénitence, c’est-à-dire ce courage, ce goût de l’effort, cette énergie, cette audace, cette générosité. Celui qui ne cherche que le plaisir, finalement, il devient raté, une épave, un bon à rien. Alors je m’adresse aux malades ici. Chers malades, vous êtes là, dans vos chaises roulantes. Vous ne nous faites pas pitié, bien sûr que non ! Sans doute je vous souhaite de tout cœur d’avoir de ces âmes compatissantes, généreuses, pleines de tendresse et d’affection, qui vous apportent les soins, le réconfort dont vous avez besoin ; bien sûr, je vous le souhaite de tout cœur, et je pense que vous l’avez, quand on voit toutes ces religieuses, quand on voit ces infirmiers, ces infirmières, ces brancardiers, même ces jeunes gens qui sont à votre service. Mais vous ne faites pas pitié, vous faites envie. Voilà la grâce de Lourdes ; pour nous qui sommes en bonne santé, nous avons besoin de ce spectacle, de ces malades dans leurs chaises roulantes. Vous nous faites envie par votre courage, par votre énergie, par l’offrande de vos souffrances. Alors vous nous aidez à relativiser nos petits bobos, vraiment ces petites souffrances de rien du tout. Mais que feriez-nous si nous étions à votre place ? On voit que Notre-Seigneur-Jésus-Christ n’a pas hésité à reprocher à ses apôtres leur sottise : « Ô stulti et tardi corde ! » Ces disciples d’Emmaüs qui expriment leur déception, combien ils sont désillusionnés, combien ils ont perdu confiance en voyant Notre-Seigneur-Jésus-Christ crucifié. Un échec, une défaite, un perdant ! Notre-Seigneur-Jésus-Christ leur dit : « Mais vous n’avez pas lu les Ecritures ? Ne fallait-il pas que le Christ souffrît et qu’il mourût pour entrer ainsi dans sa gloire ? » Notre-Seigneur-Jésus-christ lui-même ne s’est pas épargné cette loi ; Il s’est appliqué cette loi que le Ciel, c’est la récompense du mérite. Notre-Seigneur-Jésus-Christ, voilà pourquoi Il a voulu souffrir, pour Lui-même et pour nous.
Mais ne nous arrêtons pas là, mes frères. La souffrance, elle est aussi co-rédemptrice. Dans le plan de Dieu, nous qui sommes des rachetés, nous devons devenir des sauveteurs à notre tour, des co-rédempteurs. La souffrance alors prend une toute autre valeur. La souffrance devient une sorte de monnaie d’échange, une sorte de prix à payer pour arracher les âmes de la perdition. Le Bon Dieu a voulu nous rendre propriétaires de ses pouvoirs et de sa puissance. Nos parents sont des procréateurs, ils ont reçu de Dieu ce pouvoir de transmettre la vie. Mais ça ne suffit pas d’être procréateurs, il faut être aussi co-rédempteurs ; cette vie qu’on a communiqué, qu’on a transmise, il faut la sauver, et c’est merveilleux, mes frères, de voir combien souvent nos parents, qui ont été nos procréateurs, qui nous ont donné ce don inestimable de la vie, sont aussi nos meilleurs co-rédempteurs, sauveteurs.
Cette volonté, mes frères, de donner sa vie pour les autres, elle est profondément enracinée dans le cœur humain. Jamais nous ne verrons une catastrophe dramatique, un accident tragique, un cataclysme apocalyptique, comme ces tsunamis, comme ces tremblements de terre, sans qu’en même temps se lèvent des âmes de héros, au risque de la perte de leur temps, de leur argent, mais de leur vie aussi. Dans un complet désintéressement, sans aucune attente de rétribution, par simple compassion, par dévouement, par solidarité, ces gens-là viennent au secours de ceux qui sont dans le malheur, et souvent ce sont des gens sans religion, ces bénévoles, ces sauveteurs bénévoles. Alors, mes frères, pour nous surtout, nous devons comprendre que la grâce du baptême, la grâce de la Rédemption, nous donne justement cette vocation, cette mission d’accepter la souffrance, cette souffrance corédemptrice. Notre-Seigneur-Jésus-Christ a voulu mourir sur la Croix ; son sacrifice, Il a voulu le vivre comme une victime d’amour, Il a voulu nous donner la preuve suprême de son amour, l’amour poussé au-delà de toute limite.
Monseigneur Lefebvre a tellement insisté pour nous faire découvrir dans la messe, dans la contemplation de la Sainte Messe, le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa tête couronnée d’épines, ses mains transpercées, son côté ouvert. Monseigneur Lefebvre nous disait : « C’est dans cette contemplation de Jésus crucifié que nous trouvons toutes les grâces de renouvellement, de résurrection spirituelle. » Et monseigneur Lefebvre nous rappelait que la messe, c’est justement le sacrifice de Notre-Seigneur-Jésus-Christ actualisé pour que nous y participions. C’est ça ! La messe simplement, ce n’est pas un exercice de dévotion, c’est un engagement à rentrer dans cet esprit de sacrifice. Monseigneur Lefebvre nous faisait comprendre que nous ne pouvons pas assister à la messe sans nous offrir nous-mêmes, c’est-à-dire faire ce don total, sans réserve, sans conditions, finalement jusqu’à l’immolation suprême. Monseigneur Lefebvre insistait pour nous faire comprendre que la messe, sacrifice de Notre-Seigneur-Jésus-Christ renouvelé, n’a rien à voir avec la cène protestante. La cène protestante, c’est un repas d’action de grâces, une fête au souvenir de la cène du Seigneur, c’est un rassemblement de convivialité entre chrétiens qui se manifestent la charité ; la cène protestante, c’est un partage d’intentions pieuses. Mais la messe, ça n’a rien à voir. La messe est le sacrifice de Notre-Seigneur-Jésus-Christ auquel nous devons participer, en nous offrant nous-mêmes comme victimes d’amour.
Vous savez bien que dans l’Ancien Testament, l’agneau pascal, il devait être immolé, mais aussi il devait être mangé. Il y avait l’immolation et la manducation de l’agneau pascal, c’est-à-dire en mangeant l’agneau pascal d’une certaine manière, on voulait s’approprier, s’assimiler, s’identifier à la victime. Alors il faut le faire beaucoup plus à la messe, nous chrétiens. La communion, la grâce de la communion, c’est de nous donner justement cet esprit de sacrifice, cette volonté d’offrande.
Mes frères, c’est la gloire de la religion, de notre religion chrétienne, de notre religion catholique, de nous inspirer ce goût de la souffrance co-rédemptrice. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus répondait à ceux qui lui posait la question : « Pourquoi vous vous êtes faite carmélite ? Alors que vous avez toutes les qualités pour être une missionnaire, pourquoi avoir choisi cette vie cloîtrée ? » Eh bien, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus répondait : « C’est pour sauver plus d’âmes. » Sauver des âmes en plus grand nombre par la monotonie et l’effacement, par une vie cachée d’un sacrifice secret. Cette volonté, mes frères, d’être co-rédempteurs, la Sainte Vierge l’a inspirée bien sûr à ses enfants de Fatima. Si elle leur a montré le spectacle de l’Enfer, ce n’était pas pour leur inspirer la contrition de leurs péchés, ces âmes étaient innocentes, si pures, mais pour justement, justement, galvaniser leur courage, blinder leur énergie devant le sacrifice à multiplier pour sauver le plus grand nombre de pécheurs. Voilà, mes frères, l’esprit chrétien, l’esprit catholique. Le saint Curé d’Ars disait : « Chaque fois que nous résistons à une tentation, nous devons croire que quelqu’un a prié pour nous. » Que c’est beau, mes frères ! Voilà l’unité chrétienne. Lorsque je résiste à la tentation, ce n’est pas par ma force, par mon énergie, mais c’est par la communion des saints, parce que j’ai un co-rédempteur, parce que j’ai un sauveteur qui m’a donné, qui m’a obtenu cette grâce.
Le pape Pie XII, en 1954, recevait un pèlerinage qui s’intitulait « Le centre des volontaires de la souffrance ». Voilà. « Les volontaires de la souffrance » ! Et le saint pape disait : « Quand ceux qui souffrent brillent, c’est comme s’ils faisaient violence au Ciel. Ils contraignent pour ainsi dire le cœur de Jésus à les exaucer. » Que c’est beau, chers malades qui êtes là devant moi ! Oui, de croire qu’effectivement, ce que la prière demande, le sacrifice l’obtient. La souffrance donne à la prière une force irrésistible, un effet infaillible. Vous savez que monseigneur Lefebvre, lors de son jubilé sacerdotal, nous faisait la confidence que c’est surtout au Gabon, en mission, qu’il a découvert la grâce de la messe, en voyant ces âmes qui voulaient souffrir, qui s’offraient en victimes. Cette grâce de monseigneur Lefebvre. Eh bien, mes frères, je pense que j’ai pas eu ce bonheur d’être missionnaire, mais je ne suis pas dépourvu de cette découverte aussi ; mes frères, nous l’avons tous devant nous ce spectacle d’âmes chrétiennes qui s’offrent comme victimes, comme des victimes volontaires. Ces âmes mais remplissent nos couvents, nos monastères. Dernièrement, j’ai fait une retraite à Flavigny, et j’ai eu trois mères de famille qui m’ont fait cette confidence qu’elles s’offraient en victimes pour permettre à un enfant dévoyé à retrouver la foi. « Je veux souffrir et mourir pour l’expiation de mes péchés et le salut de mes enfants. »
Mes frères, croyons-le, dans cette belle jeunesse, le MJCF, cet esprit apostolique, nous voyons vraiment qu’il y a de ces convertis admirables qui, après avoir reçu cette grâce de la conversion, deviennent eux-mêmes des apôtres, des missionnaires. Nous voyons dans la Milice de Marie, oui, ce zèle merveilleux pour apporter la Rédemption à travers la souffrance. A Flavigny, j’ai été sept ans vicaire de M. l’abbé Troadec, et c’était chaque année un spectacle merveilleux de voir ces jeunes promotions de jeunes qui venaient justement dans ce même esprit de rentrer dans la co-rédemption. Je me souviens particulièrement d’un jeune qui était élève d’Ecole Normale, et qui ne supportait plus de voir ces têtes si bien faites, de voir ses collègues qui étaient destinés à devenir l’élite de la nation, et qui vivaient dans un vide spirituel complet. C’est insoutenable ! Alors il a voulu devenir prêtre.
Je terminerai, mes bien chers frères, avec le père Calmel. Le père Calmel nous disait que lorsque nous faisons le signe de croix, ce n’est pas simplement un signe de piété, un geste liturgique ; faire le signe de croix, c’est un engagement. Lorsque je fais le signe de croix, je prends dans mes mains toutes mes souffrances, même les plus lamentables, même celles qui sont les effets de mon péché, et ces souffrances, je les fixe sur moi, en faisant un acte de foi ; ces souffrances peuvent devenir vraiment réparatrices, sanctificatrices, co-rédemptrices. En faisant le signe de croix, je fixe sur moi tout l’amour de la passion de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, du sacrifice de Notre-Seigneur-Jésus-Christ.
Alors, mes frères, demandons cette grâce, au début de ce pèlerinage, de réapprendre à faire le signe de croix de cette manière-là. Que notre bonne Mère nous réapprenne justement le sens de la souffrance, de sanctifier la souffrance, de lui donner cette valeur d’éternité et de co-rédemption.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi-soit-il.
Abbé Pierre-Marie Laurençon
Pour conserver à ce sermon son caractère propre, le style oral a été maintenu.
Source : Transcription d’I.G. pour La Porte Latine